Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Raymonde Poncet Monge. Le groupe écologiste votera donc contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin.
Mme Monique Lubin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les orateurs qui m’ont précédée à cette tribune ont rappelé la genèse du CDIE, issu, en 2018, d’un amendement de la majorité parlementaire d’alors.
L’objet de cet amendement était d’« expérimenter pendant trois ans un nouveau dispositif de travail à temps partagé, le travail à temps partagé aux fins d’employabilité », en s’appuyant sur les entreprises de travail à temps partagé, les ETTP.
L’un des arguments avancés pour défendre cette proposition était qu’en 2018 « les dispositions législatives relatives au travail à temps partagé [étaient] en pratique très peu utilisées depuis leur mise en place qui remonte pourtant à de nombreuses années – en 2005 ».
C’est avec attention que nous avons pris connaissance des arguments des différentes parties prenantes quant à l’expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d’employabilité. Nous avons aussi pu lire le rapport de l’Igas titré Évaluation du contrat à durée indéterminée à des fins d’employabilité, daté du mois de juillet 2023, mais resté curieusement sous embargo…
Voici comment l’Igas y présente le CDIE : « Le salarié est embauché par une entreprise de travail à temps partagé et peut être mis à disposition d’entreprises utilisatrices sans limite de temps et sans avoir à justifier d’un quelconque motif de recours.
« Alors que la loi de 2005 cible cette mise à disposition sur du personnel qualifié auprès d’entreprises qui ne peuvent recruter directement “en raison de leur taille ou de leurs moyens”, le CDIE vise quant à lui “des personnes rencontrant des difficultés particulières d’insertion professionnelle”, sans condition sur l’entreprise de mise à disposition. »
Si l’Igas souligne que le cadre légal du CDIE est plus avantageux pour le salarié que le CDI intérimaire classique pour ce qui concerne la rémunération des périodes d’intermission, son évaluation de l’expérimentation du CDIE n’est pas très favorable ; les inspecteurs généraux demandent a minima une évolution juridique du dispositif.
L’Igas note par ailleurs que, cinq ans après sa création, le succès du CDIE est tout relatif : seuls 5 000 contrats auraient été signés depuis 2018, dont environ 1 500 seraient en cours.
Le grand intérêt du CDIE pour les entreprises qui y ont recours serait la grande flexibilité de la mobilisation de la main-d’œuvre. Cela contribue à faire du CDIE un contrat présentant un faible risque de requalification. Si l’on peut y voir un atout pour l’entreprise utilisatrice, c’est tout de même une vision assez particulière du droit du travail !
Le CDIE peut intéresser les ETTP, les entreprises de travail à temps partagé, car il leur offre plus de flexibilité, d’autant que leur statut n’est pas encadré comme celui des entreprises de travail temporaire. Soumises à de moindres obligations légales et conventionnelles, elles ne connaissent pas non plus la contrainte des conventions collectives.
C’est dire que les intérêts des salariés ne sont garantis, pour une large part, que par la bonne volonté des ETTP. Si ces dernières semblent avoir fait preuve d’une grande bienveillance, l’Igas souligne néanmoins « une grande hétérogénéité des pratiques au sein des ETTP ». Par ailleurs, la bonne volonté de ces entreprises constitue un fondement plus fragile que le droit pour asseoir la situation des travailleurs concernés.
Selon l’Igas, il serait fait recours au CDIE non pas « dans un objectif de mutualisation de l’emploi entre plusieurs entreprises, mais très majoritairement dans un objectif de mise à disposition de salariés auprès d’une seule entreprise, pour des missions de durée en moyenne plus longue que dans le cas de l’intérim classique » – parfois même des missions de durée fort longue !
L’objectif annoncé dans l’amendement qui a permis la création du CDIE, à savoir favoriser le travail en temps partagé, n’est donc pas atteint. Il est d’ailleurs frappant que de grandes entreprises comme La Poste soient d’excellentes clientes du CDIE, alors qu’elles auraient sans aucun doute les moyens d’embaucher les bénéficiaires de CDIE par le biais de CDI traditionnels, voire de contrats de travail intermittent.
Dans ce contexte, le CDIE apparaît comme un moyen pour des acteurs économiques désireux d’avoir une politique salariale et de ressources humaines beaucoup plus souple que ne l’exige le droit du travail. Ils peuvent ainsi officier sans crainte de voir des contrats de travail de court terme requalifiés par la justice.
L’Igas estime enfin que le but avoué du CDIE – assurer l’employabilité des personnes éloignées de l’emploi – n’est pas susceptible d’être atteint au vu du fonctionnement du dispositif. Ses critères de recrutement sont en effet trop larges. Il s’appuie aussi sur un doublement de l’abondement du compte personnel de formation. Le CPF ne serait peut-être pas le bon outil pour ce faire, et les ETTP n’ont en tout état de cause pas toujours pu assurer cet abondement.
Au regard des éléments que nous avons eu à connaître, il apparaît évident que les ETTP ont rempli leur part du travail en ce qui concerne le CDIE. Pour autant, cela ne suffit pas. Rien ne garantit que des acteurs moins scrupuleux ne se saisiront pas de ce dispositif et que les salariés travaillant en CDIE ne resteront pas indéfiniment coincés dans ce statut précaire.
Le CDIE est au contraire susceptible d’apparaître comme un coup de canif porté au droit du travail pour satisfaire des politiques managériales discutables. Le droit du travail est un conquis social, qu’il faut en tout état de cause protéger de stratégies visant à le fragiliser en instrumentalisant les travailleurs.
Arguer que mieux vaut un travail avec très peu de protections sociales et conventionnelles que pas de travail du tout n’est pas audible. Nous avons déjà entendu ce type d’arguments concernant les travailleurs ubérisés, et nous les avons refusés.
C’est la raison pour laquelle nous voterons contre la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à poursuivre l’expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d’employabilité.
Certes, l’Assemblée nationale a recadré le dispositif par voie d’amendement, mais nous considérons qu’il existe suffisamment de solutions dans le domaine de l’insertion par l’économie sans que soit créé un outil supplémentaire qui pourrait être utilisé à des fins non conformes au droit du travail. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Grégory Blanc applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bourcier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Corinne Bourcier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie tout d’abord Mme la rapporteure Frédérique Puissat de son travail.
Le CDIE, contrat de travail à temps partagé aux fins d’employabilité, est né, à titre expérimental, avec la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Il s’appuie lui-même sur la loi de 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, dispositif par lequel une entreprise recrute du personnel qualifié, qu’elle met à disposition d’une entreprise utilisatrice pour une mission particulière.
La différence entre le dispositif de 2005 et le CDIE de 2018 réside dans le public visé par ce type de contrat. Le CDIE cible spécifiquement les personnes qui présentent des « difficultés particulières d’insertion professionnelle », c’est-à-dire des personnes de plus de 50 ans, celles dont le niveau de formation est inférieur au bac, les bénéficiaires de minima sociaux, ou encore les personnes en situation de handicap.
Ce type de contrat dispense l’entreprise utilisatrice de certaines obligations par rapport au CDI intérimaire, avec lequel on le compare beaucoup. En l’occurrence, elle n’est obligée de prouver ni que son besoin est strictement temporaire ni que la mission proposée est limitée dans le temps.
En contrepartie, toutefois, afin que le « E » – pour employabilité – du CDIE soit pleinement justifié, l’entreprise de travail à temps partagé est tenue de proposer aux salariés des actions de formation certifiantes et d’abonder le compte personnel de formation (CPF) des salariés à hauteur de 500 euros supplémentaires par an.
Après avoir été renouvelée une fois, l’expérimentation du CDIE est arrivée à son terme le 31 décembre 2023. La proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale visait initialement à pérenniser le dispositif. Si sa rédaction était restée inchangée, mon intention de vote n’aurait rien eu d’évident.
En effet, comme nombre d’entre nous, mes chers collègues, j’ai parcouru le rapport de l’Igas sur le CDIE. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas très favorable au dispositif ! Il pointe notamment la faiblesse des données qui en permettraient une évaluation fiable. Cependant, il semble que ce manque de données provienne moins d’une absence de volonté des entreprises de les faire remonter que du manque d’outils adéquats pour y procéder.
C’est pourquoi je me réjouis que la proposition de loi, dans sa nouvelle rédaction, vise à prolonger l’expérimentation. Il faudra que ces quatre années supplémentaires permettent de corriger les lacunes et de renforcer la remontée des données.
Par ailleurs, le texte vient aussi resserrer le dispositif, pour mieux s’assurer qu’il concerne le public visé. Les demandeurs d’emploi devront être au chômage depuis un an, contre six mois actuellement, et le contrat s’adressera aussi aux personnes de plus de 55 ans, contre 50 ans actuellement, qui sont inscrites comme demandeurs d’emploi depuis au moins six mois.
Enfin, j’estime que le dispositif du CDIE s’inscrit dans la logique de réformes importantes, que le Sénat a votées en 2023 : d’une part, la réforme des retraites, qui impliquait nécessairement de mieux accompagner les seniors vers l’emploi, d’autre part, la loi pour le plein emploi, qui visait notamment les bénéficiaires du RSA.
Le contrat de travail à temps partagé aux fins d’employabilité nous semble donc aller dans le sens de l’accompagnement vers l’emploi d’un public qui peut en être éloigné. C’est pourquoi le groupe Les Indépendants votera en faveur de la prolongation de son expérimentation. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à poursuivre l’expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d’employabilité
Article 1er
(Non modifié)
I. – (Supprimé)
II. – L’article 115 de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel est ainsi modifié :
1° Le I est ainsi modifié :
a) Les mots : « jusqu’au 31 décembre 2023 » sont remplacés par les mots : « pour une durée de quatre ans à compter de la promulgation de la loi n° … du … visant à poursuivre l’expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d’employabilité » ;
b) Les mots : « aux articles L. 1252-1 à L. 1252-13 » sont remplacés par les mots : « au premier alinéa de l’article L. 1252-2 » ;
b bis) Après le mot : « professionnelle », la fin est ainsi rédigée : « . Peuvent conclure ce contrat :
« 1° Les personnes qui sont inscrites sur la liste mentionnée au 3° du I de l’article L. 5312-1 du même code depuis au moins douze mois ;
« 2° Les personnes qui sont âgées d’au moins cinquante-cinq ans et qui sont inscrites sur la même liste depuis au moins six mois ;
« 3° Les personnes qui sont âgées de moins de vingt-six ans, qui ont une formation de niveau inférieur ou égal à 3 et qui sont inscrites sur ladite liste depuis au moins six mois ;
« 4° Les bénéficiaires de minima sociaux ;
« 5° Les personnes handicapées. » ;
c et d) (Supprimés)
2° Le V est ainsi rédigé :
« V. – Le présent article est applicable :
« 1° Dans sa rédaction antérieure à la loi n° … du … précitée, aux contrats conclus jusqu’au 31 décembre 2023 ;
« 2° Dans sa rédaction résultant de la même loi, aux contrats conclus au cours des quatre années suivant la promulgation de celle-ci. » ;
3° Au deuxième alinéa du VI, les mots : « le 30 juin 2023 » sont remplacés par les mots : « six mois avant le terme de l’expérimentation prévue au I ».
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, Grégory Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et Mélanie Vogel, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Par cet amendement de suppression, nous entendons nous opposer à la reprise de l’expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d’employabilité.
Le bilan des quatre ans d’expérimentation du CDIE apparaît « non conclusif ». En effet, au mépris des obligations de l’article 115 de la loi du 5 septembre 2018, les ETTP contractant des CDIE n’ont remonté que peu de données, de faible qualité, rendant impossible l’évaluation six mois avant la fin de l’expérimentation.
Les conclusions de l’Igas sont sans appel : « La mission est également défavorable à une pérennisation de l’expérimentation CDIE, quand bien même » – quand bien même, mes chers collègues ! – « celle-ci serait assortie d’une évolution substantielle du cadre actuel pour garantir au salarié suffisamment de protection, et parvenir à un point d’équilibre entre les intérêts des donneurs d’ordres et la sécurisation des travailleurs.
« Les salariés recrutés en CDIE semblent avoir en pratique des profils relativement proches de ceux des intérimaires, et en particulier des salariés en CDI intérimaire, le ciblage défini par la loi étant plus large que celui qui est habituellement retenu pour définir les personnes ayant des difficultés d’accès à l’emploi. » Je rappelle qu’il existe des critères pour définir les personnes éloignées de l’emploi.
De plus, l’accès facilité aux CDIE pour les publics les plus vulnérables « pourrait paradoxalement les enfermer dans une relation triangulaire de travail potentiellement porteuse de risques ».
Ce énième contrat sur le public cible n’apporte aucune valeur ajoutée, mais présente des risques par rapport aux autres contrats, notamment le contrat de travail intérimaire (CDII).
Nous souhaitons donc la suppression de l’article 1er.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. La commission va émettre un avis défavorable sur cet amendement, et cela pour quatre raisons.
Premièrement, cette proposition de loi ne comprenant que deux articles, supprimer l’article 1er reviendrait à vider ce texte de sa substance.
Deuxièmement, nous parlons de contrats créés par la loi de 2018 afin de lutter contre la permittence ; je rappelle d’ailleurs que ce texte a mis en place le bonus-malus. Se priver de tels contrats à l’heure actuelle ne paraît pas pertinent.
Troisièmement, à la suite de Pascale Gruny, je rappelle que ce dispositif répond à un enjeu de flexisécurité dans le monde du travail. Lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement, cet après-midi, il a été question des plans sociaux en cours au sein de l’entreprise Auchan et dans un certain nombre de secteurs. Quand on peut créer 5 000 emplois et que cela ne coûte rien au budget de l’État, pourquoi s’en priver ? Tel est l’objet de cette proposition de loi.
Quatrièmement, et enfin, l’Igas dans son rapport indique qu’il ne faut pas pérenniser l’expérimentation dans le cadre actuel – c’est bien ce que nous faisons, puisque nous modifions le profil des personnes qui y auront droit. Il conclut également sur la nécessité de modifier le CDI, voire de faire converger le CDIE vers le CDII sur deux aspects : le retour à la borne temporaire et la non-requalification du CDI. Sur ce dernier point, madame la ministre, je souhaite que le Gouvernement suive la position du Parlement.
Mes chers collègues, je ne suis pas certaine que vous soyez d’accord avec le rapport de l’Igas sur ce point, alors que nous voterons assurément un texte qui ira en ce sens, puisque cela répond à l’exigence de flexisécurité.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Avant d’émettre l’avis du Gouvernement sur cet amendement, je précise que je regrette le délai dans lequel le rapport de l’Igas a été rendu. Néanmoins, je rappelle que, dès sa prise de fonction, Mme la ministre du travail et de l’emploi a souhaité qu’il soit remis rapidement au Parlement.
Le Gouvernement a entendu les critiques et les réserves qui ont été émises et qui ont conduit l’Assemblée nationale à revoir sa copie. À ce titre, la restriction des critères et la prolongation de l’expérimentation, plutôt qu’une généralisation immédiate du dispositif, semble une position équilibrée : elle donne au CDIE la chance d’être correctement évalué dans sa mise en œuvre.
Mme la ministre du travail et de l’emploi a pris l’engagement, que je réitère devant vous au nom du Gouvernement, que soit effectué un suivi précis des personnes bénéficiaires de ce type de contrat. Cela concerne un ensemble de dispositions : les conditions de travail, mais aussi l’évolution des parcours professionnels.
Ce dispositif doit rester une étape vers l’insertion professionnelle. Je le répète, c’est ce à quoi le Gouvernement s’engage en prolongeant cette expérimentation.
C’est la raison pour laquelle, comme la commission, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame le rapporteur, 5 000 emplois, c’est toujours bon à prendre, dites-vous… Pourtant, l’Igas a démontré que le CDIE venait en substitution du CDII.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Non !
Mme Raymonde Poncet Monge. Il ne s’agit donc pas d’un effet complémentaire ni d’une addition. Comme j’aurai l’occasion d’y revenir tout à l’heure lors de la discussion d’un autre amendement, c’est bien la preuve que les profils recherchés sont non pas des personnes moins employables, qui relèvent vraiment de l’insertion, mais bien celles à qui est destiné le CDII.
Madame le rapporteur, soyez rassurée, s’il doit y avoir un rapprochement entre le CDII et le CDIE, ce ne sera pas pour conserver le motif de recours du CDII, qui permet de la flexibilité.
En abrogeant le motif de recours, vous supprimez tout risque de requalification du contrat pour les entreprises qui embaucheront ces personnes pendant cinq ans, contre dix-huit mois en CDII. Le seul avantage pour les salariés, c’est la sécurisation et une meilleure rémunération des périodes d’intermission. Mais encore faut-il que celle-ci soit calculée sur le dernier salaire de référence, et non pas sur le Smic.
Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour explication de vote.
Mme Silvana Silvani. Je salue tout d’abord l’enthousiasme et l’énergie de Mme le rapporteur, qui cherche à faire en sorte que ce texte soit adopté conforme, nous l’avons bien compris. Au demeurant, il y a bien urgence, et la procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Je trouve curieux et, pour tout dire, peu correct de rapprocher les plans de licenciement absolument scandaleux qui viennent d’être annoncés et ce type de contrat. Pour ma part, je préfère lutter contre les licenciements…
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Évidemment !
Mme Silvana Silvani. … qu’envisager ce type de contrats.
Depuis 2018, quelque 5 000 contrats ont été signés, mais, en 2023, au moment où l’Igas réalise son rapport, 1 200 sont en cours. Il s’agit donc bien de CDD, et non pas de CDI ! Ce type de contrat existe d’ailleurs déjà : cela s’appelle le CDI à durée déterminée.
Puisque la plupart des signataires des CDIE ne sont plus en activité, c’est bien la preuve que les CDIE ne sont pas des CDI. D’ailleurs, ces contrats concernent des missions de douze mois. Mme la ministre estime que ce dispositif devrait être évalué correctement. Tel a été le cas ! Il faut respecter le travail de l’Igas : le dispositif a été évalué. Si les données ne sont pas remontées, c’est parce qu’il n’y en a pas.
Par conséquent, à l’évidence, le dispositif ne fonctionne pas. En quoi est-ce un problème de le reconnaître ?
Mme la présidente. La parole est à M. Grégory Blanc, pour explication de vote.
M. Grégory Blanc. Je tiens à revenir sur le lien qui a été tracé avec les plans de licenciement qui viennent d’être annoncés.
J’étais cet après-midi au téléphone avec le président de la chambre de commerce et d’industrie de Maine-et-Loire à la suite des annonces de Michelin concernant le site de Cholet. Il faut remettre les choses à leur juste place. Si Michelin ferme des sites, c’est en raison d’un sous-investissement capitalistique chronique. Quand il s’agit de fabriquer des pneus, c’est un problème d’investissement capitalistique, pas de coûts du travail à l’échelle internationale. Il faut tout de même remettre les choses en perspective et observer de quoi il retourne d’un point de vue économique !
Si ces annonces ont lieu en ce moment, c’est aussi parce que le Parlement aborde l’examen du budget, avec les enjeux fiscaux que l’on sait, et qu’un certain nombre d’entreprises ont décidé de peser dans la discussion parlementaire. Ne soyons pas naïfs.
Je reviens à cette proposition de loi. Je ne comprends pas très bien pourquoi on a tant de mal à sortir d’un dispositif qui a fait l’objet d’un certain nombre d’évaluations, notamment de l’Igas. Cela me rappelle ce qui s’est passé avec le « quoi qu’il en coûte » : plus on a tardé à en sortir, plus c’est devenu compliqué.
S’il s’agit d’assouplir des contrats de travail existants, sans chercher à en créer de nouveaux, nous exprimerons notre désaccord, mais l’enjeu est clair. S’il s’agit d’augmenter l’offre d’insertion, nous aurons un débat dans le cadre du projet de loi de finances. Rien de tel ici : on nous propose seulement de continuer à alourdir le droit du travail et le code du travail.
Je suis donc très étonné par les positions des uns et des autres.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Grégory Blanc. Il me semble qu’il est temps d’écouter la branche patronale du travail temporaire et les organisations syndicales. Elles ont une position extrêmement claire. Il faut avancer dans ce sens.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 2 rectifié est présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.
L’amendement n° 8 est présenté par Mme Aeschlimann.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 4 et 16
Remplacer le mot :
quatre
par le mot :
deux
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l’amendement n° 2 rectifié.
Mme Raymonde Poncet Monge. Cet amendement de repli vise à réduire à deux ans la durée de la prolongation de l’expérimentation du contrat de travail à temps partagé aux fins d’employabilité. Nous nous opposons à un prolongement du dispositif qui porterait sa durée à huit ans – dix ans au total si l’on compte la pandémie de covid-19 et ses effets ! –, alors que l’expérimentation n’est pas conclusive depuis sa mise en œuvre en 2018.
Deux années supplémentaires devraient suffire pour déterminer si ce énième contrat confirme ou infirme les conclusions de l’Igas.
Je rappelle que, d’après l’inspection générale des affaires sociales, 80 % des personnes ayant contracté un CDIE seraient éligibles au CDII. Par ailleurs, 6 % ne présenteraient aucun des critères définis par la loi. Enfin, 2 % des CDIE, soit une très faible proportion d’entre eux, seraient bénéficiaires de minima sociaux, alors que cette catégorie représente un quart des CDII.
On remplace donc le CDII par le CDIE. Tout le monde a en effet bien compris que ces deux contrats étaient substitutifs. Comment croire que les bénéficiaires des minima sociaux seront les grands gagnants de cette évolution ?
Qui plus est, le recours à l’offre de formation des salariés en CDIE est plus faible et moins qualifiante que pour le CDII. On se demande donc bien où est l’insertion…
Il ne faut pas que ce texte soit voté en l’état, ne serait-ce que pour permettre à l’Assemblée nationale d’avoir un avis éclairé sur cette expérimentation, en prenant connaissance du rapport de l’Igas que vous leur avez caché, madame la ministre. (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann, pour présenter l’amendement n° 8.
Mme Marie-Do Aeschlimann. Je le retire, madame la présidente.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur. J’ai bien conscience de la détresse des salariés à l’annonce des plans sociaux. Nous avons les uns et les autres travaillé dans le secteur privé ; nous avons pu nous aussi être victimes de plans sociaux. Il n’y avait donc aucun mépris de ma part à l’égard de ceux qui sont confrontés à ces terribles situations.
J’en viens à l’amendement. Madame Poncet Monge, vous voulez modifier le texte pour qu’il ne puisse pas être adopté conforme. Pour ma part, je souhaite au contraire qu’il soit voté sans modification, parce que je veux que cela aille vite. En effet, si ce texte est adopté définitivement, le Président de la République peut, d’ici à quinze jours, promulguer la loi, et les nouveaux dispositifs qu’il contient entreront en vigueur.
Prolonger cette expérimentation de quatre ans ne paraît pas disproportionné. D’après le rapporteur de l’Assemblée nationale sur ce texte, la déclaration sociale nominative (DSN) serait l’outil adapté pour faire remonter les informations.
Les entreprises de travail à temps partagé, qui n’arrivent pas à faire remonter les informations, en conviennent. Vous vous y êtes engagée, madame la ministre. Toutefois, dans la mesure où il s’agit d’une expérimentation, je ne sais pas si ce sera possible.
En outre, cela nous permettrait de développer cet outil et d’avoir des données plus fiables, même si, vous avez raison, ma chère collègue, le rapport de l’Igas contient aussi un certain nombre d’indications intéressantes.
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 2 rectifié.