Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Catherine Di Folco,

Mme Patricia Schillinger.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution.

La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP et sur des travées des groupes UC, Les Républicains et RDSE.)

M. François Bayrou, Premier ministre. Monsieur le président, je n’ai pas l’intention de refaire le – long, diront certains (Exclamations amusées.) – discours de politique générale que vous avez entendu hier par la voix de Mme la ministre d’État Élisabeth Borne. Je veux simplement rappeler les grandes lignes de cette déclaration.

En matière de politique internationale et de géopolitique, nous sommes entrés dans un temps extrêmement dangereux. Les nations qui ont vécu pendant soixante ans, soixante-dix ans, trois quarts de siècle, dans un ordre qui paraissait établi et impossible à bouleverser ont basculé, au moment de l’attaque de la Russie de Vladimir Poutine contre l’Ukraine, dans un autre univers, où commande la loi du plus fort, la loi de celui qui impose sa loi aux autres, par la force militaire ou par d’autres moyens.

Autour de cette agression inimaginable pendant si longtemps se sont unis des pays qui ont profité de ce bouleversement de l’ordre international pour se glisser dans l’alliance de ceux qui contestent la validité des lois et des règles en vigueur.

Naturellement, on a vu l’Iran ou la Corée du Nord prendre part à cette agression par la fourniture d’armements qu’ils produisent ou la mobilisation de forces humaines sur le terrain, dans cette Ukraine hélas ! si profondément blessée.

Ce premier élément, d’ordre militaire, a entraîné des conséquences économiques, commerciales, industrielles.

Je l’ai indiqué hier dans ma déclaration : selon des chiffres qui viennent de tomber, la Chine, au mois de décembre dernier, a passé le cap des 1 000 milliards d’euros d’excédent commercial – 1 000 milliards d’euros d’excédent commercial !

Nos pays, notre Europe, sont en quelque sorte paralysés, parce qu’eux respectent un certain nombre de règles que d’autres, adoptant une démarche de dumping extrêmement agressive, ne respectent pas.

Et puis, nous le savons bien, la politique intérieure des États-Unis, qui ont été pendant très longtemps nos alliés dans la défense de cet ordre international, a pris un nouveau cours, celui d’une affirmation de la puissance et d’une tentative de domination technologique, industrielle, commerciale assises sur un système judiciaire extrêmement efficace, qui impose les décisions du gouvernement américain à tous ses partenaires, notamment à tous ceux qui utilisent la monnaie américaine dans leurs échanges.

Comme vous le savez, cela crée une situation de déséquilibre, d’incroyables distorsions de puissance et de croissance, l’ensemble des fonds disponibles pour l’investissement se précipitant vers les États-Unis.

Ce matin même ont été rendus publics les taux de croissance des différents pays européens. L’année 2024 a été pour l’Allemagne, comme l’année 2023, une année de récession : –0,1 % en 2023, –0,2 % en 2024. Ainsi le premier pays européen par la taille de l’économie est-il en récession.

Au passage, signalons que la France, quant à elle, a connu une croissance positive, supérieure à 1 % du PIB. Nous pouvons nous prévaloir de cette différence de situation, bien qu’elle soit loin de résoudre tous les problèmes qui sont les nôtres.

Face aux tentatives d’affirmation de puissance et de domination économique, technologique et monétaire que j’ai évoquées, nous n’avons qu’une ressource : que l’Union européenne elle-même s’affirme comme entité et comme volonté.

Vous le savez, c’est ce à quoi travaille la France, ce à quoi travaille le Président de la République, ce à quoi travaillent ici nombre d’entre vous, représentants de diverses sensibilités, animés par cette préoccupation – cette obsession, allais-je dire – de voir l’Europe s’affirmer face aux États continents. Compte tenu de la taille du marché européen et de nos capacités industrielles et de recherche, nous devrions pouvoir rivaliser d’égal à égal avec ces États et contrer leurs tentatives de domination.

Dans cet ensemble, la France connaît une situation particulière. Cette situation particulière se caractérise avant tout par un endettement croissant, qui confine au surendettement, phénomène au sujet duquel quelques-uns d’entre nous – en tout cas celui qui vous parle – ont essayé pendant des décennies d’alerter l’opinion nationale, sans parvenir toutefois à mobiliser toutes les capacités disponibles dans le champ démocratique français. C’est en des termes volontairement réservés, vous le constatez, que je souligne l’impossibilité dans laquelle nous avons été de convaincre notre pays au moment où il était temps – encore temps, déjà temps – d’agir.

Cette situation appelle un redressement, un ressaisissement, dont j’ai tâché hier de définir les grandes lignes – vous les avez entendues par la bouche d’Élisabeth Borne.

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. François Bayrou, Premier ministre. Entrant sans plus attendre dans le vif du sujet (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.),…

M. François Bayrou, Premier ministre. … je vais vous dire maintenant, mesdames, messieurs les sénateurs, quelles sont ces grandes lignes.

Il y a d’abord la question des retraites, qui est devenue centrale – j’allais dire : « obsédante » – dans le débat public français. Et, là encore, pendant toutes ces années, je n’ai pas réussi à mobiliser l’attention sur ce sujet.

Cette question trouve sa source dans l’extrême déséquilibre du financement de notre système de retraite. Pourquoi un tel déséquilibre ? Je vais donner quelques chiffres.

Le montant total des pensions de retraite versées chaque année est de l’ordre de 380 milliards d’euros – je retiens le chiffre de l’année dernière. Système par répartition oblige, ces 380 milliards d’euros devraient en toute rigueur être financés en totalité par les salariés et par les employeurs, les actifs cotisant pour les retraites des pensionnés. Or la somme de l’ensemble des cotisations et des transferts d’impôt affectés au financement du système de retraite représente seulement 325 milliards d’euros. Faite le calcul : restent 55 milliards d’euros,…

M. Stéphane Ravier. C’est le coût de l’immigration ! (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. François Bayrou, Premier ministre. … pris en charge par la puissance publique ?

La part versée par les collectivités locales est située entre 10 milliards et 15 milliards d’euros, tandis que l’État doit abonder le système à hauteur de quelque 40 milliards ou 45 milliards d’euros. Et cela dure depuis des années !

Quand on analyse rétrospectivement la structure de l’ensemble de nos budgets sociaux, on constate que, dès les années 1990, le transfert d’argent public vers le système de retraite représente chaque année environ 1,8 % de notre produit intérieur brut. Or, de cet argent public, nous n’avons pas le premier sou, nous n’avons pas le premier centime ; cela signifie que, depuis des décennies, cet argent, nous l’empruntons. De fait, aujourd’hui, les transferts successivement opérés depuis les budgets publics vers notre système de retraite représentent 50 % de notre stock de dette.

Cette situation a été très longtemps niée, y compris par les organismes officiels, lesquels, voilà encore deux ou trois ans, continuaient de présenter le financement de notre système de retraite comme « équilibré, et même légèrement excédentaire » – j’insiste sur le « et même »…

M. François Bayrou, Premier ministre. Or notre système de retraite n’était équilibré et excédentaire que parce qu’un transfert d’argent public venait rééquilibrer ses dépenses et recettes ! (M. Emmanuel Capus applaudit.)

De surcroît, la structure démographique de notre pays étant évidemment très déséquilibrée, il n’y a aucun espoir que cette situation s’améliore naturellement.

Plus exactement, il n’existe qu’un seul espoir, qui tient à notre politique économique : si le taux d’emploi de la France était celui de nos voisins, si notre productivité progressait comme elle progresse chez nos voisins, nous n’aurions pas, pour le moment, de problème de financement de notre système de retraite. Mais voilà qui est illusoire, évidemment, vu la structure des difficultés économiques que nous rencontrons.

C’est la raison pour laquelle il est impossible d’imaginer l’avenir sans une réforme de notre système de retraite.

À propos de la nécessité d’une telle réforme, Michel Rocard disait, je le rappelle, qu’il y avait de quoi faire tomber dix gouvernements ; dix, l’estimation était à mon avis bien modeste…

Élisabeth Borne, que je remercie d’avoir accepté d’intégrer mon gouvernement, a conduit la dernière réforme. Comme toutes les réformes, celle-ci a été discutée et contestée. Au cours des semaines qui ont été consacrées à la formation du Gouvernement, nous avons noté avec beaucoup d’intérêt que, parmi les partenaires sociaux présents autour de la table, nombreux étaient ceux qui disaient avoir repéré des possibilités d’amélioration de notre système de retraite et estimaient que toutes les voies n’avaient pas été explorées.

Les prenant au mot, nous leur avons indiqué que, le sujet ayant été source de tant de difficultés et de crispations politiques et ayant notamment provoqué la chute du dernier gouvernement, le moment était peut-être venu de poser à nouveaux frais la question et de remettre en chantier, à partir de l’expérience des uns et des autres, cette réforme du système de retraite.

À ma connaissance, les partenaires sociaux se sont tous déclarés partisans de ce travail en commun, que nous allons donc pouvoir reprendre. Tous ! Tous ont dit, dans les échanges que j’ai eus et que le Gouvernement a eus avec eux, que, s’il était possible de rediscuter, ils y étaient prêts. Et c’est ainsi que nous avons ouvert ce nouveau cycle de travail sur la réforme des retraites.

Ce travail est confié principalement aux partenaires sociaux, et à l’État, naturellement, en tant qu’il verse une partie très importante des cotisations de retraite, celle qui concerne les agents publics.

Je sais – j’ai vu, lu ou entendu – que nombre d’acteurs politiques mettaient en doute la capacité ou la volonté des partenaires sociaux à s’entendre. Je veux défendre devant vous l’idée que la confiance dans les partenaires sociaux, c’est-à-dire la démocratie sociale, est l’un des piliers de la démocratie française. (Mme Cathy Apourceau-Poly ironise.) Nous considérons que les partenaires sociaux ont toute légitimité à s’entendre et nous faisons confiance aux choix qui peuvent être les leurs.

Ces dernières heures encore, la plupart d’entre eux ont considéré que cet espoir-là était préférable à la stagnation : cela vaut mieux, pensent-ils, que d’en rester à la situation antérieure. Je les réunirai dès vendredi et cette démarche s’appuiera sur un constat indiscutable, puisque je vais demander à la Cour des comptes, dans le cadre d’une mission flash, d’établir la réalité chiffrée du financement du système de retraite.

Mmes Émilienne Poumirol, Marie-Pierre de La Gontrie et Raymonde Poncet Monge. Et le COR ?

M. François Bayrou, Premier ministre. Nous verrons donc ce qu’en dit la Cour des comptes, dont personne ici, me semble-t-il, ne remet en cause l’indépendance. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également. – Brouhaha sur des travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.) Nous devons défendre les institutions, parmi lesquelles la Cour des comptes, qui nous permettent de maîtriser ensemble notre destin.

Les partenaires sociaux vont donc se réunir et débattre, sur une durée assez brève, pour que personne ne puisse nous accuser de vouloir noyer le poisson et jouer l’attentisme. (Exclamations sur les travées des groupes SER et GEST.) J’ai fixé cette durée à trois mois, conformément, d’ailleurs, au souhait d’un certain nombre d’organisations syndicales. Je crois possible et même probable qu’ils trouvent des voies d’amélioration de ce texte.

Si, ensemble, avec, naturellement, la participation du Gouvernement, ils trouvent de telles voies d’amélioration du texte tout en respectant l’équilibre financier de notre système de retraite (Ah ! sur des travées du groupe Les Républicains.), nous les traduirons dans un texte de loi que nous soumettrons à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Si ces négociations débouchent sur un échec complet, nous en resterons au texte actuel (M. Francis Szpiner applaudit.), ce qui est le seul moyen de sauver l’image de notre pays dans le concert international – il suffit pour s’en convaincre de mesurer par exemple le rôle si important qu’ont les agences de notation dans la détermination des conditions d’emprunt ou dans les arbitrages des investisseurs. Pour prémunir notre pays contre tout jugement négatif et toute attaque de ce type, il faut l’affirmer clairement : s’il y a échec de ces négociations, nous en resterons au texte en vigueur.

J’ai entendu les représentants d’un certain nombre de courants politiques dire que, si nous procédions de la sorte, c’était parce qu’en réalité nous avions fait le choix de ne pas bouger, étant entendu que les organisations patronales voudront faire échouer complètement cette négociation. Je ne le crois pas ! (« Pas de mollesse ! » sur des travées du groupe SER.) J’affirme ma confiance, notre confiance, dans les partenaires sociaux : je ne doute pas que tous ont le souhait, le désir et la volonté qu’en la matière des progrès soient réalisés. Et je veux une nouvelle fois souligner combien la démocratie sociale est vitale pour notre pays.

Si, enfin, la négociation et les discussions menées dans le cadre de cette conférence sociale débouchaient non pas sur un accord complet, mais sur des accords partiels,…

M. François Bayrou, Premier ministre. … alors nous reprendrions ces accords partiels dans un texte de loi que nous soumettrions au Parlement, c’est-à-dire à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Pour reprendre une expression qui a été employée tout à l’heure à l’Assemblée nationale, notre « démocratie parlementaire » aura naturellement le dernier mot ; et il est bon qu’il en soit ainsi.

Voilà donc les trois hypothèses.

Désaccord ? On en reste au texte actuel.

Accord complet ? Nous déposons un texte de loi.

Accord partiel ? Nous le traduisons dans un texte d’amélioration de notre système de retraite.

Telle est la voie la plus franche, la plus transparente et la plus honnête qu’il était possible d’emprunter sur ce sujet-là. J’y crois, parce que les partenaires sociaux y croient eux aussi, nombre d’entre eux ayant manifesté leur intérêt pour la démarche ainsi ouverte.

Après le système de retraite, j’en viens au budget.

Nous repartons des acquis du Sénat, donc de l’état du texte tel qu’il était lorsque vos délibérations ont dû s’interrompre, mesdames, messieurs les sénateurs. Pourquoi ? Non pas – et que personne ne prenne mal ce propos – que nous considérions l’actuel projet de loi comme parfait : nul ne peut soutenir cette idée.

M. Jean-François Husson. En tout cas, il est bien !

M. François Bayrou, Premier ministre. Mais nous considérons que c’est là le seul moyen d’aller vite, de donner rapidement – je veux dire dans un temps raisonnable – un budget à la France, en la préservant des dégâts que l’absence d’un tel texte ne manque pas d’occasionner pour notre société tout entière.

C’est donc du texte établi par le Sénat que nous repartirons.

M. Jacques Grosperrin. Bonne chance…

M. François Bayrou, Premier ministre. Monsieur le président, puisque vous avez réclamé transparence et sincérité budgétaire, j’indique que nous avons retenu une prévision de croissance légèrement plus basse que celle qui avait été inscrite dans le texte initial : l’hypothèse est désormais de 0,9 %, conformément au chiffre avancé par la Banque de France, contre 1,1 % avant la censure.

De même, nous revoyons à la baisse le taux d’inflation, le ramenant à 1,5 % ou 1,6 % – 1,4 %, m’indique d’un signe Mme la ministre chargée des comptes publics !

M. Jean-François Husson. C’est mieux !

M. François Bayrou, Premier ministre. Je le répète, c’est la sincérité budgétaire que nous recherchons.

M. François Bayrou, Premier ministre. Quelles sont les principales évolutions de ce budget ? Nous choisissons de fixer notre objectif de déficit public pour 2025 à 5,4 % du PIB, au lieu de 5 %. Nous espérons y arriver,…

M. François Bayrou, Premier ministre. … en dépit des innombrables interventions de ceux qui, tout en défendant l’équilibre de nos comptes publics, demanderont dans le même temps, avec les meilleures raisons du monde, des crédits complémentaires pour tel ou tel ministère, pour telle ou telle action publique.

M. Jean-François Husson. Pas ici, monsieur le Premier ministre !

M. François Bayrou, Premier ministre. Nous protégeons les collectivités locales : nous avons décidé de nous ranger à la décision du Sénat en ramenant l’effort qui leur est demandé à 2,2 %… (« Milliards ! » sur toutes les travées.), pardon, à 2,2 milliards d’euros, là où le texte initial prévoyait une ponction de 5 milliards.

Cette mesure a évidemment beaucoup de vertus : elle permettra en particulier de rétablir l’équilibre des budgets de fonctionnement des collectivités locales, cet équilibre étant, chacun le sait ici, la clé et la condition des budgets d’investissement.

Si nous protégeons les collectivités locales de la sorte, c’est parce qu’elles sont le principal pôle d’investissement du pays, notamment quand la croissance fléchit. Sur ce point, le Premier ministre et le Gouvernement partagent totalement l’avis du Sénat. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.) Et nous avons bien l’intention de protéger les collectivités locales autant qu’il sera possible.

Pour ce qui est du projet de loi de financement de la sécurité sociale, il convient de noter une évolution considérable, à savoir le choix de relever le taux de progression de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) pour 2025 de 2,9 % à 3,3 %. Cela permettra d’accorder, notamment aux hôpitaux, plusieurs milliards d’euros de moyens supplémentaires. (« Plusieurs millions ! » sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le Premier ministre.

M. François Bayrou, Premier ministre. Tout le monde n’est pas obligé d’avoir le sens des ordres de grandeur. (Exclamations ironiques sur diverses travées.)

M. Pascal Savoldelli. Un peu, quand même !

M. François Bayrou, Premier ministre. On peut tout à fait comprendre que l’arithmétique élémentaire, qui est certes l’une des bases de l’enseignement primaire, ne soit pas le fort de tous…

Toujours est-il que le Gouvernement a décidé d’assumer cet effort considérable sur l’Ondam : il s’agit de faire en sorte que notre système de santé soit plus équilibré.

Pour l’essentiel, ce sont les arbitrages du Sénat qui ont été retenus. Un certain nombre de facilités ont été acceptées, dont je rendrai compte en répondant aux questions. Vous avez entendu hier quelles seraient les lignes directrices du Gouvernement sur chacune des grandes actions qu’il compte engager. En particulier, nous entendons nous attaquer aux dépenses de l’État qui sont improductives ou excessives. Comme vous nous avez invités à le faire, nous allons étudier de près la question des agences (Ah ! sur des travées du groupe Les Républicains.), passer en revue les dépenses non justifiées, remettre à plat les augmentations dont nous ne parvenons pas à assurer le suivi.

Dans cette entreprise de modernisation du budget de l’État – je n’ai pas employé l’expression « budget base zéro », que d’autres pays européens ont utilisée –, notre ligne directrice consiste évidemment à reconsidérer la structure de nos dépenses publiques au regard de leur utilité sociale et démocratique.

Mesdames, messieurs les sénateurs, avec ce budget, nous proposons la baisse de dépenses la plus importante jamais soumise par un gouvernement à l’Assemblée nationale et au Sénat : 30 milliards – et non millions ! – d’euros ! Cet effort est considérable et très difficile. Tous les ministères, tous les secteurs de l’action publique sont concernés.

Les uns jugeront cet effort excessif, les autres le trouveront insuffisant, y compris dans cet hémicycle. Mais si nous ne prenons pas à bras-le-corps la question du rééquilibrage de nos comptes publics, alors tout ce que nous dirons et ferons par ailleurs restera absolument vain.

Ce budget de courage, par la méthode de réforme qui le sous-tend, nous paraît le seul qui soit à la hauteur de notre mission, c’est-à-dire des défis de l’heure, qu’ils soient nationaux, européens, géopolitiques. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP et sur des travées des groupes RDPI et Les Républicains.)

M. Yannick Jadot. Pas un mot sur l’écologie, monsieur le Premier ministre !

M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.

3

Salutations à une délégation parlementaire

M. le président. Je salue la présence dans notre tribune d’honneur, aux côtés de M. Cédric Perrin, président de notre commission des affaires étrangères et des forces armées, de M. Titus Corlatean, président de la commission des affaires étrangères du Sénat de Roumanie, et de Mme Ioana Bivolaru, ambassadrice de Roumanie en France. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent et applaudissent longuement.)

Leur présence parmi nous, à un moment important de notre actualité politique et constitutionnelle, et alors que la France, comme nation-cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan), dispose de forces armées engagées en Roumanie, souligne la qualité de notre relation avec un pays auquel nous lie une solidarité ancienne et toujours particulièrement vivante. (Applaudissements.)

4

Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat (suite)

M. le président. Dans le débat, la parole est à M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. Mathieu Darnaud. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour la seconde fois en moins de six mois, nous venons d’entendre dans cet hémicycle une déclaration de politique générale.

La répétition d’un tel exercice n’est pas commune sous la Ve République. Elle témoigne d’une instabilité inhabituelle devenue insupportable pour nos concitoyens.

Je ne parlerai pas de crise de régime : nous n’en sommes heureusement pas là. L’extraordinaire plasticité de la Constitution de 1958 nous a protégés et, contrairement à ce que certains laissent croire, nous protège encore.

La situation n’en est pas moins inédite. Elle nous impose des actions fermes, claires et efficaces. Nous en sommes loin… Mais l’audace n’est jamais impossible et la volonté est toujours envisageable.

Monsieur le Premier ministre, je souhaite rendre hommage à votre prédécesseur, Michel Barnier. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.) En octobre dernier, alors qu’il se trouvait à votre place, j’avais insisté sur la gravité du moment et sur notre responsabilité collective. Or, moins de trois mois plus tard, en raison d’une alliance des contraires irresponsable, nous voici revenus à la case départ, et l’urgence qu’il y a à agir s’est accrue.

Je me dois de le dire, n’en déplaise aux mauvais esprits : oui, il faut un budget pour qu’un pays avance et investisse. Oui, il faut de la stabilité politique pour que la République guide et protège. Oui, il faut un programme et une vision politiques pour qu’un gouvernement entraîne son peuple derrière lui, pour que l’on puisse enfin offrir des perspectives aux Français.

Soyons clairs : la France pourra-t-elle encore peser en Europe et dans le monde si elle perd la maîtrise de son destin ? Regardons avec lucidité le monde de 2025 : il ne fera pas de cadeau aux nations fragiles.

Nous devons impérativement retrouver notre force, et quelques réajustements budgétaires n’y suffiront pas. Il nous faudra rien de moins qu’un sursaut historique, comparable à celui de 1958.

Il faut à nouveau dessiner un horizon pour les Français, leur montrer une voie de progrès et d’espoir. Saurez-vous le faire, monsieur le Premier ministre ? J’ose l’espérer.

Vous le savez mieux que quiconque, il y a urgence. La période actuelle se résume d’ailleurs à mon sens en trois mots : urgence, responsabilité, action.

Il y a urgence parce que, pour la première fois depuis 1980, la France est – pour l’heure – dépourvue d’un budget pour l’année en cours ; les Français s’impatientent. Le vote d’un budget, que nous voulons sincère et cohérent, est évidemment indispensable pour répondre aux ambitions de notre pays.

Il y a urgence, car la censure du gouvernement de Michel Barnier a encore exacerbé la crise politique que nous traversons. La France doit désormais retrouver de la sérénité.

Il y a urgence dans un monde instable. Attisées de toutes parts, les tensions géopolitiques peuvent menacer notre souveraineté. La guerre sévit toujours en Ukraine, l’impérialisme américain resurgit et le Moyen-Orient souffre d’une instabilité chronique.

Il y a urgence, parce que la France est fragilisée. Je pense non seulement à notre système de protection sociale, auquel nos concitoyens sont si attachés, mais aussi à notre capacité économique, à notre justice et à notre besoin de sécurité.

Vous avez souhaité mener un dialogue avec les représentants des différents partis politiques. Au nom du groupe que j’ai l’honneur de présider, je me suis rendu aux réunions que vous-même, puis vos ministres, avez organisées, et je vous ai clairement exposé notre projet et nos priorités.

C’est bien du respect de ces priorités que dépend notre soutien au programme que vous venez de présenter ; un soutien que nous voulons vigilant, car toutes les réponses ne sont pas encore apportées,…

M. Mathieu Darnaud. … car des points restent à clarifier.

Monsieur le Premier ministre, c’est bien à la lumière des actes concrets que l’on peut juger d’un programme de gouvernement. Et c’est notamment en sachant vous appuyer sur les travaux du Sénat que vous pourrez répondre aux besoins des Français.

N’en doutez pas : si nous sommes vigilants, c’est que nous sommes responsables. Ni rejet a priori ni soutien inconditionnel : nous jugerons sur pièce. (M. Francis Szpiner applaudit.)

Seules des réponses efficaces aux grandes priorités que nous défendons pourront nous convaincre.

Contrairement à d’autres, nous n’affichons pas d’emblée ces fameuses « lignes rouges » très à la mode par les temps qui courent ; mais nous avons des convictions, et vous les connaissez.

Tel est évidemment le cas à propos du budget. Nous l’avons dit avec force et nous le réaffirmons : nous ne voulons pas de hausses d’impôt. Dans un pays qui détient déjà le triste record du taux de prélèvements obligatoires le plus élevé, cette solution n’est plus acceptable.

N’est-il pas temps d’entériner un changement de paradigme dans les politiques publiques ? Voici une autre de nos grandes priorités budgétaires : osons enfin réduire la dépense publique !

Vous semblez y être prêt. Montrez-nous, montrez aux Français que vous pouvez transformer cet État boursouflé, empêtré dans ses lourdeurs bureaucratiques.

Je pense notamment à la multiplication, au cours des dernières décennies, des agences et des opérateurs de l’État. Au fil du temps, ces structures ont gagné en indépendance, doublonnant les administrations et rendant l’État toujours plus impuissant. Le temps est venu de mener un véritable audit des opérateurs et agences de l’État : en la matière, il existe bel et bien des pistes d’économies.

L’État doit se recentrer sur ses missions premières, être plus efficace et moins dispendieux, aider et protéger les plus faibles sans étouffer les classes moyennes. Ce faisant, il accompagnera mieux les Français dans la nécessaire transition écologique, en préférant enfin l’incitation à la punition, car entraîner est toujours plus utile que de réprimer.

Avant l’interruption des débats budgétaires, les élus de notre groupe ont étudié plusieurs pistes d’économies supplémentaires et formulé des propositions pragmatiques, qui ont été adoptées. N’hésitez pas à vous en inspirer.

Après tout, « Lorsque le Sénat délibère, c’est la République qui réfléchit », disait Gambetta. Pôle de stabilité, assemblée à la fois libre et agile, le Sénat demeure une force de proposition ; sachez en tenir compte.

À cet égard, je me dois d’évoquer un sujet majeur, qui ne peut être dissocié de la problématique budgétaire : je veux parler de notre système de retraite.

En la matière, vous nous avez certes éclairés : vous avez levé quelques doutes, mais vous en avez suscité…