M. Claude Raynal. Quelle surprise !
M. Hervé Marseille. Certains membres éminents et bien connus de notre groupe – Valérie Létard et Françoise Gatel, ici présentes – font partie de votre gouvernement, monsieur le Premier ministre. De nombreux autres sénateurs sont aujourd’hui ministres : nous nous en réjouissons, car cela n’a pas toujours été le cas.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Hervé Marseille. Nos collègues, nous en avons la conviction, ont les qualités et l’expérience requises pour réussir cet exercice difficile.
Votre gouvernement, comme celui de Michel Barnier avant vous, s’appuie sur un socle parlementaire qui, sans disposer d’une majorité absolue, rassemble la plus vaste coalition à l’Assemblée nationale.
M. Didier Marie. Attendons de voir ce que feront Les Républicains !
M. Hervé Marseille. Je vois dès lors deux conditions à la réussite de votre action.
La première consiste à mettre en place une véritable coordination au sein de ce socle parlementaire, lequel doit être piloté : nous devons dialoguer. C’est sans doute ce qui a manqué jusqu’à présent : une meilleure coordination des groupes politiques et un dialogue de proximité.
Le sens du collectif est important dans le soutien au Gouvernement, car, avant même de discuter avec d’autres partenaires politiques, nous devons savoir ce que collectivement nous sommes prêts à faire ou à accepter, ce que nous voulons et comment nous souhaitons y parvenir.
Monsieur le Premier ministre, votre implication dans l’animation politique du socle parlementaire sera déterminante.
La seconde condition à la réussite de l’action que nous essayons de mener est l’ouverture du dialogue avec la gauche républicaine. Eh oui, si nous ne voulons plus dépendre du Rassemblement national – et j’ai compris qu’il y avait unanimité sur ce point –,…
M. Rachid Temal. Encore heureux !
M. Joshua Hochart. Pas chez les Français !
M. Hervé Marseille. … alors c’est avec les groupes de gauche qu’il nous faut dialoguer pour trouver des compromis.
Ce qui est vrai pour nous l’est également pour la gauche : l’équation est symétrique. La censure du gouvernement Barnier n’a abouti que parce que le Rassemblement national a voté une motion de censure avec l’ensemble du Nouveau Front populaire (NFP).
M. Rachid Temal. Vous nous faites un mauvais procès !
M. Hervé Marseille. Or l’autre conviction qui m’anime est la suivante : dans l’intérêt du pays, nous pouvons trouver des compromis avec la gauche républicaine.
Nous le pouvons d’abord, dans l’ordre des priorités, pour donner à notre pays un budget – la roue de secours qu’est la loi spéciale n’aura qu’un temps. Il nous faut indexer le barème de l’impôt sur le revenu, prolonger le bénéfice de certains avantages fiscaux, permettre l’investissement des collectivités locales, traduire nos engagements pluriannuels en matière de recherche, de justice ou de défense, reconstruire Mayotte et, plus largement, aider les outre-mer.
Il nous faut bien sûr, parallèlement, réduire les déficits : nous ne pouvons plus faire comme s’ils n’existaient pas. Comme vous l’avez souligné, monsieur le Premier ministre, c’est une question de soutenabilité des politiques publiques et de respect vis-à-vis des générations futures.
En un mot, l’intérêt supérieur du pays nécessite l’adoption d’un budget.
Nous pouvons nous entendre, ensuite, parce qu’avec 10 millions de nos compatriotes en situation de précarité la question sociale doit être au cœur de nos préoccupations.
Depuis le « quoi qu’il en coûte » de la période covid, nous avons multiplié les mesures sociales. Cependant, une juxtaposition de mesures sociales ne fait pas une politique sociale. Il nous faut donc une vision globale destinée à soutenir le niveau de vie des Français les moins favorisés.
Commençons par le logement, qui représente en moyenne le tiers du budget des ménages – et je parle de ceux qui ont la chance d’avoir un logement, car l’offre demeure grippée quand la demande ne cesse de croître. Chacun, dans cet hémicycle, aura à cœur d’accompagner la ministre du logement dans la mise en œuvre de moyens et de solutions innovantes.
Par ailleurs, il nous faut de toute urgence répondre au malaise des agriculteurs. Ceux qui m’ont précédé à la tribune l’ont rappelé, le projet de loi d’orientation agricole, dont le Parlement achèvera bientôt l’examen, traite d’un certain nombre de problématiques agricoles bien identifiées, comme la transmission des exploitations.
Le problème de fond demeure celui du partage de la valeur ajoutée. Songeons que, sur 100 euros de dépenses alimentaires, moins de 7 euros seulement vont au producteur. On a bien tenté, par les lois Égalim, de rééquilibrer les choses, mais il faudra rapidement approfondir l’effort. En l’état, les agriculteurs demeurent la catégorie socioprofessionnelle qui compte, en proportion, le plus de personnes sous le seuil de pauvreté, et nombre d’agriculteurs retraités ne touchent même pas le minimum vieillesse. Une proposition de loi récemment adoptée par le Sénat améliorerait leur situation : faisons-la prospérer rapidement.
À cette réalité inacceptable s’ajoutent les contraintes de la transition environnementale ; pour les agriculteurs, c’est insupportable. Il nous faut intervenir à la fois pour leur assurer un meilleur revenu et pour aider le monde agricole à se transformer de manière réaliste et raisonnable.
Évoquons également le problème du ZAN : en la matière, il y a urgence à modifier la loi ; mes collègues Jean-Baptiste Blanc et Guislain Cambier s’y emploient.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Très bien !
M. Hervé Marseille. Toujours au chapitre social, la santé est une autre grande préoccupation de nos concitoyens. Voilà vingt ans que l’on voit grandir les déserts médicaux et, malgré les mesures prises jusqu’ici, ils ne se résorbent pas.
Deux autres chocs nous attendent, de nature démographique : la dépendance et la baisse de la natalité. Il s’agit de sujets majeurs qui vont structurer notre société. Il nous faut de toute urgence en prendre la mesure, afin d’aboutir rapidement à des avancées sur ces dossiers coûteux.
J’en viens aux retraites, sujet permanent de crispations et de clivages, très souvent évoqué dans les interventions précédentes, et dont vous avez rouvert le chantier, monsieur le Premier ministre.
Faisons confiance aux partenaires sociaux pour formuler des propositions constructives. Pénibilité, carrières longues, emploi des seniors constituent notamment des sujets insuffisamment explorés qui mériteraient de compléter la réforme adoptée.
Et, s’il n’y a plus de tabous, il faudra tôt ou tard reparler du temps de travail, car c’est la variable clé, tant pour les retraites que pour tout le reste. Nous travaillons trop peu en France, singulièrement moins, en tout cas, que dans les autres pays de l’OCDE. Dans ces conditions, on ne peut s’attendre à aucun miracle en matière de croissance.
Cette question du temps de travail peut être liée à une autre problématique clé dont vous avez parlé : celle de la simplification. Oui, notre pays souffre d’un excès de normes et de bureaucratie. Cela fait des décennies que nous dénonçons ce phénomène, sans résultat notable, du moins jusqu’à l’adoption de la loi pour la conservation et la restauration de Notre-Dame-de-Paris, dont on connaît le succès.
Suivant cet exemple, voilà que nous sommes invités à voter une nouvelle loi de simplification pour reconstruire Mayotte. Pourquoi ne pas faire pour le pays entier ce qui a fonctionné pour Notre-Dame-de-Paris ou pour les jeux Olympiques ? Tout parlementaire, quelle que soit son appartenance politique, pourra se retrouver dans cet objectif.
Sur les questions institutionnelles, également, nous pouvons avancer : sur le mode de scrutin, comme vous l’avez proposé, sur le cumul des mandats, sur le financement des campagnes électorales ou sur le renforcement du statut de l’élu local. Le Sénat a récemment voté, sur ce dernier sujet, une proposition de loi qu’il convient de faire prospérer au plus vite à l’Assemblée nationale.
Il nous faut également relancer le processus de décentralisation en allant vers plus de différenciation dans les territoires, ainsi que relancer le processus institutionnel en Corse et en Nouvelle-Calédonie.
La dynamique de dépassement responsable des clivages politiques que mon groupe appelle de ses vœux va nécessiter des concessions et des compromis de toutes parts.
Pour autant, il va falloir cesser de penser que progresser, c’est dépenser toujours plus d’argent et augmenter les impôts. Ce que nous devons rechercher en priorité, c’est l’efficacité des politiques publiques.
Pendant que nous censurons et que nous nous disputons à Paris, les taux d’intérêt de la dette grimpent, les défaillances d’entreprises se multiplient, les entreprises appuient sur la pédale de frein et les embauches sont gelées.
Nous devons agir pour rétablir la confiance économique ; à défaut, nous irons au-devant d’une grave crise et nous verrons le retour du chômage de masse.
La situation internationale nous oblige également. Aux États-Unis, l’administration Trump va s’installer dans quelques jours. La Chine, elle, est plus conquérante que jamais. Quant à la Russie, elle n’a aucunement renoncé à ses ambitions. Face à ces géants, l’Europe est malade et a impérativement besoin d’un sursaut. Alors, ne perdons plus de temps !
Monsieur le Premier ministre, vous l’aurez compris : le groupe Union Centriste soutiendra l’action de votre gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP et sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, est-il utile de rappeler encore la gravité de la situation ? Les Français n’ont plus confiance ni en la politique ni dans les politiques.
M. Alexandre Ouizille. Ils n’ont plus confiance en Macron !
M. François Patriat. Ils sont désabusés, parfois haineux, envers les responsables publics. Ils ont vécu les épreuves de ces dernières semaines comme la marque d’une désinvolture du monde politique, celui-ci étant à leurs yeux peu soucieux de l’intérêt général et trop soucieux des intérêts électoraux.
L’esprit de réussite aurait pu perdurer après le succès des jeux Olympiques et la reconstruction de Notre-Dame : nous aurions pu collectivement nous servir de ces exemples pour donner aux Français une raison d’être optimistes.
Las ! le 4 décembre dernier, les oppositions, dans une alliance de la gauche et de l’extrême droite, ont décidé, à notre grand regret, de censurer le gouvernement de Michel Barnier, affirmant que les Français n’en seraient pas affectés.
C’était leur mentir, car la censure a une facture, qui est loin d’être négligeable. Si nous ne pouvons pas encore mesurer à quel point la censure a fragilisé notre travail de redressement de la situation financière, nous savons au moins certaines choses.
Chaque semaine qui passe sans budget, ce sont des économies qui ne sont pas réalisées ; ce sont des agriculteurs qui ne bénéficient pas des mesures de soutien économique dont ils ont tant besoin ; ce sont des collectivités dont les dépenses d’investissement ne sont pas financées et qui ne savent pas quelles seront demain leurs marges de manœuvre et de développement ; ce sont des entrepreneurs qui n’osent pas remplir leurs carnets de commande ; ce sont des associations qui n’obtiennent pas leurs financements.
L’incertitude et l’attente ont d’ores et déjà des effets particulièrement néfastes et récessifs pour notre pays.
Pour couronner le tout, le 14 décembre dernier, le cyclone tropical Chido frappait Mayotte avec une rare violence. Je pense bien évidemment à nos collègues Salama Ramia et Saïd Omar Oili, ainsi qu’à notre ministre chargé de la francophonie, cher Thani Mohamed Soilihi, ici présent.
Les dégâts humains et matériels y sont considérables et, aujourd’hui, nous devons continuer de répondre à l’urgence, tout en préparant la reconstruction. La tâche est immense pour reconstruire et éviter à l’avenir de nouvelles catastrophes : il s’agit d’un effort national légitime et nécessaire.
L’effort, la responsabilité et la stabilité seront les fils rouges de notre action, alors que les périls sont multiples et que le contexte international s’assombrit considérablement, compte tenu des récentes déclarations du président élu Donald Trump.
Monsieur le Premier ministre, vous avez choisi de poursuivre la discussion budgétaire que nous avions entamée. Nous saluons cette décision, alors que le Sénat avait adopté la première partie du projet de loi de finances.
Nous devons collectivement avancer. Les Français, les élus et les entreprises attendent de nous que nous trouvions un accord en la matière.
Le Parlement doit jouer son rôle et trouver les voies et moyens adéquats pour prendre des mesures engendrant des économies, mais aussi de nouvelles recettes, des recettes justes permettant de rétablir la trajectoire budgétaire du pays.
Vous avez choisi une méthode qui m’est chère, celle de la concertation et de la confiance, que j’ai connue avec Michel Rocard et avec d’autres. Monsieur le Premier ministre, vous êtes un homme de compromis, ouvert au dialogue et à la concertation ; encore faut-il néanmoins que face à vous une volonté réponde à cette ouverture.
Je souhaite à cet instant m’adresser à mes collègues socialistes. Mes chers collègues, je suis conscient que vous êtes politiquement pris en étau dans vos circonscriptions (MM. Rachid Temal et Claude Raynal s’exclament.), mais gardez bien en tête que, quelles que soient les concessions que vous accorderez à vos alliés au sein du NFP, ceux-ci revendiqueront toujours d’être plus à gauche que vous.
M. Rachid Temal. Mais non ! Pas toi, François !
Mme Audrey Linkenheld. Arrêtez ! C’est de la politique-fiction !
M. François Patriat. Je sais bien que toutes les turpitudes sont au Gouvernement et toutes les vertus dans l’opposition, mais sortons un peu de ce manichéisme ambiant ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Franck Dhersin et Mme Marie-Claude Lermytte applaudissent également.)
Aujourd’hui, le chemin à tracer pour l’avenir de la France n’est ni celui du chaos et des outrances ni celui de l’irresponsabilité politique et de l’abandon face aux difficultés. Il est celui de la défense de l’intérêt général et de la lucidité dans le traitement des problèmes, celui qui nous conduit à prendre des décisions responsables et courageuses.
Les faits sont simples : l’abrogation de la réforme des retraites coûterait 3,4 milliards d’euros cette année et près de 16 milliards d’euros en 2032 – ces chiffres ne sont pas contestables. Le système par répartition est bel et bien en péril ; le financement des retraites n’est plus équilibré et n’est plus pleinement assuré par le travail. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.) Or c’est le travail – cela a été rappelé – qui reste le moyen de financer nos retraites, et les Français veulent garder leur système par répartition.
Voilà pourquoi, monsieur le Premier ministre, nous soutenons la démarche énoncée hier, celle d’une concertation visant à améliorer ce qui peut l’être dans la réforme des retraites de Mme Borne, que je salue ici avec respect et gratitude. (M. Mickaël Vallet s’exclame.)
C’est aux partenaires sociaux de proposer des évolutions de notre système de retraite, sans dogme ni idéologie,…
M. Mickaël Vallet. Ni exosquelette ! (Sourires.)
M. François Patriat. … en acceptant la réalité démographique et financière du pays, et ce dans un délai restreint de quatre mois.
Le travail doit être la priorité absolue. Si nous avons efficacement lutté contre le chômage, le combat n’est pas fini. Il subsiste des inégalités d’accès à l’emploi – je pense notamment aux seniors –, qui ont un coût collectif considérable.
La valeur travail, dans notre pays, devient une frontière politique. Comment peut-on prétendre la défendre tout en s’opposant aux réformes qui visent à valoriser le travail, qu’il s’agisse des retraites, de l’assurance chômage ou du RSA ? (Exclamations sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Très bien !
M. François Patriat. L’extrême droite et la gauche se sont systématiquement opposées à chacune de ces réformes, je le rappelle.
M. Mickaël Vallet. Mettez les rentiers au boulot !
M. François Patriat. Cher collègue, vous rappelez certains de mes propos : je suis prêt à en discuter avec vous…
Il existe aussi une petite musique, celle du droit à la paresse comme idéal de vie en société.
M. Rachid Temal. Mais non ! Un peu de sérieux !
M. François Patriat. C’est une insulte à l’effort quotidien des Français qui travaillent et financent l’État-providence (Exclamations sur des travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
C’est bel et bien la quantité et la productivité du travail des Français qui nous permettront de poursuivre la revitalisation de nos services publics et de nos territoires.
M. Rachid Temal. Les Français veulent du travail !
M. François Patriat. Assumons, cher Rachid Temal, que la dépense publique n’est pas toujours synonyme d’amélioration du service public. On le voit à l’hôpital, où les investissements ont été massifs. Le plan de relance, la lutte contre les déserts médicaux et le Ségur de la santé représentent un effort de 30 milliards d’euros qu’aucun gouvernement, fût-il de gauche, n’avait jamais réalisé. Pour autant et malgré tout, l’hôpital est aujourd’hui en souffrance.
Il faut rendre leur efficacité aux services publics en sortant du dogme de la dépense comme seule boussole. Attendre tout de la fiscalité et de la taxation, on a déjà essayé et ça n’a pas marché ! (M. Yannick Jadot lève les yeux au ciel.)
Vous êtes attaché à l’agriculture, monsieur le Premier ministre, car, comme moi, vous êtes issu du monde paysan. Aujourd’hui, nos agriculteurs affrontent des défis immenses qui ont été mis en exergue par la crise agricole de l’année dernière. Lourdeur et complexité administrative, inflation normative, surtranspositions, concurrence déloyale, juste rémunération : voilà autant de sujets de revendications légitimes auxquelles nous devons répondre rapidement. Il est temps de redonner à cette profession la fierté et la reconnaissance qu’elle mérite.
Il en va de même pour les élus locaux, qui font face eux aussi à une inflation normative et à une suradministration, alors même que, par ailleurs, ils ne bénéficient plus aujourd’hui de la reconnaissance qu’ils méritent pour leur engagement. Nous vous invitons, monsieur le Premier ministre, à réconcilier l’État avec les élus. L’évolution qu’il faut apporter est certes législative et réglementaire, mais c’est avant tout un changement d’ordre culturel qui doit avoir lieu au sein de l’administration française.
Enfin, la situation dramatique de Mayotte a été évoquée ; je n’y reviens pas. Elle ne doit pas oblitérer les grandes difficultés que l’ensemble des territoires ultramarins rencontrent actuellement. Une attention et un effort particuliers doivent leur être accordés.
N’oublions pas non plus qu’il est impératif de poursuivre le travail en faveur de la transition écologique, que personne n’a mentionnée cet après-midi. (M. Yannick Jadot s’exclame. – M. Rachid Temal lève les yeux au ciel.)
L’impasse dans laquelle les partis placent le pays est insupportable. Pour restaurer la confiance, il faut redonner des perspectives dans toutes les politiques publiques, et non seulement en matière de budget. La recherche, l’innovation et le travail sont des priorités absolues.
Nous le savons tous, la confiance ne se décrète pas, elle se construit. Vous pouvez compter sur nous, monsieur le Premier ministre, pour vous aider dans cette tâche vitale.
Je veux citer l’exemple de Pierre Mendès France, avec qui j’ai commencé ma vie politique et dont la figure a été évoquée hier. (M. Guillaume Chevrollier ironise.) La trace positive qu’il a laissée dans l’histoire de notre pays est décorrélée du temps effectif pendant lequel il est resté au pouvoir. Aujourd’hui encore, il demeure un exemple. Sa conception de la démocratie était exigeante. Selon lui, la vertu politique exige des élus et des responsables politiques qu’ils placent leur devoir et leur fidélité au-dessus de leurs intérêts de carrière, de leur ambition, de leur réélection. Cet appel au courage, à l’action, au risque de l’impopularité, résonne toujours.
Nous serons à vos côtés, monsieur le Premier ministre, pour vous aider à réussir dans votre démarche. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP et sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – MM. Jean-François Husson et Alain Milon applaudissent également.)
M. Yannick Jadot. Pas de Mélenchon Premier ministre, on le saura ! (Sourires.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, j’aimerais pouvoir commencer par vous souhaiter une bonne année 2025, mais je crains que les défis qui vous attendent, que vous avez vous-même qualifiés d’himalayesques, ne vous fassent prendre ces vœux pour de l’ironie.
Personne ne me contredira si je dis que les Français sont inquiets, car l’année s’annonce comme celle de tous les dangers.
Il y a d’abord le risque de crise financière, économique et sociale en cas de nouvelle censure ou de vote d’un budget sans boussole, qui n’inspirerait confiance ni à nos concitoyens, ni aux agences de notation, ni à nos partenaires européens.
Il y a ensuite la situation internationale, qui n’a jamais été aussi alarmante, entre l’alliance des dictatures, la multiplication des régimes illibéraux, les menaces sur les démocraties, les rivalités entre grandes puissances et les guerres qui ont cours jusque sur notre continent.
À ces inquiétudes s’ajoutent deux questions menaçantes, à plus ou moins long terme : la France risque-t-elle de voir un jour les populistes arriver au pouvoir ? L’Europe va-t-elle, poursuivant son insouciant déclin, laisser s’effacer peu à peu sa place dans le monde, comme à la lisière de la mer un visage de sable ?
C’est dire à quel point le succès de votre gouvernement devait être souhaité par tous ; mais tel n’est pas le cas. Certains souhaitent son échec – c’est même leur stratégie. La France est prise en effet dans la tenaille de son double extrémisme.
À l’extrême gauche, le matamore des estrades et des plateaux télé, le chien-chien à son Poutine (Bravo ! et rires sur les travées du groupe Les Républicains.), après avoir imposé sa cour des miracles à l’Assemblée nationale, s’est arrogé le droit illimité d’affirmer de manière catégorique des âneries. La sous-intelligentsia des ragots sociaux se charge de les faire tourner en boucle, contribuant de façon décisive au degré zéro atteint aujourd’hui par le débat politique.
À l’extrême droite, le communiqué glaçant publié à l’occasion de la mort du fondateur du Front national, où Freud aurait vu l’un des meilleurs exemples de retour du refoulé, nous rappelle que la dédiabolisation n’était qu’un bobard pour les gogos : les principes tracés par le patriarche et par son cortège d’anciens collabos n’ont pas changé et Bardella préside désormais le groupe illibéral prorusse et anti-Europe d’Orban au Parlement européen.
Les stratégies des deux extrêmes sont les mêmes : la crise de régime et la présidentielle anticipée. Mais leurs tactiques respectives diffèrent.
LFI censure en rafale, à la kalachnikov : un texte, une censure. Neuf fois sur dix, cela ne marche pas, mais cela donne une tribune permanente pour agonir le Gouvernement. Le Rassemblement national n’a plus qu’à décider du moment opportun pour s’y associer : on lui offre la censure sur étagère. C’est ce qui s’est passé le 4 décembre dernier, juste après les réquisitions du procureur dans le procès des députés européens – il fallait détourner l’attention.
Cependant, le total des voix extrêmes à l’Assemblée nationale ne suffit pas à faire adopter une motion de censure. S’il y a eu censure, c’est parce qu’en 2024 un parti social-démocrate de gouvernement a uni ses voix à l’extrême droite et à l’extrême gauche pour renverser un Premier ministre républicain. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, UC et Les Républicains.)
M. Mickaël Vallet. Nous ne sommes pas sociaux-démocrates, nous sommes socialistes !
M. Claude Malhuret. C’était une faute politique et, surtout, c’était une faute morale. Je ne crois pas, et surtout je n’espère pas, qu’une telle faute se reproduira. Les Français prennent en effet conscience jour après jour que la censure, dont ses promoteurs avaient juré qu’elle n’était qu’une péripétie, a des effets désastreux sur l’économie, sur la société et sur l’image du pays.
M. Mickaël Vallet. Et la dissolution, elle n’est pas néfaste ?
M. Claude Malhuret. Elle a mis le pays en pause, et une nouvelle censure le plongerait dans le chaos. Il est peu probable que nos concitoyens pardonnent à ceux qui s’aviseraient de recommencer.
Depuis 2022, et plus encore depuis la dissolution, un nouveau monde politique est né, dont ni les électeurs ni les élus ne maîtrisent les règles, notamment la première d’entre elles : comment gouverner sans majorité ?
Soit les partis de l’arc républicain sont assez intelligents et courageux pour trouver les compromis qui leur permettront de conduire le pays, soit, après la décomposition, la recomposition se fera au profit de l’un des extrêmes – et il n’est pas difficile de deviner lequel.
Nous avons donc tous une grande responsabilité à assumer, nous avons tous des efforts à faire et nous avons tous de graves difficultés à surmonter pour y parvenir. C’est sans doute pour la gauche républicaine que ces difficultés sont les plus fortes. Il va falloir qu’elle trouve le courage de s’arracher des griffes d’une alliance qui, depuis deux ans, et plus encore depuis le 7 octobre 2023, l’entraîne à la remorque d’une secte lancée dans un naufrage moral et politique.
Ce divorce sera d’autant plus dur que le gourou de la secte ne manquera pas de clouer au pilori ceux qu’il qualifiera de « traîtres », avec toute la meute de ses affidés et de leurs réseaux sociaux.
Si cette gauche modérée devait céder une fois de plus au chantage électoral et s’associer de nouveau à la chute d’un gouvernement, les populistes des deux bords sauraient qu’ils ont gagné et qu’il ne faudra plus longtemps avant que s’installe en France, comme dans tant d’autres démocraties, un régime illibéral.
Ce ne sera pas facile pour nous non plus. Deux acquis de l’action des gouvernements depuis 2017 me paraissent peu contestables : les mesures fiscales qui ont permis à la France de retrouver son attractivité et d’enregistrer une baisse du chômage, et le retour à l’équilibre – précaire, impopulaire, mais indispensable – du système de retraite.
Sur la réforme des retraites, « tout est sur la table », dites-vous, monsieur le Premier ministre. Sur les impôts, la phrase parue dans Le Parisien, « pas de hausse d’impôts pour les classes moyennes », suggère qu’il pourrait y en avoir pour d’autres.
Nous comprenons que l’enjeu majeur de la stabilité de nos institutions impose des choix douloureux, et nous sommes prêts à opérer les compromis nécessaires, mais nous ne saurions en faire avec la réalité, comme vous le proposent certains des membres de cette assemblée. Or le principe de réalité, c’est l’ordre dans les comptes et l’ordre dans la rue.
Lors de l’examen du budget de Michel Barnier, l’Assemblée nationale, en un accouplement incestueux des deux populismes, a voté 60 milliards d’euros de dépenses supplémentaires et supprimé toutes les économies prévues, avant de voter une motion de censure irresponsable.
C’est dans ce paysage surréaliste, monsieur le Premier ministre, que vous allez devoir gouverner, face à des députés extrémistes ayant perdu toute mesure et grisés par leur nouveau pouvoir de faire tomber les gouvernements.
Ce sera difficile, car il reste une dernière question qui n’est pas la moins angoissante : nous sommes proches du point de non-retour au-delà duquel trop de gens dépendent de l’État et au-delà duquel, donc, on ne peut plus rien changer, car trop d’intérêts, trop de « clients », au sens romain du terme, sont concernés. Si nous n’inversons pas à temps cette trajectoire, c’est une crise, inéluctablement, qui s’en chargera.
C’est le dernier enjeu du débat : si nous devions en arriver là, et si la France devait refuser de faire les efforts qu’elle a exigés en leur temps de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce, efforts qui ont porté leurs fruits, elle ferait peser un risque énorme sur l’unité européenne. Ce ne sont pas seulement les Français qui, très rapidement, nous en tiendraient rigueur : ce sont tous les Européens, dont j’ai indiqué en préambule à quel point, dans le monde d’aujourd’hui, leur avenir est en suspens.
Monsieur le Premier ministre, j’espère et je crois, pour toutes les raisons que j’ai évoquées, que toutes les forces de l’arc républicain seront au rendez-vous pour vous aider, car il faudra qu’aucune voix ne manque. En ce qui nous concerne, nous prendrons bien sûr notre part. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, UC et Les Républicains.)