COM (2000) 66 final
du 09/02/2000
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 29/02/2000Examen : 12/12/2000 (délégation pour l'Union européenne)
Texte rendu caduque (notification du 18 mars 2003).
Environnement
Livre blanc sur la
responsabilité environnementale
Texte E 1414 - COM
(2000) 66 final
(Procédure écrite du 12 décembre 2000)
Ce Livre blanc vise à déterminer les différentes solutions envisageables pour mettre en place un système de responsabilité environnementale à l'échelon communautaire.
La responsabilité environnementale est définie comme l'instrument par lequel celui qui occasionne une atteinte à l'environnement (le pollueur) est amené à payer pour remédier aux dommages qu'il a causés. Il s'agit donc de l'application du principe pollueur-payeur aux dommages corporels et matériels, ainsi qu'aux dommages causés au milieu naturel, afin d'éviter la prise en charge par l'Etat et pour exercer un effet préventif.
La responsabilité environnementale a, d'abord, été instituée dans le cadre du Conseil de l'Europe avec l'adoption, en 1993, de la « Convention de Lugano ». Cependant, cette convention n'a été signée que par très peu de pays, et n'a pas encore fait l'objet de ratifications à ce jour.
La réflexion s'est poursuivie au niveau communautaire par la publication, cette même année, d'un Livre vert, puis par une résolution du Parlement européen, demandant l'adoption d'une directive communautaire.
C'est dans ces circonstances qu'est intervenue l'adoption du présent Livre blanc, qui a vocation à susciter une large consultation publique.
I - CONTENU DU LIVRE BLANC
Le Livre blanc définit la structure éventuelle d'un futur système communautaire de responsabilité environnementale et examine les différentes solutions envisageables (adhésion à la Convention de Lugano, recommandation communautaire, système sectoriel axé sur les biotechnologies). Il préconise pour sa part une directive cadre.
Le mécanisme de responsabilité environnementale s'appliquerait non seulement en cas d'atteinte aux personnes et aux biens ou en cas de contamination de sites, mais également en cas de dommages touchant le milieu naturel et, en particulier, les zones et les espèces protégées dans le cadre du réseau Natura 2000, ainsi que ceux liés aux conséquences de la dissémination d'OGM. Par contre, il ne s'appliquerait pas lorsque la source de la pollution n'est pas identifiée.
La détermination de la personne responsable, dans la présente proposition, est fondée sur la personne qui exerce le contrôle de l'activité par laquelle les dommages sont causés, c'est-à-dire l'exploitant. Celui-ci peut être une ou plusieurs personnes physiques mais aussi une personne morale, lorsque l'activité est exercée par une société.
Les principes de cette responsabilité environnementale seraient différents selon la nature du fait générateur. En effet, il y aurait un mécanisme de responsabilité sans faute pour les dommages résultant d'activités intrinsèquement dangereuses, et une responsabilité pour faute si l'activité n'est pas dangereuse.
La responsabilité environnementale ne pourrait être mise en oeuvre qu'à la condition que l'auteur soit identifié, que le dommage soit concret et quantifié, et qu'un lien de causalité entre le fait générateur et le dommage ait été établi. Les cas d'exemption ou d'atténuation de la responsabilité, comme le cas de force majeure ou le fait d'un tiers, seraient pris en compte.
En matière d'action en justice, le Livre blanc opte pour une approche à deux niveaux. L'Etat devrait être responsable de l'action en justice, en premier lieu, mais les particuliers et les associations pourraient être habilités à agir, à titre subsidiaire, sur le modèle de la Convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, adoptée par les Nations Unies et la Commission européenne en juin 1998.
Les autres mécanismes seraient un certain allégement de la charge de la preuve incombant au plaignant, la fixation de critères pour l'évaluation des dommages, l'obligation d'affecter la compensation versée par le pollueur à la restauration de l'environnement et enfin une garantie financière.
Les différentes options envisageables pour la mise en place du système seraient les suivantes :
· L'adhésion de la Communauté à la Convention de Lugano constitue la première piste envisagée. Cette Convention a été adoptée en 1993 dans le cadre du Conseil de l'Europe. Elle vise à mettre en place un système de responsabilité environnementale qui couvre tous les dommages occasionnés par une activité dangereuse.
Cette convention n'a été signée que par six Etats membres, et n'a pas encore fait l'objet de ratifications. L'adhésion de la Communauté présenterait de nombreux avantages, en particulier celui de la cohérence et du large champ géographique. Mais cette adhésion se heurte cependant à la fois à la réticence de certains Etats membres.
Une autre possibilité serait d'instituer un système de responsabilité à l'échelon communautaire uniquement pour les dommages transfrontaliers. Cette solution présente l'avantage de respecter le principe de subsidiarité et de conserver les systèmes nationaux en ce domaine. Mais, d'une part, ce système présenterait l'inconvénient de ne pas inciter les Etats à mettre en place un système de responsabilité environnementale et, d'autre part, il aboutirait à traiter, de manière différente, des dommages causés dans le même Etat membre, et il serait ainsi contraire au principe de l'égalité de traitement.
La troisième option serait d'adopter un instrument juridique non contraignant, comme une recommandation.
En définitive, le Livre blanc préconise l'adoption d'une directive-cadre. En effet, celle-ci permettrait à la fois la mise en place d'un système de responsabilité environnementale, tout en laissant aux Etats membres le choix des moyens et des instruments pour arriver à cet objectif.
II - LES DIFFICULTÉS SOULEVÉES PAR LA PROPOSITION
A la suite de la publication du Livre blanc, les services de la Commission ont reçu plus de 150 réponses. Pour l'instant, les réponses semblent plutôt positives.
Parmi les nombreux points débattus, cinq sujets importants paraissent se dégager :
- la question de la valeur ajoutée qu'apporterait la directive par rapport aux législations nationales ;
- le caractère complexe de certains points juridiques ;
- le champ d'application de la directive qui pourrait être défini avec plus de précision ;
- la nécessaire clarification de la notion de « dommage à l'environnement » ;
- enfin, le statut de la future directive : se substituera-t-elle au droit interne en matière de responsabilité ou bien constituera-t-elle un complément ?
III - L'AVIS DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS SUR LE LIVRE BLANC
Le Gouvernement français a rendu un avis globalement positif sur le Livre blanc. En particulier, il estime que l'adoption d'une directive-cadre en la matière est justifiée. Il convient de souligner que le thème de la responsabilité environnementale a été inscrit parmi les priorités de la présidence française et que celle-ci a souhaité organiser un débat sur le fond lors du prochain Conseil du 18 décembre.
Cependant, dans son avis, le Gouvernement a souhaité donner son opinion sur certains points laissés en suspens dans le Livre blanc.
1. Sur les conditions de la responsabilité
a) Le champ d'application
Tout d'abord, l'approche du Livre blanc tendant à définir le champ d'application en recourant à la notion d'« activités réglementées au niveau communautaire » suscite la réticence des autorités françaises. En effet, cette référence paraît inappropriée car la notion est évolutive, trop incertaine et trop étendue. Or le champ d'application est un élément essentiel de la sécurité juridique.
Le Gouvernement préconise donc que le champ d'application résulte du croisement entre la définition des dommages environnementaux couverts et une liste d'activités professionnelles susceptibles de causer des dommages à l'environnement, suffisamment large, mais définie précisément, soit par une nomenclature, soit en utilisant le critère de l'emploi de substances dangereuses.
Il semble par conséquent particulièrement nécessaire de définir le contenu de la notion de « dommage à l'environnement », et les autorités françaises invitent la Commission à faire des propositions en ce sens. La France considère, à cet égard, que les définitions élaborées dans le cadre de la Convention de Lugano constituent une bonne base de départ. Elle ajoute que la notion de « sites contaminés » n'a pas de contenu juridique précis et n'a donc pas sa place dans un instrument juridique.
Par ailleurs, en ce qui concerne les dommages à la biodiversité, le principe de faire peser sur les zones « Natura 2000 » un régime de responsabilité spécifique apparaît extrêmement inquiétant car il ne pourrait qu'aggraver les difficultés pour la désignation des sites appelés à constituer ce réseau. De la même façon, la notion de « qualité des sols » apparaît antinomique avec la spécificité des pollutions des sols. Les autorités françaises considèrent donc que la nature devrait être traitée de manière indifférenciée quel que soit le statut juridique de l'espace, la réparation étant modulée selon la richesse écologique de cet espace. De plus, elles estiment que la notion de « qualité des sols » devrait être remplacée par celle de l'évaluation des risques.
Par ailleurs, il apparaît souhaitable d'exclure du champ d'application de la présente proposition les dommages qui seraient déjà couverts par les conventions internationales.
A contrario, la future directive-cadre devrait permettre de traiter les questions de la responsabilité du fait des OGM, y compris en cas de dissémination non intentionnelle, ainsi que le problème du transport de marchandises dangereuses.
Sur les caractères du dommage, le Gouvernement considère que le régime communautaire ne devrait pas concerner la prévention des dommages qui relève, en droit national, du régime de la police administrative.
b) Le fondement de la responsabilité
Selon la position française, la coexistence de deux régimes de responsabilité, l'un sans faute s'appliquant aux activités dangereuses, et l'autre pour faute pour les activités non dangereuses, est source d'ambiguïté. En effet, il convient de souligner qu'en France, le choix d'un régime de responsabilité communautaire exclusivement fondé sur la faute pour les activités non dangereuses serait moins favorable que le droit interne. En outre, le problème de la preuve se poserait avec acuité. Dès lors, le Gouvernement estime que ce qui ne relève pas du régime de la responsabilité sans faute devrait relever du droit national de chaque Etat membre.
Le Gouvernement considère, par ailleurs, que la responsabilité des collectivités publiques, y compris de l'Etat, pour la remise en état, apparaît contraire au principe du pollueur-payeur. De plus, il estime que la responsabilité du fait des actes par les autorités publiques doit être exclue du champ d'application étant donné qu'elle ressort à des principes juridiques profondément inscrits dans les traditions juridiques de chaque Etat.
Si les autorités françaises souscrivent pleinement à la position du Livre blanc en ce qui concerne l'exigence d'un lieu de causalité entre le fait générateur et le dommage, d'une part, et sur la nature quantifiable du dommage, d'autre part, en revanche, l'application du principe de non rétroactivité ne saurait, de leur point de vue, laisser en suspens ces problèmes de pollution « hérités du passé », et notamment la réhabilitation des anciens sites industriels contaminés, tel qu'il est organisé par la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées.
De manière générale, les autorités françaises considèrent que le futur régime communautaire ne doit pas remettre en cause les avancées déjà réalisées en droit interne en ce qui concerne les dommages à l'environnement. Ainsi, elles estiment nécessaire d'offrir la possibilité aux victimes de choisir entre le régime issu du droit national et celui d'origine communautaire, comme c'est le cas en matière de responsabilité du fait des produits défectueux.
2. Sur la mise en oeuvre de la responsabilité
Tout en souscrivant à l'objectif de favoriser l'action en justice, la France juge contestable l'option choisie par le Livre blanc consistant à investir l'Etat de la mission de tuteur principal de l'environnement en sa qualité de dépositaire des intérêts liés à la préservation du patrimoine commun et lui donnant par conséquent intérêt à agir, tout en réservant, à titre subsidiaire, la possibilité pour les groupes d'intérêt d'intervenir. En effet, le rôle des pouvoirs publics est distinct selon le type de contentieux (civil, administratif et pénal) et en fonction de l'intervention de ceux-ci (pouvoir réglementaire, opérateur, tuteur de l'environnement).
En ce qui concerne la personne responsable, le Livre blanc se réfère à la notion de l'exploitant, tel qu'elle est définie par l'article 2 de la Convention de Lugano, qui considère qu'il s'agit de la personne qui contrôle l'activité par laquelle les dommages ont été causés. Cette définition apparaît trop imprécise. Ainsi, dans le cas des plantes génétiquement modifiées, l'exploitant est-il le producteur de semences, celui qui les commercialise ou l'agriculteur qui les sème ? Il convient donc de définir plus précisément cette notion.
Sur les critères de réparation des dommages recensés par le Livre blanc, la France considère que les critères posés par l'article 2-7 et 8 de la Convention de Lugano paraissent les plus réalistes. En outre, elles invitent la Commission à dresser un bilan des études théoriques et des expériences pratiques tendant à réparer le préjudice écologique.
IV - L'EXAMEN DU LIVRE BLANC ET DE L'AVIS DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS
Les récents naufrages de l'Erika et de l'Ievoli Sun soulignent, une fois encore, les conséquences dramatiques que peuvent avoir pour l'environnement certaines activités économiques.
Face à ces événements, on est amené à se demander si c'est à la société tout entière, autrement dit au contribuable, d'assurer les coûts résultant du nettoyage de sites pollués et de la réparation des dommages. Ne revient-il pas au pollueur, lorsqu'il peut être identifié, de réparer le dommage qu'il a causé ?
Les produits issus de modifications génétiques posent, à cet égard, des difficultés identiques.
Instaurer une responsabilité environnementale permet donc de faire prendre conscience aux citoyens qu'ils doivent répondre des conséquences éventuelles de leurs actes. L'adoption d'un instrument juridique communautaire instituant un système de responsabilité environnementale paraît donc pleinement justifié, au regard du principe de précaution.
A propos des difficultés soulevées par le Livre blanc, on ne peut que partager le point de vue exprimé par le Gouvernement dans son avis et souscrire aux solutions qu'il préconise. Encore convient-il de souligner que l'avis du Gouvernement ne permet pas de lever toutes les ambiguïtés contenues dans le texte de la Commission.
En particulier, les entreprises françaises ont critiqué de nombreux points du Livre blanc, comme l'absence de réglementation communautaire en matière de contamination de sites industriels sur la base de laquelle les juridictions nationales pourraient évaluer l'opportunité ou l'étendue de la remise en état de tels sites, ainsi que l'absence d'un système d'assurance obligatoire ou de garantie financière.
De plus, la disposition du Livre blanc selon laquelle la charge de la preuve fera l'objet d'un « allégement » paraît dangereuse. Elle comporte, en effet, le risque d'un renversement de la charge de la preuve et semble, en outre, peu compatible avec le principe du pollueur-payeur qui exige par définition une certitude quant à l'identité du pollueur.
Enfin, le fait que le Livre blanc place la responsabilité des collectivités publiques, en particulier des collectivités locales, en première ligne, tant en ce qui concerne l'introduction de l'action en justice, que pour la remise en état des atteintes à l'environnement apparaît très inquiétant pour l'équilibre des finances publiques et surtout contraire à la logique du Livre blanc qui vise justement à faire appliquer le principe du pollueur-payeur pour éviter au contribuable d'être mis à contribution.
Tout en souhaitant que le gouvernement français prenne en compte les réserves ainsi formulées, la délégation n'a pas estimé nécessaire d'intervenir plus avant dans l'examen de ce texte.