M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues – surtout mes chères collègues, d’ailleurs –, les violences sexistes et sexuelles, dans les différentes formes qu’elles revêtent, sont sans doute les crimes et les délits les moins bien punis dans le monde, y compris dans les pays qui, comme le nôtre, ont choisi de les interdire formellement.
En France, une femme est victime de viol ou de tentative de viol toutes les deux minutes trente, un enfant est victime de viol ou d’agression sexuelle toutes les trois minutes et trois enfants par classe sont victimes de violences sexuelles. Cette année, comme l’année dernière et comme la précédente, dans ce pays, une femme est tuée par son compagnon ou son ex-compagnon tous les trois jours.
Quelque 271 000 victimes de violences conjugales ont été enregistrées en France en 2023, soit 742 par jour !
Imaginons un instant que le groupe visé spécifiquement par ces violences soit un autre groupe que les femmes.
Imaginons par exemple que, en France, 742 médecins soient victimes chaque jour de violences de la part de leurs patients et que l’un d’entre eux soit tué tous les trois jours. Combien faudrait-il de jours à l’ensemble de la classe politique pour déclarer la mobilisation générale, pour que, sur toutes les chaînes de télé, on défile à longueur de journée pour essayer d’expliquer pourquoi les patients frappent et tuent des médecins en France ? Combien faudrait-il de jours pour que les services de l’État déclarent le branle-bas de combat pour mettre fin tout de suite à ce carnage ?
Jamais on n’accepterait, et à juste raison, que des patients tuent un médecin tous les trois jours et qu’ils en frappent 742 par jour ! Mais, quand ce sont des femmes ou des enfants qui sont violentés, harcelés, tués par des hommes de leur entourage, à la vérité, il se passe très peu de choses…
En effet, dans 97 % des cas de violences sexuelles sur enfant, les pédocriminels ne sont pas condamnés ; 96 % des plaintes pour viol sont classées ; seulement 1 % des agresseurs auteurs d’inceste sont condamnés ; et 0,6 % des viols donnent lieu à une condamnation.
Ainsi, en France, en 2024, quand on viole une femme ou un enfant, on a plus de 99 % de chances qu’il ne se passe absolument rien et que l’on puisse poursuivre sa vie normalement. Transposez cela à n’importe quel crime ! Dans quelle société vivrions-nous si 99,4 % des meurtres étaient impunis ?
Ce constat ne constitue pas la seule particularité des violences sexistes et sexuelles. En effet, neuf victimes de viol sur dix connaissent personnellement leur agresseur et 81 % des violences sexuelles sur mineurs sont des incestes, l’agresseur étant un membre de la famille.
La masse des violences patriarcales sont donc le fait non de monstres isolés, étrangers, agissant dans la rue, mais d’individus évoluant dans l’intimité des foyers ; elles sont commises par nos pères, nos oncles, nos grands-pères, nos frères, nos amis, nos voisins, nos conjoints et, bien souvent, sous le regard de tous les autres.
Cette spécificité des violences sexistes et sexuelles – le fait d’être victime de ses proches, de ceux qui sont censés protéger et que l’on n’est pas supposé dénoncer – constitue le cœur des difficultés que ressentent les victimes à porter plainte ou même simplement à agir.
Deux dispositions du texte que nous étudions tendent à répondre à cette spécificité : la question du délai de prescription civile et celle du contrôle coercitif. Dans les deux cas, ce qui justifie que l’on s’interroge réside dans le fait que les VSS ne sont pas des crimes comme les autres. Ce n’est pas qu’elles soient plus graves, mais elles sont enfouies au plus profond de nos vies individuelles et collectives, psychiques et sociales.
L’amnésie traumatique, l’envahissement émotionnel, le poids que l’on doit soulever avant d’agir, la difficulté à se rendre compte de l’existence même de la violence, tout cela fait que le droit doit prendre en compte la situation spécifique de ces victimes. Les règles de prescription actuelles, pensées presque uniquement du point de vue de la gravité des faits commis par l’agresseur et non du point de vue de la capacité de leurs victimes à agir en justice, représentent parfois une torture qui s’ajoute au trauma.
En ce qui concerne le contrôle coercitif, il était crucial que la France prît enfin part au débat mondial qui a débuté voilà quelques années. Pendant des siècles, dominer les femmes, les violer, les battre, contrôler leurs dépenses, leurs mouvements, maîtriser leurs vies, sans qu’elles puissent en mener une en propre, a été légal. Aujourd’hui, malgré la criminalisation des violences conjugales, les mécanismes de privation de liberté que les hommes mettent en place passent souvent sous les radars du droit.
C’est à cette question que l’on cherche à répondre au travers de la création d’une infraction autonome de contrôle coercitif. Il s’agit d’écrire dans la loi que le fait pour des hommes d’exercer leur domination sur des femmes, dont les droits et libertés individuelles garanties par la Constitution sont ainsi rendus inaccessibles par la violence, est illégal.
Ce n’est pas une tâche facile, c’est vrai, le travail de rédaction est complexe, mais comme il l’est pour la plupart des textes que nous étudions ici. J’espère donc que nos travaux et la navette parlementaire permettront d’avancer en ce sens.
En tout état de cause, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur toutes les travées à l’exception de celles du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Audrey Linkenheld. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous allons débattre aujourd’hui d’un texte attendu, qui s’attaque à une réalité que nous ne pouvons plus ignorer, mais que notre droit peine encore à saisir dans toute sa brutalité : les violences sexuelles et sexistes.
Derrière les chiffres, il y a des vies abîmées, des victimes isolées et une législation encore incapable de répondre correctement à l’ampleur de ce fléau protéiforme.
La proposition de loi que nous examinons cet après-midi reflète une volonté politique que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain partage pleinement. Il faut améliorer encore la protection des victimes face aux agressions sexuelles et aux violences conjugales, et durcir les sanctions prononcées à l’encontre des auteurs.
Par plusieurs textes récents, on a progressivement renforcé la réponse judiciaire à ces violences et nous y avons pris notre part ; je pense notamment à ma collègue Laurence Rossignol, qui interviendra tout à l’heure.
Au travers de ce texte, adopté par l’Assemblée nationale en janvier dernier et par la commission des lois la semaine dernière, il nous est proposé de modifier de nouveau le code pénal, le code de procédure pénale et le code civil. Nous adhérons à ces objectifs essentiels, car les violences sexuelles et sexistes continuent, évoluent et prennent des formes que notre arsenal policier et juridique doit mieux intégrer.
Nous sommes évidemment d’accord avec l’élargissement, issu d’un amendement des députés socialistes, de l’intitulé de la proposition de loi. Il s’agit en effet de protéger toutes les victimes de violences sexuelles et sexistes, quels que soient leur âge, leur genre, leur situation.
Oui, cela passe par une réflexion sur les délais et règles de prescription, car la parole des victimes met du temps à se libérer, non seulement quand elles ont été attaquées durant leur minorité, mais également après leur majorité.
Si nous doutons de la pertinence opérationnelle et juridique de l’imprescriptibilité civile totale pour les viols et agressions sexuelles commis sur mineurs, nous sommes en revanche convaincus de l’intérêt de la prescription glissante. Nous pensons qu’il peut être utile d’étendre ce mécanisme, instauré pour ce qui concerne les mineurs par la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, aux victimes majeures, sous certaines conditions.
J’en viens au cœur du texte, à savoir le souhait que le contrôle coercitif, un concept bien appréhendé en sociologie et « dans la vraie vie », si j’ose dire, puisse être bien appréhendé en droit ; il est indispensable d’avancer sur ce point pour mieux protéger les victimes. Cela implique de faciliter le travail de la police, de la gendarmerie et de la justice, auprès desquelles les victimes cherchent une aide quand elles subissent des violences conjugales répétées et multiples, avec une dimension qui n’est pas nécessairement ou uniquement physique, mais qui peut être également psychologique, administrative, financière, économique.
Il faut avancer, mais il faut veiller à ce que cette avancée soit, dans sa rédaction, dans sa précision, dans son interprétation, opérante en droit, sous peine d’être déceptive, voire contre-productive, dans la défense des victimes et pour les professionnels qui les accompagnent.
Aussi, pour ce qui concerne l’article 3, notre groupe privilégie les contours retenus par la commission des lois du Sénat, à savoir ceux d’une infraction s’inspirant de la notion sociologique de contrôle coercitif, de la jurisprudence française récente et du droit comparé, afin non pas de créer une infraction autonome, mais plutôt de compléter l’infraction existante de harcèlement sur conjoint, en l’assortissant de circonstances aggravantes.
Nous soutenons bien évidemment l’article 5, qui répond aux attentes des associations féministes et des victimes, lesquelles dénoncent des peines parfois bien légères. Laurence Rossignol, inspiratrice directe de cette modification, y reviendra, en évoquant nos propositions d’amélioration dans ce domaine.
En revanche, nous sommes plus circonspects quant à une disposition introduite par le Gouvernement dans le texte lors de son examen par l’Assemblée nationale. En effet, le prolongement de la garde à vue pour certaines infractions sexuelles, tel qu’il figurait à l’article 6, supprimé depuis lors, nous paraissait constituer une modification trop substantielle de notre code de procédure pénale et pouvait entraîner des effets de bord que l’on pourrait imaginer assez larges. Nous ne souhaitons donc pas l’examiner dans cette rédaction ni à ce stade.
Pour le reste, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne veut pas que soit manquée cette occasion de renforcer par la loi la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Si l’ambition de ce texte est confirmée et consolidée en séance, nous y apporterons évidemment notre soutien. Il est en effet indispensable de mieux aligner le droit avec la réalité.
Il est d’ailleurs tout aussi indispensable de donner à la justice et aux forces de sécurité les moyens concrets de faire appliquer ce droit, de mieux former les professionnels à la détection des violences sexuelles et sexistes et à leur élimination, de bien soutenir les associations qui agissent auprès des victimes, bref de prendre en compte ces violences de façon intégrale, dans toutes nos politiques publiques, afin de prévenir, reconnaître, accompagner et réparer. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Renaud-Garabedian. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 2024, seulement 104 000 femmes victimes de crime et de délit à caractère sexuel ont osé déposer plainte auprès des services de police et de gendarmerie. Ce chiffre est à rapprocher des 1,4 million de femmes ayant déclaré avoir subi des violences sexuelles en 2021. Il ne s’agit donc ni d’actes rares ni de violences isolées ; il s’agit d’une dramatique réalité quotidienne, existant dans tous les milieux sociaux et qui détruit sournoisement l’intégrité physique, psychique et morale des victimes.
Comment lutter efficacement contre ce fléau ? Depuis 2017, les politiques de lutte contre les violences faites aux femmes ont connu une forte accélération.
Sur le terrain, les progrès d’accompagnement sont tangibles, avec l’augmentation du nombre d’ordonnances de protection, de bracelets anti-rapprochement, de logements d’urgence et de maisons des femmes, mais aussi avec l’élaboration de l’aide universelle d’urgence et la création du pack nouveau départ.
Sur le plan civil, la proposition de loi prévoyait dans sa rédaction initiale l’imprescriptibilité de l’action tendant à obtenir des dommages et intérêts en cas de viol sur mineur. L’Assemblée nationale a supprimé cette disposition. La commission des lois du Sénat a pris acte de cette suppression, mais des sénateurs ont déposé des amendements tendant à rétablir cette imprescriptibilité, que nous étudierons dans quelques instants. À titre personnel, je pense que l’imprescriptibilité n’est souhaitable ni pour la victime ni pour la justice ; elle serait de nature à se retourner contre celles et ceux que l’on cherche justement à protéger.
En effet, toute procédure de ce type pourrait susciter de faux espoirs et engendrer des désillusions, en raison du dépérissement des preuves dû à l’usure du temps, l’argument du progrès technologique ne s’appliquant pas aux preuves telles que les témoignages, et de l’impossibilité pour la justice de reconnaître aux victimes leur statut, entraînant un sentiment de double peine, car à l’agression physique s’ajouterait l’agression symbolique du classement sans suite.
C’est pourquoi je n’apporterai pas mon soutien aux amendements déposés en ce sens.
Sur le plan pénal, la proposition de loi examinée renforce notre arsenal juridique ; je suis convaincue que ce texte, que je voterai, porte à ce titre des avancées significatives.
Je pense en particulier à l’intégration, dans la définition du harcèlement sur conjoint, de faits et comportements s’apparentant à un contrôle coercitif.
Je m’arrête un instant sur ce point. En ma qualité de sénateur des Français établis hors de France, j’ai créé avec Priscillia Routier-Trillard et ma collègue Sophie Briante Guillemont la plateforme d’assistance Save You, destinée à venir en aide aux femmes françaises vivant à l’étranger et victimes de violences conjugales. Cela nous a amenées à examiner de près les corpus législatifs des pays étrangers en la matière, afin d’orienter au mieux les ressortissantes françaises victimes de violences conjugales.
Plusieurs exemples et modèles étrangers offrent des perspectives précieuses pour faire progresser notre droit. L’Angleterre, le Pays de Galles, l’Écosse et la Belgique ont déjà intégré dans leur législation la notion de contrôle coercitif. Cette notion représente une innovation majeure dans l’appréhension de la violence conjugale, en cherchant à identifier non pas un seul acte violent, mais un schéma d’abus répétés, n’impliquant pas forcément de coups et blessures. Elle constitue en outre un changement radical dans la logique juridique, en se centrant sur le comportement de l’auteur et non sur l’incidence de ses actes sur sa victime.
L’Espagne, pays précurseur en la matière, a adopté dès 2004 la loi-cadre portant mesures de protection intégrale contre les violences conjugales, ensuite complétée par la suite par d’autres lois. Dans ce pays ont été mis en place des équipes de police spécialisées et référentes pour le suivi des dossiers, des tribunaux spécialisés pour traiter des violences de genre, tant au civil qu’au pénal, ainsi qu’une protection complète et immédiate de la victime.
Les chiffres sont sans appel : le nombre de féminicides a baissé de 25 % depuis 2004 et les Espagnoles sont en proportion deux fois moins nombreuses à mourir sous les coups de leur conjoint que les Françaises.
Tout cela devrait nous inciter, madame la ministre, à élaborer une véritable loi-cadre, réfléchie et juridiquement irréprochable en la matière. Nous l’attendons. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à vous remercier, madame la ministre, de votre créativité juridique et de votre participation à l’élaboration de la meilleure loi possible pour protéger les femmes des violences sexistes et sexuelles. Je vous sais également gré de l’engagement que vous avez pris précédemment de réunir les parlementaires engagés sur cette question, afin de proposer à terme au Parlement un texte d’orientation sur les violences faites aux femmes ; cela vous incombera forcément, car il ne pourra s’agir que d’un projet de loi et non d’une simple proposition de loi.
Je souhaite évoquer tout d’abord une disposition qui ne figure pas dans la proposition de loi ; je parlerai ensuite des articles qui ont été conservés.
En premier lieu, je souhaite souligner qu’un sujet manque dans ce texte et exprimer mon étonnement à ce sujet. En effet, appuyée par mes collègues du groupe socialiste, j’avais déposé un amendement visant à compléter le premier alinéa de l’article 215 du code civil par cette phrase : « La communauté de vie n’implique pas l’obligation de relations sexuelles entre les époux. »
Quelle n’a pas été ma surprise lorsque j’ai découvert que, alors que nous parlons de contrôle coercitif, de harcèlement des femmes et de violences sexuelles et sexistes, et que ce texte s’intitule « proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes », la commission avait déclaré que mon amendement n’entrait pas dans le périmètre du texte ! Je suis très surprise, car je ne vois rien qui entre plus dans le champ de ce texte que le devoir conjugal, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit !
Nous savons toutes et tous que le viol entre époux – circonstance aggravante du viol – donne lieu à assez peu de décisions de justice, parce qu’il est assez difficile à prouver. Et je ne crois pas que l’ajout dans le code pénal de la notion de consentement change quoi que ce soit en la matière.
En effet, la question est en réalité moins la notion de viol entre époux que l’idée que l’on se fait du devoir conjugal. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a récemment indiqué, de façon très claire, que le fait de refuser des relations sexuelles ne constituait pas une cause de divorce pour faute aux torts de l’épouse qui aurait refusé ces relations. Le garde des sceaux – qu’il en soit remercié – a immédiatement adressé une circulaire à l’attention des magistrats pour leur demander de ne pas retenir l’absence de relations sexuelles dans les motifs de divorce pour faute.
Pour autant, il convient de clarifier le lien entre devoir conjugal et communauté de vie, car, dans ce domaine, les femmes ne sont pas forcément brutalisées ou soumises à « violence, contrainte, menace ou surprise » ! Il y a simplement l’idée que, dans la communauté de vie liée à l’institution du mariage est incluse l’obligation de relations sexuelles entre époux. Or il faut que les femmes sachent qu’elles peuvent dire non !
Il convient donc moins de dire aux hommes – même si c’est nécessaire – qu’ils ne doivent pas exiger ou demander avec insistance des relations sexuelles à leur épouse, au prétexte que cela serait inclus, dans le cadre du mariage, dans une formule globale (Sourires.), que d’expliquer aux femmes que le devoir conjugal n’existe pas. (Marques d’assentiment aux bancs des commissions et du Gouvernement.)
Or, pour l’expliquer aux femmes, il faut l’écrire. Et où ? Dans le code civil ! Parce que cela ne relève pas du pénal, que ce n’est pas une question d’infraction ; cela a trait aux obligations découlant du mariage, de même que nous avons indiqué dans le code civil, voilà quelques années, que l’éducation des enfants se faisait sans violence physique et psychologique.
Ainsi, je souhaite que, lorsque les gens se marient – cela pourra ensuite être aisément étendu au pacte civil de solidarité (Pacs) et au concubinage –, on précise que le mariage n’implique aucune obligation ni aucun droit à des relations sexuelles.
Donc, au regard de l’étonnement qu’a suscité en moi la position retenue par notre honorable commission des lois – je n’ai pas la chance d’y siéger ! –, j’informe dès à présent celle-ci que je déposerai le même amendement lorsque nous examinerons la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles. J’espère qu’il ne sera pas considéré comme extérieur au sujet lorsque nous parlerons de consentement et de viol et que nous pourrons alors trancher cette question, pour pouvoir dire aux Françaises : « Non, personne ne vous oblige à passer chaque soir à la casserole ! » (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, GEST, RDSE et RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont.
Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pendant trop longtemps, les violences sexistes et sexuelles sont restées un sujet tabou, en dépit de leur ampleur, effrayante. Ainsi, 1,4 million d’adultes ont déclaré en avoir été victimes en dehors du cadre familial en 2021, dont 85 % de femmes. Plus de 271 000 femmes ont subi de telles violences en 2023 dans le cadre conjugal. Ces chiffres sont probablement sous-évalués.
De telles violences peuvent mener au meurtre. En 2024, selon un recensement de la Fondation des femmes, 140 femmes ont été tuées en France par leur conjoint ou ex-conjoint. Ces chiffres ne tiennent pas compte des violences et des féminicides contre les Françaises vivant à l’étranger. Il nous faudrait également les évaluer.
Ces agressions concernent aussi des enfants et des adolescents. Les effets sont dévastateurs sur la santé physique et mentale de ces derniers, car personne ne sort indemne d’une agression sexuelle. Selon la Ciivise, 160 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles.
Face à l’ampleur de ces phénomènes, cette proposition de loi – je salue l’engagement de son autrice – vise à combler plusieurs lacunes juridiques.
Tout d’abord, elle nous permet de débattre d’un sujet important : l’instauration de l’imprescriptibilité civile des infractions sexuelles commises sur les mineurs. De quoi s’agit-il ? En matière civile, les victimes d’infractions sexuelles peuvent demander des dommages-intérêts à leur agresseur. À la différence de l’action pénale, où un agresseur est condamné à une peine pour les faits qu’il a commis, il s’agit de se tourner vers la victime de façon à tenter de réparer financièrement, s’il est reconnu, le préjudice subi.
Or les actions civiles ont elles aussi un délai de prescription. En principe, il est de cinq ans, prolongé à vingt ans pour les préjudices causés par des violences ou des agressions sexuelles sur des mineurs. L’autrice de la proposition de loi entend supprimer ce délai de vingt ans : il n’y aurait plus de date butoir empêchant la potentielle reconnaissance du préjudice subi.
Je comprends parfaitement les arguments avancés de part et d’autre. Ils se justifient par la douleur des victimes, douleur dont certaines ne prennent conscience que très tard, qui souhaiteraient que, d’une façon ou d’une autre, la justice leur assure : « Je vous crois. » Dans de pareils cas, essuyer un refus en raison de règles de prescription ne fait qu’ajouter de la douleur au traumatisme.
Pourtant, tout comme les rapporteures du texte, j’appelle à la prudence. Face à l’inévitable action du temps sur la collecte des preuves, la prescription vise à éviter de donner de faux espoirs aux victimes, même si la preuve – il est vrai – est plus simple à apporter au civil.
Cela étant, les règles ont récemment évolué grâce à la Cour de cassation. Dorénavant, le délai de prescription court à compter de la date de consolidation du dommage, c’est-à-dire du moment où le dommage ne s’aggrave plus. Or cette consolidation peut intervenir très tard, bien après les faits.
Autrement dit, la nouvelle jurisprudence permet aux victimes de faire condamner leur agresseur au civil même si les faits sont prescrits au pénal, parfois des décennies après l’infraction. Cela nous semble un compromis intelligent et suffisant, même si nous restons, bien entendu, ouverts au débat.
D’ailleurs, un autre aménagement est proposé dans le texte : la prescription glissante. Celle-ci a pour objet de prolonger le délai de prescription d’une première infraction en cas de commission d’une seconde par le même auteur sur une autre victime.
J’en viens maintenant à la question du « contrôle coercitif ». Si cette qualification semble faire consensus, sa définition a pourtant été au centre de plusieurs échanges dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi. Cette notion nouvelle doit donc avant tout être expliquée.
Le « contrôle coercitif » définit diverses stratégies de contrôle et de domination subtiles et perverses qui visent à restreindre progressivement l’autonomie et la liberté de son partenaire.
Plutôt que d’en faire une infraction autonome, les rapporteures ont choisi d’intégrer les faits et comportements s’apparentant à du contrôle coercitif aux dispositifs réprimant le harcèlement sur conjoint. Il me semble que cette voie est juridiquement la bonne. Avec cette nouvelle définition, les autorités auront la possibilité de réprimer des comportements qui, pris isolément, paraissent anodins, mais qui font partie d’un véritable système de domination et de coercition. Le dispositif permettra ainsi d’agir au plus tôt.
La commission des lois a suivi les rapporteures et a adopté une position de prudence. Cela nous semble particulièrement nécessaire, comme pour tous les sujets dont nous traitons, en l’absence d’une étude d’impact, surtout dans une matière qui ne cesse d’évoluer et de se nourrir des changements de notre société, de la libération de la parole et de la recherche en sociologie et en droit. La loi a évolué, la jurisprudence a évolué : faisons confiance aux justiciables, aux autorités et aux magistrats pour s’emparer de ces nouveaux outils avant d’aller plus loin ! En effet, il nous faut d’abord mesurer les effets des dernières avancées.
Enfin, la répression est sans aucun doute un axe de la lutte contre les violences sexuelles, mais celui-ci ne peut pas être le seul. Une loi-cadre, englobant des mesures à la fois sur l’éducation, la prévention, la récidive ou encore l’accompagnement des victimes, nous semble tout à fait essentielle. Le groupe RDSE aimerait d’ailleurs que soit inclus dans une telle loi l’élargissement du dispositif de l’ordonnance de protection. Une proposition de loi en ce sens a été portée par la présidente du groupe, Maryse Carrère, et a été adoptée au Sénat en novembre dernier.
Comme vous l’aurez compris, le groupe RDSE votera évidemment en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – Mme la présidente de la commission et M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes
Article 1er
(Suppression maintenue)
M. le président. Je suis saisi de dix amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les cinq premiers sont identiques.
L’amendement n° 4 rectifié ter est présenté par Mmes Billon et Antoine, M. J.M. Arnaud, Mme Belrhiti, MM. Bilhac et Bonneau, Mme Bourcier, MM. Canévet et Capo-Canellas, Mmes L. Darcos et de La Provôté, M. Delcros, Mmes Devésa, Drexler, Gacquerre et Gosselin, M. Henno, Mmes Herzog, Housseau, Jacquemet et Jacques, MM. Lafon, Laugier et Levi, Mme Loisier, M. Menonville, Mme Perrot, MM. Pillefer, Pointereau, Rochette et Roux et Mmes Sollogoub, Tetuanui et Vermeillet.
L’amendement n° 15 rectifié ter est présenté par MM. Chasseing, Grand, Laménie, Brault et A. Marc, Mmes Lermytte et Paoli-Gagin et MM. Malhuret, H. Leroy, Longeot, Houpert et Belin.
L’amendement n° 18 rectifié est présenté par Mmes Nadille et Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Patriat, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne, Lévrier et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud, Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
L’amendement n° 21 rectifié bis est présenté par Mmes Corbière Naminzo et Varaillas, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
L’amendement n° 31 rectifié est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
Ces cinq amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Au second alinéa de l’article 2226 du code civil, les mots : « prescrite par vingt ans » sont remplacés par le mot et une phrase ainsi rédigée : « imprescriptible. Dans cette hypothèse, les héritiers ne sont pas tenus par les dettes résultant de cette condamnation. »
La parole est à Mme Annick Billon, pour présenter l’amendement n° 4 rectifié ter.