- État civil :
- Né le 30 mars 1863
Décédé le 21 novembre 1944 - Profession :
- Inspecteur des finances
- Département :
- Sarthe
-
Ancien sénateur de la IIIe République
Elu le 12 juillet 1925
Elu le 9 janvier 1927
Elu le 14 janvier 1936
Fin de mandat le 21 novembre 1944 ( Décédé )
1889-1940
CAILLAUX (JOSEPH, PIERRE, MARIE, AUGUSTE), né le 30 mars 1863 au Mans (Sarthe), mort le 21 novembre 1944 à Mamers (Sarthe).
Député de la Sarthe de 1898 à 1919.
Sénateur de la Sarthe de 1925 à 1944.
Ministre des Finances, de juin 1899 à juin 1902, d'octobre 1906 à juillet 1909 et de mars à juin 1911.
Président du Conseil,
Ministre de l'Intérieur et des Cultes de juin 1911 à janvier 1912.
Ministre des Finances, de décembre 1913 à mars 1914 et d'avril à octobre 1925.
Vice-Président du Conseil et Ministre des Finances de juin à juillet 1926.
Ministre des Finances, du 1er au 6 juin 1935.
Fils du précédent, Joseph Caillaux, qui siégea presque sans interruption au Parlement de 1898 à 1944 et qui joua un rôle considérable dans la vie politique française au cours de certaines de ses périodes les plus critiques, fut l'une des personnalités les plus controversées du demi-siècle, tant pour ses idées en matière financière que pour ses prises de position en politique étrangère. Si ses débuts dans la vie publique eurent lieu sous le signe de la jeunesse et du succès - il fut l'un des plus jeunes Ministre des Finances de France - son attitude politique et la vivacité de son caractère, lui valurent des revers et soulevèrent contre sa personne des inimitiés violentes, freinant son élan et ne lui laissant plus que la possibilité par la suite, de jouer un rôle d'arbitre et de témoin, contrairement à la ligne de conduite qu'il s'était fixée lui-même, pour obéir, disait-il, « à ce destin qui l'emportait hors des voies communes ». « Caillaux, c'est un Sarthois. Il a, dans l'élévation, la mesure et l'âpreté des collines de son pays », disait de lui son ami Anatole France.
Né au Mans, Joseph Caillaux fut élevé dans une atmosphère familiale déjà toute imprégnée de passions politiques. Son père était Ministre des Finances d'un cabinet qui préconisait volontiers la manière forte et n'entendait pas transiger avec les principes traditionnels de la droite royaliste et catholique. Les études qu'il fit mener à son fils s'accordaient avec la rigidité de ses idées politiques et le jeune Joseph, après avoir suivi les cours du lycée du Mans, du lycée Condorcet à Paris (alors lycée Fontanes), dût subir, contre son gré, l'influence d'un précepteur clérical sectaire et celle de l'enseignement des Jésuites. C'est de là, semble-t-il, que débutera sa réaction contre les idées reçues et que s'amorcera l'évolution qui le mènera au radicalisme.
Admirant toutefois beaucoup son père, il ne s'opposa jamais à ses directives et accepta même, selon le désir de ce dernier, de préparer le concours de l'école polytechnique, tout en souhaitant dès son adolescence, aboutir à l'inspection des finances. Sa formation s'acheva au moment où était déjà consommée la défaite des gouvernements de centre droit et où son père devait quitter de ce fait la scène politique. La leçon n'était pas perdue et il devait beaucoup en retenir. Licencié en droit, professeur à l'école des Sciences politiques, il prépara le concours de l'inspection des finances, avec l'aide de Léon Say, ex-grand trésorier de l'Etat et y fut reçu sans peine, second, en 1888. Sa carrière financière se dessinait déjà dans ses grandes lignes. A l'âge de vingt-cinq ans, il se trouvait adjoint à l'inspection générale des finances et, pendant dix ans, devait effectuer en cette qualité de multiples tournées en province tout en résidant à Paris, sans négliger pour autant l'étude de l'évolution de la situation politique en France. Il tint lui-même à mettre en relief, plus tard, l'immense profit qu'il retira de cette formation.
Parallèlement, malgré l'aversion de sa famille pour les idées nouvelles, ses convictions républicaines s'affirmaient et il achevait de se détacher de toute influence religieuse. Lors de la crise boulangiste, il se montra particulièrement opposé aux nationalistes et au parti clérical et se félicita même d'avoir pu entraîner son père dans le camp antiboulangiste.
« Il faut être avec le Gouvernement de son pays ... Tu feras de la politique, mon enfant. Il y a une situation à prendre pour loi dans la Sarthe. Mais, doucement, mon fils, doucement, défie-toi de la vivacité de ton tempérament ... » lui disait son père à cette époque. C'est précisément après la mort de ce dernier que l'occasion de vérifier ces prédictions lui fut donnée. L'arrondissement de Mamers, jusqu'alors divisé en deux circonscriptions électorales, représentées depuis toujours par des royalistes intransigeants, fut unifié pour le renouvellement législatif du 8 mars 1898, en raison de la diminution de la population sarthoise. Le député sortant, candidat des droites, le duc de La Rochefoucauld-Doudeauville, qui siégeait au Parlement depuis 1871, était donné gagnant. Sur les objurgations des comités républicains du département, Joseph Caillaux se décida, après quelque hésitation, à poser sa candidature. En dépit d'une campagne électorale improvisée, - quinze jours avant le scrutin, il se trouvait encore en tournée d'inspection en Algérie - il fut élu dès le premier tour par 12.939 voix contre 11.737 au duc de Doudeauville. Ce succès qui étonna même ses amis politiques, suscita une vive émotion dans un département que son propre père avait représenté sur les bancs royalistes de la Chambre et lui valut aussitôt de violentes animosités jusque dans son milieu familial.
C'est à ce moment que débute la carrière politique de Joseph Caillaux. Les électeurs de Mamers lui resteront fidèles même dans l'adversité, lorsqu'il devra mener de rudes combats pour conserver son siège, triomphant chaque fois au premier tour de scrutin. Au renouvellement du 27 avril 1902 il est réélu par 13.572 voix contre 11.481 à un membre de l'Institut, Sénart, et à ceux des 6 mai 1906, 24 avril 1910 et 26 avril 1914, il bat régulièrement un membre de la famille d'Aillières, de vieille tradition parlementaire royaliste sarthoise, successivement par 12.356 voix contre 12.248, 13.283 contre 11.081 et 12.308 contre 10.841.
Dans sa profession de foi de 1898, il déclare d'emblée : « Je suis profondément républicain non seulement parce que la République est le gouvernement légal du pays, mais aussi parce qu'elle est l'expression la plus large de la liberté, du droit et du progrès. Fidèle à ces principes, il s'inscrit au groupe des Républicains progressistes (modérés) et devient membre des Commissions des crédits, des colonies et de la législation fiscale. Il a trente cinq ans. A peine un an plus tard, il sera Ministre des Finances.
Grand travailleur, grand debater, il consacre d'une manière intensive son activité de jeune député aux questions fiscales, dépose une proposition de loi concernant la réorganisation du service des comptables directs, présente des rapports, sur le budget, sur les crédits ... Il se fait connaître, professe dès son entrée à la Chambre une grande admiration pour celui qu'il appellera « son maître », Waldeck-Rousseau, et se range sous sa bannière. Il se lie avec quelques uns des présents et futurs leaders politiques de l'époque : Paul Deschanel, Gaston Doumergue, Raymond Poincaré, Louis Barthou, Maurice Rouvier, Théophile Delcassé. A la demande de Rouvier, il présente à la Commission de législation fiscale un exposé comparatif sur les divers systèmes d'impôt sur le revenu, ce qui lui vaut une notoriété déjà appréciable. Simultanément, il prend des positions fermes sur les grands problèmes de l'heure, oppose une fin de non-recevoir catégorique aux avances de Paul Déroulède, manifeste sans ambiguïté ses sentiments en faveur de Dreyfus et se brouille même à cette occasion avec son collègue de la Sarthe, nationaliste à outrance, Godefroy Cavaignac. Dès ce moment le revirement est consommé : le fils du Ministre de Mac-Mahon se range délibérément parmi les éléments de gauche. De même il applaudit à la répression des menées antisémites et déclarera plus tard : « Je fus frappé par la pauvreté des arguments des anti-dreyfusards ». Quand Waldeck-Rousseau constitue le 22 juin 1899 son Gouvernement, il fait appel sans hésiter au jeune député de la Sarthe pour le Ministère des Finances, en dépit de sa brève expérience parlementaire. Ce Gouvernement, appelé, selon les augures, à ne durer que quelques mois, restera trois ans au pouvoir. Joseph Caillaux va pouvoir mettre en application ses idées en matière financière.
Quelques mois auparavant, il s'était prononcé en faveur du projet des gauches concernant l'impôt sur le revenu global et progressif déjà esquissé par Doumer, son prédécesseur au Ministère des Finances. Ministre, il manifeste clairement son intention d'éliminer les « soi-disant » comptes extraordinaires qui, selon lui, n'ont pour objet que de masquer le déficit. Il préconise l'économie des deniers de l'Etat, la compression des dépenses et la majoration des recettes. Il a le souci des budgets « bien équilibrés ». En trois ans, il remanie de fond en comble les impôts sur les boissons, transforme les droits sur les successions et assure une refonte complète de la taxation des sucres, au risque de provoquer une vive opposition au Sénat, où Waldeck-Rousseau doit le soutenir de tout son poids en 1901. Toutefois, en ce qui concerne l'impôt sur le revenu, il préfère ne pas engager les hostilités, estimant qu'un tel projet ne trouverait pas de majorité dans les Chambres de l'époque. « Je ne voulais pas, dira-t-il également, m'engager à fond dans une réforme dont je ne considérais pas encore les tenants et aboutissants ». Au bout de trois ans de ministère, il peut s'enorgueillir en tout cas d'avoir présenté plusieurs budgets qui se sont soldés par de « copieux excédents » et « d'avoir incorporé dans le budget le seul compte à côté, ayant de l'importance, qui existe à l'époque, celui du perfectionnement du matériel d'armement ». Après les élections de 1902, qui voient un net fléchissement à gauche, il se solidarise avec Waldeck-Rousseau et quitte le pouvoir avec lui le 7 juin 1902, refusant de faire partie du Ministère Combes, mais proposant pour sa succession son candidat, Maurice Rouvier. A cette date, comme en témoigne sa profession de foi, son programme se résume en deux phrases : « ordre et progrès dans la République. Ni réaction, ni révolution ».
Au début de cette nouvelle législature, il reste dans l'expectative et se borne à déployer une intense activité dans les commissions dont il fait partie. Il dépose diverses propositions de loi, présente de nombreux rapports, se préoccupe de la pêche fluviale, de la prorogation des surtaxes d'octroi, du règlement définitif des comptes des dépenses de l'expédition de Madagascar, du budget, du Code civil, de la compétence des juges de paix et de la réforme des justices de paix, du tarif général des douanes, du nouveau tarif des avoués, des bouilleurs de cru et des coopérative agricoles. Entre-temps, il effectue un voyage d'affaires en Italie et en Turquie.
Toutefois, peu à peu, il commence à s'opposer à la politique du nouveau cabinet qu'il juge trop violente et trop radicale. Il exprime de sérieuses réserves envers la politique d'Emile Combes à qui il reproche de faire de l'anticléricalisme un programme de Gouvernement. En ce qui concerne les lois de séparation des églises et de l'Etat et de suppression de l'enseignement congréganiste, sa position est bien arrêtée. Il proclame en effet, dans sa profession de foi pour les élections de 1906 : « il faut les appliquer sans faiblesse, aussi bien qu'avec mesure et loyauté ». Quoi qu'il en soit, il contribue à renverser le Ministère Combes. Dans ses mémoires, il évoquera cette période en déclarant : « J'ai bien souvent observé que le radicalisme n'était pas un parti, mais un état d'esprit ».
Sous les Ministères suivants, dirigés par Sarrien et Rouvier, ses idées vont toutefois s'accentuer nettement.
Elu vice-président de la Chambre en 1906, il se démet de ces fonctions dès l'ouverture de la session, entendant se réserver pour des responsabilités ministérielles. Dans le cabinet que constitue le 25 octobre 1906 Georges Clemenceau et qui va durer également près de trois ans, il obtient en effet pour la seconde fois le portefeuille des finances. Pendant cette nouvelle expérience du pouvoir, il règle le rachat des chemins de fer de l'Ouest, la transformation des contributions directes, institue le cautionnement mutuel et surtout met en route délibérément ce qu'il appelle lui-même « la réalisation législative d'un système rationnel, logique et étudié d'impôt sur le revenu ». Cette décision soulève des tempêtes dans les deux Chambres et notamment au Sénat, où il doit faire face aux violentes attaques de plusieurs de ses anciens amis, notamment Alexandre Ribot et R. Poincaré. Si son projet réussit à passer à la Chambre, il ne franchit pas le cap de la Haute Assemblée où il se heurte à une vive opposition conservatrice, malgré le soutien de Clemenceau. La démission du Ministère, le 20 juillet 1909, met provisoirement un terme à la controverse, mais dès ce moment, Joseph Caillaux se trouve séparé de ses anciens amis. Il a pris parti et derrière lui se rangent une part des gauches, tandis que les droites s'acharnent sur sa personne.
Ayant refusé d'entrer au Cabinet Briand, il entreprend de nouveau plusieurs voyages à l'étranger, nécessités par les fonctions de président du Conseil d'administration, qu'il a acceptées, aux Crédits fonciers égyptien et argentin, pour remédier à certains embarras financiers. Il se rend notamment en Egypte, en Palestine, en Syrie, au Lyban et au Soudan. Ces activités lui seront du reste vivement reprochées par ses adversaires. De retour en France, il devient vice-président de la Commission des finances, entre à celle des affaires étrangères et prend des contacts avec le parti radical, dont le chef est Maurice Berteaux. Grand ami de ce dernier, il s'efforce de regrouper avec lui les gauches, dont il devient l'une des personnalités les plus représentatives. De concert, ils préparent bientôt l'avènement du Ministère Monis dans lequel, le 2 mars 1911, Berteaux prend le portefeuille de la Défense nationale et Caillaux de nouveau celui des finances. Il s'agit d'une solution de compromis car, dans un discours prononcé à Lille le 8 janvier 1911, il avait virtuellement posé sa candidature à la présidence du Conseil, pressentant la chute prochaine du Ministère Monis. Quelques semaines plus tard, après la mort accidentelle de Berteaux le 21 mai, Caillaux se trouve pratiquement le seul chef du parti radical et le Ministère Monis se désagrège de lui-même Le 27 juin 1911, le Président Fallières fait appel à Joseph Caillaux pour constituer le nouveau Gouvernement.
Dans son Ministère, il confie à un modéré, de Selves, les Affaires étrangères et s'entoure de plusieurs de ses amis politiques : Pams, Delcassé, Augagneur, Couyba, René Renoult. Il se réserve le portefeuille de l'intérieur et des cultes, mais il va devoir affronter une nouvelle épreuve qui pèsera sur tout son avenir politique : la question du Maroc et le « coup » d'Agadir. Jusqu'alors, dans le domaine des affaires extérieures, il s'est toujours montré méfiant à l'égard de l'alliance avec la Russie, très en faveur depuis 1900. Sur ce point il s'était même trouvé en désaccord avec Waldeck-Rousseau et avait toujours manifesté sa sympathie pour un accord avec l'Allemagne. C'est celui qu'il va conclure mais qui, en même temps, lui coûtera le pouvoir et lui vaudra des haines tenaces, dont celle de son ancien chef de Gouvernement, Clemenceau.
Lorsque l'affaire d'Agadir éclate - il est depuis un mois au pouvoir - il lui semble en effet que ses conséquences les plus graves seraient d'aboutir à un conflit avec l'Allemagne. Il tente de toutes ses forces, et avec succès, d'éviter la guerre et, pour remédier à la situation créée par les exigences du Gouvernement allemand, met au point une convention avec ce dernier, à la suite de négociations directes - convention grâce à laquelle la France retrouve sa liberté d'action au Maroc moyennant des concessions territoriales au Cameroun (le fameux bec de canard). Ratifié sans difficulté à la Chambre, cet accord rencontre des adversaires acharnés au Sénat et au sein même du Gouvernement. Le Ministre des Affaires étrangères, de Selves, donne sa démission et une dernière attaque de Clemenceau à la tribune du Sénat entraîne la chute du Ministère le 11 janvier 1912. Il n'aura pas duré plus de six mois. Dans sa profession de foi pour les élections de 1914, Caillaux expliquera ainsi son échec : « Mon crime, aux yeux de mes adversaires, a été de vouloir la paix qu'ils détestent parce qu'elle assure la prospérité matérielle et morale de la France républicaine ».
Eloigné provisoirement du Gouvernement, auquel accèdent ses adversaires, il consacre alors tous ses efforts à la réunification des diverses fractions du parti radical et il y affirme sa prépondérance en se faisant élire en 1912, au cours du Congrès de Pau, président du parti, pour lequel il élabore un solide plan de combat. Il prévoit déjà les élections suivantes, entend justifier sa politique et présenter un programme cohérent aux électeurs. A cette époque, l'étoile de Joseph Caillaux semble être au zénith. Il fait figure de chef de Gouvernement en puissance et son influence joue dans la coulisse sur toute crise ministérielle. La convention franco-allemande qu'il a mise au point est signée par son successeur Poincaré. Il devient le porte-drapeau indiscuté des gauches.
C'est en quelque sorte avec l'élection présidentielle de janvier 1913 que vont commencer pour lui les revers. Il soutient deux candidats : un radical Jules Pams, officiellement ; et en sous-main, un modéré, Paul Deschanel, son ami de toujours, alors Président de la Chambre.
C'est Poincaré qui l'emporte, fort de la présidence du Conseil qu'il occupe et de l'appui de Barthou et de Briand. Déçu, Caillaux refuse de s'associer à la politique des Gouvernements suivants, se retranche dans une opposition modérée. Mais, le 2 décembre 1913, la Chambre - où il garde une solide influence- renverse sous son impulsion le Cabinet Barthou sur l'immunité de la rente défendue par Caillaux.
Pendant la crise ministérielle qui suit, les positions sont tranchées de part et d'autre. Caillaux a préparé son retour au pouvoir en négociant notamment avec les socialistes, par l'intermédiaire de Jaurès, mais il se heurte de nouveau à l'hostilité de Clemenceau, pour qui son retour au pouvoir « serait un désastre ». Dans le Gouvernement que constitue Gaston Doumergue le 9 décembre, il accède néanmoins une fois de plus au Ministère des Finances, sans se douter des tempêtes que vont déchaîner quelques mois plus tard une violente campagne de presse orchestrée par ses adversaires et un geste malheureux de sa femme.
Au début de l'année 1914, en effet, le directeur du Figaro, Gaston Calmette, commence la publication d'articles consacrés à la politique de Caillaux et aux raisons qu'il lui donne. La campagne, selon les uns, est menée par l'ambassadeur d'Espagne, selon les autres par les ennemis de l'homme d'Etat et au Parlement. Quoi qu'il en soit, la polémique s'engage, les partis et les journaux de gauche soutiennent fidèlement Caillaux, tandis que ceux de droite l'attaquent sans ménagement. Le 12 janvier, le chroniqueur, Jean Bernard, peut résumer ainsi la situation : « Le journaliste affirme, le Ministre nie et le public s'intéresse à ce jeu de cache-cache qui nous réserve des surprises et des déceptions, des scandales peut-être, qui sait... ». En effet, l'affaire se dénoue tragiquement : très éprouvée par la publication de lettres qui mettent en cause sa vie intime, Mme Caillaux se rend dans le bureau du directeur du Figaro et le tue d'un coup de revolver. Joseph Caillaux doit donner sa démission de Ministre et sa carrière paraît sérieusement compromise. Au cours du procès de sa femme, qui se termine le 31 juillet - veille de la déclaration de guerre - par un acquittement, il la défend courageusement et souligne qu'il n'était pas au courant de la démarche qui aboutit à la mort du journaliste. Cela ne désarme pas ses adversaires qui crient à la préméditation et qui vont bientôt prendre leur revanche sur sa personne privée, après avoir réussi à l'éliminer pour un temps de la scène politique. Comme le dit encore Jean Bernard : « la mort tragique d'un journaliste, assassiné par la femme d'un des personnages les plus puissants de l'Etat avait exaspéré de vieilles haines ».
Réélu député le 26 avril 1914 malgré une virulente campagne, Joseph Caillaux intervient peu dans les affaires politiques de la nouvelle législature qui est celle de la guerre dont il désapprouve l'évolution De plus, l'assassinat de Calmette et le procès de sa femme ont fait beaucoup plus pour lui faire perdre sa popularité que l'impôt sur le revenu et l'accord franco-allemand. Il est plus que jamais opposé à la guerre, prévoit la durée du conflit et soutiendrait volontiers la conclusion d'une paix rapide avec l'Allemagne. Il rentre alors dans l'ombre et se borne à effectuer plusieurs missions en Argentine (1914) et en Italie (1917). Bientôt va éclater la seconde affaire Caillaux qui, dans l'esprit de ses adversaires, devait l'éloigner à tout jamais des affaires politiques mais au contraire, chose curieuse, par son outrance même, suscitera une réaction inverse et lui permettra de faire peau neuve.
Clemenceau, son vieil adversaire- c'est le seul à qui il n'en voudra pas plus tard, car, dit-il, il ne faisait que rendre coup pour coup - arrive au pouvoir le 16 novembre 1917 et pratique une politique de guerre sans ambiguïté Caillaux va être le premier visé par le « Tigre » dont l'action est soutenue à fond par les droites et surtout l'Action française. Dans les affaires Bolo Pacha et du Bonnet Rouge, il est impliqué et doit intervenir à la tribune de la Chambre pour se défendre. En vain ; l'accusation de trahison lancée contre lui, fait du chemin. Ses ennemis profitent de déclarations imprudentes et de démarches inconsidérées. Le vide se fait autour de lui, même dans les rangs de son propre parti où il n'est plus soutenu que par de rares amis, dont le député de l'Aisne, Ceccaldi, son fidèle compagnon. Le rapprochement franco-allemand qu'il préconisa toute sa vie lui est imputé comme un crime et Léon Daudet parle même «d'une trahison systématique, altière et doctrinaire... ». En décembre 1917, la Chambre vote la levée de son immunité parlementaire. Le 14 janvier 1918, il est arrêté pour « intelligence avec l'ennemi ». Contre lui on relève toutes ses déclarations, toutes ses démarches passées, aussi bien que des documents découverts dans le coffre-fort dont il disposait dans une banque de Florence, documents qui constituent, selon ses adversaires, son plan pour prendre le pouvoir, selon ses partisans, « rien, sinon sans doute l'orgueilleuse probité du prétendu conspirateur ». Au cours de l'instruction, deux accusations simultanées de trahison et de complot contre la sûreté de l'Etat sont portées contre lui. Le Sénat, réuni en Haute Cour de Justice,' le juge deux fois et le condamne définitivement en février 1920, après la fin des hostilités, à trois ans d'emprisonnement et à la privation de ses droits politiques, ne retenant que le fait de « correspondance avec l'ennemi ». Si, à cette date, les passions se sont affaiblies, les droites et les gauches s'affrontent toujours sur son nom et il est défendu par deux grands ténors de la politique radicale de l'entre-deux guerres, François Albert et Anatole de Monzie. Ce dernier prononce à la tribune du Sénat un véritable plaidoyer en sa faveur, en faisant ressortir que les papiers découverts à Florence constituaient seulement « le rêve d'une réformation politique » et qu'on lui reprochait surtout en réalité « d'avoir rompu le pacte d'union sacrée par l'exercice d'une imaginaire liberté ». Soulignant plus tard que la condamnation de Joseph Caillaux n'avait été rien de plus qu'une erreur judiciaire, Monzie pouvait décomposer ainsi les passions suscitées par son procès : « Première proposition : Caillaux a été condamné parce qu'on l'a comparé à Catilina. Deuxième proposition : quelques-uns, dont je fus, en prenant le parti de Caillaux, croyaient prendre le parti de Catilina contre Caton et Cicéron. Troisième proposition : Caillaux n'était pas Catilina et il l'a d'ailleurs prouvé ».
Cette condamnation suscita, du reste, une véritable indignation dans de nombreux milieux politiques, ainsi qu'une protestation en bonne et due forme de la Ligue des droits de l'homme. Charles Paix-Séailles publia alors un livre intitulé Jaurès et Caillaux pour défendre l'ancien Président du Conseil et « effacer cette tâche honteuse sur la vie nationale ». Caillaux lui-même ressentit quelque amertume, notamment à l'égard de certains amis sur lesquels il croyait pouvoir compter et il en voudra particulièrement plus tard à Barthou, Klotz et Poincaré.
Il dût quitter Paris et ne reparut dans la capitale qu'après le triomphe électoral, en 1924, du cartel des gauches et de ses amis qui demandaient sa réhabilitation. En octobre 1924, il pouvait assister aux obsèques de son ami, Anatole France. Deux mois plus tard, le 1er janvier 1925, sa situation était régularisée par le vote de la loi d'amnistie qui lui rendait la totalité de ses droits politiques. Il rentrait presque aussitôt dans la vie publique, en reprenant la présidence du Conseil général de la Sarthe et en se présentant au Sénat, dans le même département, au siège laissé vacant par son ami, le Dr. Gigon, démissionnaire à son profit. Le 12 juillet 1925, il était élu sans difficultés. La deuxième phase à coup sûr surprenante de sa vie politique, commençait.
Il obtint, en effet, sa complète réhabilitation en redevenant, pour la cinquième fois, Ministre des Finances dans le Cabinet constitué par son ami, Paul Painlevé, le 17 avril 1925, à la chute d'Edouard Herriot. Il était appelé, en qualité de « sauveur », à rétablir une situation financière jugée des plus critiques. On lui demandait d'être le restaurateur des finances. La Chambre, issue des élections précédentes, était déjà profondément divisée. Il ne rentrait plus au Gouvernement comme candidat des gauches, mais bien plutôt comme arbitre. En quelques mois, ceux qui l'avaient soutenu et défendu devaient s'opposer vigoureusement à ses projets financiers, alors que la majorité des conservateurs se rangeait au contraire derrière lui. Au cours des quelques mois que dura le Gouvernement, il s'efforça de stabiliser la balance des comptes, reniant pratiquement l'impôt sur le revenu et se déclarant cette fois adversaire de l'impôt sur le capital préconisé par les socialistes. Il se rendit à Washington pour conclure un accord sur le règlement des dettes de guerre de la France envers l'Amérique et n'hésitait pas à déclarer, alors, que l'excès de fiscalité avait eu pour résultat en France de tarir les ressources sur lesquelles l'Etat était en droit de compter. La chute du Ministère Painlevé ne tarda guère ; elle intervint le 27 octobre 1925.
Il reprit alors sa place au sein du groupe de la gauche démocratique du Sénat, mais cette fois à la droite du parti radical. Son optique politique nouvelle le rangeait parmi les conservateurs et lui valait l'hostilité grandissante des socialistes et d'une partie des radicaux. Dans le Cabinet Briand du 23 juin 1926, il accepte encore le portefeuille des finances, avec le titre de vice-président du Conseil. Il est décidé à pratiquer une politique déterminante en matière de prix et au cours d'une séance de la Chambre, se qualifie alors de « Ministre rendu prudent à l'excès pour avoir longtemps médité sur les problèmes, dont l'esprit est peut-être nécessairement timoré, un homme sachant quelque chose en la matière, mais qui se rend compte des difficultés... ». Un mois plus tard il demande un sursis pour ses nouveaux projets financiers et réclame de la Chambre l'autorisation de prendre toutes mesures d'assainissement de nos finances par décrets délibérés en Conseil des Ministres, pendant une certaine période. Il se heurte alors à l'opposition massive de la gauche et entraîne dans sa chute le 17 juillet, le Ministère Briand. Edouard Herriot, alors président de la Chambre, descend du fauteuil présidentiel pour mener l'attaque définitive contre lui et combattre ses projets attentatoires aux prérogatives du Parlement.
C'est pratiquement la fin de la carrière politique active de Joseph Caillaux qui, après cet échec, se borne à participer à la plupart des débats financiers de la Chambre Haute, où il conserve un solide ascendant dans la majorité conservatrice.
Il y est réélu aisément aux renouvellements sénatoriaux du 9 janvier 1927 et du 14 janvier 1936 et à partir de 1923 devient président de la Commission des finances, poste qu'il occupera jusqu'à la seconde guerre mondiale, en y jouant un rôle influent de conseiller et d'arbitre. Bien qu'il soit nommé une dernière fois Ministre des finances dans le Cabinet mort-né constitué le 1er juin 1935 par Fernand Bouisson, il ne reparaîtra plus dans les conseils gouvernementaux et se contentera d'intervenir à la tribune du Sénat pour faire connaître l'avis de la Commission qu'il préside. Parmi les questions qui le préoccupent plus particulièrement pendant cette période, on peut noter bien entendu le budget et les crédits, les statuts de la marine marchande et de l'armée de l'air, le remboursement ou la conversion des fonds publics, les émissions du Trésor, les conventions entre l'Etat et la Banque de France ou la Compagnie générale transatlantique, l'amélioration de la situation des retraités, le traitement des fonctionnaires, les avoirs à l'étranger, la nationalisation de la fabrication des matériels de guerre, l'extension du système d'assurance-crédit de l'Etat, la réforme des finances départementales et communales, le Code du travail, etc. En 1937, il dépose une dernière proposition de loi tendant à interdire toute émission d'emprunt sur le marché français aux débiteurs étrangers qui sont en défaut pour le paiement total d'une dette financière antérieurement contractée, et présente un rapport concernant la réouverture en 1938 de l'exposition internationale des arts et techniques de la vie moderne. En 1939, il participe au débat sur l'organisation de la nation en temps de guerre, mais son avis ne prévaut plus que rarement dans les milieux politiques et il semble assister de loin à des luttes qui n'ont plus pour lui aucun rapport avec celles de son temps. «Il y a dans cette vaillance qui ne renonce pas et dans ce dépouillement de soi du bel ambitieux d'antan une étonnante chevalerie », remarque à cette époque Anatole de Monzie, qui «persiste» à le placer « au-dessus de ses contemporains politiques ».
Joseph Caillaux est resté fidèle à la collaboration franco-allemande, tout en ne cachant pas son aversion pour les idées hitlériennes. Il est inquiet d'autre part de l'attitude éventuelle de l'Italie, dont il soupçonne les visées territoriales. Il sait que ses avis ne seront pas écoutés, mais il entend les faire partager au moins à quelques uns. Cette fois il n'est plus que spectateur.
La fin de la guerre le trouve au Mans, où il est gardé à vue pendant quelques jours. Puis il se retire définitivement à Mamers, pour y écrire ses mémoires, après avoir voté à Vichy les pleins pouvoirs au Gouvernement du Maréchal Pétain. C'est là qu'il s'éteindra quatre ans plus tard, presque oublié, quelques mois après la libération, à un moment où les Français, séparés des luttes politiques du début du siècle par deux conflits mondiaux, pensaient à toute autre chose qu'à l'impôt sur le revenu ou à l'assassinat du directeur du Figaro.
La personnalité de Joseph Caillaux a donné lieu aux jugements les plus contradictoires. Pour Léon Daudet, qui admirait toutefois son « magnétisme personnel » c'était un traître. Pour le sénateur Magnin « il avait du talent, mais roublard, roué comme les fesses d'un postillon (sic). Avec cela, quel républicain ! d'origine, de tradition, de famille, de conviction, amen ! » Quant à Jean Bernard, il s'interrogeait ainsi : « Est-ce, comme il le soutient, un réformateur, qui a été victime de la calomnie au moment où il allait opérer une formidable réforme politique ? », mais de s'élever simultanément contre les « divagations économiques de M. Caillaux qui menacent d'ébranler la République avec ses fantasmagories financières ». Au contraire, M. P, Gheusi rend hommage à « la loyauté de celui qu'il tenait pour un aristocrate démocratique, qui restera comme l'un des plus grands chefs du régime, sinon même le plus digne d'être jugé en véritable homme d'état » et Waldeck-Rousseau lui-même a le temps, peu avant sa mort, de se féliciter de « l'admirable concours » qu'il a reçu de son Ministre des Finances. La polémique avait provoqué tous ces jugements accusés, Peut-être faut-il s'en tenir simplement au portrait qu'en dresse de Monzie, en citant à son propos celui de Barbézieux par Saint-Simon: « Nul homme ne rapportait mieux une affaire ni ne possédait plus pleinement tous les détails ni ne les maniait plus aisément que lui... Il épuisait les affaires d'une manière surprenante, mais orgueilleux à l'excès, entreprenant, hardi ... Son humeur était terrible et fréquente ; il la connaissait, il s'en plaignait, il ne s'en pouvait vaincre; naturellement brusque et dur, il devenait brutal et capable de toutes les insultes et de tous les emportements imaginables, qui lui ont ôté beaucoup d'amis. Il les choisissait mal et, dans ses humeurs, il les outrageait, quels qu'ils fussent, et les plus proches, et les plus grands ... Changeant avec cela ... ».
Pour défendre ses idées, pour justifier sa politique, Joseph Caillaux a publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels on peut citer : L'action réformatrice (1911), La guerre (1916), Mes mémoires (1942, 1943 et 1947, en partie posthume. Les sous-titres donnent une idée du caractère de l'auteur : Ma jeunesse orgueilleuse, mes audaces, clairvoyance et force d'âme dans les épreuves). Agadir ma politique extérieure (1919), D'Agadir à la grande pénitence (1933), La France aux prises avec la crise mondiale (1932), Devant l'histoire: mes prisons (1920), La guerre et la République (1916), L'impôt sur le revenu (1909), Ma doctrine (1926), Où va la France, où va l'Europe ? (1922), Les finances de la France (1901), Les impôts en France : traité technique (1896-1904). Entre les deux guerres, l'ancien président du Conseil, préfaça de nombreux ouvrages, dont un livre de son ami, Emile Roche, futur président du conseil économique. D'autre part, plusieurs écrivains se sont penchés sur sa forte personnalité notamment G. Bastel (1912), P. Vergnet (1918), Letellier (1922), De Pierrefeu (1925), Gaston Martin (1931), Fabre-Luce (1933), Emile Roche (1949), Launay (1933), Urbain Gohier, Georges Suarez, E. Chichet, Paul Boncour et enfin, en 1951, R. De Fleurieu. On a de lui, un buste exécuté par le sculpteur François Cogne.
Extrait du « Dictionnaire des Parlementaires français », Jean Jolly (1960/1977)
1940-1958
CAILLAUX (Joseph)
Né le 30 mars 1863 au Mans (Sarthe)
Décédé le 21 novembre 1944 à Mamers (Sarthe)
Député de la Sarthe de 1898 à 1919
Sénateur de la Sarthe de 1925 à 1944
Ministre des Finances, de juin 1899 à juin 1902, d'octobre 1906 à juillet 1909 et de mars à juin 1911
Président du Conseil, Ministre de l'Intérieur et des Cultes de juin 1911 à janvier 1912
Ministre des Finances, de décembre 1913 à mars 1914 et d'avril à octobre 1925
Vice-président du Conseil et Ministre des Finances de juin à juillet 1926
Ministre des Finances du 1er au 6 juin 1935
(Voir première partie de la biographie dans le dictionnaire des parlementaires français 1889-1940, Tome III, p. 834 à 840)
Joseph Caillaux approuve la délégation de pouvoirs du 10 juillet 1940, puis se retire à Mamers pour y rédiger ses mémoires ; ainsi parurent successivement : Ma jeunesse orgueilleuse, en 1942, Mes audaces, en 1943, et, après sa mort, Clairvoyance et force d'âme, en 1947.
Extrait de la table nominative
Résumé de
l'ensemble des travaux parlementaire
de Joseph CAILLAUX
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