Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Paccaud. Monsieur le ministre chargé de la réussite scolaire, si Marianne exerçait un métier, elle serait probablement professeur, tant République et école sont liées depuis 1880. Elle serait aussi probablement chagrinée par l’annonce de 4 000 suppressions de postes. Comme l’école assure l’égalité des droits et des chances, partout sur le territoire et pour tous, cette décision suscite un certain malaise.
Pensez-vous que nous puissions, avec 4 000 postes en moins, relever les défis éducatifs – mieux encadrer pour mieux enseigner – et, surtout, territoriaux auxquels est confronté notre pays ? La ruralité sera en effet « saignée », les trois quarts des fermetures concernant les écoles primaires de nos campagnes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, INDEP, RDSE et SER.)
MM. Laurent Burgoa et Loïc Hervé. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la réussite scolaire et de l’enseignement professionnel.
M. Alexandre Portier, ministre délégué auprès de la ministre de l’éducation nationale, chargé de la réussite scolaire et de l’enseignement professionnel. Monsieur le sénateur Paccaud, il faut d’abord remettre les choses à leur juste place.
Vous n’ignorez pas la situation budgétaire extrêmement difficile de notre pays, laquelle a été, à très juste titre, rappelée par le Premier ministre. Malgré tout, nous vous présentons aujourd’hui le budget le plus élevé de l’histoire de l’école, ce qui représente – il est important de le rappeler – un effort extrêmement important de la Nation.
Est-ce que tout est parfait ? Évidemment, non. Nous discuterons et travaillerons jusqu’à la dernière minute, avec la ministre Anne Genetet pour améliorer ce budget et engager les moyens qui permettront de faire réussir tous nos élèves. Le débat budgétaire sur l’enseignement scolaire, une étape essentielle, aura lieu lundi prochain.
Une fois les crédits votés, il restera à définir une juste organisation des moyens dédiés à l’école sur l’ensemble de nos territoires. Vous connaissez mon engagement pour l’école rurale, mes combats, mon parcours. Je n’ai pas besoin de vous convaincre : vous savez à quel point je serai mobilisé sur ce sujet.
Aujourd’hui, je veux être parfaitement clair. Il est hors de question que l’école rurale soit l’éternelle sacrifiée, que l’effort ne repose que sur elle, et ce pour une raison simple : l’école, c’est la pédagogie, mais c’est aussi de l’aménagement du territoire – tous les élus ruraux le savent.
Si des efforts doivent être faits, ils doivent respecter un certain équilibre et prendre en compte une notion éminemment importante, la solidarité nationale, car celle-ci passe aussi par l’école.
Je m’engagerai personnellement à ce que, pour chacune des décisions que nous aurons à prendre dans les mois à venir, notamment dans les répartitions intra-académiques, les choix soient les plus mesurés possible, et qu’ils soient toujours faits avec l’accord et en lien avec les élus locaux. Car ces questions engagent la vie, et parfois la survie, de nos communes.
Je tiens également à rappeler que le Gouvernement a alloué, dans ce budget, des moyens importants pour consolider l’école rurale. Je pense notamment aux 3 000 places d’internat supplémentaires dans la ruralité, qui contribuent à consolider la vie de nos territoires. Je pense aussi aux 300 territoires éducatifs ruraux, un dispositif que vous connaissez parfaitement. C’est dans cet état d’esprit que nous aborderons le débat budgétaire lundi prochain. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour la réplique.
M. Olivier Paccaud. Monsieur le ministre, monsieur le professeur, vous faites référence aux territoires éducatifs ruraux. Ceux-ci sont dotés de 6 millions d’euros dans le projet de loi de finances, un montant à comparer aux 2,4 milliards d’euros consacrés à l’éducation prioritaire. On ne peut que relever cette disproportion.
La ruralité, qu’on le veuille ou non, est maltraitée. C’est pourquoi nous ne proposons pas de revenir complètement sur la suppression des 4 000 postes, mais de prévoir une réduction de 2 000 postes. C’est la sagesse sénatoriale !
Vous avez évoqué la problématique budgétaire ; nous avons une solution toute simple : les 75 millions d’euros nécessaires pour préserver ces 2 000 postes seront pris sur les crédits du pacte enseignant, qui augmentent de manière étonnante, puisque les enseignants n’en veulent pas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)
avenir du cursus d’études médicales de l’université de corse
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Panunzi, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Jacques Panunzi. Madame la secrétaire d’État, la convention tripartite relative au fonctionnement de l’université de Corse pour la période 2023-2027 prévoyait une annexe financière consistant en un versement complémentaire à la subvention pour charges de service public de 500 000 euros par an. L’État est donc tenu de verser à l’université de Corse 2,5 millions d’euros sur cinq ans pour couvrir les charges liées à la masse salariale. Pour l’heure, cet engagement n’a pas été respecté.
Parallèlement, l’un des actes prioritaires de la convention est la construction du premier cycle complet d’études médicales à Corte, où, depuis 2004, n’est accessible que la première année. Si tout va bien, la deuxième année devrait ouvrir en 2025.
Or cette ouverture est pour l’heure bloquée, car elle est suspendue à l’accréditation du diplôme de formation générale en sciences médicales par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser). Cette accréditation est conditionnée à l’octroi de la masse salariale nécessaire, laquelle dépend de la subvention de 500 000 euros que l’État n’a toujours pas versée, ni pour 2023 ni pour 2024.
Pour faire simple, le non-respect des dispositions prévues dans l’annexe financière de la convention entrave la mise en œuvre d’un axe pédagogique stratégique, considéré comme prioritaire dans la même convention. Dans une île déjà sous-dotée en infrastructures sanitaires – je pense notamment à l’absence de PET-scan –, reculer sur les études médicales à l’université de Corte constituerait une régression sans précédent.
Je souhaite donc connaître les intentions de l’État, madame la secrétaire d’État, sachant que le versement de cette subvention, engagement contractuel pris par votre prédécesseur, permettrait de débloquer la situation. Je précise qu’il faudra prendre une décision dans les semaines à venir, sans quoi il sera trop tard pour mettre en place la deuxième année du cycle médical à la rentrée 2025. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Marie-Arlette Carlotti et Laurence Rossignol, ainsi que M. Mickaël Vallet applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’intelligence artificielle et du numérique.
Mme Clara Chappaz, secrétaire d’État auprès du ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l’intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur Panunzi, je vous prie d’abord de bien vouloir excuser M. le ministre Patrick Hetzel, qui est retenu cet après-midi à l’Assemblée nationale pour le débat sur le rapport relatif à l’évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur.
Vous m’interrogez sur la question primordiale de l’accès aux soins sur le territoire corse et sur la formation aux études de santé dispensées au sein de l’université de Corse à Corte. Il s’agit d’une question importante, car la Corse doit rester ouverte sur le monde, tout comme le monde est ouvert sur la Corse.
Je tiens à vous rassurer sur la volonté du Gouvernement de faciliter l’accès aux soins de l’ensemble des Corses. Dans cet esprit, nous avons décidé d’accompagner financièrement l’hôpital de Bastia, à hauteur de 10 millions d’euros, après avoir reconstruit l’hôpital d’Ajaccio.
Il est nécessaire de consolider la formation médicale des étudiants issus du territoire en mettant en œuvre un parcours de formation en Corse. Il faut aussi prévoir des lieux de stage plus proches, ce qui est le cas grâce à l’engagement pris en 2024 de les accueillir en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca).
Vous l’avez dit, l’objectif de l’université de Corte est désormais de consolider le premier cycle complet d’études médicales, pour ajouter à la première année déjà existante une deuxième et une troisième année. Sur ce point, un dossier académique est en cours d’examen au sein du ministère. À la suite d’une première expertise, il semble que le dossier de demande d’accréditation doive encore être complété avant son examen par le Cneser.
Par ailleurs, il n’y a aucun recul de l’État par rapport à la convention tripartite que vous mentionnez, et qui couvre la période 2023-2025. La signature en fin d’année n’a pas permis le premier versement correspondant à l’exercice 2023, mais je vous confirme qu’un versement d’un million d’euros sera fait au titre des années 2023 et 2024 à la fin de l’année 2024.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, que le ministère est en lien étroit avec l’université de Corte sur ce sujet. Un temps d’échange est prévu très prochainement afin de préciser certains points du dossier, notamment en ce qui concerne le programme d’enseignement, les conventions avec les établissements de santé ou encore les moyens nécessaires.
Mme la présidente. Veuillez conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Clara Chappaz, secrétaire d’État. Nous connaissons les enjeux qui concernent un tel dossier, que je vous remercie d’avoir porté à notre attention.
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 11 décembre 2024, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Négociations en cours relatives à l’accord d’association entre l’Union européenne et le Mercosur
Débat et vote sur une déclaration du Gouvernement
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat et d’un vote, portant sur les négociations en cours relatives à l’accord d’association entre l’Union européenne et le Mercosur, en application de l’article 50-1 de la Constitution.
La parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Christine Herzog et M. Franck Menonville applaudissent également.)
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, en application de l’article 50-1 de notre Constitution, le Premier ministre a souhaité que soit organisé au Parlement un débat sur l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays membres du Marché commun du Sud, communément appelé Mercosur.
Le Président de la République l’a dit, le Premier ministre l’a dit, je le dis : nous nous opposons à cet accord, tel que la Commission européenne l’envisage.
MM. Jacques Grosperrin et Jean-Baptiste Lemoyne. Bravo !
Mme Annie Genevard, ministre. Ce que nous souhaitons, au travers de ce débat, c’est entériner solennellement la position de la France et lui offrir une assise transpartisane forte, pour que la voix de notre pays puisse résonner dans toute l’Europe.
Je profite de l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer devant vous pour rassurer nos partenaires d’Amérique latine : nous ne souhaitons pas remettre en cause la relation qui, par sa profondeur historique, unit nos deux continents.
Ce que nous souhaitons, en revanche, c’est donner à cette relation l’ambition nécessaire pour qu’elle s’inscrive durablement dans le temps, autrement dit, pour qu’elle se renforce de manière déterminée.
Ce constat, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voudrions que nos partenaires européens l’entendent également : la France, les Français ne souhaitent ni la fin des accords commerciaux ni la fin des échanges agricoles.
Ces accords ont en effet justement permis à notre pays d’occuper le rang qu’il tient aujourd’hui, celui de sixième exportateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires, et de dégager, en 2023, un chiffre d’affaires à l’export de 85 milliards d’euros, ainsi qu’un excédent commercial de 6,5 milliards d’euros.
Aussi la France se tient-elle pleinement mobilisée pour discuter de nouveaux accords, à la condition toutefois qu’ils s’avèrent favorables aux intérêts français et européens, que les débouchés soient au rendez-vous, que nos intérêts essentiels soient pris en compte et que notre modèle agricole et alimentaire soit respecté.
C’est malheureusement le résultat que n’a pas su atteindre l’accord négocié avec le Mercosur au cours des vingt-cinq dernières années. S’il avait été si bon, sans doute aurait-il été conclu depuis longtemps !
Cet accord fait en effet peser un risque économique et sanitaire sur l’agriculture européenne. Il s’inscrit, hélas, comme me le disent les agriculteurs sur le terrain, dans un schéma dans lequel l’Union européenne s’impose des normes rigoureuses sans parvenir à assurer suffisamment leur respect par ses partenaires commerciaux.
Cette dichotomie, nous le savons, conduit pourtant à compromettre la souveraineté alimentaire des Français et des Européens, au détriment de la qualité de leur alimentation.
Aussi, et parce que l’agriculture et l’alimentation sont au cœur de l’identité de notre pays et de notre continent, nous devons signifier aujourd’hui, par notre vote, que nous veillons scrupuleusement à ce que l’agriculture soit traitée à l’international non pas seulement comme un secteur défensif, mais aussi comme un secteur stratégique à promouvoir.
Cette ambition, la France la défendra au travers de la promotion des clauses miroirs, qui plus est assorties de contrôles sérieux. En effet, il n’y a pas de raison qu’une norme nécessaire chez nous devienne moins nécessaire quand elle s’applique à un produit importé.
Dans le cas contraire, mesdames, messieurs les sénateurs, nous en viendrions à renier les efforts que nous avons consentis, depuis près de soixante-dix ans, pour protéger notre modèle agricole européen et la sécurité sanitaire des denrées alimentaires.
Car c’est bien là tout l’enjeu. Les audits menés depuis 2017 par la Commission européenne le démontrent, les dispositifs d’inspection et de contrôle des pays du Mercosur ne sont pas suffisamment fiables et à même de garantir la traçabilité des produits, et certains d’entre eux présentent des failles qualifiées de systémiques.
Dans ces conditions, nous ne pourrions pas garantir à nos concitoyens que la qualité des denrées importées, telle que nous la recherchons en Europe, sera respectée. Nous ne pourrions pas plus assurer à nos agriculteurs que les conditions d’une concurrence loyale seront mises en place.
Pour illustrer mon propos, les exemples ne manquent pas.
En ratifiant l’accord, nous entérinerions le fait que, dans les 180 000 tonnes de sucre auxquelles le marché européen ouvrirait ses portes, nous pourrions retrouver jusqu’à 145 pesticides, dont nous interdisons pourtant l’emploi en Europe.
En ratifiant l’accord, nous accepterions que des aliments qui se retrouveraient dans l’assiette des Européens dépassent jusqu’à six fois les limites maximales de résidus que nous avons adoptées en Europe.
En ratifiant l’accord, nous accepterions de retrouver, dans les 180 000 tonnes de volailles supplémentaires qui accéderaient au marché européen, des molécules déclarées toxiques, mutagènes et cancérogènes, dont nous interdisons légitimement l’usage en Europe.
En ratifiant l’accord, nous accepterions donc que les normes de production européennes ne soient pas respectées et que nos agriculteurs se retrouvent confrontés à une concurrence insupportable.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ne nous voilons pas la face, ces circonstances font peser un risque sérieux sur notre souveraineté alimentaire. Il en résulterait en effet, dans de nombreux secteurs, des ajustements de marché substantiels.
Nous ne pourrions pas expliquer aux producteurs de viande bovine, de volaille, de sucre, d’éthanol, de maïs pourquoi les prix baissent, alors que la rentabilité des exploitations est déjà fragile.
Comme je l’ai dit hier à l’Assemblée nationale, avec cet accord, nous signerions le contrat de délocalisation d’une partie de notre production agricole, car nous importerions, demain, davantage de produits, le respect des normes en moins.
Il serait pourtant inacceptable que l’objectif de reconquête de notre souveraineté, que l’Union s’est fixé dans le sillage de la pandémie de covid-19, soit remis en cause pour un secteur aussi vital que l’agriculture.
À cet égard, les risques sont grands pour l’avenir de la relation entre l’Union européenne et nos agriculteurs. Il est urgent d’agir pour répondre au désarroi de ces derniers. C’est ce que vous disent, j’en suis sûre, ceux que vous rencontrez dans vos départements.
Les ambitions légitimes que la France et l’Europe nourrissent en matière d’environnement, de santé et de bien-être animal ont nécessité de leur part des efforts importants, parfois considérables. Aussi, ne laissons pas cet accord, par sa conclusion, rallumer des braises encore mal éteintes, car c’est le lien de confiance qui unit l’Europe et ses citoyens qui s’en trouverait endommagé.
La France a donc de sérieuses raisons, concrètes, pragmatiques, de s’opposer à l’accord tel que la Commission l’envisage.
L’absence de garanties solides pour nos agriculteurs, notre sécurité sanitaire, notre environnement et notre souveraineté alimentaire préoccupe ailleurs en Europe. Mes déplacements diplomatiques m’ont permis d’en acquérir la conviction. La Pologne – j’ai rencontré son ministre de l’agriculture la semaine dernière – vient d’ailleurs d’annoncer qu’elle s’opposait à cet accord. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Franck Menonville et Bernard Pillefer applaudissent également.)
Dès lors, mesdames, messieurs les sénateurs, si vous en êtes d’accord, le Parlement, le Gouvernement et les Français s’uniront avec détermination, côte à côte, pour convaincre la Commission et les autres États membres que l’Union ne doit pas s’engager dans un tel accord. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDPI et RDSE. – M. Yannick Jadot applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, comme l’a souhaité le Premier ministre, nous avons aujourd’hui l’occasion d’avoir un débat démocratique sur les négociations relatives à l’accord d’association entre l’Union européenne et les pays du Mercosur. Ce débat est essentiel, car il était inconcevable, sur une question d’une portée si capitale, de ne pas associer les parlements nationaux.
Je m’inscris pleinement dans les propos de ma collègue Annie Genevard et je réaffirme avec force la détermination du Président de la République et du Gouvernement sur ce sujet.
Ces négociations, engagées voilà vingt-cinq ans, ont été motivées par des intérêts communs, des affinités entre Union européenne et pays du Mercosur, deux ensembles engagés à dialoguer et à commercer pour des raisons géopolitiques légitimes.
Pour autant, ne prêtons pas le flanc au somnambulisme bureaucratique. Ne nous livrons pas à la négociation automatique, n’acceptons pas un accord qui, tel que le formule la Commission, est inacceptable. Si cette négociation dure depuis plus de vingt ans, ce n’est d’ailleurs pas un argument pour l’achever ; cela prouve justement que quelque chose ne va pas.
Nous l’avons rappelé à la Commission européenne, l’accord d’association entre l’Union européenne et le Mercosur n’est pas qu’un sujet technique. Il a des conséquences majeures pour nos sociétés, nos territoires et nos acteurs économiques. Les agriculteurs, dans la rue, nous le rappellent à leur façon, en construisant des murs avec des parpaings pour représenter la distance qui les sépare de l’administration européenne.
La mobilisation remarquable de plus de 600 parlementaires français, qui ont adressé une lettre à la présidente de la Commission européenne, témoigne de l’implication exemplaire de la représentation nationale.
Cette force d’engagement nous oblige et nous rappelle que les grandes décisions européennes doivent toujours puiser leur légitimité dans les aspirations et les préoccupations de nos concitoyens. Toutes les opinions doivent être entendues, dans le cadre d’une concertation transparente et démocratique.
C’est pourquoi le Gouvernement est pleinement mobilisé pour faire entendre ses positions. À Bruxelles, mardi dernier, j’ai rappelé aux prochains commissaires chargés respectivement du commerce et de l’agriculture notre opposition ferme à la version actuelle de l’accord. Je l’ai redit hier aux représentants des groupes politiques au Parlement de Strasbourg. Mes collègues du Gouvernement et moi-même sensibilisons régulièrement nos homologues à travers l’Europe.
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyons clairs. La Commission doit respecter le mandat que le Conseil lui a donné. L’accord doit être un accord d’association mixte. Un changement de forme, qui permettrait le contournement du vote à l’unanimité des États membres et de la ratification par les parlements nationaux, serait inacceptable et porterait atteinte au respect des compétences des États membres. Ce serait contraire au mandat de 1999, auquel la Commission ne cesse d’ailleurs de se référer.
M. Laurent Duplomb. Très bien ! Ce n’est pas souvent que l’on entend cela !
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Le Gouvernement fournit un effort sans précédent pour partager ses préoccupations avec nos partenaires et souligner, à leur attention, le caractère dangereux de cet accord. Ce discours permet de susciter des préoccupations similaires aux nôtres, comme vient de le rappeler la ministre de l’agriculture.
La version finale de l’accord n’étant pas encore connue, nombreux sont les États membres qui n’expriment pas encore leur position ; il revient à chacun des États de donner publiquement sa position officielle le moment venu. Il suffit néanmoins d’observer les déclarations publiques de figures majeures de la vie politique dans plusieurs pays européens, tels que la Pologne, ou encore de se référer à l’interview récente de la présidente du Parlement européen pour constater que ce débat est désormais pleinement engagé sur la scène publique européenne et que nombre de nos partenaires partagent nos préoccupations, nos interrogations, nos inquiétudes, ainsi que celles de nos agriculteurs.
La dynamique va, me semble-t-il, dans notre sens, même si la vigilance doit, bien sûr, absolument rester de mise.
Que défendons-nous ? La ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt vient de vous exposer avec clarté les graves menaces que la version actuelle de l’accord fait peser sur l’avenir de nos filières agricoles. Je pense qu’elle a parfaitement démontré que l’agriculture ne pourra jamais constituer une variable d’ajustement dans ces négociations.
Ce que nous défendons, c’est la qualité de notre agriculture. Ce que nous défendons, c’est la place de nos agriculteurs dans les chaînes de valeur. Ces derniers ne doivent pas être les oubliés de l’histoire commerciale.
Comme Fernand Braudel dans L’Identité de la France, nous pouvons affirmer que l’agriculture exprime à elle seule une certaine conception de la France. Elle demeure aujourd’hui l’énergie de nos sociétés, nourrissant les populations, façonnant les paysages et jouant un rôle clé dans la transition écologique. (M. Laurent Duplomb s’exclame.) Elle est aussi une activité économique qu’il faut soutenir pleinement.
Rappelons-le, dans ces moments de bouleversements géopolitiques, défendre l’agriculture n’est pas qu’une question identitaire ou sociale, c’est bien un enjeu stratégique. Ce que nous défendons avec force, c’est notre souveraineté alimentaire, au cœur de la vision de la souveraineté européenne exprimée par le Président de la République à la Sorbonne et à Versailles.
Nous voyons émerger une véritable géopolitique de l’alimentation. Des puissances hostiles, comme la Russie, et d’autres peut-être demain, instrumentalisent les relations agricoles. Du covid à l’Ukraine, les crises récentes nous rappellent une leçon simple : nous ne pouvons pas être dépendants des autres quand notre sécurité est en jeu.
Ce que nous défendons également, c’est un monde agricole européen à qui l’on donne les moyens de se battre à armes égales avec ses concurrents internationaux. Souveraineté alimentaire, mais aussi sécurité économique : l’Europe ne peut pas être le dernier dindon de la farce de la mondialisation quand les autres se protègent. Le libre-échange, oui, mais avec des critères de réciprocité et de loyauté. Quand on demande à nos agriculteurs et à nos entreprises d’appliquer des normes environnementales ou sanitaires, il est normal de demander à nos partenaires de faire de même et de pouvoir les contrôler.
Si le temps agricole est le temps de la terre, il faut aussi protéger le temps long, le cycle des saisons. Or dans sa forme actuelle, cet accord est en décalage avec les défis environnementaux de notre époque.
La France s’évertue depuis plusieurs années à défendre une politique commerciale équilibrée et durable. Il y va de la cohérence de nos politiques publiques. Alors que nous imposons à nos producteurs dans tous les secteurs des normes de production de plus en plus exigeantes au nom de l’environnement, nous ne pouvons pas en matière de politique commerciale laisser entrer sur le marché de l’Union européenne des produits moins-disants. Ce serait d’ailleurs contradictoire avec le nouveau paradigme que la Commission européenne a elle-même défini en 2021 en mettant les enjeux de durabilité au cœur des accords de libre-échange. Nous voulons donc que cette approche s’applique pleinement à l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur.
Dès lors, nous ne pouvons pas accepter qu’un accord négocié en 2024 ne respecte pas, contrairement au récent accord avec la Nouvelle-Zélande, les standards les plus exigeants.
Aussi je le redis avec conviction : nous n’accepterons pas un texte qui ne ferait pas de l’accord de Paris un élément essentiel. Une vague référence à cet accord ou une déclaration de principe ne suffiraient pas. Il faut que, en cas de méconnaissance de l’accord de Paris par l’une des parties à l’accord UE-Mercosur, les bénéfices de ce dernier soient suspendus pour la partie fautive.
Nous n’acceptons pas davantage un accord dont les dispositions en matière de développement durable seraient dépourvues de force exécutoire, c’est-à-dire d’un dispositif de sanction.
Nous ne sommes pas seuls à partager ces convictions. De nombreux États sont très inquiets des conséquences environnementales et agricoles de cet accord et sont susceptibles d’exprimer avec nous des demandes additionnelles pour protéger nos filières.
Pour notre part, nous estimons qu’il faut rééquilibrer l’accord de manière importante en y ajoutant des conditions additionnelles robustes concernant l’environnement et l’accord de Paris, d’une part, et un mécanisme de sauvegarde particulièrement protecteur dans le domaine agricole, d’autre part.
À l’évidence, il faut prendre plus de temps sur cet accord, ainsi que le Président de la République et le Premier ministre l’ont eux-mêmes indiqué à de nombreuses reprises.
Ce débat, mesdames, messieurs les sénateurs, nous invite à une réflexion plus large sur notre rapport au commerce international, alors même que la composition de la nouvelle Commission européenne vient d’être confirmée par le Parlement européen. Nous ne devons pas laisser la Commission européenne avancer aveuglément vers ce qui a entraîné la montée du populisme en Europe, aux États-Unis ou ailleurs.
Regardons l’élection présidentielle américaine. Les effets des accords de libre-échange des années 1990 sur la désindustrialisation de la Rust Belt ont porté Donald Trump au pouvoir. Est-ce le moment d’appuyer sur l’accélérateur ? N’est-ce pas plutôt celui de prendre un temps de réflexion et de faire preuve de prudence ?
Partout, les règles du jeu changent, qu’il s’agisse du soutien à l’industrie ou des barrières douanières. La fin de la naïveté commerciale, la défense de nos intérêts – les autres ne se privent pas de le faire pour eux-mêmes –, c’est aussi cela l’Europe puissance. Le projet d’accord commercial avec le Mercosur nous place en situation défensive et ce n’est pas acceptable.
Cela ne signifie nullement que la France et le Gouvernement souhaitent que l’Europe se replie sur elle-même et se ferme au commerce. L’Europe et la France sont des grandes puissances exportatrices ; nos agriculteurs, qui exportent l’excellence française au-delà de nos frontières, le savent mieux que quiconque !
Dans le domaine industriel, nous avons besoin d’accords de commerce pour continuer de diversifier nos approvisionnements, d’ouvrir de nouveaux débouchés et d’accompagner nos entreprises dans la sécurisation de leurs relations d’affaires. Nous avons également le devoir de soutenir nos acteurs économiques sur les marchés internationaux pour les aider à faire face aux fortes turbulences géopolitiques que nous connaissons. Nous serons d’ailleurs très vigilants à ce que le volet industriel de l’accord ne soit pas dégradé.
C’est pourquoi nous devons signer des accords commerciaux répondant à nos intérêts stratégiques réciproques. Plusieurs exemples récents nous montrent que c’est possible : je pense à l’accord UE-Chili, améliorant l’accès au lithium, ou encore l’accord UE-Nouvelle Zélande sur l’écologie. (M. Yannick Jadot s’exclame.)
De tels accords, complets, équilibrés et politiques peuvent alors être des outils géopolitiques puissants.
Oui, l’Union européenne doit nouer des partenariats internationaux à travers le monde. Oui, les pays du Mercosur sont des pays avec lesquels nous partageons une communauté de valeurs, des intérêts économiques et géostratégiques importants. Du reste, le Président de la République l’a rappelé avec conviction lors de son récent déplacement en Argentine et au Brésil : le lien qui unit l’Europe et l’Amérique latine est fondamental, pour affronter les défis globaux ou tisser des relations économiques durables.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je le répète, les accords que nous concluons doivent être équilibrés et justes : il nous faut protéger nos intérêts, comme les autres n’hésitent pas à le faire sur le reste de la planète, et le modèle de société que nous défendons au nom de nos préférences collectives. Il s’agit là de trois points essentiels, non négociables !
Depuis cette tribune, je tiens à vous assurer de ma détermination absolue et de celle de l’ensemble du Gouvernement à marteler notre position et à partager nos arguments de bon sens avec nos partenaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, votre voix compte ; elle est même cruciale. Vous allez voter sur la déclaration du Gouvernement, qui propose de s’opposer à l’accord UE-Mercosur tel que la Commission européenne l’envisage aujourd’hui. Votre mobilisation constante est entendue à travers toute l’Europe, notamment par vos collègues parlementaires européens. Vous êtes des acteurs clés de ce combat. La diplomatie parlementaire en direction de vos homologues de tous les pays européens et vos relais à Strasbourg et à Bruxelles sont des leviers puissants pour porter nos préoccupations et nos exigences au plus haut niveau. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI.)