COM (2000) 548 final
du 06/09/2000
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 19/01/2001
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 10/10/2000Examen : 29/11/2000 (délégation pour l'Union européenne)
Réunion du mercredi 29 novembre 2000
Politique sociale
Communication de Mme
Marie-Madeleine Dieulangard
sur l'agenda pour la politique sociale (E 1497)
et sur les
lignes directrices pour les politiques de l'emploi (E 1559)
Ma communication d'aujourd'hui porte sur deux textes qui nous sont soumis dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution : le premier est l'agenda pour la politique sociale, et le second est le projet de lignes directrices pour l'emploi.
J'ai choisi de les présenter dans une même communication, car ce sont deux textes complémentaires et qui vont dans le même sens. Ils ont d'ailleurs été examinés par une même formation du Conseil, le Conseil « emploi/affaires sociales » qui s'est réuni hier et avant-hier. Ils seront ensuite à l'ordre du jour du Conseil européen de Nice, le 7 décembre prochain.
I - L'AGENDA POUR LA POLITIQUE SOCIALE (E 1497)
Je vais tout d'abord aborder l'agenda pour la politique sociale. Ce document prend la forme d'une communication de la Commission européenne, préparée à la demande du Conseil européen de Lisbonne.
Comme vous le savez, cette réunion de Lisbonne du Conseil européen, qui s'est tenue en mars dernier, a donné à l'Union un « nouvel objectif stratégique » pour les années 2000-2006, à savoir « devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale ».
· L'idée essentielle est celle d'une interdépendance, d'un renforcement mutuel entre les trois aspects de cet « objectif stratégique » :
- croissance économique fondée sur les nouvelles technologies,
- amélioration de l'emploi,
- cohésion sociale.
C'est pourquoi, dans l'agenda social, l'objectif est représenté sous la forme d'un triangle :
Politique sociale
Qualité sociale/Cohésion sociale
Plein emploi/Qualité du travail
Compétitivité/Dynamisme
Politique de l'emploi
Politique économique
Cette représentation entend suggérer qu'il n'y a pas lieu de séparer, encore moins d'opposer les différents pôles du triangle, mais au contraire d'entrer dans un cercle vertueux où ils se renforcent réciproquement. Car une protection sociale efficace concourt en réalité à la compétitivité économique en favorisant l'adaptation au changement et en évitant le sous-emploi des ressources humaines ; et le relèvement du taux d'emploi (le taux d'emploi est le rapport entre le nombre de personnes employées et le nombre de personnes en âge de travailler) est le principal moyen d'assurer le financement durable des systèmes de protection sociale.
La Commission européenne met tout particulièrement l'accent sur la notion de qualité du travail, qui porte sur plusieurs aspects :
- le contenu même du travail, que les nouvelles technologies de l'information tendent à modifier et à faire évoluer constamment, ce qui impose que la formation tout au long de la vie prenne une importance centrale;
- les relations entre les partenaires sociaux dans l'entreprise ;
- l'effort pour permettre de mieux concilier la vie professionnelle et la vie privée et pour rendre plus facile la mobilité géographique et professionnelle ;
- les normes de travail, la santé et la sécurité professionnelles.
· Pour mettre en oeuvre le « nouvel objectif stratégique », la Commission européenne suggère une méthode relevant de ce qu'il est convenu d'appeler la « nouvelle gouvernance ». La priorité est de mobiliser les différents acteurs autour de l'objectif commun et de coordonner leurs efforts. Cette méthode n'exclut pas l'adoption de normes communes, mais n'en fait pas un moyen d'intervention exclusif.
On peut souligner dans cette approche trois aspects :
- pour ce qui est de l'action des Etats, la méthode est celle de la coordination ouverte des politiques. Cette méthode s'est d'abord appliquée dans le domaine des politiques économiques après le traité de Maastricht, elle s'est ensuite appliquée aux politiques de l'emploi après le traité d'Amsterdam, elle apparaît aujourd'hui également comme la méthode privilégiée dans le domaine social. Dans le cadre de cette méthode, les Etats fixent en commun des objectifs généraux, et c'est ensuite à chaque Etat, pour l'essentiel, de définir les moyens d'y parvenir, avec des clauses de rendez-vous, une surveillance multilatérale et des évaluations régulières ;
- le deuxième aspect sur lequel insiste la Commission européenne, est l'implication de tous les acteurs, Etats, collectivités locales, partenaires sociaux, ONG.
- enfin, troisième aspect, la diversité des formes d'action qui peuvent être : la législation européenne ; le dialogue social à l'échelon de l'Union ; l'utilisation des fonds structurels et principalement du Fonds social européen ; les programmes d'action communautaire ; le « mainstreaming », c'est-à-dire la prise en compte d'un grand objectif dans l'ensemble des politiques ; enfin, le recours aux agences européennes compétentes. Ces agences sont : la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail (Dublin), l'Agence européenne pour la santé et la sécurité du travail (Bilbao), l'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (Vienne), le Centre européen pour le développement de la formation professionnelle (Thessalonique) et la Fondation européenne pour la formation (Turin).
Lorsque je suis allée à Bruxelles, les personnes que j'ai rencontrées, tant à la Commission européenne qu'à la Représentation permanente de la France, ont remarqué que cette « nouvelle gouvernance » réclamait un certain changement des habitudes de pensée. En effet, dans l'approche que met en avant la Commission européenne pour la politique économique et sociale, on recherche avant tout à réaliser une convergence autour de grands objectifs en s'efforçant de susciter la participation la plus large possible, et il n'y a aucune frontière entre ce qui relève de l'échelon national et ce qui relève de l'échelon européen. Dans ce contexte, il ne peut être question d'« exporter » un quelconque système social vers les autres pays. Le but de l'agenda social sur ce point, c'est plutôt de faire en sorte que des systèmes nationaux qui resteront assez différents parviennent à des résultats comparables et soient davantage compatibles entre eux. C'est dans cette optique qu'une harmonisation reste nécessaire, dans une perspective de mobilité accrue, afin de mieux coordonner les régimes de Sécurité sociale, notamment les systèmes de retraite et de protection de la santé ; et il me semble qu'un passage à la majorité qualifiée pour décider dans ce domaine serait tout à fait dans la logique de l'agenda social.
· Jusqu'à présent, je m'en suis tenue à des considérations générales, qui me paraissaient nécessaires parce que l'agenda social est avant tout un texte d'orientation. Mais naturellement, cet agenda contient des propositions plus précises. Les grands axes sont :
- l'amélioration quantitative et qualitative de l'emploi, ce qui renvoie notamment à l'application des lignes directrices pour l'emploi que j'évoquerai tout à l'heure ;
- le renforcement de la capacité d'adaptation au changement, ce qui met en jeu l'évolution des relations de travail et de certains aspects de la législation du travail ;
- l'exploitation des possibilités offertes par l'économie de la connaissance, ce qui suppose notamment de mettre l'accent sur la formation tout au long de la vie ;
- la promotion de la mobilité ;
- la modernisation de la protection sociale, avec notamment le problème de l'évolution des régimes de retraite ;
- la lutte contre l'exclusion ;
- la promotion de l'égalité entre les sexes ;
- la lutte contre la discrimination ;
- l'amélioration de la qualité des relations industrielles, avec la renforcement du dialogue social ;
- la préparation de l'élargissement, avec la question de la reprise de l'acquis communautaire par les pays candidats ;
- enfin, la coopération internationale avec le problème des normes sociales minimales.
Ces grands axes me paraissent globalement pertinents, sous deux réserves. La première est que, tel qu'il a été présenté par la Commission européenne, l'agenda social ne contient pas suffisamment d'échéances précises. Or, pour que la méthode de coordination fonctionne bien, il faut fixer des rendez-vous, des objectifs de date, à la fois pour mobiliser les acteurs et pour permettre le suivi et l'évaluation. Ma deuxième réserve est que l'accent n'est pas mis suffisamment sur l'aspect global de la protection de la santé. Il ne suffit pas, me semble-t-il, de mentionner la santé et la sécurité au travail, comme le fait l'agenda social. Dans certains cas, le retour à l'emploi n'est pas séparable d'une démarche de santé. Il me paraît donc nécessaire que les objectifs de santé publique soient pleinement intégrés dans l'agenda social.
· En conclusion, je ne vous propose pas d'intervention de la délégation sur ce texte, malgré son intérêt.
Il me semble, tout d'abord, que notre calendrier permettrait difficilement la discussion d'une proposition de résolution avant le Conseil européen de Nice. La délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale a déposé, la semaine dernière, une proposition de résolution, mais si nous faisions de même, notre texte devrait être examiné en pleine période de discussion budgétaire, ce qui me paraît peu réaliste.
Il y a aussi une raison tenant davantage au fond. L'agenda social, qui s'inscrit dans la suite du Conseil européen de Lisbonne, me paraît être globalement un bon document, qui tend à rééquilibrer la part de la politique sociale par rapport à la politique économique dans la construction communautaire. J'ai été amené à faire deux réserves, mais ces réserves portent sur le texte initial de l'agenda. Or, la présidence française s'est efforcée d'améliorer le document sur les points que j'ai soulevés, notamment le premier. Le document de synthèse de la présidence française prévoit en effet un échéancier beaucoup plus précis, et par ailleurs ce document intègre plus clairement dans l'agenda social les objectifs de santé publique. Il me semble donc que nous pouvons appuyer sans réserve la position du Gouvernement.
En revanche, je crois que notre délégation pourrait, le moment venu, participer au suivi de l'agenda social. Ce suivi pourrait concerner le domaine législatif, car certains textes importants sont en discussion depuis des années (information et consultation des travailleurs, licenciement collectif...) tout comme le bilan de la coordination des politiques sociales, je pense en particulier à des domaines comme la lutte contre l'exclusion et la lutte contre les discriminations.
II - LES LIGNES DIRECTRICES POUR LES POLITIQUES DE L'EMPLOI (E 1559)
J'en viens à la seconde partie de ma communication, les lignes directrices pour l'emploi. Je serai très brève sur le sujet, car les premières lignes directrices ont fait l'objet d'une résolution du Sénat à la fin 1998 ; pour le deuxième exercice, fin 1999, la délégation a décidé de ne pas intervenir, car les lignes directrices étaient pour l'essentiel les mêmes ; or, nous nous trouvons dans la même situation cette année : les lignes directrices ne sont pas modifiées de manière substantielle.
Je rappelle que l'objectif global retenu par le Conseil européen de Lisbonne est d'arriver en 2010 à un taux d'emploi d'au moins 70 % en moyenne, et en particulier d'au moins 60 % pour les femmes, et que les lignes directrices retiennent pour cela quatre grands axes :
- améliorer la capacité d'insertion professionnelle,
- développer l'esprit d'entreprise et la création d'emplois,
- encourager l'adaptabilité des entreprises et de leurs salariés,
- renforcer les politiques d'égalité des chances entre les femmes et les hommes.
Par rapport aux précédentes lignes directrices, le nouveau texte met davantage l'accent sur l'éducation et la formation tout au long de la vie, ainsi que sur le rôle essentiel des partenaires sociaux. Mais il s'agit là de l'accentuation de thèmes qui figuraient déjà dans le texte adopté l'année dernière.
Je dois préciser que cette continuité est tout à fait dans la logique de la procédure de coordination des politiques : de grandes priorités ayant été définies au départ, l'intérêt de la présentation des lignes directrices, durant les années suivantes, est avant tout de permettre un suivi de leur mise en oeuvre. La situation de l'emploi ne s'est pas modifiée au point de justifier un changement notable des priorités ; l'important est plutôt de vérifier que, progressivement, elles se concrétisent.
Je vais donc dire deux mots non pas des lignes directrices, sur lesquelles je vous propose donc de ne pas intervenir, mais au sujet du document qui accompagne, chaque année, la présentation des lignes directrices, le « rapport conjoint sur l'emploi ».
Ce rapport évalue la réalisation des lignes directrices, d'abord d'une manière générale pour l'ensemble des pays membres, puis pays par pays.
· Pour l'ensemble de l'Union, on observe un fort mouvement de création d'emplois (4 millions depuis 1997). Le taux d'emploi atteint désormais 62,3 % dans l'Union, en hausse d'environ 1 % par rapport à 1997.
Le taux de chômage est tombé à 8,3 % en moyenne, avec des disparités encore fortes selon les Etats membres, puisque ce taux est inférieur à 5 % dans six pays, et qu'il est encore supérieur à 14 % en Espagne. L'amélioration de l'emploi a bénéficié principalement aux jeunes et aux femmes, même si ces dernières restent majoritaires parmi les chômeurs.
Les deux points noirs du tableau sont l'importance des emplois à temps partiel et temporaires (qui représentent près de 30 % du nombre total d'emplois dans l'Union) et le faible taux d'emploi des personnes de plus de 55 ans, qui s'élève à 37 %.
Cette situation plus favorable tient certes en grande partie à l'amélioration du contexte macro-économique, mais la Commission observe que certains aspects au moins des lignes directrices ont commencé à entrer dans la réalité et ont eu un impact positif. Il en est ainsi de l'« activation » des dépenses (c'est-à-dire le renforcement des mesures actives d'insertion et de formation au bénéfice des chômeurs), qui progresse dans la plupart des pays, des mesures spécifiques en faveur des femmes, de la modernisation des services publics de l'emploi, et des efforts pour favoriser l'emploi des personnes handicapées.
En revanche, selon la Commission, plusieurs aspects des lignes directrices n'ont guère reçu d'application : le réexamen des systèmes d'indemnisation pour rendre plus attractive la reprise d'emploi, la réduction de la charge fiscale pesant sur le travail, la modernisation de l'organisation du travail et la définition de formes plus souples de contrats de travail. Il est vrai qu'il s'agit là de chantiers extrêmement difficiles, pour lesquels un consensus peut être difficile à obtenir.
· Pour la France, il apparaît que la baisse importante du taux de chômage qui a eu lieu en France depuis le lancement du processus des lignes directrices nous a rapprochés de la moyenne européenne. Les derniers chiffres connus montrent que le taux de chômage en France s'établit désormais à 9,5 %, alors que la moyenne européenne, comme je l'ai indiqué, se situe à 8,3 %.
La Commission européenne porte une appréciation positive sur l'application par la France des lignes directrices sur plusieurs points : enrichissement en emplois de la croissance, progression de l'emploi des jeunes, plus grande égalité hommes/femmes, lutte contre les exclusions et les sorties du système scolaire sans qualification, mesures d'allégement des charges, développement des emplois de service. La Commission observe également que « les négociations sur la réduction du temps de travail ont débouché souvent sur des accords entre partenaires sociaux permettant d'accélérer la modernisation de l'organisation du travail ».
Les principaux « points noirs » que relève la Commission concernant la France sont au nombre de trois :
- le renforcement des mesures actives n'est pas allé assez loin : en particulier, les actions dites de « nouveau départ » destinées aux personnes au chômage depuis moins d'un an restent insuffisantes et très inférieures aux objectifs ;
- les charges pesant sur le travail restent supérieures à la moyenne européenne ;
- enfin, le taux d'emploi des personnes de plus de 55 ans est très bas (28,3 %), nettement inférieur à la moyenne européenne (37 %).
En conclusion, je voudrais souligner que le bilan de la coordination des politiques de l'emploi menée depuis le Conseil européen de Luxembourg me paraît loin d'être négligeable. Bien entendu, les progrès accomplis depuis 1997 tiennent avant tout à une plus forte croissance, mais les politiques volontaristes ont contribué à ce que cette croissance soit plus riche en emplois, et, par ailleurs, le dialogue qui s'est instauré entre la Commission et les Etats membres ainsi qu'entre les Etats membres eux-mêmes a permis de dégager des priorités et d'établir des diagnostics en dépassant les cadres de pensée nationaux. Il s'agit là d'un processus qui ne portera véritablement ses fruits que dans la durée, mais qui au total me paraît être une source de progrès. On voit peu à peu s'affirmer une méthode communautaire originale : des lignes directrices, un agenda, un suivi et une évaluation. Ce qui me paraît particulièrement positif, c'est que les politiques sociales et de l'emploi sont désormais partie intégrante de la construction européenne, avec la même importance, le même volontarisme que dans le cas des politiques économiques, de la politique commerciale, de la politique monétaire qui avaient auparavant la prévalence. Il me semble que nous serions tout à fait dans notre rôle en participant au suivi de ce processus, par exemple en faisant un premier bilan de la mise en oeuvre de l'agenda social vers la fin de la présidence suédoise.
Compte rendu sommaire du
débat
consécutif à la communication
M. Hubert Haenel :
Je constate que votre souhait d'exercer un suivi sur la mise en oeuvre de l'agenda social est approuvé par la délégation. Il faut en effet traduire les objectifs qui ont été retenus en réalisations concrètes.
M. Xavier Darcos :
En vous écoutant, j'ai cru percevoir que vous considériez le développement de l'emploi à temps partiel comme une régression. N'est-ce pas dans certains cas une réponse à une aspiration ?
Mme Marie-Madeleine Dieulangard :
J'ai effectivement tendance à considérer cette évolution comme une régression, car, dans de très nombreux cas, l'emploi à temps partiel est subi et non choisi. Mais, naturellement, dans certains cas, l'emploi à temps partiel peut répondre à une demande. Le critère essentiel est celui d'une possibilité de choix.
A l'issue du débat, la délégation a décidé de ne pas intervenir sur les textes E 1497 et E 1559.