M. le président. La parole est à Mme Else Joseph. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Else Joseph. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par un curieux hasard, l’installation de la nouvelle Commission européenne intervient au même moment que l’élection d’un nouveau président aux États-Unis.
Cette coïncidence pourrait sembler anecdotique, mais elle ne l’est pas tant que cela, car la Commission européenne est l’interlocutrice directe des États-Unis sur des sujets comme l’agriculture ou le commerce extérieur.
Les membres de la Commission feront face au nouveau locataire de la Maison-Blanche, qui s’est spécialisé dans l’art de la négociation, comme le rappelle le titre d’un de ses livres.
En effet, en application des traités européens, successivement modifiés pour donner plus de compétences à l’Europe, la Commission dispose de compétences exclusives en la matière. Jouant un rôle clé dans les démarches et dans le traitement de certains contentieux, elle a reçu un mandat exclusif pour négocier, ce qui dans l’histoire n’a pas toujours été sans tension.
Nous avons justement l’occasion de lancer un message de vigilance pour notre agriculture.
L’Europe a ouvert ses marchés, mais sans toujours obtenir de contreparties ou d’équivalences. Elle a parfois dû accepter des pratiques pourtant interdites sur son sol. Le président de la commission des affaires européennes du Sénat, notre collègue Jean-François Rapin, a parlé à juste titre de réciprocité et de préférence communautaire, ces principes semblant toujours oubliés dans les discours européens.
Certains accords comme l’accord économique et commercial global (Ceta), que le Sénat a récemment rejeté au nom de la loyauté des échanges, en sont des exemples. Nous ne devons pas faciliter l’accès à l’Europe de produits agricoles qui ne répondent pas aux exigences que nous imposons à nos propres produits.
De telles aberrations doivent-elles se poursuivre ? Il est dommage que rien n’ait été médité au sujet de l’accord avec le Mercosur…
J’en appelle donc à une politique plus compréhensive envers nos agriculteurs, qui ont beaucoup donné en France et qui restent inquiets.
Toutefois, ne nous défaussons pas en pensant que les seules difficultés viennent de l’extérieur. Elles sont aussi le fruit de problèmes endogènes, d’un manque de vision et d’une absence d’ambition.
L’Europe a aussi découragé par le passé, en menant des politiques absurdes. La Commission, gardienne des traités, les a-t-elle appliqués intelligemment et finement ? Elle a protégé le consommateur sur le marché intérieur, ce qui est une volonté louable, mais nos industries nationales ont aussi droit à la même attention : elles doivent être encouragées.
Je ne citerai qu’un exemple, celui des semi-conducteurs. L’Europe souffre cruellement d’une pénurie des composants nécessaires pour nos ordinateurs, qui jouent aussi un rôle dans le développement de l’intelligence artificielle, en particulier les superpuces. Ma collègue Marta de Cidrac a abordé ce sujet. La crise du covid-19 a révélé la fragilité de l’Europe dans ce domaine. Notre dépendance a été cruellement mise en évidence lors de ce moment critique ; n’attendons pas une crise supplémentaire.
Il y a deux ans, la présidente de la Commission européenne fixait pourtant à l’Europe l’objectif de représenter 20 % du marché mondial des semi-conducteurs en 2030. Il lui reste peu de temps, monsieur le ministre : moins de quatre ans ! Les industries taïwanaises sont prêtes à investir en Europe, mais à ce jour pas en France. Tendons-leur la main, ayons enfin une stratégie dynamique et attractive à leur égard !
Bref, à l’heure des tentations populistes et de l’accumulation des colères, la Commission européenne se doit d’être à la hauteur non seulement des textes fondateurs, mais aussi de l’idéal européen lui-même, au risque, sinon, de créer une fracture définitive et irrémédiable. Chaque pays européen pourrait alors être tenté de faire bande à part. Nous n’avons pas besoin de cela.
Une Europe qui protège est aussi une Europe qui entreprend et qui avance, dans un monde qui sera celui de la revanche du Sud global. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la sénatrice Joseph, vous soulignez l’importance d’une véritable politique industrielle européenne. L’Europe doit protéger ses citoyens. La meilleure réponse face aux populismes est précisément d’entendre les préoccupations sur les questions de sécurité, de migration et de désindustrialisation, lesquelles ont par ailleurs, il faut le dire, fait le succès du candidat Donald Trump.
Face à ces défis européens, nous devons montrer que nous pouvons apporter des réponses européennes, tant pour la maîtrise de nos frontières que pour le soutien à nos industries.
Les politiques européennes, qui protègent les consommateurs, doivent désormais protéger les industries. Cela fait partie des propositions de Mario Draghi relatives à la réforme des politiques de concurrence et des aides d’État.
En effet, si nous voulons peser sur les grands équilibres géopolitiques et économiques mondiaux, nous devons nous poser la question de savoir quel marché est pertinent pour développer nos politiques de concurrence. S’agit-il du marché européen ou bien sommes-nous capables de faire émerger des champions industriels à l’échelle mondiale, c’est-à-dire des entreprises européennes qui pourront être compétitives face aux géants américains ou chinois ?
Tels sont les défis que devra relever la Commission européenne et qui feront partie des priorités de la France au cours des prochaines années.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. De nombreux sujets ont été abordés, mais un point est revenu dans les interventions de plusieurs sénateurs et sénatrices, au-delà des clivages politiques, ce qui montre qu’un consensus, ou du moins une forme de convergence, a pu émerger : nous sommes en effet à un moment de bascule historique et géopolitique pour notre continent.
La guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine est à nos portes, les enjeux climatiques et géopolitiques sont importants, et les résultats de l’élection américaine viennent de nous rappeler une fois de plus la nécessité de prendre notre destin en main. Si nous ne le faisons pas, les règles du monde s’écriront sans nous.
J’aime bien ce proverbe américain selon lequel si vous n’êtes pas à la table, c’est que vous êtes au menu. Par conséquent, si nous ne nous donnons pas les moyens de peser dans les domaines industriel, technologique et commercial et de défendre nos intérêts, y compris en assumant des rapports de force, alors nous serons réduits à n’être qu’un sujet, à jouer un rôle passif dans le théâtre des rivalités des grandes puissances.
Tel est le message que nous portons à l’échelle européenne depuis le discours de la Sorbonne du Président de la République sur la souveraineté européenne.
Puisqu’il est question d’influence, je tiens à souligner que ce discours a entraîné des avancées majeures comme la réponse collective à la crise du covid-19, à travers le plan Next Generation EU, la mise en œuvre du pacte sur la migration et l’asile prévoyant une réponse européenne coordonnée à travers une première sélection des demandeurs d’asile aux frontières de l’Union européenne, le renforcement de l’agence Frontex par l’instauration d’une plus grande solidarité européenne, le développement de nos outils de préférence européenne sur les questions de défense, la fin d’une forme de naïveté en matière commerciale, consacrée par l’application de tarifs douaniers sur les véhicules électriques chinois, en réponse aux pratiques commerciales déloyales de la Chine, la mise en place d’un soutien à notre politique d’innovation et, bien évidemment, le lancement du Green Deal et la défense de nos ambitions climatiques. Voilà autant d’avancées sur lesquelles la France a été pilote ces dernières années.
Si je fais cette liste, c’est non pas pour nous décerner un satisfecit et nous satisfaire de notre bilan, mais pour montrer l’étendue des champs qui restent encore à défricher, à commencer par celui de la compétitivité, de la productivité et de la prospérité de notre continent, qui sera au cœur du portefeuille de notre commissaire Stéphane Séjourné.
Nous devons nous donner les moyens de mobiliser l’épargne publique et privée pour investir massivement dans l’innovation, dans la technologie, ainsi que dans la recherche et le développement.
Il nous faut aussi unifier les marchés de capitaux de notre continent et achever l’union bancaire, c’est-à-dire en réalité finir le marché unique pour donner à nos entreprises les moyens de se développer à l’échelle européenne.
Il faudra aussi investir dans notre industrie de défense.
Tel est le message que nous porterons lors de l’élaboration du prochain cadre financier pluriannuel.
Nous devons nous donner les moyens d’avoir une Europe plus ambitieuse et plus influente dans son voisinage, que ce soit en Géorgie, en Moldavie, en Ukraine – c’est la condition de notre sécurité – ou encore dans les Balkans occidentaux.
Les dossiers prioritaires sont nombreux ; ils sont tous existentiels pour notre continent. Il s’agit de savoir si nous voulons continuer de peser sur les grands équilibres géopolitiques du monde ou si, au contraire, nous voulons laisser à d’autres le soin d’écrire notre histoire et notre destin à notre place. Tel est l’enjeu de ce moment de bascule.
Nous serons au rendez-vous et vous pourrez compter sur le Gouvernement, sur le Premier ministre et sur le Président de la République pour porter la voix de la France, de manière déterminée, à Bruxelles, auprès de nos partenaires européens.
M. le président. La parole est à M. Alain Cadec, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Cadec, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, il me revient la tâche de conclure ce débat – lourde tâche que de conclure après la conclusion !
Une nouvelle Commission européenne est en train de se mettre en place à Bruxelles : la commission von der Leyen II, qui se distingue à bien des égards de la commission von der Leyen I.
Elle s’en distingue tout d’abord en raison d’un contexte politique interne très différent de celui de 2019, qui se reflète à la fois dans la composition du nouveau Parlement européen et dans celle du Conseil européen. Dans les deux cas, on observe un net déplacement du centre de gravité des institutions européennes vers la droite et, pour ce qui concerne le Parlement, une montée inquiétante des mouvements nationalistes.
Elle s’en distingue ensuite en raison d’un environnement international également très différent de celui de 2019, instable et globalement hostile, marqué par la guerre en Ukraine, les événements du Proche-Orient, la menace économique et géostratégique chinoise et la prochaine installation d’une administration américaine protectionniste.
Il en découle une réorientation des priorités de la Commission. S’il est toujours question de poursuivre un agenda environnemental et numérique ambitieux et de conserver un certain attachement de l’Union européenne au multilatéralisme, dans la sphère internationale, ces thèmes cèdent à présent le pas à des objectifs de compétitivité, de croissance, d’emploi, de réindustrialisation, d’autonomie stratégique, économique et militaire et, plus généralement, de défense résolue des intérêts européens dans tous les domaines. Un certain nombre de mes collègues viennent de le souligner.
Pour ma part, je me réjouis de ce nouveau souci de réalisme affiché par la Commission. Reste à voir si la cohésion des États membres et les moyens mis en œuvre seront suffisants pour que de réels progrès puissent être enregistrés sur tous ces sujets, inquiétude que partagent d’ailleurs plusieurs des orateurs qui se sont exprimés.
En effet, ma crainte principale porte sur l’influence que peut avoir la France dans ce contexte. Elle inquiète ses partenaires par les déficits qui plombent ses finances publiques : « une nation qui ne tient pas ses comptes ne peut pas tenir son rang ».
Par ailleurs, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner dans cet hémicycle, notre pays me paraît aujourd’hui très affaibli dans chacune des grandes institutions européennes.
Au Conseil européen, il est représenté par un Président de la République qui non seulement ne pourra se représenter en 2027, mais qui a de surcroît subi, à travers les partis qui se réclament de lui, deux échecs électoraux successifs, lesquels lui ont fait perdre une bonne part de sa crédibilité aux yeux de ses homologues européens.
Au Conseil des ministres de l’Union européenne, notre pays est représenté par un gouvernement de compromis, que je soutiens, mais dont l’assise parlementaire est fragile et qui doit assumer à Bruxelles comme à Paris une situation budgétaire très dégradée, comme je viens de le dire, privant la France de réelles marges de manœuvre politiques.
Au Parlement européen, la France est cruellement sous-représentée dans les deux grands groupes qui ont le plus d’influence sur les politiques et la législation européenne, le Parti populaire européen (PPE) et l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen (S&D). En revanche, elle est surreprésentée dans le groupe Patriotes pour l’Europe, qui s’autoexclut du débat.
Enfin, rappelons que la France a subi de la part de la présidente de la Commission européenne un diktat inédit et humiliant concernant le choix de son candidat, conduisant au retrait de Thierry Breton et à la désignation d’une autre personnalité, insuffisamment qualifiée à mon sens pour exercer des responsabilités de ce niveau.
Le putatif commissaire français se trouve certes paré d’un beau titre de vice-président exécutif, mais alors qu’il est chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle, son portefeuille me semble assez mal défini. Les risques de chevauchement avec les portefeuilles d’autres commissaires sont évidents. Par ailleurs, il n’aura a priori pas autorité sur une ou plusieurs grandes directions générales de la Commission.
Dans ces conditions, comme un certain nombre de mes collègues, je suis assez inquiet sur la possibilité pour la nouvelle Commission européenne de mener dans les mois qui viennent une action véritablement efficace, au service des citoyens européens, et sur la capacité de la France à peser sur les décisions importantes qui devront être prises.
J’espère, bien évidemment, en tant que Français et Européen convaincu, que les faits me donneront tort. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Nouvelle commission : quelle politique européenne et quelle influence pour la France ? »
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt et une heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
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Gestion de l’eau: bilan de l’été 2024 et perspective pour mieux gérer la ressource
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Gestion de l’eau : bilan de l’été 2024 et perspective pour mieux gérer la ressource. »
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.
Dans le débat, la parole est à M. Jean Sol, pour le groupe auteur de la demande.
M. Jean Sol, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’année 2024, qui n’est pas encore terminée, a été marquée par des records de pluviométrie. Cette situation est exceptionnelle et même atypique, puisqu’elle intervient après plusieurs années de sécheresse dans une large partie du territoire hexagonal.
Gouverner, c’est prévoir et c’est donc anticiper. Nous avons la chance au Sénat de disposer d’une délégation à la prospective dont c’est précisément la mission. Son rapport d’information intitulé Éviter la panne sèche – Huit questions sur l’avenir de l’eau, remis à la fin de l’année 2022 et dont j’étais corapporteur, a posé un diagnostic clair et implacable, confirmé par la mission conduite l’année dernière par nos collègues Rémy Pointereau et Hervé Gillé : les cycles hydriques se modifient sous l’effet du changement climatique, faisant alterner des épisodes de fortes précipitations au printemps et à l’automne, et des épisodes prolongés chauds et secs en été, parfois aggravés par des sécheresses hivernales.
Tordons le cou à une idée fausse : nous n’aurons pas globalement moins d’eau. En effet, l’eau est une ressource renouvelable et le réchauffement climatique conduit à s’exposer à plus de précipitations puisque la quantité d’eau qui s’évapore des océans a tendance à retomber en plus grande quantité sur les terres émergées.
En revanche, les périodes de pluie, la distribution géographique et l’intensité des pluies sont déjà en train de changer. Dans le cadre du projet Explore 2070, les chercheurs ont estimé que le débit moyen des cours d’eau pourrait baisser en France de 10 % à 40 %, la variabilité pouvant être accrue tout au long d’une saison, mais aussi d’une année sur l’autre. Nous attendons les résultats de l’étude Explore2 qui devraient affiner ces prévisions et en préciser la géographie. Mais une chose est sûre : tous les territoires, même au nord du pays, seront touchés. Le récent épisode espagnol en est un exemple concret.
Dans ce contexte, ne rien faire serait catastrophique. Gérer l’eau, et la domestiquer, est consubstantiel à la civilisation. Il convient non seulement de se prémunir contre les inondations, mais aussi de sécuriser notre approvisionnement en eau potable, de savoir l’utiliser pour l’industrie, pour la production d’énergie ou encore pour l’agriculture.
Au passage, notons que l’agriculture irriguée ne représente que 10 % des surfaces agricoles, soit moins de 3 millions d’hectares.
Bien entendu, il faut tirer les leçons du passé et ne pas se lancer dans des aménagements hydrauliques néfastes à l’environnement et à la biodiversité. Nous disposons désormais des connaissances nécessaires et d’un cadre juridique très exigeant pour ne pas tomber dans les travers de tels aménagements.
Mais ne tombons pas non plus dans l’excès inverse. Le rapport d’information de la délégation à la prospective que j’ai cité et celui que la mission d’information sur la gestion de l’eau a remis en 2023 rappellent l’un et l’autre qu’il n’est pas mauvais en soi de retenir l’eau pour l’agriculture. Parfois même, le bilan écoenvironnemental peut être très positif : regardez par exemple le fonctionnement des réserves de la Vendée.
Le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique et le plan Eau annoncé au printemps 2023 par le Président de la République montrent qu’il y a une prise de conscience de la nécessité de faire des retenues collinaires et des retenues de substitution pour récupérer l’eau surabondante, notamment en hiver, afin de ne pas avoir à en pomper dans les rivières ou les nappes phréatiques durant l’été.
Sachons appliquer avec discernement le principe de précaution, en n’opposant pas l’environnement à l’activité économique et en essayant de faire dialoguer les différentes parties prenantes. En matière de politique de l’eau, nous faisons le pari que l’ensemble de celles-ci pourront se mettre d’accord au sein des instances de la démocratie de l’eau que sont les comités de bassin et les commissions locales de l’eau.
Les sécheresses successives rendent ce modèle du consensus de plus en plus fragile, mais il n’y a pas d’autre voie que celle du dialogue et de la concertation, sous réserve bien évidemment que les différents acteurs s’engagent de bonne foi.
L’année 2024 nous offre un répit, qui ne doit pas nous faire oublier que les restrictions d’eau pourront revenir très vite. Elles n’ont d’ailleurs pas disparu, cette année, sur la totalité du territoire.
Dans le département des Pyrénées-Orientales, où vous vous êtes rendue, madame la ministre, comme partout ailleurs, l’accès à l’eau est stratégique non seulement pour la population qui y réside, mais aussi pour le secteur touristique et surtout pour nos agriculteurs, viticulteurs, maraîchers, cultivateurs, arboriculteurs et éleveurs. Depuis plusieurs années, les arrêtés préfectoraux relatifs aux mesures de restriction en période de sécheresse se multiplient et tendent à devenir permanents.
Toutes les parties prenantes font des efforts pour s’adapter, qu’il s’agisse des agriculteurs, engagés dans des actions d’économie d’eau, des élus, ou bien encore des acteurs des secteurs de l’hôtellerie et des activités de plein air. Mais ces efforts ne seront supportables à long terme que s’ils s’accompagnent d’une gestion plus active et plus ambitieuse de la part des pouvoirs publics. Il faut sortir de l’immobilisme.
Tous les outils doivent être mobilisés : il faut non seulement faire des économies d’eau, mais également prévoir la réfection des réseaux d’eau potable fuyards. N’oublions pas que, à l’échelle nationale, on estime à un milliard de mètres cubes par an, soit 20 % de l’eau potable produite, la quantité d’eau qui n’arrive pas jusqu’au client final.
Nous devons aussi agir sur l’offre, en utilisant toute la palette des solutions. Il faudra ainsi réaliser de nouvelles retenues de l’eau venant des Pyrénées, là où c’est possible, en plus des barrages de Vinça ou de l’Agly.
Nous devrons développer les retenues collinaires dans les exploitations agricoles, en réduisant la durée des procédures d’autorisation et en les simplifiant, ce qui diminuera aussi les coûts. En effet, le coût des études préalables est bien souvent plus élevé que celui des travaux !
Il conviendra aussi de pratiquer davantage la réutilisation des eaux usées traitées, notamment dans la zone littorale, pour des usages autres que l’approvisionnement en eau potable.
Enfin, nous aurons besoin de prolonger l’aqueduc Aqua Domitia depuis l’Aude jusqu’à Perpignan, afin de pouvoir recourir à l’eau du Rhône quand les Pyrénées n’en fourniront plus suffisamment.
Pour conclure, madame la ministre, mes chers collègues, il n’est pas tenable de faire reposer l’essentiel de la stratégie pour l’eau des Pyrénées-Orientales sur des efforts d’économie. Beaucoup a déjà été fait en la matière. Les communes littorales gèlent le développement touristique pour ne pas davantage solliciter la ressource en période d’étiage. Les agriculteurs s’autolimitent fortement. Le risque est d’abandonner des pans entiers du territoire, qui seront rendus à la garrigue ou à la forêt, dans un secteur à fort danger d’incendie.
Nous n’avons pas le temps d’attendre dix ans avant que ne soient validés les projets de retenues collinaires. Ne soyons pas lents ou timides. Des solutions existent. Arrêtons de multiplier les études et les comités Théodule. N’attendons plus pour agir, car il y a urgence. Les pluies de 2024 ne nous ont donné qu’un court répit. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie M. Sol d’avoir « planté le décor » de ce débat sur l’eau.
Tout d’abord, en effet, la ressource en eau est menacée par le dérèglement climatique. Nous l’avons constaté lors des épisodes de sécheresse particulièrement importants, notamment dans les Pyrénées-Orientales. Nous le constatons encore au travers des inondations qui sévissent de manière répétée dans différentes parties de notre pays. L’enjeu est donc de nous adapter.
Pour cela, nous disposons premièrement du plan Eau, qui traite en particulier les questions de sobriété et de réutilisation de l’eau, en prévoyant la construction d’infrastructures garantissant un meilleur accès à l’eau et une gestion plus efficace sur un cycle complet, au cours d’une année entière.
Deuxièmement, nous pourrons nous appuyer sur la feuille de route concernant la protection des captages. Je veux d’ailleurs vous dire, monsieur le sénateur, que l’étude Explore2 a été publiée, dont les conclusions matérialisent le mur d’investissements qui sera nécessaire pour traiter les métabolites dans l’eau brute. Nous devons nous emparer de ce sujet et c’est l’un des prochains objectifs que nous nous sommes fixés au sein du ministère.
Troisièmement, le Premier ministre a annoncé la tenue d’une grande conférence nationale sur l’eau dont l’objet sera de territorialiser notre politique de l’eau en développant son volet non seulement quantitatif, mais aussi qualitatif.
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Mireille Conte Jaubert. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Mireille Conte Jaubert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, malgré une pluviométrie abondante au printemps et au début de l’été dernier, vingt et un départements ont tout de même dû faire face à des restrictions importantes imposées par les préfectures. Ces mesures montrent bien qu’une gestion durable de l’eau ne peut plus dépendre uniquement des conditions saisonnières, mais qu’elle nécessite des réponses structurelles.
Nous le savons tous, la gestion de l’eau est une question cruciale et l’été 2024 n’a fait que renforcer cette réalité, notamment en Gironde, département qui a été placé en état de crise en raison de la baisse du débit des cours d’eau.
Les périodes de restriction sont devenues la norme et non plus l’exception. Durant l’été dernier, les limitations d’usage ont affecté l’arrosage des jardins, l’irrigation des cultures et même certaines activités économiques. Or ces mesures ne sont que des solutions temporaires qui ne constituent ni une réponse d’envergure ni une réponse de long terme. La gestion de l’eau peut notamment être appréciée au regard de la vétusté de nos infrastructures et de l’inefficacité de notre système de distribution, où chaque goutte compte désormais.
Je souhaite ici poser une question essentielle : comment peut-on accepter que plus de 20 % de notre eau potable se perde chaque jour en raison de fuites ? Ce chiffre, bien trop élevé, n’est pas seulement une donnée technique. Il est aussi le reflet d’années de sous-investissements dans nos réseaux d’eau.
La modernisation de nos canalisations, qui représentent plus de 900 000 kilomètres de réseau déployé à travers la France, n’avance qu’à un rythme de 0,67 % de renouvellement par an. Si l’on continue ainsi, il faudra plus d’un siècle pour remettre à neuf l’ensemble du réseau !
Dans la continuité de ce qui avait été proposé par Nathalie Delattre et le groupe du RDSE lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, je suggère la création d’un fonds bleu de solidarité pour soutenir la rénovation des réseaux d’eau en France.
Toutefois, la mise en place de ce fonds ne pourra pas être efficace si les recettes des agences de l’eau continuent d’être redirigées vers le budget de l’État. Ce prélèvement compromet en effet la capacité de ces agences à investir directement dans l’entretien et l’amélioration des infrastructures hydriques locales.
Si ce transfert budgétaire est maintenu dans les années à venir, d’autres sources de financement devront être envisagées, comme l’établissement de contributions fondées sur la consommation d’eau, sur le modèle de l’ancien fonds national pour le développement des adductions d’eau. Ce fonds, financé en partie par une taxe sur les paris du PMU et par une redevance sur l’eau potable, pourrait servir de référence.
Une fois financé, ce fonds bleu pourrait être redistribué prioritairement aux communes et aux syndicats dont les infrastructures sont les plus dégradées. En Gironde, par exemple, de nombreux syndicats de petite taille peinent à assurer l’entretien de leur réseau, en comparaison de ce qui se fait dans les grandes villes comme Bordeaux.
En partenariat avec les agences de l’eau, les conseils départementaux doivent également apporter un soutien technique aux plus petites communes pour cibler les rénovations et optimiser leur coût.
Enfin, assurer la gestion de l’eau, c’est aussi garantir son optimisation. En ce sens, madame la ministre, je salue votre volonté de compléter le plan Eau sur la protection des captages d’alimentation.
Il faudra aussi sensibiliser toujours plus la population sur les usages non essentiels de l’eau potable, que l’on doit réserver à la consommation humaine et à la préservation de la santé publique.
Si l’été 2024 a vu, comme les précédents, se multiplier les signaux d’alarme, nous avons encore le temps d’agir pour préserver l’eau, cette ressource précieuse pour les générations futures. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe CRCE-K.)