Mme Maryse Carrère. L’article 15 du projet de loi crée une nouvelle catégorie d’activité économique susceptible de déroger à la règle de l’exercice par le bloc communal de la compétence en matière d’urbanisme, en prévoyant que certains data centers pourront relever, eu égard à leur importance « pour la transition écologique ou la souveraineté nationale », des projets dits d’intérêt national majeur au sens de la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte.
Pour rappel, lorsqu’un projet relève de la qualification de « projet d’intérêt national majeur », l’État est compétent pour engager la mise en compatibilité des documents d’urbanisme et délivrer les permis de construire.
L’article 19 de la loi relative à l’industrie verte prévoit tout au plus la prise en compte de l’avis des autorités chargées de la procédure d’élaboration du PLU, et notamment du maire.
Les élus locaux s’étaient totalement opposés à cette mesure de recentralisation de la compétence en matière d’urbanisme, et auraient souhaité que l’accord desdites autorités soit également requis avant le dépôt du permis de construire, mais le législateur n’avait pas souhaité que la procédure puisse être bloquée en aval.
Alors que la consultation relative au décret d’application de cette mesure est à peine achevée, un nouveau texte de loi ajoute déjà des cas dérogatoires supplémentaires, ce qui n’est pas acceptable, à moins de considérer que l’ensemble des projets intéressant la vie économique devront dorénavant échapper à la compétence décentralisée en matière d’urbanisme.
M. le président. La parole est à M. Gilbert Favreau, pour présenter l’amendement n° 116 rectifié bis.
M. Gilbert Favreau. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 116 rectifié bis est retiré.
La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 295.
M. Fabien Gay. Qualifier un projet de projet d’intérêt national majeur, rappelons-le, dessaisit les élus locaux de leur compétence en matière d’urbanisme. La possibilité de reconnaître à un projet une telle qualité doit donc être déterminée par des critères extrêmement précis.
Vous nous proposez d’étendre le champ d’application de cette catégorie aux data centers. Je rappelle au passage que la souveraineté numérique n’est pas seulement le stockage. Le Gouvernement se vante de réindustrialiser le pays, mais il se contente de data centers et de gigafactories de batteries électriques, tandis que de nombreux sous-traitants du secteur de l’automobile, pour ne prendre que cet exemple, sont en train de trinquer. La souveraineté numérique, c’est aussi le traitement de la donnée, les logiciels utilisés et le trafic internet ! Et, en ces matières, nous sommes loin de la souveraineté : nous dépendons des Américains et des Chinois.
J’en reviens à la notion d’intérêt national majeur.
Je lis l’avis rendu par le Conseil d’État sur les dispositions y afférentes : « Ces projets seront identifiés par un décret qui les qualifiera de “projet d’intérêt national majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique” lorsque, par la nature de leurs productions, ils réduisent la dépendance de la France dans des secteurs stratégiques ou contribuent à la transition écologique et qu’ils revêtent un intérêt national eu égard à leur importance en termes d’investissement et de création d’emplois, des ordres de grandeur en milliards d’euros et en milliers d’emplois étant évoqués. » Souveraineté, milliards d’euros, milliers d’emplois : voilà les critères.
Le problème, c’est que les data centers ne créent pas d’emplois ! (Mme la secrétaire d’État le conteste.) Je peux vous le dire, car une infrastructure de ce type a été installée à La Courneuve : en moyenne, on compte vingt emplois créés par site. On est loin des milliers promis, loin, donc, du critère défini par le Conseil d’État – et non par le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky du Sénat – comme condition à satisfaire pour entrer dans le champ des projets d’intérêt national majeur.
Une dernière remarque, madame la secrétaire d’État : vous demandez la reconnaissance d’intérêt national majeur pour des projets qui vont dépasser les cinquante hectares. Or, à l’heure actuelle, de tels sites n’existent tout simplement pas, et aucun projet de ce type n’est prévu. Nous sommes donc en train d’avoir un débat sur le néant !
Soit vous nous dites que des projets sont sur la table, en précisant qui va investir, et où, soit nous proposons de supprimer l’article.
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour présenter l’amendement n° 329.
M. Thomas Dossus. Dans le même esprit, il s’agit de s’opposer à l’inclusion par principe des data centers dans la liste des projets d’intérêt national majeur.
Tout d’abord, les critères à satisfaire pour qu’un projet soit reconnu d’intérêt national majeur sont définis par décret, et le périmètre d’octroi de cette qualification est très vaste : n’importe quel data center pourrait potentiellement bénéficier de ce statut, ce qui nous paraît disproportionné.
Ensuite, cela a été dit, ce statut ouvre droit à des procédures simplifiées en matière d’autorisation environnementale ; il favorise donc l’artificialisation des sols, ce qui va à l’encontre du principe du zéro artificialisation nette (ZAN). Ce principe, on ne cesse de le détricoter, mois après mois, texte de loi après texte de loi !
Je note que le Gouvernement propose déjà de modifier le périmètre des projets d’intérêt national majeur, peu de temps après la publication du projet de décret d’application de la loi relative à l’industrie verte précisant la mise en œuvre des dispositions dont nous sommes en train de discuter.
On nage donc en pleine instabilité normative, ce qui laisse à penser que tout projet économique pourrait être inclus dans ce périmètre sans justification claire de son utilité pour l’intérêt général. Cela a été dit, aucun projet « d’intérêt national majeur » n’a pu être soumis à notre examen lors des auditions : on ne sait même pas quel est l’intérêt concret de cet article 15. C’est pourquoi nous proposons de le supprimer.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Yves Bleunven, rapporteur. Pour les mêmes raisons que celles qui ont été exposées en commission spéciale, la suppression de l’article 15 ne nous semble pas opportune.
Le dispositif voté par le Parlement il y a quelques mois dans le cadre de la loi relative à l’industrie verte est nécessaire. Quant à l’ajout des centres de données de grande envergure parmi les projets qui peuvent être qualifiés de projets d’intérêt national majeur, les fameux PINM, il est compréhensible. Pour atteindre une plus grande souveraineté numérique et attirer de nouveaux investissements sur notre territoire, il nous faut en effet nous doter d’infrastructures numériques et stratégiques de plus grande taille.
Je rappelle également que, lorsqu’un projet est qualifié de PINM, la mise en compatibilité des documents d’urbanisme et de planification ne peut se faire qu’après accord du maire, du président de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ou du président de la région, selon les cas. Cette mise en compatibilité est très chronophage et, surtout, très coûteuse pour les collectivités : en moyenne 30 000 euros pour une commune et 190 000 euros pour un EPCI !
Sur les trois amendements identiques restant en discussion, l’avis de la commission spéciale est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marina Ferrari, secrétaire d’État. Je suis moi aussi défavorable à ces demandes de suppression de l’article 15.
Je souhaite répondre à certains des propos que j’ai entendus.
Tout d’abord, qualifier un projet de projet d’intérêt national majeur ne dessaisit pas les élus locaux : les maires restent consultés, contrairement à ce que j’ai pu entendre, en matière de procédure d’urbanisme.
Ensuite, les data centers sont bien aujourd’hui des éléments indispensables à la souveraineté numérique de notre pays, comme l’a rappelé M. le rapporteur, mais ils contribuent également à sa réindustrialisation. En effet, monsieur le sénateur Gay, la data est partout dans l’industrie. J’en veux pour preuve l’essor dans le secteur industriel de l’intelligence artificielle générative, qui nécessite que nous disposions de puissances de calcul, apportées par exemple par les technologies quantiques. Notre industrie – y compris les industries de santé – en a besoin pour son développement !
Dans le rapport qui nous a été remis par la commission de l’intelligence artificielle, il est question de fixer pour objectif à la France de sécuriser au minimum l’installation de 30 000 puces graphiques (GPU, graphics processing units) par an sur notre territoire, ces processeurs ayant précisément vocation à être hébergés dans des data centers.
Par ailleurs, et contrairement aux idées reçues, les data centers sont pourvoyeurs d’emplois : ces installations peuvent représenter jusqu’à des centaines d’emplois sur le territoire.
M. Fabien Gay. C’est faux !
Mme Marina Ferrari, secrétaire d’État. Pour ce qui est des investissements réalisés, monsieur le sénateur, je vous invite à prendre connaissance des annonces qui ont été faites notamment lors de la dernière édition du sommet Choose France : à un seul data center peuvent correspondre plusieurs milliards d’euros d’investissements.
Enfin, j’ai entendu que les projets d’intérêt national majeur n’étaient pas décomptés dans le calcul du ZAN. Si : ils le sont bel et bien !
Mme Cécile Cukierman. C’est n’importe quoi…
Mme Marina Ferrari, secrétaire d’État. Pour toutes ces raisons, l’avis du Gouvernement est défavorable sur ces trois amendements de suppression de l’article 15.
M. le président. La parole est à M. David Ros, pour explication de vote.
M. David Ros. Nous ne remettons pas en cause l’intérêt des data centers ni celui des projets d’intérêt national majeur. D’ailleurs, le groupe SER a déposé des amendements qui seront discutés si l’article 15 n’est pas supprimé.
En l’état de la discussion, néanmoins, nous rejoignons nos collègues signataires de ces amendements : règne un certain flou artistique autour des dispositions de l’article 15, pour ce qui concerne notamment les décrets d’application de la loi relative à l’industrie verte.
Ce sujet est suffisamment important pour être traité sans délai ; or, comme le disait Mme la rapporteure, l’impression qui domine, en la matière, est que l’on confond vitesse et précipitation. Ces sujets, pour le coup, sont véritablement d’intérêt majeur : il y va de l’aménagement du territoire, des raccordements électriques, de l’emploi et de la souveraineté numérique.
Nous voterons pour ces trois amendements.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Madame la secrétaire d’État, c’est un vrai débat que nous avons, sur la question démocratique, par exemple. Vous considérez qu’être consulté signifie décider. Or je le redis : en l’espèce, les élus locaux sont bel et bien dessaisis. (Mme la secrétaire d’État le conteste.) Nous ne contestons pas la nécessité d’en passer par là pour mener à bien un certain nombre de projets d’intérêt national majeur. Mais être consulté ne veut pas dire décider !
Je me permets par ailleurs un petit aparté : vous m’avez invité à visiter avec vous les supercalculateurs et tous les beaux projets que vous lancez. Vous vous apercevez de l’importance de ces questions, c’est très bien ; vous avez laissé Atos dériver depuis deux ans et demi jusqu’à la situation actuelle, c’est moins bien. Quand, au mois de décembre, nous avions proposé, avec l’ensemble des groupes de gauche, de nationaliser Atos, le Gouvernement nous avait ri au nez. Et c’est finalement ce que vous êtes en train de faire ! Nous aurons perdu un an dans l’affaire…
Revenons aux data centers : les rapports montrent qu’en moyenne l’implantation d’un data center sur le territoire crée vingt emplois ! Vingt ! Et je ne parle même pas de leur caractère énergivore : les chiffres des mégawattheures d’électricité consommée sont énormes. L’accueil d’un de ces centres par une ville comme La Courneuve revient à doubler la consommation électrique de la commune. À l’heure de la sobriété énergétique, ce n’est pas une petite question…
Quoi qu’il en soit, personne ici n’a dit qu’il ne fallait pas de data centers : ces équipements sont bien un élément de souveraineté – je l’ai dit –, mais non le seul ! C’est l’ensemble de la chaîne de valeur qu’il faut construire en ce domaine, en y incluant le traitement de données, le trafic internet, les logiciels. Or, sur tous ces sujets, pardonnez-moi l’expression, nous restons les bras ballants !
Nous allons accueillir des data centers, c’est très bien, même s’il faut encadrer leur installation et se pencher sur le caractère particulièrement énergivore de cette industrie. Reste un problème fondamental : le Conseil d’État a dit qu’un projet pouvait être qualifié de projet d’intérêt national majeur à condition que des milliards d’euros soient investis et des milliers d’emplois créés. Or vous parlez, vous, de quelques centaines d’emplois, madame la secrétaire d’État. Autrement dit, vous créez un droit dérogatoire au droit dérogatoire !
Si la droite sénatoriale veut accompagner la communication gouvernementale sur le thème de la réindustrialisation du pays sans considération des chaînes de valeur dans leur ensemble, qu’elle le fasse ; pour nous, c’est non !
Mme Audrey Linkenheld. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je vais parler sous le contrôle de nos collègues membres de la commission mixte paritaire qui s’est réunie longuement pour aboutir à un texte commun sur la proposition de loi, examinée par le Parlement en 2023, visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux.
Sauf à ce que m’ait échappé un alinéa du texte finalement adopté et promulgué conformément à nos règles démocratiques, je ne vois pas ce qui vous permet d’affirmer de manière aussi assurée, madame la secrétaire d’État, que par principe les data centers seraient hors calcul du ZAN.
Mme Cécile Cukierman. Peut-être est-ce le choix du Gouvernement de considérer qu’il en est ainsi, mais ce choix n’emporte aucune garantie pour l’avenir. J’aimerais donc avoir des explications ; tant mieux s’il nous a échappé que le Gouvernement souhaitait désormais assouplir le mode de calcul du ZAN. Et je parle sous le contrôle du président et du rapporteur du groupe de travail sénatorial chargé d’assurer le suivi de la politique de réduction de l’artificialisation des sols.
Si vous pouviez, malgré l’heure tardive, nous éclairer sur ce qui motive la certitude dont ont témoigné vos propos, je vous en saurais gré, madame la secrétaire d’État.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 55 rectifié, 295 et 329.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 425 rectifié, présenté par MM. Canévet et Delcros, Mmes N. Goulet et O. Richard, MM. Kern et Longeot, Mmes Havet et Billon, M. Capo-Canellas, Mmes Vérien, Romagny et Gacquerre, M. Duffourg, Mme Saint-Pé et M. Levi, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Au I, après le mot : « industriel », sont insérés les mots : « ou d’infrastructure » ;
II. – Alinéa 11
Rédiger ainsi cet alinéa :
II. – Au deuxième alinéa de l’article L. 411-2-1 du code de l’environnement, après le mot : « industriel », sont insérés les mots : « ou d’infrastructure ».
La parole est à M. Michel Canévet.
M. Michel Canévet. La loi relative à l’industrie verte a défini les conditions dans lesquelles les projets industriels reconnus d’intérêt national majeur peuvent être concrétisés par le biais d’un allégement significatif des procédures.
Cet amendement vise à étendre aux projets d’infrastructure, qui sont eux aussi absolument nécessaires à la transition écologique et énergétique de notre pays, le bénéfice des dispositions applicables aux projets d’intérêt national majeur.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Yves Bleunven, rapporteur. La procédure permettant de reconnaître à des projets la qualification d’intérêt national majeur doit rester dérogatoire et ne concerner que les projets de très grande ampleur, de dimension industrielle et nécessitant des investissements lourds. Dans le cadre de la loi relative à l’industrie verte, nous avons fait le choix d’en limiter le périmètre aux projets industriels.
Cette procédure est nouvelle : nous l’avons votée il y a quelques mois seulement. À ce stade, nous pensons qu’il est préférable de ne pas trop élargir son périmètre, en attendant d’avoir davantage de recul sur ce qui fonctionne et sur ce qui bloque.
L’ajout de la notion de « projet d’infrastructure », sans davantage de précisions quant au type d’infrastructures visées, nous paraît beaucoup trop vague.
Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marina Ferrari, secrétaire d’État. Même avis, défavorable, pour les mêmes motifs.
Si vous me le permettez, monsieur le président, je souhaite répondre au sénateur Gay, qui m’a interpellée tout à l’heure. Quand je dis que les élus restent « consultés », entendons-nous bien : je veux dire qu’ils auront toujours un avis favorable à donner avant toute implantation sur leur territoire et qu’ils auront toujours la main sur les autorisations d’urbanisme.
J’espère avoir ainsi clarifié mon propos !
M. Fabien Gay. Et sur le reste, sur les milliers d’emplois supposément créés ?
M. le président. Monsieur Canévet, l’amendement n° 425 rectifié est-il maintenu ?
M. Michel Canévet. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 425 rectifié est retiré.
L’amendement n° 434 rectifié, présenté par Mme Loisier, M. Canévet, Mme Vérien, MM. Duffourg et Delcros, Mme Romagny, MM. J.M. Arnaud, Menonville, Gremillet et Pillefer, Mme Billon, MM. E. Blanc, Fargeot et Capo-Canellas, Mme F. Gerbaud, MM. Genet et L. Vogel, Mmes Guidez, Jacques et Demas et MM. Chaize, Cambier et Michallet, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après les mots :
puissance installée
insérer les mots :
supérieure ou égale à 100MW
La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny.
Mme Anne-Sophie Romagny. Cet amendement de notre collègue Anne-Catherine Loisier s’inscrit dans l’objectif de simplification de l’installation des centres de données de grande envergure. Il convient néanmoins de s’interroger sur la pertinence et l’applicabilité des critères proposés dans l’étude d’impact du projet de loi.
Ladite étude d’impact fait état de la volonté de réserver la possibilité pour des projets de data centers d’être qualifiés de projets d’intérêt national majeur aux infrastructures présentant une puissance installée de 400 mégawatts et une superficie comprise entre trente et cinquante hectares. Ces critères semblent directement importés des modèles qui prévalent en Amérique du Nord, où les centres de données atteignent en effet de telles dimensions.
Or la réalité du marché français des centres de données est bien différente. En France, la puissance installée des grands projets se situe généralement autour de 100 mégawatts, pour une superficie d’environ dix hectares. Aucune installation en cours de développement ou prévue à court terme ne répond aux critères définis par le projet de loi. Ainsi les seuils proposés apparaissent-ils largement déconnectés des besoins et des capacités du marché français.
Adopter une telle mesure sans tenir compte des spécificités nationales reviendrait à instaurer des critères inatteignables pour les acteurs du secteur en France. Par conséquent, si cette mesure venait à être votée telle quelle, elle serait de facto inopérante, excluant tous les projets de centres de données actuels et futurs de la qualification de projet d’intérêt national majeur.
Cette exclusion aurait plusieurs conséquences négatives. D’une part, elle priverait les grands projets de data centers de la reconnaissance et du soutien associés au statut de projet d’intérêt national majeur. D’autre part, elle pourrait décourager les investisseurs et ralentir le développement des infrastructures numériques en France.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Yves Bleunven, rapporteur. Vous avez raison : actuellement, il n’existe pas en France de centres de données de l’envergure de celle qui est annoncée par le Gouvernement dans l’étude d’impact du projet de loi. L’objectif est justement de susciter des investissements supplémentaires pour faire évoluer le marché français. Il s’agit non pas tant de s’adapter au présent que de préparer l’avenir.
Par ailleurs, la précision du critère de puissance installée me semble relever du niveau réglementaire et non du niveau de la loi. C’est la logique qui avait été suivie par le Parlement pour les projets industriels dans le cadre de la loi relative à l’industrie verte ; il conviendrait de conserver cette logique.
Surtout, encore une fois, je maintiens que les qualifications en PINM ne devraient concerner qu’un nombre limité de projets.
Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marina Ferrari, secrétaire d’État. Madame la sénatrice, aucun seuil chiffré n’a effectivement été inscrit dans la loi afin de permettre de juger de l’intérêt national majeur des projets sur plusieurs critères, en fonction de leur contribution effective à la souveraineté nationale, à la transition énergétique ou à la transition numérique.
Imposer dans la loi un seuil minimal de puissance, comme l’a expliqué M. le rapporteur, sanctionnerait potentiellement les projets d’une puissance peut-être légèrement moins importante, mais dont la contribution pourrait être très significative pour notre souveraineté nationale. Je pense notamment à tout ce qui concerne les puissances de calcul.
Par ailleurs, un seuil fixé dans la loi méconnaîtrait les futures évolutions technologiques qui sont devant nous. L’étude d’impact que vous citez dans l’exposé de motifs n’a pas d’effet normatif : elle vise simplement à donner un exemple d’un type de projet qui pourrait nécessiter le recours à un outil tel que le PINM.
Je demande également le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable. C’est évidemment dans le décret que nous définirons les seuils.
M. le président. Madame Romagny, l’amendement n° 434 rectifié est-il maintenu ?
Mme Anne-Sophie Romagny. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 434 rectifié est retiré.
L’amendement n° 236 rectifié bis, présenté par Mme L. Darcos, M. Malhuret, Mme O. Richard, MM. A. Marc, L. Vogel et Chevalier, Mme de La Provôté, MM. Brault, V. Louault et Chasseing, Mme Lermytte, M. Wattebled, Mme Paoli-Gagin, M. Grand, Mme Bourcier et M. Capus, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
« Dans la région d’Île-de-France, les opérations de construction, reconstruction ou extension d’un centre de données autre qu’un centre de données mentionné au premier alinéa du I bis sont agréées par le représentant de l’État dans la région dès lors qu’il dépasse 1 000 m² de surface de plancher.
« La cession, à titre onéreux, par une personne physique ou une personne morale de droit privé, de terrains bâtis ou non bâtis, en vue de la réalisation d’un centre de données, donne lieu, avant la signature de la promesse de vente, à une information du maire de la commune dans laquelle le projet de centre de données pourrait être implanté, ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale mentionné au 1° de l’article L. 153-8 concerné lorsqu’un plan local d’urbanisme intercommunal est applicable sur le territoire de celle-ci. »
La parole est à M. Jean-Luc Brault.
M. Jean-Luc Brault. Les centres de données posent problème dans les différentes régions. Au-delà de la puissance électrique installée, ces projets entraînent de nombreuses nuisances, comme la chaleur fatale libérée. On ne fait pas attention à tous ces impacts et on laisse trop faire. Nous sommes donc aujourd’hui confrontés à un réel souci : nous avons certes besoin des data centers, mais les collectivités devraient être averties beaucoup plus en amont. Telle est l’ambition portée par le présent amendement.
Enfin, le régime fiscal appliqué aux centres de données est inadapté et ne permet pas de compenser les impacts locaux des projets concernés. Une adaptation de ce régime fiscal apparaît nécessaire dans le cadre d’une prochaine loi de finances.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Yves Bleunven, rapporteur. Je comprends pourquoi vous avez déposé cet amendement, car il y a effectivement un problème important en Île-de-France, qui concentre la très grande majorité des centres de données installés en France. Il y en a aussi beaucoup dans la région de Marseille.
S’il existe une spécificité liée à votre territoire, je ne pense pas pour autant qu’il faille introduire dans la loi un dispositif qui ne s’appliquerait qu’à une seule région : cela me semble être une rupture territoriale importante.
L’article 15 ne concerne pas l’implantation de tous les centres de données, mais concerne seulement ceux qui sont de dimension industrielle et qui pourraient être qualifiés d’intérêt national majeur.
En ayant la main sur les décisions d’urbanisme, les élus locaux et leurs services sont informés. Lorsque c’est l’État qui met en compatibilité leurs documents d’urbanisme et de planification, les élus locaux doivent donner leur accord au préalable.
Je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marina Ferrari, secrétaire d’État. Cet amendement pointe effectivement la situation particulière de l’Île-de-France où l’on observe une concentration de data centers, ainsi qu’à Marseille ou dans la région de Bordeaux. Ces derniers s’implantent aujourd’hui à proximité des nœuds de raccordement électrique.
Vous proposez tout d’abord que le préfet de la région d’Île-de-France agrée les centres de données d’envergure qui ne seraient pas identifiés comme PINM. Or un système d’agrément préalable pour l’implantation de centres de données a déjà été mis en place par la préfecture d’Île-de-France.
Par ailleurs, vous proposez que la collectivité accueillant un projet d’implantation de centre de données en soit informée en amont, qu’il s’agisse ou non d’un PINM. Vous le savez, dans le cadre d’un centre de données qualifié de PINM, la collectivité est sollicitée pour accord. Les autres centres de données que vous incluez dans votre amendement ne sont pas l’objet de cet article, qui concerne précisément les PINM.
Enfin, une telle procédure n’irait pas dans le sens de l’ambition de simplification que nous défendons au travers de ce texte.
J’émets donc un avis défavorable.