Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Ronan Dantec. Monsieur le ministre, au-delà de quelques accords techniques, la COP29 de Bakou est un échec.
En effet, les pays riches, anciens ou nouveaux, n’ont pas voulu financer l’action climatique des pays les plus pauvres, qu’il s’agisse de leur stratégie de réduction des émissions de CO2 ou de leur adaptation face aux changements climatiques.
Comme un écho à cet égoïsme global, la France s’apprête non plus seulement à raboter, mais véritablement à tronçonner son aide publique au développement (APD), de l’ordre d’environ un tiers. C’est la seule mission qui est amputée à ce point !
De l’euro investi à la tonne de CO2 économisée, en permettant de financer transports publics, énergies renouvelables ou sauvegarde de la forêt en Afrique, cette politique est pourtant notre politique la plus efficace en matière de lutte contre le changement climatique.
Monsieur le ministre, je souhaite vous poser deux questions simples.
La semaine dernière, en Argentine, le Président de la République a lui-même déclaré « qu’il ne fallait pas aller au-delà de la copie budgétaire initiale. » Sachant que la politique extérieure de la France est un domaine sinon réservé, du moins partagé, allez-vous abandonner le deuxième coup de rabot de 641 millions d’euros prévu par amendement au Sénat, après la baisse déjà massive prévue dans le projet de loi de finances initial ?
Afin de préserver l’équilibre budgétaire, après avoir rangé le rabot ou la tronçonneuse, envisagez-vous d’augmenter les recettes, en l’occurrence le produit de la taxe sur les transactions financières, mise en place par Nicolas Sarkozy et défendue par François Bayrou, pour financer l’aide au développement ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Très bien !
M. Ronan Dantec. Son taux est aujourd’hui plus faible à Paris qu’à la City – 0,3 % contre 0,5 %. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K. – MM. Jean-Baptiste Lemoyne et François Patriat applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la francophonie et des partenariats internationaux.
M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de la francophonie et des partenariats internationaux. Monsieur le sénateur Ronan Dantec, je vous remercie de vos questions. Je sais à quel point vous êtes engagé sur ces sujets.
Le projet de loi de finances pour 2025 prolonge notre contribution à l’effort collectif engagé cette année.
En 2024, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a déjà contribué de façon significative au plan d’économies, avec une réduction de 880 millions d’euros de son budget, soit 12,5 % de celui-ci.
Le budget présenté pour 2025 tient compte de ces annulations, ainsi que d’une économie additionnelle de 200 millions d’euros portant principalement sur l’aide publique au développement, soit une baisse totale de plus de 1 milliard d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2024.
Dans ce cadre contraint, l’effort sur les crédits de l’aide publique au développement devra être réparti sur l’ensemble de nos dispositifs.
Nous cherchons à préserver des moyens en faveur de l’aide humanitaire et des outils bilatéraux, qui nous permettent de développer des projets rapides, agiles et qui rendent visible l’action de la France. Nous mettrons tout en œuvre pour défendre nos priorités.
Néanmoins, plus généralement, des choix devront nécessairement être opérés, notamment parmi nos engagements multilatéraux. Nous devrons consentir des efforts importants pour absorber cette baisse de crédits dans nos actions multilatérales, notamment dans les domaines du climat, de l’environnement, de la santé, de l’éducation, de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Nous devrons également réduire le plan de charge de l’Agence française de développement, qui, concentrant une partie importante des crédits de l’aide publique au développement, devra nécessairement être mise à contribution, comme les autres opérateurs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour la réplique.
M. Ronan Dantec. Monsieur le ministre, à ce niveau, ce n’est plus un effort, c’est du zèle !
Le Sénat fait aujourd’hui de la défense de l’agriculture française sa priorité.
Or, d’après les dernières données du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), l’Afrique contribue aujourd’hui plus que l’Europe au réchauffement climatique du fait de l’effondrement de ses puits de carbone.
Si nous ne participons pas à la stabilisation des émissions africaines de dioxyde de carbone, l’agriculture française n’a strictement aucun avenir ! Il n’y aura plus ni vignes ni élevage. Nous sommes dans un seul monde, où tout est lié. Faisons preuve de responsabilité ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Nadège Havet applaudit également.)
proposition de loi du groupe lfi visant à abroger le délit d’apologie du terrorisme du code pénal
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour le groupe Les Républicains (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Monsieur le garde des sceaux, le 19 novembre, j’ai cru à une fake news : la présidence de l’Assemblée nationale enregistre une proposition de loi visant à abroger le délit d’apologie du terrorisme du code pénal. Déposée par un député La France insoumise (LFI) – Nouveau Front populaire et 67 de ses collègues, soit quasiment la totalité des membres du groupe LFI, ce texte tend à abroger un article inscrit dans le code pénal en 2014, à la suite des attentats que l’on ne peut ni oublier ni pardonner.
En ce triste mois anniversaire des attentats terroristes islamistes sanglants du 13 novembre, alors que la France commémorera bientôt les dix ans des attentats de janvier 2015 et en plein procès Samuel Paty, le dépôt de cette proposition de loi est particulièrement ignoble. J’imagine l’effroi des victimes du terrorisme islamiste en France et de leurs familles !
Cette initiative a provoqué de vives et légitimes réactions à l’encontre de LFI, qui cherche toujours à faire le buzz, malheureusement rarement pour promouvoir la cohésion et l’apaisement de notre pays et souvent pour le fracturer.
Le clientélisme électoral qui sous-tend cette proposition de loi ne fait aucun doute. Assigner à résidence une partie de nos concitoyens par le mensonge, le communautarisme, la victimisation et la réécriture de l’histoire est la dangereuse marque de fabrique de LFI.
Hélas, il semble que nous ne vivions pas tous dans le même pays ! Alors que nous sommes tous sous la menace permanente du terrorisme islamiste, à l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières, ce texte est une faute.
Finalement, monsieur le ministre, cette proposition de loi de la honte nous interroge : un parti politique suscitant la haine et le séparatisme ne peut-il pas être condamné pour une telle initiative ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDPI, RDSE et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question.
Je ne puis que partager votre réaction et votre émotion devant cette proposition de loi. Je ne puis qu’être résolument contre, comme tout responsable public devrait normalement l’être. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. C’est abject !
M. Didier Migaud, garde des sceaux. La liberté d’expression ne permet pas tout. Elle ne permet pas de justifier l’injustifiable, notamment les meurtres de nombreuses victimes, commis de façon ignoble.
Si le législateur a souhaité inscrire cette incrimination dans le code pénal, c’est bien pour que nous puissions disposer d’un outil plus opérationnel encore pour lutter contre le terrorisme. Tout retour en arrière serait proprement ignoble et scandaleux.
Je ne peux une fois de plus que partager votre émotion.
La menace islamiste est toujours très prégnante. Aucun recul ne saurait être justifié sur ce combat, que nous devons mener tous ensemble.
Je veux donc vous redire mon opposition la plus totale et la plus résolue à l’abrogation de cette infraction du code pénal. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
violences faites aux femmes
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Nadège Havet. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Alors que les réquisitions continuent contre les accusés, je veux saluer ici le remarquable courage de Mme Pelicot, qui force l’admiration des sénateurs sur l’ensemble des travées de cet hémicycle. En gardant la tête haute, elle a permis d’aider de nombreuses filles et de nombreuses femmes.
Oui, il doit y avoir un avant et un après-Mazan, un continuum dans la lutte contre le continuum des violences. Nous devons amplifier nos actions.
Madame la secrétaire d’État, votre gouvernement a annoncé, ce lundi, de nouvelles mesures, dont l’une porte justement sur la soumission chimique. Les kits de détection seront expérimentés dans certains départements. C’est une avancée. Soyons très vigilants vis-à-vis de nos adolescents lors des soirées !
Nous le savons, le maillage de proximité est indispensable pour fournir une porte de sortie rapide.
Depuis 2022, la Maison des femmes du Finistère propose un accompagnement à toutes les étapes. Vous proposez aujourd’hui de généraliser cette structure. Nous y sommes évidemment favorables.
Je dis également oui à l’extension du dépôt de plainte aux hôpitaux dotés d’un service d’urgence ou gynécologique. C’est d’ailleurs sur ce point que je souhaiterais vous interroger : quel état des lieux dressez-vous avant l’extension du dispositif en métropole et en outre-mer ?
De janvier à octobre 2024, on dénombre 1 564 victimes de violences intrafamiliales en Finistère, soit sensiblement plus qu’en 2023. Parmi elles, 60 % sont victimes de violences conjugales – c’est le premier motif de garde à vue.
Pour terminer, je rappelle que le 3919 est le numéro national de référence pour l’écoute et l’orientation des femmes victimes de violences. Soyons à la hauteur de leur situation de détresse ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, SER et CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Mme Salima Saa, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et de l’égalité entre les femmes et les hommes, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Madame la sénatrice, je tiens moi aussi à saluer le courage de Gisèle Pelicot. C’est une femme remarquable.
Le procès qui se tient actuellement connaît un retentissement international. Il nous inspire à la fois de l’incompréhension, de la colère et du dégoût.
Face à ce courage, face à ce procès, il y aura, en effet, un avant et un après-Mazan. C’est la raison pour laquelle l’ensemble du Gouvernement se mobilise et a annoncé les nouvelles mesures que vous venez de citer.
Nous nous engageons en effet à ce que l’ensemble des hôpitaux dotés d’un service gynécologique et d’un service d’urgence offrent la possibilité de déposer plainte d’ici à la fin de l’année 2025. Aujourd’hui, 236 conventions ont été signées, et nous en attendons 377 d’ici la fin de l’année sur l’ensemble du territoire. Cela concerne l’ensemble du territoire français, y compris l’outre-mer.
Je fais le lien avec le 3919, que vous avez mentionné. La ligne est aujourd’hui ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Elle accueille la parole des victimes, celle des femmes en détresse, parfois en situation de survie.
Nous allons également, cette année, déployer le 3919 en outre-mer, où il n’était pas assez présent. C’est un engagement fort que nous prenons.
Vous pouvez compter sur l’engagement du Gouvernement ; il est sincère et territorial.
Le Premier ministre a en outre confié à la députée Sandrine Josso et à la sénatrice Véronique Guillotin une mission parlementaire sur la soumission chimique, qui est un nouveau fléau pour notre société – c’est en partie, là aussi, une conséquence du procès de Mazan. Nous attendons vivement les recommandations que ces parlementaires nous feront d’ici au début du mois de mai pour prendre de nouvelles mesures au cours de l’année 2025.
Vous pouvez compter sur l’implication de l’ensemble du Gouvernement en faveur d’un sujet prioritaire, qui nous touche tous, qui concerne tous les foyers, tous les territoires, tous les milieux sociaux, qui concerne l’ensemble de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
situation économique du coq sportif
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Le Coq Sportif vient d’être placé en redressement judiciaire. C’est un coup de tonnerre !
Ça l’est d’abord pour les 330 salariés dont les emplois sont menacés et qui veulent continuer à travailler – des centaines d’emplois indirects pourraient aussi être en danger.
Ça l’est ensuite pour l’Aube, où la désindustrialisation a fait tant de mal. Le mythe funeste d’une France sans usines a laissé des plaies béantes, que nous tentons de soigner en conservant nos fleurons sur les territoires, notamment dans le domaine du textile.
Enfin, pour la France, le Coq Sportif est une marque iconique. Elle a brillé aux yeux du monde entier lors des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, et nos athlètes ont accompli leurs exploits en arborant le fameux coq tricolore.
Cependant, monsieur le ministre, les nuées s’accumulaient déjà à l’horizon depuis bien longtemps.
Ainsi, en octobre, l’entreprise annonçait déjà chercher des solutions de financement. Les mauvais résultats de l’an passé se sont malheureusement confirmés au premier trimestre 2024.
De façon plus globale, le vent mauvais des fermetures d’usines souffle sur le pays. Il faut poursuivre la dynamique de réindustrialisation dans laquelle le Coq s’est inscrit, y compris en rapatriant son centre de recherche et développement (R&D) en France, non seulement en ouvrant de nouvelles usines, mais aussi en trouvant des solutions de financement et de reprise adaptées.
Nous l’avons fait à Romilly, dans la ville du Coq Sportif, grâce au groupe Rebirth, qui vient de reprendre l’usine Cycleurope.
Monsieur le ministre, ma question est simple : quel est le plan d’action du Gouvernement pour soutenir le Coq Sportif et préserver notre outil industriel et nos savoir-faire ? L’entreprise compte sur l’élan des jeux Olympiques pour se relancer ; j’espère que la France pourra compter sur le Coq pour poursuivre sa dynamique de réindustrialisation. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
M. Antoine Armand, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Madame la sénatrice Paoli-Gagin, je vous remercie de votre question et de votre engagement en faveur de l’industrie dans votre territoire de l’Aube. Vous l’avez rappelé, ce département a été éprouvé durement, ces dernières décennies, par plusieurs vagues de désindustrialisation.
Même si, depuis 2016, ce pays crée plus d’emplois industriels qu’il n’en perd, cela n’empêche pas des situations extraordinairement difficiles, comme celle du Coq Sportif.
Cette marque absolument emblématique, comme vous l’avez rappelé, a brillé pendant les jeux Olympiques et Paralympiques. L’entreprise emploie 350 personnes en France sur un total de 410 dans le monde.
Sachez que, sur le plan financier, l’État a été au rendez-vous, d’abord sous la forme d’un prêt garanti par l’État de 10 millions d’euros en 2023, puis par l’intermédiaire d’un prêt du fonds de développement économique et social en 2024, que vous avez contribué à solliciter au niveau du territoire, madame la sénatrice, ce dont nous vous remercions.
Malheureusement, même la période des jeux Olympiques et Paralympiques n’a pas permis à l’entreprise de connaître un sursaut. En septembre, elle a donc demandé l’ouverture d’une procédure collective pour accompagner les salariés dans un nouveau cadre plus sécurisé.
Je tiens, au nom du Gouvernement, à redire la mobilisation totale qui est la nôtre pour trouver toutes les solutions, qu’il s’agisse de chercher de possibles repreneurs ou de sécuriser les compétences. En effet, un emploi industriel est davantage qu’un emploi industriel, car il en résulte des emplois de services et de proximité dans les territoires qui en ont besoin.
Bien sûr, si cela ne suffisait pas, il reste l’accompagnement personnalisé de chaque salarié, soyez-en assurée ! (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour la réplique.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Je vous remercie de ces actions concrètes, monsieur le ministre. Nous veillerons à ce qu’elles se traduisent sur le terrain.
Je signale que le Premier ministre a évoqué la possible création d’un livret d’épargne dédié à l’industrie. En 2021, notre groupe Les Indépendants – République et Territoires a soutenu une proposition de loi en ce sens – j’en étais l’auteur. Il faut effectivement drainer l’épargne des Français pour financer le tissu industriel sur notre territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Franck Menonville applaudit également.)
renforcement des accords bilatéraux en territoires frontaliers
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Véronique Guillotin. Madame la ministre du travail et de l’emploi, un accord sur la réduction de l’indemnisation chômage des travailleurs frontaliers a été conclu entre syndicats et patronat. Si cette réforme était menée à son terme, les conséquences seraient loin d’être neutres : un frontalier récemment licencié pourrait voir son indemnité divisée par deux.
Cette annonce a légitimement provoqué un véritable sentiment d’injustice : la mesure créerait de fait une rupture d’égalité entre deux salariés français à niveau de salaire identique. En effet, le droit européen prévoit que les travailleurs frontaliers cotisent à l’assurance chômage dans le pays où ils travaillent, mais qu’ils bénéficient, en cas de perte d’emploi, d’une indemnisation chômage versée par leur pays de résidence.
Une compensation entre États est bien évidemment prévue, mais elle est très éloignée des réalités économiques et sociales. Pour l’Unédic, l’indemnisation de ces travailleurs frontaliers représenterait un surcoût de 800 millions d’euros, ce qui dans l’état actuel de nos finances, je le conçois, n’est pas acceptable.
Certains de mes collègues ont déjà alerté le Gouvernement sur ce danger : je pense à Annick Jacquemet, ainsi qu’à Cyril Pellevat, qui a récemment déposé une proposition de résolution européenne.
Il y a quelques semaines, madame la ministre, vous indiquiez, dans cet hémicycle, que le Gouvernement avait interpellé la présidence du Conseil européen pour avancer sur un nouveau règlement, et qu’il agissait au niveau national en baissant les indemnités et en redéfinissant l’offre raisonnable d’emploi.
Je vous propose une troisième voie. Êtes-vous prête à entamer sans délai des discussions avec les pays voisins, afin d’aboutir à des accords bilatéraux sur une compensation d’État à État plus juste et plus équilibrée, et, ainsi, à ne pas faire porter l’effort sur les seuls travailleurs frontaliers ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre du travail et de l’emploi.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du travail et de l’emploi. Madame la sénatrice Guillotin, vous avez bien rappelé les termes du débat. Aujourd’hui, le surcoût d’une telle réforme, qui concerne 77 000 allocataires, est de près de 800 millions d’euros pour l’Unédic…
M. Loïc Hervé. Chaque année !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. J’allais le préciser, en effet. Le cumul, depuis 2011, des dépenses liées aux frontaliers représente 11,2 milliards d’euros.
Cette situation résulte d’un règlement européen, qui prévoit que le travailleur frontalier perdant son emploi dans un État membre de l’Union européenne perçoit l’assurance chômage de son État de résidence.
Comme vous le savez, madame la sénatrice, le déficit est essentiellement dû, pour nos travailleurs transfrontaliers, à un différentiel d’indemnisation, qui atteint près de 1 500 euros entre la Suisse et la France, et 500 euros entre le Luxembourg et la France. Ce différentiel est d’autant plus important que les transfrontaliers ont tendance à consommer plus de droits : en effet, 41 % des demandeurs d’emploi transfrontaliers les épuisent, contre 37 % en moyenne.
M. Loïc Hervé. Bien sûr !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Il ne s’agit pas de les stigmatiser. Dans l’accord d’assurance chômage, signé par trois organisations syndicales et l’ensemble des organisations patronales, ce sujet est d’ailleurs à l’ordre du jour.
Pour ma part, j’identifie trois pistes d’action, parmi lesquelles celle que vous avez évoquée.
La première consisterait à tenter de renégocier le règlement (CE) 883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale. Je me rendrai, début décembre, à Bruxelles, pour discuter avec mes homologues européens chargés du travail, la direction générale concernée et les parlementaires de la commission de l’emploi et des affaires sociales.
La deuxième piste est nationale : nous voulons faire évoluer l’offre raisonnable d’emploi, précisément pour que, à offre égale, le référentiel se fasse sur le salaire français, et non sur le salaire genevois ou maastrichtien. Les agences France Travail proches de la frontière doivent aussi mieux accompagner les demandeurs d’emploi transfrontaliers.
M. Loïc Hervé. Très juste !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Troisième et dernière piste : vous avez raison, madame la sénatrice, les discussions bilatérales vont commencer, en particulier avec le Luxembourg et la Suisse, sur cette problématique.
Cet aspect des choses est évidemment important, mais il faut surtout se battre sur les trois fronts en même temps. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.– M. Loïc Hervé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour la réplique.
Mme Véronique Guillotin. Madame la ministre, je pense que la solution bilatérale est la plus prometteuse, celle que le Gouvernement devrait privilégier.
Les travailleurs frontaliers n’ont pas choisi la situation qui est la leur : ils vivent souvent sur un territoire depuis lequel ils vont travailler et cotiser à l’étranger, par exemple au Luxembourg.
Il est urgent que le Gouvernement ouvre des négociations d’État à État. Dans la mesure où nos voisins ont réellement besoin de nos travailleurs frontaliers, nous devrions aborder ces discussions en position de force.
Il est crucial que l’argent tiré des cotisations que ces travailleurs paient à l’étranger soit rétrocédé à la France, et ce pour un juste équilibre ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
arrestation de boualem sansal (ii)
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Monsieur le ministre, l’écrivain Boualem Sansal est emprisonné pour acte terroriste ou subversif, nous disent les autorités algériennes. Cette séquestration arbitraire n’est pas sans rappeler le sort de Soljenitsyne ou de Vaclav Havel.
Il semblerait qu’Alger cherche de nouveau à nuire à notre pays. On pourrait penser que la cause en est la reconnaissance par la France de la marocanité du Sahara occidental, mais, en réalité, tous les prétextes sont bons pour attaquer la France. Face à l’expression de cette haine, qui est Boualem Sansal, si ce n’est le bouc émissaire des tensions entre nos deux pays ? Il incarne le courage à travers ce qu’il fait et ce qu’il dit, lui qui, d’une voix longtemps inaudible, a dénoncé les ravages de l’oppression islamiste.
Son crime, aux yeux du pouvoir algérien, serait d’être devenu Français et, pire encore, d’aimer la France. L’Algérie s’accommode de son histoire et ne cache pas son mépris envers les juifs, les harkis et, plus largement, les Européens, au premier rang desquels les Français. Que dire des traitements discriminatoires et cruels qu’elle inflige aux Berbères, aux Kabyles, ou encore aux femmes ?
Si la France a encore quelque chose à montrer au monde, c’est dans la défense de la liberté et de l’universalisme. Pourtant, sur cette question, nous ne sommes, hélas ! pas unanimes. Une grande partie de la gauche, qui a toujours voulu s’approprier la tradition des Lumières, est totalement muette sur le sort de notre compatriote.
Mme Marie-Arlette Carlotti et M. Mickaël Vallet. Pas ici !
Mme Valérie Boyer. Elle reste plus préoccupée par la suppression du délit d’apologie du terrorisme que par la défense de ce grand écrivain.
Plus grave encore, les dérives victimaires de l’Algérie ont trouvé un écho complice dans certains médias du service public. Comment, monsieur le ministre, accepter de tels propos, qui desservent notre pays, qui desservent la démocratie ?
Nous parlons de l’emprisonnement arbitraire d’un homme de 75 ans, menacé de la peine de mort.
Si l’action diplomatique exige de la discrétion, monsieur le ministre, comment accepter que cette haine de la France trouve un écho dans les médias français et, de surcroît, sur des chaînes du service public ? Comment comptez-vous agir pour libérer Boualem Sansal ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe INDEP. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’Europe.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la sénatrice Boyer, je vous remercie de votre question, qui fait écho à celle du sénateur Demilly, et qui démontre bien l’engagement de l’ensemble de cet hémicycle, ainsi que l’émotion et la stupéfaction de tous les Français à l’annonce de l’inculpation de notre compatriote Boualem Sansal.
Je veux rappeler ici, une fois de plus, que la France est toujours du côté de l’universalisme, de la liberté d’expression et de la liberté d’opinion. Aujourd’hui, nous ne voyons rien dans les activités de Boualem Sansal qui justifie ou accrédite les accusations ayant mené à son emprisonnement. La détention, sans justification, d’un citoyen français, d’un grand écrivain, est inacceptable.
Je réaffirme, madame la sénatrice, l’implication de tous les services de l’État pour suivre cette affaire et faire bénéficier Boualem Sansal des services consulaires auxquels il a droit en tant que citoyen français.
Comptez sur la mobilisation de l’État et du Gouvernement sur ce sujet. (M. François Patriat applaudit.)