M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner ce projet de loi, plus de quatre ans après son vote au Palais-Bourbon, en juillet 2019.
Les discussions de nos collègues députés ont été houleuses. L’accord était alors encore récent, et nous n’avions pas assez de recul sur l’application provisoire de ses dispositions commerciales, en vigueur depuis septembre 2017.
Aujourd’hui, nous disposons d’un premier bilan concret de ces dispositions, sur six ans. N’en déplaise à ses détracteurs, ce bilan est positif pour l’Union européenne et la France, comme l’a rappelé M. le ministre.
Le Ceta permet à l’Union européenne de tirer un avantage substantiel de ses relations commerciales avec le Canada. En 2018, l’Union bénéficiait déjà d’un excédent cumulé sur l’exportation de ses biens et de ses services vers le Canada de l’ordre de 19 milliards d’euros.
La fluidité et l’équilibre de ces échanges sont dus à l’abaissement et à la suppression de 98 % des barrières tarifaires entre l’Union européenne et le Canada. Cette réduction massive des droits de douane favorise l’accès des produits français sur le marché canadien, tout en renforçant leur compétitivité. C’est un réel avantage pour les produits français, dont la population canadienne raffole.
À titre d’exemple, la filière viticole, fleuron du patrimoine français, a bénéficié d’une suppression des droits de douane sur les produits qu’elle exporte vers le Canada, sachant que ce pays est notre huitième client mondial pour l’importation de nos vins et le septième pour l’importation de nos spiritueux.
Autre exemple qui illustre la réussite du Ceta pour notre économie nationale, l’export des fromages a augmenté de 60 % entre 2016 et 2022. L’excédent commercial des produits laitiers a progressé de 23 millions d’euros entre 2017 et 2023.
La conclusion que nous pouvons tirer de ces chiffres est aussi simple que positive : le Ceta offre, depuis 2017, une multitude d’avantages commerciaux tant pour l’Union européenne que pour la France.
Les exportations françaises vers le Canada ont progressé de 1 milliard d’euros entre 2017 et 2023, ce qui représente une hausse de 33 %. Nos exportations de services ont, quant à elles, augmenté de 71 % entre 2017 et 2022.
Je veux, par ailleurs, insister sur le fait que le Ceta n’est pas un accord de libre-échange traditionnel : c’est un accord dit « de nouvelle génération », qui permet aux entreprises françaises de participer de manière accrue au marché public canadien. Il contribue également à l’augmentation des investissements bilatéraux. Il favorise la coopération entre l’Union européenne et le Canada en matière de normes et de régulations. C’est, en somme, un accord essentiel pour la bonne santé économique et commerciale de ses parties prenantes.
Malgré cela, certains représentants des filières agricoles et agroalimentaires sont inquiets des conséquences du Ceta.
Ces inquiétudes sont partagées par une majorité d’entre vous, mes chers collègues, mais ceux qui montent à cette tribune pour s’opposer au Ceta usent d’arguments dont la précision et la pertinence font défaut.
Dans notre société, l’information côtoie trop souvent la désinformation. Face aux infox qui circulent sur cet accord, je tiens à clarifier quelques points.
Le Ceta s’est révélé être largement favorable à nos agriculteurs. L’excédent des filières agricoles et agroalimentaires a été multiplié par trois depuis 2017. Les exportations de boissons ont bondi de 24 %. La filière laitière a directement profité de la floraison des exportations de fromages.
Je rappelle également que quarante-deux indications géographiques françaises bénéficient d’une reconnaissance et d’une protection précieuses grâce au Ceta. Cela concerne des produits chers à notre patrimoine alimentaire national, comme le roquefort, le cantal ou encore les pruneaux d’Agen.
Contrairement à ce que racontent les détracteurs du Ceta, l’incidence des importations de produits canadiens sur les filières sensibles est marginale en Europe et en France.
Il y a sept ans, lors de nos débats, on entendait dire que le marché français allait être envahi de bœuf canadien. Pour l’année 2023, la quantité de viande bovine importée sur notre sol depuis le Canada correspond à 0,0034 % de la consommation française. Ce chiffre est très faible, car nous n’importons que des produits satisfaisant à nos exigences sanitaires. Nous écartons ainsi toute importation de viandes traitées aux hormones de croissance, interdites dans l’Union européenne.
Si les produits que nous importons ne sont pas conformes aux mêmes normes que celles que respectent nos agriculteurs, nos éleveurs et nos producteurs, ils n’entrent pas sur notre territoire.
Je tiens aussi à répondre à celles et ceux qui s’inquiètent des potentielles conséquences négatives du Ceta sur l’environnement.
En 2022, l’Union européenne a adopté une nouvelle approche favorisant l’intégration de la durabilité dans les accords commerciaux européens. Elle vise notamment à élever l’accord de Paris au rang d’élément essentiel des futurs accords de commerce de l’Union européenne, au même titre que le respect des droits de l’homme. Cette philosophie est cohérente avec les priorités qui sont celles de la France depuis 2017.
Le Ceta s’est par ailleurs révélé être un moteur de la coopération entre l’Union européenne et le Canada en matière d’environnement. En novembre dernier, les deux parties prenantes ont créé l’Alliance verte, pour intensifier la coopération sur des sujets tels que le climat, l’énergie et l’océan.
Ces initiatives nous permettent d’avancer dans la bonne direction, d’autant que nous sommes entourés de pays et de personnalités climatosceptiques qui voudraient revenir sur l’accord de Paris de 2015.
En outre, quinze des trente matières premières critiques essentielles à notre transition écologique se trouvent au Canada, premier producteur de potasse et deuxième producteur d’uranium au monde. Grâce au partenariat que nous avons signé avec le Canada en septembre 2023, la France pourra assurer l’importation de ces métaux critiques, qui soutiendront notre modèle énergétique.
Mes chers collègues, après plus d’une heure de discussion générale, j’espère que vous reconnaîtrez les avantages indéniables du Ceta pour notre économie et pour celle de nos partenaires européens.
N’ayons pas la mémoire courte et souvenons-nous, mes chers collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, que le Ceta a été signé par François Hollande en 2017 et qu’il est le résultat des travaux engagés par Nicolas Sarkozy à partir de 2009.
Ne soyons pas dogmatiques non plus : le Ceta est un excellent accord commercial, dont le bilan est d’ores et déjà plus que positif.
Sa ratification n’implique rien de plus que l’application de dispositions qui ont déjà fait leurs preuves, n’en déplaise à ceux qui tentent de faire croire qu’il s’agirait d’une première étape vers l’approbation du Mercosur. (Brouhaha sur des travées du groupe Les Républicains.)
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Le temps de parole est écoulé !
Mme Nicole Duranton. Le Ceta contribuera à offrir de nouvelles perspectives aux entreprises qui font rayonner la France sur la scène internationale. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Plusieurs sénateurs martèlent leurs pupitres.)
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Nicole Duranton. Il renforcera nos excellentes relations commerciales avec le Canada, grande démocratie avec laquelle nous partageons des liens historiques et amicaux intangibles.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Nicole Duranton. La majorité des sénateurs du groupe RDPI votera ce projet de loi autorisant la ratification du Ceta. (MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Olivier Cadic applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après plusieurs années de mobilisation de la société civile, de plusieurs syndicats et d’ONG, nous avons enfin la chance de débattre du Ceta et de nous prononcer sur sa ratification.
Pourtant, l’inscription du texte à l’ordre du jour de l’espace réservé à un groupe d’opposition, le groupe communiste – que je remercie de son initiative –, est un terrible désaveu pour le Gouvernement, qui n’a cessé de vouloir contourner le Sénat sur un sujet pourtant majeur.
Nous examinons aujourd’hui le présent projet de loi dans un contexte parlementaire un peu spécial, après plusieurs semaines de crise agricole.
Durant cette période, partout en Europe, les agriculteurs ont exprimé deux principales revendications : pouvoir vivre dignement de leur métier, de leur travail, d’une part, et ne plus subir une concurrence déloyale via des produits exportés à bas coût grâce aux traités de libre-échange, d’autre part.
L’accord économique et commercial entre l’Union européenne et le Canada a directement trait à ces deux sujets.
Depuis l’entrée en application du Ceta et l’accélération des échanges qui en résulte, certaines filières sont certes gagnantes, mais d’autres sont davantage perdantes. En tant que législateurs, nous devons nous interroger sur l’équilibre entre les gains réels, d’une part, et les conséquences néfastes sur certaines filières, d’autre part.
Avec un peu de recul, on s’aperçoit rapidement que les avantages du Ceta sont minimes : les progrès constatés pour ce qui concerne les exportations sont ainsi à nuancer si on les considère en volume ; les gains économiques que notre pays tire de l’accord sont, quant à eux, relativement faibles.
À titre d’exemple, et contrairement à ce que vous nous avez dit, monsieur le ministre, la part des fromages exportés au Canada représente à peine 0,55 % du volume total de la production fromagère française.
À l’inverse, des filières comme celle de la lentille subissent déjà une forte concurrence, tandis que la filière bovine française, qui est pour le moment relativement épargnée, a des raisons de craindre que le Canada ne décide de recourir aux quotas négociés dans le cadre du Ceta.
C’est pour ces filières que la question de la concurrence déloyale se pose au premier chef.
Pour nos agriculteurs et pour notre sécurité alimentaire, nous ne pouvons pas accepter du bœuf nourri à la farine d’origine animale et élevé aux hormones de croissance. Nous ne pouvons pas tolérer que des résidus de glyphosate aussi importants se retrouvent dans nos lentilles. Surtout, nous ne pouvons pas revenir sur l’interdiction des quarante et une substances actives phytosanitaires, qui sont certes approuvées au Canada, mais interdites dans l’Union européenne.
Derrière ces mesures de protection des agriculteurs et des consommateurs, c’est la question du modèle agricole que nous voulons pour l’Europe qui se pose.
Malheureusement, depuis l’entrée en vigueur provisoire du Ceta, le Canada a cherché à plusieurs reprises à affaiblir la législation européenne en matière agricole, que ce soit en contestant l’interdiction de certains produits phytosanitaires ou en cherchant à obtenir des dérogations pour l’exportation de viande bovine.
Ce lobbying, rendu possible par les forums réglementaires prévus par l’accord, n’est pas acceptable et n’est pas à la hauteur des ambitions environnementales et climatiques que nous devons défendre.
Il est également important de rappeler que le Ceta a déstabilisé la filière laitière canadienne, dont l’organisation reposait encore sur des quotas afin d’assurer une juste rémunération des agriculteurs.
Les effets de cet accord sont donc dommageables pour les paysans des deux côtés de l’océan Atlantique.
Plus largement, ce traité de libre-échange a surtout permis une augmentation des échanges de produits fortement carbonés, ce qui est bien sûr intolérable pour un accord dit de « nouvelle génération ».
Comme l’a rappelé mon collègue Didier Marie, nous ne sommes pas opposés au commerce et aux échanges, lesquels sont indispensables pour notre agriculture et notre industrie, mais nous ne souhaitons plus de traités de libre-échange qui tirent les prix vers le bas, au détriment des normes sociales et environnementales.
L’Union européenne doit contribuer à l’émergence d’un nouveau modèle commercial, dans le cadre duquel les principes de réciprocité et de précaution seraient des valeurs incontournables.
Les clauses miroirs ne doivent pas être réduites à une simple expression que l’on répéterait inlassablement : elles n’ont de sens que si elles figurent réellement dans chaque accord de libre-échange, ce qui n’est pas le cas pour le Ceta, monsieur le ministre, contrairement à ce que vous affirmez.
L’Union européenne, qui représente vingt-sept démocraties et un marché de plus de 400 millions de consommateurs, a les cartes en main pour imposer un tel modèle. C’est donc vous, monsieur le ministre, qui disposez des cartes pour faire avancer les choses.
Pour commencer, nous vous proposons de supprimer l’article 1er, qui prévoit d’autoriser la ratification du Ceta. Avec mes collègues du groupe socialiste du Sénat, nous nous opposerons avec conviction à cette ratification ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Claude Varaillas et M. Guy Benarroche applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre assemblée doit se prononcer aujourd’hui sur l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada, le célèbre Ceta, après le rejet du texte en commission.
Je tiens tout d’abord à saluer les travaux du rapporteur Pascal Allizard et du rapporteur pour avis Laurent Duplomb.
Avant d’aller plus loin dans mon propos, je tiens à dire que le rejet du projet de loi de ratification en commission ne remet bien sûr pas en cause la force du lien qui unit la France et le Canada.
Notre pays et le Canada, notamment à travers le Québec, et malgré la distance qui nous sépare, partagent une histoire, une culture et une langue commune.
C’est en raison de cette amitié, loin des caricatures, que nous ne pouvons pas tout accepter, en particulier cet accord de libre-échange.
Il n’y a pas, d’un côté, le libéralisme incontrôlé et, de l’autre, le protectionnisme conservateur. Alors, s’il vous plaît, monsieur le ministre, halte à la véhémence, halte aux caricatures, place à la cohérence !
Mes chers collègues, la vérité se situe entre les deux : je crois qu’un équilibre peut et doit être trouvé, car il ne s’agit pas ici de remettre en cause le libre-échange. Le président de notre groupe, Bruno Retailleau, l’a rappelé : nous croyons en la liberté et dans le commerce comme potentielles sources de prospérité des peuples.
Tous les accords commerciaux ont bien sûr des avantages et des inconvénients. L’objectif est de parvenir à un équilibre entre filières gagnantes et perdantes, et ce en vue d’assurer une prospérité globale.
Force est de constater, comme je l’ai rappelé en 2019, alors députée, que le Ceta ne permet pas d’atteindre les objectifs louables qu’il affiche.
À l’image du Golem, il incarne désormais une machine économique qui échappe à ses concepteurs, c’est-à-dire les nations, au profit d’une logique purement mercantile ou, pour reprendre les mots de notre rapporteur Pascal Allizard, il est une épée de Damoclès au-dessus de notre agriculture.
D’une certaine façon, il fait deux victimes : d’une part, le Parlement et les sénateurs ; de l’autre, les agriculteurs, notamment les éleveurs.
Ceta, Mercosur, partenariat européen pour l’évaluation des risques liés aux substances chimiques (Parc), traité avec la Nouvelle-Zélande : la multiplication de ces accords fragilise incontestablement notre agriculture.
Nous ne pouvons pas parler d’agriculture sans parler de souveraineté alimentaire. Aujourd’hui, ces accords ne permettent pas d’établir une réciprocité, qui assurerait un équilibre élémentaire permettant de défendre l’intérêt de nos entreprises et de nos agriculteurs.
Mes chers collègues, faisons preuve de pragmatisme, ainsi que de cohérence en matière commerciale. Serions-nous cohérents si, d’un côté, nous apportions notre soutien à nos agriculteurs et, de l’autre, nous votions cet accord ?
M. Emmanuel Capus. Oui !
Mme Valérie Boyer. Il est incohérent d’imposer des normes de plus en plus contraignantes à nos producteurs, en les exposant toujours plus à des concurrents qui ne respectent pas les mêmes règles que les nôtres.
Comment pourrions-nous continuer à prétendre que nous défendons l’environnement, que nous voulons une production raisonnée, plus respectueuse des équilibres écologiques si, après avoir rendu la vie impossible aux paysans français, nous faisions le choix de faire venir des produits issus de pratiques d’élevage opposées à notre modèle français et souvent interdites en France ?
Mme Valérie Boyer. Nous parlons ici de taille d’exploitation, d’alimentation des bêtes – les farines animales, par exemple –, d’utilisation de substances interdites par l’Union européenne – antibiotiques, hormones – et de traçabilité des animaux – traçabilité par lot et non individuelle des animaux. Cet accord nous fait courir un risque sanitaire qu’il convient de ne pas négliger.
C’est pourquoi, mes chers collègues, ce débat ne doit pas se résumer à une opposition binaire : pour ou contre le Canada, pour ou contre le libre-échange.
Oui, nous sommes favorables au libre-échange si les échanges sont libres et équilibrés et si sont instaurées de véritables clauses miroirs, et non des miroirs aux alouettes, si j’ose dire, comme c’est bien souvent le cas.
Oui, le débat doit dépasser le cadre mercantile. Demandons-nous ce que nous voulons manger : voulons-nous une France divisée en deux, avec, d’un côté, ceux qui peuvent manger sainement et de manière éclairée, et de l’autre, tous les autres ?
Mme Cécile Cukierman. Bonne question !
Mme Valérie Boyer. La crise de la covid-19 nous a montré à quel point nous étions vulnérables ; la guerre en Ukraine et son corollaire, la crise du blé, ont prouvé à quel point notre souveraineté alimentaire est essentielle. Il faut changer de modèle, s’adapter, car le monde a changé.
Ne voulons-nous pas, comme de nombreux Français, conserver un certain nombre de principes et le triptyque cher à Fernand Braudel : pays, paysans, paysages ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions. – Mmes Cécile Cukierman et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis de nouveau, comme en 2021, pour débattre du Ceta. Nous pourrions d’ailleurs recourir aux mêmes arguments, car, malheureusement, le Gouvernement n’a pas mis à profit les sept années d’application provisoire de l’accord pour lancer le débat et adapter les fameuses mesures miroirs, pourtant promises par le Président de la République.
En 2021, déjà, nous exprimions le souhait que s’intensifient nos échanges avec le Canada, pays ami, avec lequel nous partageons une histoire, des intérêts convergents et, surtout, des perspectives d’avenir.
M. Loïc Hervé. Eh oui !
Mme Anne-Catherine Loisier. Depuis sept ans, nous constatons que les filières fromages, vins et spiritueux, ou encore le secteur des cosmétiques y gagnent.
Entre 2017 et 2023, le bilan commercial de l’accord est toutefois passé d’un excédent de 25 millions d’euros en faveur de la France à un déficit de 23 millions d’euros. Les exportations françaises vers le Canada augmentent trois fois moins vite que les importations depuis le territoire canadien.
Comme nous le disions déjà en 2017, oui à un traité avec le Canada, à condition qu’il soit équilibré. Malheureusement, le Ceta ne garantit toujours pas le respect des normes sanitaires et des normes de protection du consommateur imposées aux producteurs européens pour préserver la santé de nos ressortissants.
Le Canada – et c’est son droit – utilise quarante molécules de pesticides interdits dans l’Union européenne. Il cherche avec insistance à utiliser de l’acide peracétique – interdit en France – pour décontaminer les carcasses et à exporter en Europe avec toujours moins de contrôles.
En agissant ainsi, il provoque des distorsions de concurrence insoutenables pour nos agriculteurs. Il compromet notre modèle de santé publique et porte également atteinte à nos impératifs en matière de souveraineté alimentaire.
Cela étant, mes chers collègues, la discussion ne se réduit pas à considérer les intérêts de la filière bovine. L’enjeu est beaucoup plus large et profond.
Nous devons nous interroger sur la cohérence d’un traité négocié par l’Union européenne, elle-même inflexible sur les règles qu’elle applique à ses ressortissants, au motif de garantir la sécurité des consommateurs, le bien-être animal et de préserver l’environnement, mais soudainement laxiste et favorable au laisser-faire quand il s’agit d’accords de libre-échange et de produits importés…
Cet accord d’ancienne génération, du monde de l’avant-covid, d’avant l’état d’urgence climatique, ignore les impératifs que nous nous sommes fixé aujourd’hui : les écorégimes, les circuits courts, le Green Deal, les analyses de cycle de vie, les normes en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
Le commerce international actuel peut-il encore consister à importer ce dont nous ne voulons pas pour vendre ce que nous voulons exporter ?
Début février, le président Macron affirmait que, si certains pays nous demandaient d’ouvrir nos marchés, mais qu’ils ne respectaient pas les mêmes règles, il n’était « pas pour ». Il demandait aussi que les règles environnementales et sanitaires que l’on impose à nos agriculteurs soient les mêmes que celles qui s’appliquent dans les pays à qui l’on ouvre nos portes. Nous sommes d’accord avec le Président de la République : tout est dit.
Pour finir, permettez-moi d’ajouter quelques mots sur la juridiction d’exception chargée de régler les différends entre investisseurs et États, dont nous enclencherions le mécanisme si nous ratifiions aujourd’hui le Ceta.
Ce dispositif soulève un certain nombre de questions, y compris d’ailleurs chez nos amis canadiens, qui l’ont sorti de l’Alena, l’accord de libre-échange nord-américain. Ainsi, la ministre canadienne des affaires étrangères a expliqué que cette juridiction avait coûté plus de 300 millions de dollars de sanctions et de frais au contribuable canadien, qu’elle plaçait le droit des entreprises au-dessus de la souveraineté des gouvernements et qu’en la retirant les États parties renforçaient le droit des gouvernements à réguler dans l’intérêt général et à protéger la santé publique et l’environnement.
L’avenir du projet européen et du libre commerce passe par des traités équilibrés, respectueux des normes et des priorités européennes.
Monsieur le ministre, la politique commerciale européenne ne doit plus se résumer à traiter telle ou telle filière comme une monnaie d’échange, au mépris des règles que l’Europe impose sur son propre marché intérieur. Plus encore, l’Union européenne doit rester souveraine et décider des règles qu’elle applique sur son territoire, sans être empêchée par des accords ou menacée par des multinationales.
Au sein de l’Union Centriste, chacun votera selon ses convictions, mais nous souhaitons tous développer un partenariat commercial juste et équilibré avec ce pays frère qu’est le Canada. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur pour avis applaudit également.)
M. Emmanuel Capus. Il suffit de signer !
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Béatrice Gosselin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il a fallu sept ans pour que le projet de loi autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada, le Ceta, soit soumis au vote de la Haute Assemblée.
L’entrée en vigueur de cet accord, en septembre 2017, a entraîné la levée immédiate de près de 98 % des barrières tarifaires pesant sur les échanges entre l’Union européenne et le Canada.
Le secteur agricole a donc connu une libéralisation des échanges, marquée par la disparition programmée de près de 94 % des droits de douane. Les produits agricoles et ceux qui sont issus de l’industrie agroalimentaire sont en effet au cœur des échanges entre l’Union européenne et le Canada.
Le Ceta s’est révélé être bénéfique pour quelques produits agricoles français qui ont largement pénétré le marché canadien. Ainsi, la filière laitière a profité, de manière transitoire, de nouveaux contingents d’importation spécifiques pour les fromages européens, ce qui a provoqué une hausse de 63 % des exportations de fromages français entre 2016 et 2022.
Sénatrice de la Manche, je me dois de rappeler ici que le lait est le premier secteur de l’économie agricole normande, avec près de 1,4 milliard d’euros de chiffre d’affaires.
Le produit laitier spécifique à la Normandie est bien sûr le camembert. La région fabrique 83 % des camemberts français, et nos laiteries produisent près de 43 % des fromages frais français. La filière laitière est aussi le premier pourvoyeur d’emplois du secteur agroalimentaire.
Avant l’application du Ceta, les droits de douane s’appliquant aux fromages variaient entre 10 % et 227 %. Dans le cadre de cet accord, le Canada a accepté l’ouverture progressive, sur une période de cinq ans, de nouveaux contingents pour les fromages européens. Mais ces quotas d’exportation sont déjà atteints, alors que les importations de fromages canadiens peuvent toujours progresser sur le sol français.
Par ailleurs, l’accord prévoit la protection au Canada de 173 nouvelles IGP, dont seulement 42 indications françaises, sur les 260 indications recensées.
Malgré ces arguments, une large majorité des acteurs du monde agricole s’oppose à la ratification de ce traité, car elle estime que certaines filières ne bénéficient pas des garanties nécessaires.
En effet, les différences de conditions d’élevage entre nos deux pays et la faiblesse des contrôles sanitaires qui devraient être effectués par chaque État membre peuvent favoriser l’importation de viande bovine élevée aux antibiotiques et aux accélérateurs de croissance. Cela reviendrait à proposer aux consommateurs français et européens des produits bien en deçà de nos standards, à bas coût, qui mettraient en péril la filière bovine française.
En outre, il est vrai que le dialogue bilatéral sur les matières premières institué par le Ceta supervise la mise en œuvre de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et le Canada sur les matières premières critiques depuis juin 2021.
En effet, le Canada est un partenaire incontournable pour l’économie européenne : il fournit quinze des trente métaux et minéraux considérés comme critiques, tels que l’aluminium, le nickel, le cuivre, le plomb et le zinc.
Signé en 2023, ce partenariat a entraîné une suppression des droits de douane, ce qui renforce et sécurise nos liens commerciaux. Les métaux stratégiques sont nécessaires pour réaliser la transition énergétique : l’accord commercial avec le Canada représente donc une occasion de développer les échanges commerciaux avec un État dont les standards sociaux et environnementaux sont proches de ceux de la France.
Cependant, et c’est important, le risque de voir des produits agricoles ne répondant pas à nos exigences sanitaires et environnementales inonder le marché français est majeur. Le Ceta ne peut être ratifié au détriment de certaines filières agricoles.
Oui, nous sommes pour le libre-échange avec nos amis canadiens, mais cela suppose, comme l’a dit notre collègue Valérie Boyer, des échanges libres et équilibrés. C’est pourquoi il est nécessaire de supprimer l’article 1er de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)