M. le président. Merci de conclure, monsieur le ministre.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Au cours des deux dernières années, le nombre de laissez-passer consulaires délivrés par l’Algérie a sensiblement augmenté. C’est aussi l’enjeu des renégociations à venir.
M. le président. Concluez, monsieur le ministre !
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Dans ce rapport de force, nous devrons évidemment défendre nos intérêts – j’aurai l’occasion d’y revenir.
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Corinne Narassiguin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Ian Brossat applaudit également.)
Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est en invoquant « une volonté nouvelle de réconciliation des peuples français et algérien » qu’Emmanuel Macron a demandé à Benjamin Stora de rédiger un rapport sur les « questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie ». Ces mots ne datent que de 2020 ; mais, aujourd’hui, ils semblent bien loin.
Une fois de plus, nous nous retrouvons dans cet hémicycle pour parler d’immigration : à croire que le sujet est quelque peu obsessionnel sur une partie de ces travées…
Monsieur le ministre, je me réjouis de vous voir au banc du Gouvernement, plutôt que votre collègue chargé de l’intérieur, qui tourne en boucle sur l’Algérie alors que ce sujet ne relève pas de sa compétence.
L’accord franco-algérien de 1968 fixe les conditions de circulation, d’emploi et de séjour en France des ressortissants algériens. Ces derniers ne relèvent historiquement pas du droit commun, mais d’un régime dérogatoire, en raison des liens culturels et politiques noués de longue date entre nos deux pays.
Par plusieurs avenants, dont deux adoptés sous des gouvernements de gauche, le statut spécial des Algériens s’est progressivement rapproché du droit commun. Il reste plus favorable que celui-ci sur certains points – je pense notamment au regroupement familial. Mais sur d’autres volets, comme les titres de séjour étudiants, il y est moins favorable.
Il est clair que l’attitude actuelle de l’Algérie vis-à-vis de la France n’est pas acceptable. Lorsque la France expulse légalement des ressortissants algériens condamnés sur son territoire, l’Algérie n’a pas à les refouler.
À cet égard, la conduite du régime algérien est scandaleuse. Il en est de même de ses déclarations au sujet de Boualem Sansal, lequel est détenu de manière injustifiée. Je le rappelle à mon tour, Boualem Sansal doit être libéré.
La France doit être ferme avec l’Algérie lorsqu’elle ne respecte pas nos accords. Le Président de la République et le ministre des affaires étrangères doivent dès lors engager un dialogue exigeant.
Toutefois, les élus du groupe socialiste considèrent que la population algérienne n’a pas à payer pour l’attitude de son gouvernement. Aussi, nous sommes fermement opposés à la dénonciation unilatérale de cet accord.
C’est d’ailleurs la position du Président de la République lui-même, lequel a contredit son Premier ministre et son ministre de l’intérieur. Cette cacophonie au sommet de l’État est irresponsable. Même lors des véritables cohabitations, l’intérêt supérieur de la France a toujours conduit les deux chefs de l’exécutif à parler d’une seule voix sur les questions internationales. Le mauvais spectacle auquel nous assistons actuellement au sujet de l’Algérie affaiblit la voix de la France sur la scène internationale, à un moment où notre pays doit y peser de tout son poids – le débat sur l’Ukraine vient de le montrer.
Nos relations avec l’Algérie sont actuellement tendues – c’est une évidence – et les tensions vont bien au-delà de la question migratoire. Voilà maintenant deux décennies qu’elles s’accumulent. La reconnaissance soudaine de la marocanité du Sahara occidental, sans aucun geste envers Alger, était une grave erreur de la part de la France.
En outre, la visite du président Gérard Larcher dans le Sahara occidental la semaine dernière n’était sans doute pas des plus opportunes… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon. Comment pouvez-vous dire des choses pareilles ?
Mme Corinne Narassiguin. Elle a conduit au gel des relations entretenues par le groupe d’amitié de notre assemblée, ce qui est évidemment regrettable.
Alors même que les relations diplomatiques se tendent, notre gouvernement souffle sur les braises.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, l’accord de 1968 ne traite ni de l’immigration illégale ni de la coopération en matière de lutte contre le terrorisme. En revanche, c’est l’accord qui a le plus de poids symbolique. Brandir la menace de sa dénonciation unilatérale, c’est faire exactement ce que vous reprochez, à juste titre, au gouvernement algérien.
Vous utilisez la rente mémorielle de notre douloureuse histoire commune à des fins de politique intérieure.
Mme Brigitte Micouleau. Mais non !
Mme Valérie Boyer. Pas du tout !
Mme Corinne Narassiguin. Alors qu’il est indispensable de reprendre le dialogue, vous proposez, paradoxalement, de rompre un accord qui nous lie à l’Algérie depuis des décennies.
Le caractère dérogatoire au droit commun de l’accord de 1968 reste justifié par l’intensité des liens humains et historiques entre nos deux pays comme par l’imbrication de leurs intérêts économiques, sécuritaires et politiques.
Cet accord est indissociable de l’histoire singulière qui lie la France à l’Algérie ; une histoire complexe, dont nombre de nos concitoyens sont les héritiers ; une histoire marquée par cent trente-deux ans de colonisation, dont huit ans de guerre d’indépendance et six décennies de relations bilatérales sinueuses.
Les élus du groupe socialiste considèrent que l’accord de 1968 doit évoluer. Nos deux pays s’entendent d’ailleurs sur ce point. Mais un tel travail ne peut être mené que par la voie de la négociation diplomatique, au terme d’un dialogue exigeant et respectueux.
M. Didier Marie. Très bien !
Mme Corinne Narassiguin. Le Président de la République, et c’est heureux, l’a rappelé pas plus tard qu’hier.
Je précise qu’une dénonciation unilatérale de l’accord de 1968 aboutirait nécessairement à désarmer la France dans sa lutte contre l’immigration irrégulière : une telle rupture diplomatique, par nature brutale, signifierait la fin de la délivrance des laissez-passer consulaires, lesquels sont indispensables aux éloignements. Or, en 2024, Alger a délivré 3 000 laissez-passer consulaires, soit bien davantage que d’autres pays du Maghreb.
Pour de nombreux juristes, une dénonciation unilatérale violerait également le droit international. Le régime juridique qui serait alors applicable aux mobilités régulières entre nos deux pays inspire, de plus, un certain nombre d’interrogations.
Chers collègues du groupe Les Républicains, pour vous comme pour votre ancien président, devenu ministre de l’intérieur,…
M. Michel Savin. Excellent ministre !
Mme Corinne Narassiguin. … actuellement en campagne pour la présidence de votre parti politique, la relation franco-algérienne se limite à un problème migratoire qu’il faudrait éliminer.
Vous ne semblez pas mesurer l’impact économique d’une telle politique ; il serait désastreux pour la France. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Audrey Linkenheld. Elle a raison !
Mme Corinne Narassiguin. Vous partez d’un terrible préjugé – il s’agit d’ailleurs sans doute d’un relent colonial… (Mêmes mouvements.)
À vos yeux, l’Algérie et les Algériens ne peuvent rien faire sans la France. Or, en cas de rupture, c’est la France qui a beaucoup à perdre.
L’Algérie est un partenaire économique crucial pour la France, les échanges commerciaux entre nos deux pays atteignant 11,8 milliards d’euros en 2023.
Que comptez-vous dire aux 450 entreprises françaises installées en Algérie ? Aux 6 000 entreprises françaises qui y exportent des produits français ? Aux médecins algériens qui tiennent à bout de bras notre système hospitalier ?
La dégradation de nos relations bilatérales a déjà provoqué une chute très importante des exportations françaises de blé vers l’Algérie, et le mouvement risque de s’accentuer. Que comptez-vous dire à nos agriculteurs ?
M. Akli Mellouli. Ils ne vont rien leur dire !
Mme Corinne Narassiguin. N’oublions pas non plus notre coopération sécuritaire avec l’Algérie, qui joue un rôle majeur contre le terrorisme dans la région du Sahel.
Une fois encore, la pente dangereuse que vous suivez en courant après l’extrême droite nous conduit dans un mur. Vous prétendez protéger la France par des coups de force : en réalité, vous l’affaiblissez.
Une histoire profonde lie nos deux pays. Pour reprendre les mots de Yazid Sabeg et Jean-Pierre Mignard, « des milliers de familles, des millions de personnes, quatre millions peut-être de binationaux, d’enfants et de petits-enfants, de parents algériens, ou à la fois algériens et français, vivent aujourd’hui dans un enchevêtrement d’appartenances, de souvenirs, de cultures, et forment une exceptionnelle mixité humaine. Ils sont la marque indélébile d’un destin partagé. Cette jeunesse issue de l’immigration algérienne, ancrée dans la République, désireuse à la fois de concilier son appartenance à la nation française sans répudier son algérianité, est le socle de notre avenir commun. Nos querelles la troublent et c’est injustifiable. »
Nous avons bien compris que c’est une réalité française que vous ne voulez pas voir. Dénoncer unilatéralement l’accord de 1968 ne la fera pas disparaître, bien au contraire !
Pour toutes ces raisons, nous appelons de nos vœux la reprise d’un dialogue avec l’Algérie. À l’instar du ministre des affaires étrangères, nous proposons notamment de réactiver le groupe technique bilatéral de suivi de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968, afin d’élaborer, le moment venu, un quatrième avenant.
Il s’agit, ce faisant, de construire un nouveau cadre de relations diplomatiques apaisées entre la France et l’Algérie, reconnaissant la complexité de notre histoire commune pour mieux la dépasser. C’est notre intérêt économique et sécuritaire. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) C’est le sens de notre histoire. C’est, dès lors, le moyen de réconcilier la France avec elle-même. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – M. Ahmed Laouedj applaudit également.)
Mme Audrey Linkenheld. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la sénatrice Narassiguin, nous avons comme vous l’ambition de renégocier l’accord de 1968, d’ailleurs déjà révisé à trois reprises.
Il s’agit une nouvelle fois d’aligner certaines de ses dispositions sur le droit commun, pour attirer davantage de talents – je pense notamment aux étudiants –, et d’y introduire de nouvelles exigences d’intégration républicaine.
Vous l’avez salué, la France, par la voix du Président de la République, s’est beaucoup investie pour la reconnaissance de la mémoire franco-algérienne et la confrontation de nos histoires dans un dialogue sincère et honnête, s’appuyant sur un certain nombre de travaux historiques, en particulier ceux de Benjamin Stora.
Mais, force est de le constater, le rapport à la France fait aussi régulièrement l’objet en Algérie d’une rente mémorielle et politique à l’encontre de notre pays. Nous n’avons pas à nous flageller sur le sujet, nous pouvons le dire honnêtement.
Je vous remercie également d’avoir rendu hommage à notre compatriote Boualem Sansal, toujours emprisonné sans fondement à ce jour. Il est un héraut de la liberté d’expression, de l’universalisme, de la lutte contre toutes les formes de tyrannie. Il est malade, sa santé nous préoccupe et la diplomatie française se mobilise en faveur de sa libération.
Enfin, il ne faut pas opposer la relation nécessaire et importante que nous avons avec l’Algérie à la relation historique, culturelle, stratégique profonde que nous avons avec nos partenaires marocains. La France a reconnu, comme de très nombreux autres pays, que le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivaient dans le cadre de la souveraineté marocaine. Cela s’inscrit dans la profondeur du lien qui nous unit à ce pays, avec lequel nous avons une relation fondamentale.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour la réplique.
Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le ministre, la voie diplomatique demeure effectivement la seule voie viable. Benjamin Stora l’a dit : la rente mémorielle est utilisée des deux côtés de la Méditerranée, et c’est bien le problème.
La France doit évidemment établir des relations diplomatiques apaisées avec tous les pays du Maghreb, avec lesquels nous partageons une histoire commune, mais notre relation avec l’Algérie est beaucoup plus longue et complexe.
Ne laissez pas le ministre de l’intérieur faire des Algériens et de la relation franco-algérienne les victimes de ses obsessions migratoires. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Thomas Dossus applaudit.) Il est anormal qu’un ministre de l’intérieur exerce une telle pression sur le Premier ministre afin d’empiéter avec autant de désinvolture sur ce qui relève de la compétence du Président de la République, dans le dessein d’instrumentaliser la politique étrangère dans une perspective de politique intérieure. La France doit parler d’une seule voix et s’opposer à cette politique de la terre brûlée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1830, la France se lançait dans la conquête de la régence d’Alger qui était, depuis trois siècles, un territoire de l’Empire ottoman. Les cent trente-deux années pendant lesquelles l’Algérie a été un territoire français et la guerre qui y a mis fin constituent l’histoire douloureuse que nos deux pays ont en partage.
Six ans après la fin de la guerre de décolonisation, Paris et Alger ont conclu des accords visant à faciliter l’émigration des Algériens vers la France. Il est souvent dit que la France a fait cela pour satisfaire ses besoins en main-d’œuvre. C’est juste, la France a offert aux Algériens des facilités pour venir dans notre pays, mais, il faut le rappeler, elle n’a forcé personne. Le fait que de nombreux Algériens aient choisi d’en bénéficier montre que ces accords ne leur sont pas défavorables.
Il s’agit en effet de dispositions dérogatoires au Ceseda qui octroient aux Algériens des avantages appréciables. C’est ainsi que, sur les 2,5 millions d’étrangers que notre pays comptait sur son sol en 2023, les Algériens étaient près de 900 000 ; en outre, nombre de nos concitoyens disposent de la double nationalité. Les relations entre nos deux peuples sont fortes et doivent être préservées.
Hélas, le gouvernement algérien continue de les altérer en ressassant inlassablement le passé colonial. En 2023, il a même réintroduit dans son hymne national un couplet demandant à la France de rendre des comptes.
Ces comptes, la France les a déjà rendus il y a bien longtemps et l’Algérie est aujourd’hui, depuis près de soixante-trois ans, un pays souverain et indépendant. C’est le gouvernement algérien qui est responsable devant son peuple ; la colonisation a eu son lot d’effets néfastes, mais ne peut pas tout expliquer.
Le Vietnam a, lui aussi, été colonisé par la France ; lui aussi a obtenu son indépendance de haute lutte, après avoir affronté non seulement les Français mais aussi les Américains, au cours d’un conflit majeur. Or, au cours des vingt dernières années, le taux de croissance du PIB algérien a été, malgré l’énorme rente gazière, bien inférieur à celui du Vietnam.
La rente mémorielle, s’il fallait encore le démontrer, n’a jamais développé l’économie d’aucun pays. Tant que le gouvernement algérien instrumentalisera le passé pour dissimuler ou justifier ses propres lacunes, nos relations s’en trouveront dégradées.
La dégradation fâcheuse de nos relations avec le gouvernement algérien a été récemment exacerbée par plusieurs événements.
La France a reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Bien que cela puisse déplaire à Alger, la France est, jusqu’à nouvel ordre, en tant que pays souverain, libre de ses positions diplomatiques.
Conséquence indirecte, le gouvernement algérien a arrêté en novembre dernier un écrivain franco-algérien de 75 ans, malade, dont l’œuvre littéraire a été saluée par de nombreux prix. Boualem Sansal est accusé d’avoir porté atteinte à l’unité nationale algérienne ; il est en réalité puni pour avoir tenu des propos déplaisant au gouvernement algérien. Une telle forme de censure n’honore pas du tout ce dernier et la France ne peut pas accepter que l’un de ses ressortissants soit ainsi détenu arbitrairement.
Enfin, le gouvernement algérien a entrepris de refuser illégalement le retour sur son sol de certains de ses ressortissants expulsés par la France parce qu’ils étaient en situation irrégulière. Parmi eux se trouvent quelques influenceurs douteux, dont certains appellent au meurtre, et une personne qui a commis un attentat terroriste à Mulhouse.
Ces refus illégaux, puisque contraires au droit international, ont une conséquence logique, évidente : la France doit s’interroger sur la suite des accords qui la lient à l’Algérie en matière d’immigration. Voilà deux ans déjà, Édouard Philippe attirait notre attention sur la nécessité d’un tel réexamen ; depuis lors, il a été rejoint par de nombreux responsables politiques.
L’une des premières conditions de l’application du droit international est la réciprocité. Les refus du gouvernement algérien de permettre le retour sur son sol de ses ressortissants ne peuvent perdurer. Révisés plusieurs fois, ces traités peuvent être renégociés si cela est nécessaire. Nous considérons qu’ils doivent l’être, afin de mieux répondre aux impératifs auxquels sont confrontés nos deux pays.
Nous souhaitons qu’un accord soit trouvé et que la relation entre nos deux peuples soit préservée, au mieux des intérêts de chacun. Toutefois, la France, tout comme l’Algérie, ne doit pas s’interdire de dénoncer ces accords si aucune solution satisfaisante n’est trouvée, dans le respect du droit international. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Bitz applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la sénatrice Paoli-Gagin, je souhaite rebondir sur le dernier point de votre propos.
Vous avez mentionné l’idée d’une solution qui serait au bénéfice de nos deux peuples. C’est bien entendu ce que nous recherchons. Nous voulons renégocier pour défendre nos intérêts et maîtriser notre immigration, mais sans aller à l’encontre des intérêts du peuple algérien ; nous souhaitons plutôt cibler ceux qui prennent les décisions.
À cet égard, je souhaite évoquer un autre accord, de portée moindre mais qui n’est pas anecdotique, celui du 10 juillet 2007, révisé le 16 décembre 2013. Ce traité prévoit une exemption réciproque de visas de court séjour pour les titulaires d’un passeport diplomatique ou de service. L’accord facilite notre action diplomatique, mais il est devenu clair qu’il est plus avantageux pour les responsables algériens, compte tenu des liens personnels marqués que nombre d’entre eux ont en France ; ils l’utilisent pour faire des allers-retours.
Cet accord peut naturellement être mis sur la table dès lors que la coopération migratoire n’est pas satisfaisante. Cela a été annoncé à la fois par le ministre de l’intérieur et le ministre de la justice, nous avons d’ores et déjà pris de premières mesures restrictives, en durcissant les conditions de son application. De manière générale, il semble souhaitable de viser la nomenklatura algérienne, car les difficultés que nous avons concernent, je le répète, le gouvernement et non le peuple algérien.
Nous avons donc des outils, des instruments, pour défendre nos intérêts dans notre relation avec Alger.
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 27 décembre 1968, la France et l’Algérie ont signé un accord définissant les conditions de circulation, de séjour et de travail des Algériens en France. En octroyant aux Algériens un statut dérogatoire au droit commun, l’accord emporte des conséquences considérables sur notre politique migratoire : il offre à l’Algérie un cadre exceptionnel, très avantageux pour ses ressortissants, dont le contribuable français ignore toutefois totalement le coût.
La France abrite une diaspora algérienne d’au moins 2,6 millions de personnes, dont 900 000 immigrés stricto sensu. C’est le contingent le plus nombreux parmi toutes les nationalités représentées. Cette immigration a explosé. Le nombre d’Algériens présents sur le sol français a été multiplié par trois entre 1946 et 1972, ce qui pose, bien sûr, de nombreuses difficultés.
À peine 10 % des Algériens expulsables ont été renvoyés de façon coercitive. La présidente Jourda l’a indiqué, 43 % des 1 800 places disponibles en centre de rétention administrative (CRA) sont occupées par des ressortissants algériens. Je rappelle que l’auteur présumé de la barbarie de Mulhouse, un Algérien en situation irrégulière sous obligation de quitter le territoire français (OQTF), avait été refusé à dix reprises par l’Algérie.
Malheureusement, je ne dispose pas d’assez de temps pour lister tous les actes de l’Algérie qui font peser une menace directe sur notre sécurité, sans même évoquer certaines révélations faites hier sur une chaîne de télévision.
Je pourrais par exemple parler de la volonté du président Tebboune d’instrumentaliser la haine de la France, de sa volonté de chasser la langue française des écoles privées en Algérie. Pire encore, je pourrais évoquer sa volonté de laisser en France des Algériens soi-disant influenceurs mais qui nous menacent. Permettez-moi de citer quelques messages de ces derniers : « nous allons tous vous violer », « ceux qui savent manier des armes vont vous achever », etc. Je pourrais enfin vous parler du couplet anti-français ajouté dans l’hymne algérien. Mais laissons là ces provocations indignes…
Je souhaite surtout vous parler d’un homme. Depuis plus de cent jours maintenant, cet homme de 75 ans, un écrivain franco-algérien gravement malade, est retenu en otage par l’Algérie. Cet homme, Boualem Sansal, est notre compatriote et notre ami. Il est l’otage d’un régime qui bafoue la liberté d’expression, « un des droits les plus précieux de l’homme », aux termes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Son arrestation à l’aéroport d’Alger ne s’appuie sur aucun motif de droit ; elle procède de la force brutale d’un régime autoritaire qui ne dit pas son nom, d’un régime qui affiche son antisémitisme en demandant à Boualem Sansal de récuser son avocat au motif que celui-ci est juif, qui revendique son mépris envers les juifs, les harkis, les chrétiens et, plus largement, les Européens, notamment les Français.
Et que dire des traitements discriminants et cruels qu’il inflige aux femmes, aux Berbères, aux Kabyles, sans oublier les campagnes racistes perpétrées par les médias d’État contre les migrants, notamment africains ?
M. François Bonhomme. Tout à fait !
Mme Valérie Boyer. Dans ces conditions, pourquoi le Président de la République contredit-il le Premier ministre et le ministre de l’intérieur, offrant ainsi au président Tebboune l’occasion de se jouer de nos divisions, y compris à la une de certains journaux algériens ? Pourquoi exprimer cette repentance perpétuelle, alors que nous ne récoltons en retour que mensonges historiques et humiliations, comme le Président de la République l’a appris à ses dépens et surtout aux dépens de la France, lorsqu’il a parlé de crime contre l’humanité ?
M. François Bonhomme. Eh oui…
Mme Valérie Boyer. Lorsque nous nous engageons sur ce chemin avec l’Algérie, il n’y a ni limite ni fin. Il est temps de se débarrasser des procès en culpabilisation et de la rente mémorielle.
C’est pourquoi, comme nous l’avons demandé au Sénat au travers de notre proposition de résolution déposée par Bruno Retailleau le 26 juin 2023, nous réclamons que le chef de l’État dénonce cet accord, non pas pour rompre définitivement toute diplomatie, mais pour reconstruire une relation sur de nouvelles bases – de fermeté, de respect et de réciprocité, comme des nations matures. Il y va de notre souveraineté. Il est légitime d’avoir une politique migratoire allant dans le sens de la volonté de la France et de l’intérêt des Français, c’est-à-dire efficace et respectueuse.
Mes chers collègues, il faut bien sûr lutter contre ceux qui portent la haine de la France, mais il ne faut pas oublier la main qui nourrit cette haine. Comme l’a justement indiqué Jean Sévillia, on « pourra regarder en face l’histoire de la présence française en Algérie […] le jour où l’opprobre ne sera plus jeté […] sur les Européens d’Algérie et les harkis et leurs descendants », le jour où une volonté de paix et de respect sera partagée sur les deux rives de la Méditerranée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la sénatrice Boyer, je tiens tout d’abord à vous remercier de l’hommage que vous venez de rendre à notre compatriote Boualem Sansal. Je souligne d’ailleurs votre combat puisque, je m’en souviens, vous êtes la première à avoir posé une question d’actualité au Gouvernement sur ce sujet, juste après son arrestation. Nous sommes nombreux à admirer son courage et son œuvre ; je pense par exemple à des livres comme 2084 ou Le Village de l’Allemand. Il porte le combat français pour la liberté d’expression et l’universalisme.
Je veux également réagir à vos propos sur les laissez-passer consulaires accordés aux personnes sous OQTF, une question qui a pris une teinte particulière avec le drame de Mulhouse. Au cours des trois dernières années, le taux de délivrance de ces laissez-passer est passé de 6 % à 41 %, ratio qui reste certes très insuffisant. Tout cela est régi par le protocole de 1994.
Par ailleurs, il y a eu des cas d’Algériens porteurs de documents d’identité – notamment un influenceur que le ministre de l’intérieur a voulu, à juste titre, faire expulser –, qui ont pourtant été refusés par l’Algérie. Il s’agit là d’une violation du cadre qui régit les relations entre nos deux pays.