Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur, beaucoup des points que vous avez soulevés ont déjà été abordés, et je partage nombre des constats que vous avez dressés.
Je souhaite revenir sur le chiffre que vous avez cité sur l’acquisition de matériel de défense non européen, en particulier en provenance des États-Unis. Se pose en effet la question de notre dépendance dans des domaines aussi souverains que la technologie militaire, et ce au regard de l’éloignement du partenaire américain, des garanties de sécurité américaine et de la nécessité qui s’impose à nous d’assurer notre autonomie stratégique.
C’est pourquoi nous ferons de la préférence européenne notre priorité, afin de développer une base industrielle européenne de défense. Depuis l’agression russe contre l’Ukraine le 24 février 2022, nous en mesurons l’urgence et cela fera partie de nos priorités dans le cadre de la stratégie Edis et du programme Edip, dont il a déjà été question.
Enfin, nous souhaitons inscrire rapidement à l’ordre du jour des travaux du Parlement l’examen du projet de loi relatif à la résilience des activités d’importance vitale, à la protection des infrastructures critiques, à la cybersécurité et à la résilience opérationnelle numérique du secteur financier. Je vous présenterai dès que possible un calendrier plus précis.
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le ministre, je vous parlerai, moi aussi, du pacte européen sur la migration et l’asile.
En effet, le mois dernier, l’Allemagne a réintroduit des contrôles sur l’ensemble de ses frontières. L’Alsacien que je suis ne peut que le regretter et constater que cette décision, une nouvelle fois, a été prise sans information ni concertation préalable.
Il y a quelques semaines déjà, les Pays-Bas et la Hongrie demandaient officiellement à bénéficier des clauses dérogatoires dont bénéficient aujourd’hui l’Irlande et le Danemark en matière d’affaires intérieures. Avant cela, la Suède ou l’Autriche avaient radicalement changé de pied en durcissant considérablement leur politique migratoire. En dehors de l’Union européenne, c’est désormais au gouvernement britannique d’indiquer sa volonté de s’inspirer des mesures mises en place en Italie par Mme Meloni.
Dans ce contexte, il faut souligner que le pacte adopté avant l’été a néanmoins eu le mérite – c’est essentiel ! – d’amorcer un changement de paradigme et d’assumer une approche plus en phase avec les attentes des Européens. Toutefois, il faut également reconnaître que ces nouvelles règles n’offrent pas encore toutes les marges nécessaires à une maîtrise efficace des flux migratoires – c’est le moins que l’on puisse dire…
Soulignons que les mesures contenues dans le pacte ne peuvent entrer en vigueur qu’à compter de 2026, ce qui est une éternité au regard de l’impatience exprimée par nos concitoyens, notamment lors des dernières élections européennes.
Avant même l’entrée en vigueur de ce pacte, on a le sentiment qu’il est déjà nécessaire de remettre l’ouvrage sur le métier. Mais sur quelles bases ? Il semble en effet difficile de modifier des règles sur lesquelles il a été si compliqué de s’entendre.
La lettre de mission du commissaire désigné aux affaires intérieures esquisse quelques pistes. Celles-ci concernent notamment la gestion opérationnelle des frontières extérieures, la lutte contre les passeurs et, surtout, la politique de retour et de réadmission.
Sur ces sujets prioritaires, les discussions restent néanmoins extrêmement vives. Je pense par exemple à la question du financement des clôtures à certaines frontières extérieures terrestres. Vous connaissez le problème, monsieur le ministre… Je pense aux évolutions à apporter à la notion de « pays tiers sûrs » et aux accords à conclure avec les pays d’origine et de transit.
Je pense, aussi, à l’externalisation partielle des demandes d’asile – par le passé, on les appelait « plateformes régionales de débarquement » ; aujourd’hui, on les nomme « hubs de retour ».
Je pense plus largement, enfin, à l’indispensable révision de la directive Retour, bloquée depuis 2018.
Les négociations sont évidemment très difficiles. Ma question est donc la suivante : alors que le nouveau gouvernement français a clairement indiqué vouloir mieux maîtriser les poussées migratoires, pouvez-vous dire, monsieur le ministre, quelle sera la position de la France sur les différents sujets que j’ai énumérés ?
Enfin, monsieur le ministre, permettez-moi d’attirer votre attention sur un rappel au règlement qui a eu lieu dans cet hémicycle, le 8 octobre dernier. Il concernait la récente décision de la Commission européenne d’intégrer au programme Erasmus des établissements quelque peu étonnants, comme la faculté des sciences islamiques de Skopje ou l’université de Gaziantep, qui vient de rendre un vibrant hommage à Ismaël Haniyeh, patron défunt du Hamas.
Le programme Erasmus vise, me semble-t-il, à former la jeunesse aux valeurs de l’Union européenne, et certainement pas à celles d’une radicalisation islamiste exacerbée. Aussi, monsieur le ministre, pourriez-vous examiner cette question de près ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur, je vous réponds tout de suite à propos d’Erasmus. J’ai effectivement été saisi du sujet.
Nous ne laisserons rien passer. Il y avait déjà eu des polémiques comparables sous la mandature précédente ; avec le gouvernement de l’époque et les parlementaires européens, nous nous étions mobilisés. Il est inadmissible que quelque forme d’incitation à la haine, à l’intolérance et au radicalisme que ce soit puisse être soutenue par des fonds européens.
Je m’engage donc – je suis prêt à revenir vers vous pour en parler – à me plonger dans la question des financements par Erasmus et à prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que des discours porteurs de haine ou de radicalisation ne profitent de fonds européens. Cela a toujours été la position très claire de notre pays.
Vous avez mentionné de nombreuses solutions potentielles. J’ai effectivement évoqué la mise en œuvre accélérée du pacte migratoire, la révision de la directive Retour, la meilleure intégration et utilisation des outils des politiques externes de l’Union européenne, qu’il s’agisse de l’aide au développement, des leviers visas, des accords commerciaux ou des partenariats robustes avec les pays de transit et de départ. Je pense que le sujet devra être central dans les préoccupations de la Commission européenne.
Partout en Europe, nos concitoyens attendent de l’Union européenne des réponses claires en termes de maîtrise des flux migratoires. Je vous remercie d’avoir rappelé qu’il s’agissait d’une priorité du gouvernement français.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac.
Mme Marta de Cidrac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sortons d’une séquence politique assez inédite, qui aura vu les élections européennes provoquer en France de profonds bouleversements.
Les institutions de l’Union européenne, elles, ne nous ont pas attendus pour fonctionner. Ce Conseil européen des 17 et 18 octobre prochains met à l’ordre du jour des sujets importants, comme la compétitivité. C’est sur ce point que je vais m’attarder ce soir, dans le prolongement du rapport Draghi, qui a été publié voilà quelques semaines et dont je partage un certain nombre de constats et de préconisations.
L’économie européenne décroche face à ses concurrents mondiaux. La conjoncture récente vient fragiliser un peu plus une économie européenne sur la défensive souffrant de la concurrence mondiale face au Brésil, à la Russie, à l’Inde, à la Chine et à l’Afrique du Sud, les fameux Brics, ainsi qu’aux États-Unis.
Les chiffres sont têtus : de 2010 à 2023, le taux de croissance cumulé du PIB atteint 34 % aux États-Unis, contre seulement 21 % dans l’Union européenne. Sur cette même période, la productivité du travail a progressé de 22 % aux États-Unis et de 5 % dans la zone euro. Les raisons de notre manque de compétitivité sont multiples ; elles soulèvent des interrogations quant aux nombreux choix qui ont été effectués au cours de la décennie passée.
La première de ces raisons – à mon sens, cela doit être la mère de toutes les batailles – réside dans le sous-investissement européen en matière de recherche et développement (R&D). Nous savons que la R&D est un véritable stimulateur de croissance. Le rapport Draghi constate que les entreprises européennes investissent moins en recherche et innovation que les entreprises américaines. En 2021, cela représentait près de 270 milliards d’euros de moins.
Le constat vaut aussi pour notre industrie automobile. Celle-ci accuse un retard du même ordre, notamment face à la concurrence chinoise, qui se renforce dans le domaine des véhicules électriques.
Au cours des vingt dernières années, les trois premiers investisseurs en recherche et développement en Europe ont été dominés par les entreprises du secteur automobile ; c’était la même chose aux États-Unis. Mais, aujourd’hui, les premiers investisseurs outre-Atlantique sont tous dans le domaine des nouvelles technologies, qui regroupe les principaux géants de la Tech, ainsi que Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, les fameux Gafam.
Quant aux Chinois, ils ont opportunément réussi à conserver l’automobile comme fer de lance de la recherche et de l’innovation, grâce à l’impératif environnemental.
Dans le cas de l’automobile comme dans celui de la Tech, l’Europe n’est pas suffisamment présente aujourd’hui. Pour moi, c’est un vrai problème.
Je souhaite également aborder le financement de l’économie. Nos entreprises européennes dépendent majoritairement de l’emprunt bancaire pour se financer. Or, depuis 2022, les taux d’intérêt sont à la hausse, ce qui affecte les capacités des entreprises à investir.
Aux États-Unis, les entreprises ont principalement recours au financement par le marché ; elles ne sont donc pas dépendantes des banques. En outre, l’économie américaine est massivement subventionnée par le gouvernement fédéral.
Les deux points que je viens d’évoquer ne sont pas les seuls motifs du décrochage européen. Il y a également des variables structurelles, comme le vieillissement de la population européenne et la baisse du niveau d’éducation. Cela va se révéler problématique, notamment face aux Brics, qui montent en puissance.
Le sujet est vaste ; vous l’avez d’ailleurs rappelé, monsieur le ministre. L’ordre du jour de ce prochain Conseil européen fera figurer l’agenda 2024-2029 des priorités pour renforcer notre compétitivité à long terme.
L’OCDE a, certes, prédit une réduction du décrochage économique européen à partir de 2025, mais nous devons dès à présent mettre en place des politiques visant à améliorer le financement de l’économie, ainsi qu’à relancer la recherche l’innovation, la démographie et l’éducation. Vous y avez vous-même fait référence, monsieur le ministre.
Je compte sur la diplomatie française et sur la voix de la France pour agir sur ces différents dossiers, qui, à mon sens, sont fondamentaux.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la sénatrice, vous pourrez effectivement compter sur la voix de la France pour défendre les préoccupations que vous avez exprimées et pour agir sur les dossiers que vous avez mentionnés.
Je voudrais vous remercier d’avoir abordé la question des véhicules électriques. Vous le savez, nous sommes au cœur d’un débat majeur au sein de l’Union européenne sur le sujet. La France soutient les conclusions de l’enquête qu’a menée la Commission européenne sur les distorsions de concurrence et sur les subventions dont la Chine fait bénéficier son industrie de véhicules électriques.
Nous ne pouvons pas être le dernier continent à faire preuve de naïveté. Les États-Unis investissent massivement dans la recherche et l’innovation – nous le voyons avec l’Inflation Reduction Act (IRA) –, mais ils protègent aussi leur industrie : ce sont les États-Unis de Joe Biden qui imposent des tarifs douaniers de 100 % sur les véhicules électriques.
La France soutient la proposition de la Commission européenne d’imposer des tarifs contre l’industrie des véhicules électriques chinois, qui bénéficie de subventions. Il y a eu un vote sur le sujet voilà quelques jours. Nous appellerons d’ailleurs la Commission européenne à mettre en place des mesures de compensation pour protéger les éventuels secteurs qui pourraient être menacés de rétorsions dans le cadre de ce différend.
Encore une fois, nous devons être capables de soutenir notre recherche et notre innovation, mais également de nous protéger contre les pratiques abusives de nos partenaires et concurrents.
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le ministre, je vous remercie de vous être prêté à l’exercice, qui, je le sais, est assez physique (M. le ministre délégué sourit.), dans ce nouveau format. Je remercie également nos collègues d’être restés jusqu’au bout de notre débat.
En l’occurrence, ma conclusion pourrait presque faire office d’introduction aux travaux que nous allons mener sur le moyen terme.
À mon sens, ce que nous avons entendu ce soir pourrait être synthétisé ainsi : « Draghi or not Draghi ? Kallas or not Kallas ? »
En effet, nous voyons bien l’importance que le cadre financier pluriannuel (CFP) va revêtir : même la politique extérieure sera aussi une question budgétaire ! Nous devrons nous pencher sur le sujet, pour que l’Europe ne se retrouve pas dans une situation comparable à celle de la France d’aujourd’hui. Les dérapages budgétaires européens ne pourront pas être acceptables, dans la mesure où les États membres y contribueraient indirectement, voire directement par leur budget.
Les ambitions exprimées dans le rapport Draghi sont très fortes. Sur le papier, nous pourrions y souscrire. Mais, à 850 milliards d’euros par an, elles nous apparaissent insoutenables, quand bien même les dépenses seraient partagées entre le public et le privé.
Certes, Kaja Kallas, qui prône un grand emprunt européen, a parlé de 100 milliards d’euros. Mais c’est un one shot, si je puis dire. La différence est considérable.
C’est la raison pour laquelle nous avons évoqué la mobilisation de l’épargne européenne. Je précise que ma langue a fourché tout à l’heure ; je sais bien que l’épargne européenne, c’est 30 000 milliards d’euros. L’union des marchés de capitaux sera véritablement, je le crois, un enjeu essentiel pour assurer les capacités de financement nécessaires à l’Europe.
En revanche, un élément m’inquiète dans le rapport Draghi : il est proposé de repousser l’échéance de l’emprunt que nous allons commencer à rembourser en 2028. Aujourd’hui, nous entendons les ministres nous expliquer la situation française ; je ne voudrais pas que, dans quelques années, nous soyons contraints d’expliquer la situation européenne à nos concitoyens !
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2024.
7
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 10 octobre 2024 :
De dix heures trente à treize heures et de quatorze heures trente à seize heures :
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
Proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique, présentée par M. Rémi Féraud et plusieurs de ses collègues (texte n° 862, 2022-2023) ;
Proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d’enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degrés et à garantir davantage de transparence dans les procédures d’affectation et de financement des établissements privés sous contrat, présentée par Mme Colombe Brossel et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 678, 2023-2024).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 10 octobre 2024, à zéro heure vingt-cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER