Mme la présidente. La parole est à M. Ahmed Laouedj. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Ahmed Laouedj. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les jardins d’enfants ont une dimension sociale et familiale essentielle. Ils sont notamment reconnus pour leur capacité à offrir un accompagnement spécialisé aux enfants en situation de handicap.
Ces structures, victimes collatérales de la loi pour une école de la confiance, sont aujourd’hui menacées de disparition, à moins d’effectuer un changement radical et coûteux : se transformer en établissement d’accueil du jeune enfant ou en école maternelle.
L’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) avait ainsi rappelé l’attachement des maires à ces structures, qui répondent aux besoins particuliers des familles, et avait fait part de ses inquiétudes quant à de possibles fermetures. L’AMF avait identifié les difficultés très concrètes que poserait l’éventuelle transformation des jardins d’enfants, notamment en ce qui concerne l’adaptation des locaux, la formation des professionnels exerçant dans ces structures et le contrôle des enseignements.
Nos villes connaissent une importante demande de gardes pour les enfants âgés de moins de 3 ans. Cependant, les structures actuelles, telles que les crèches et les haltes-jeux, ne parviennent à satisfaire en moyenne qu’un tiers des demandes, ce qui constitue un véritable problème pour les parents actifs.
Les jardins d’enfants constituent des structures intermédiaires entre la crèche et l’école, qui répondent efficacement aux besoins de garde des enfants en bas âge. Il était donc essentiel de légiférer afin de contrer les effets de la loi pour une école de la confiance et de pérenniser ces structures.
La présente proposition de loi permet de répondre aux inquiétudes des parents, des communes et des professionnels. Néanmoins, je m’interroge sur le périmètre définitif des structures concernées, le texte ne se concentrant que sur la pérennisation des structures existantes : qu’en est-il des communes ou des associations qui souhaiteraient créer de nouveaux jardins d’enfants à l’avenir ?
Alors que le caractère essentiel des jardins d’enfants a été clairement établi, il me semble crucial d’anticiper ces éventualités afin de garantir un égal accès à ces structures de tous les enfants, quel que soit leur lieu de résidence.
Au-delà de ces considérations, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen est partagé sur ce texte. Aussi, certains de ses membres voteront contre. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Martin Lévrier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, particulièrement implantés dans les pays du nord de l’Europe, les jardins d’enfants ont trouvé leur place en France depuis plus d’un siècle.
Aux prémices de cette décennie, cinquante-trois départements français comptaient ce type de structure sur leur territoire, la moitié d’entre elles étant concentrées à Paris, dans le Rhône, le Nord, le Bas-Rhin, les Bouches-du-Rhône, la Loire, La Réunion et le Haut-Rhin. Aujourd’hui, 8 200 places sont disponibles, sur un total de plus de 2,5 millions, et 40 % d’entre elles se trouvent dans les deux départements d’Alsace et de Paris.
Adoptée conforme le 13 mars dernier par la commission de la culture, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à pérenniser les jardins d’enfants gérés par une collectivité publique ou bénéficiant de financements publics. Elle est le fruit de la volonté de Michèle Tabarot, …
M. Philippe Tabarot. Excellente députée ! (Sourires.)
M. Martin Lévrier. … qui a déposé le texte à l’Assemblée nationale.
Pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de cette proposition de loi, permettez-moi de la remettre en contexte.
La loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance a instauré l’instruction obligatoire dès l’âge de 3 ans à l’école maternelle. Cette obligation s’inscrit dans une volonté du Gouvernement de répondre à plusieurs objectifs, dont celui, le plus louable, de favoriser l’égalité des chances et l’inclusion. Et pour cause : l’école maternelle offre un environnement pédagogique et social stimulant à tous les enfants, quel que soit leur milieu social ou culturel ; elle permet de prévenir les difficultés scolaires en détectant les retards de développement dès le plus jeune âge et d’y remédier ; elle favorise l’acquisition du langage et des compétences sociales, essentielles pour la réussite future.
Cette loi, que nous saluons et qui a déjà fait la preuve de sa pertinence, a, par essence, rendu inutile le concept de jardins d’enfants en rendant l’école obligatoire dès l’âge de 3 ans.
M. Max Brisson. C’est l’instruction qui est obligatoire !
M. Martin Lévrier. Elle a prévu une progressivité pour permettre aux enfants qui y étaient scolarisés de terminer leur parcours avant l’entrée à l’école primaire. Plus précisément, elle a instauré une période de transition jusqu’en 2024 pour les structures ouvertes avant juillet 2019 ; 260 établissements et 8 000 élèves sont concernés.
Je concède que cette transition n’a pas été gérée de façon parfaite.
M. Max Brisson. C’est le moins que l’on puisse dire !
M. Martin Lévrier. Par exemple, aucune validation des acquis de l’expérience (VAE) n’a été proposée aux accompagnateurs des jardins d’enfants. Cette phase de transition était sans doute trop courte – j’y reviendrai.
En conséquence, nous examinons un texte qui tend à pérenniser ces structures.
Le premier argument qui justifierait cette proposition de loi est culturel. Les jardins d’enfants, à travers leur longue histoire, constitueraient un mode d’accueil plébiscité par de nombreuses familles, notamment dans la région Grand Est puisqu’ils découlent du modèle des Kindergärten que l’on trouve outre-Rhin.
Ainsi, les auteurs du texte, qui souhaitent protéger et pérenniser ce type d’établissements, revendiquent la sauvegarde d’une méthode éducative ancrée dans les comportements.
Que dire alors de l’originalité d’une approche pédagogique différente de tous les systèmes existants en France, qu’il s’agisse de l’enseignement public ou de l’enseignement privé sous ou hors contrat, même si souvent, et bien malheureusement, un regard idéologique est porté sur ce dernier ? Je me dois de rappeler que la transition aurait dû permettre cette évolution en souplesse.
Le deuxième argument justifiant ce texte est d’ordre diplomatique. En supprimant les jardins d’enfants, nous risquerions de créer un incident avec nos voisins allemands, qui voient dans la diffusion des jardins d’enfants à l’international une forme de soft power. J’ai beau être un partisan de l’Europe, je n’oublie pas que nous sommes des législateurs français ; en conséquence, ces considérations ne paraissent pas pertinentes.
Troisième et dernier argument : le statut d’établissement d’accueil des jeunes enfants diffère de celui des écoles maternelles, ce qui soulève des questions importantes sur l’accueil et l’éducation des enfants et la cohérence de la formation de ceux qui les encadrent – c’est sans doute le point le plus important.
Puisque je parle d’accueil et d’éducation, je rappellerai que les programmes pédagogiques des jardins d’enfants sont plus axés sur l’éveil, tandis que ceux des écoles maternelles privilégient l’apprentissage. Ce manque de cohérence pédagogique entre les deux structures laisse craindre une disparité de niveaux lors de la réunification des différents groupes à l’entrée au CP. (M. Max Brisson s’exclame.)
M. Claude Kern. Justement, non !
M. Martin Lévrier. J’évoquerai à présent la question de la formation. Alors que le certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (Capes) est requis pour enseigner en école maternelle, un niveau bac+3 suffit lorsqu’il s’agit de s’occuper des élèves accueillis dans un jardin d’enfants. Les instituteurs manifestent d’ores et déjà leur inquiétude face à une baisse du niveau d’exigence.
Alors que l’école promeut l’équité et l’égalité, que dirait-on si les enseignants n’avaient pas tous le même niveau de qualification et de rémunération ? Sur ces travées, le tollé serait général, n’est-ce pas ?
J’en viens à mon dernier point, qui nous concerne tout particulièrement, nous législateurs. Force est de constater que le Parlement a souvent tendance à légiférer sur une multitude de sujets très, voire trop spécifiques. De cette inflation normative résulte un amalgame de lois et de réglementations qui prennent le pas sur de véritables réformes.
Pour le bon fonctionnement de nos institutions et le renouvellement du respect envers celles-ci, il serait préférable de prévoir beaucoup plus de missions de contrôle et de mesures d’impact. Une analyse fine du système existant nous permettrait, si nécessaire, de procéder à des ajustements ayant du sens.
Je vois déjà arriver une loi qui permettrait de continuer d’ouvrir des structures du même type. Mettons un terme à cette volonté de répondre aux préoccupations d’opinions publiques de niche pour simplement marquer son action !
M. Max Brisson. C’est honteux de dire cela !
M. Martin Lévrier. La loi pour l’école de la confiance, votée par la grande majorité des parlementaires, a été promulguée. Elle a rendu l’école obligatoire dès 3 ans.
M. Max Brisson. L’instruction, pas l’école !
M. Martin Lévrier. Faisons-la vivre dans sa diversité sans vouloir protéger ce qui n’a plus lieu d’être !
Malheureusement, nous devons agir dans l’urgence. J’avais défendu en commission un amendement visant à prolonger la période de transition, car je ne pouvais me résoudre à cette juxtaposition de systèmes incohérents. Toutefois, nous sommes déjà au mois de mars et, en théorie, la navette parlementaire prendrait trop de temps pour qu’une rentrée sereine puisse être organisée dans l’ensemble de ces établissements. Pour autant, ma collègue Nadège Havet a déposé un amendement du même ordre. Si j’avais la certitude que le texte ainsi amendé pourrait être adopté définitivement avant la mi-juin, je vous inviterais à le voter.
Une fois n’est pas coutume, sur ce texte, notre groupe s’inscrira dans les pas de celui du RDSE : nos votes refléteront une grande diversité de points de vue. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Exclamations amusées sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colombe Brossel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Monique de Marco applaudit également.)
Mme Colombe Brossel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il était urgent d’agir. Pour les familles, pour les enfants accueillis en jardins d’enfants, pour les professionnels, il fallait préserver, définitivement, les jardins d’enfants.
Depuis 2019 et la promulgation de la loi pour une école de la confiance, les jardins d’enfants sont menacés. L’obligation d’instruction dès l’âge de 3 ans a remis en cause leur existence et leur bien-fondé. Nous sommes entre nous, nous pouvons donc nous avouer en toute tranquillité que l’existence et la pérennité des jardins d’enfants ont été un angle mort, voire peut-être une surprise ou une découverte, pour les artisans de la loi de 2019…
M. Max Brisson. Absolument !
Mme Colombe Brossel. De mobilisation en mobilisation, de dérogation en dérogation, puisque la période transitoire doit s’achever à la fin de la présente année scolaire 2023-2024, nous nous sommes retrouvés au bout du chemin, face à un choix : acter la légitimité de ces structures à proposer un modèle complémentaire d’accueil des enfants jusqu’à l’âge de 6 ans, ou la leur dénier.
Aujourd’hui, nous pouvons nous réjouir de cette proposition de loi et, je l’espère, du vote favorable de notre assemblée, qui permettra de pérenniser les jardins d’enfants gérés par les collectivités publiques ou qui bénéficient de financements publics, soit un grand nombre des jardins d’enfants existants.
Ces structures, qui relèvent de la catégorie juridique des établissements d’accueil du jeune enfant, accueillent dans de nombreux départements – essentiellement à Paris et en Alsace, ainsi que dans le Nord, le Rhône, la Loire et les Bouches-du-Rhône et à la Réunion – les enfants âgés de 18 mois à 6 ans, sur le modèle des Kindergärten allemands. La qualité de vie des enfants et la relation avec les parents sont au cœur de leur projet.
Bien loin de venir concurrencer ou de mettre en péril l’école maternelle publique, les jardins d’enfants représentent au contraire un modèle complémentaire de celle-ci : écoles maternelles et jardins d’enfants contribuent ensemble à la mixité et à l’inclusion dans chacun de nos territoires. C’est la raison pour laquelle nous défendons ces modèles.
Élue parisienne, je vais évidemment vous parler des jardins d’enfants parisiens, que je connais mieux. Situés très majoritairement dans des quartiers populaires et hébergés par un bailleur social, les jardins d’enfants municipaux sont des lieux de mixité et d’altérité. Centenaires, historiquement liés aux cités ouvrières, ils ont été créés pour permettre la prise en charge des enfants des familles accueillies dans les habitations à bon marché (HBM), dont les mères étaient généralement ouvrières. Comme le rapport conjoint des inspections générales le soulignait en 2020, ces établissements accueillent toujours de nombreux enfants issus de familles de milieux populaires.
À Paris, les jardins d’enfants sont essentiellement situés aux portes de Paris, comme notre rapporteure l’a relevé précédemment. Plus de 600 enfants parisiens y sont accueillis, sans tri ni sélection. Dans les jardins d’enfants pédagogiques de la ville de Paris, anciennement gérés par l’office public d’aménagement et de construction (Opac), devenu Paris Habitat, les familles déclarant des revenus inférieurs à 1 000 euros mensuels peuvent représenter jusqu’à deux tiers des enfants inscrits.
Partout, les jardins d’enfants sont des modèles d’inclusion ; cela a été dit sur toutes les travées de notre assemblée. Les enfants à besoins particuliers orientés par la protection maternelle et infantile (PMI), ou en situation de handicap reconnue représentent plus de 10 % des enfants accueillis à l’échelle nationale. À Paris, ils sont 15 %, dont 5 % sont reconnus par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). C’est plus du double de la proportion constatée dans les écoles maternelles. Ce chiffre n’a fait qu’augmenter ces dernières années, preuve, s’il en était besoin, que ces jardins d’enfants sont des lieux utiles pour scolariser et accompagner la scolarisation de ces enfants.
En effet, les jardins d’enfants facilitent un tel accueil en inclusion, à la fois par leurs projets éducatifs et par l’encadrement qui y est assuré : on compte un professionnel pour huit enfants jusqu’à 3 ans et trois professionnels pour quinze enfants au-delà.
Les jardins d’enfants sont par ailleurs régulièrement contrôlés par les services de la PMI et de l’éducation nationale pour ce qui relève de leur mission pédagogique. Si nous votons cette proposition de loi, ce contrôle sera désormais effectué chaque année par les services de l’éducation nationale, comme ils nous l’ont confirmé lors de leur audition.
Les professionnels des jardins d’enfants, essentiellement des auxiliaires de puériculture et des éducateurs et éducatrices de jeunes enfants, sont formés pour permettre l’accompagnement individualisé et pluridisciplinaire dont les enfants accueillis ont besoin. Ils sont engagés et remarquablement attachés à ces projets éducatifs. Ils sont mobilisés pour assurer un lien avec les familles, un lien renforcé et quotidien, précieux pour le bien-être et l’évolution de chacun des enfants.
La remise en cause des jardins d’enfants par la loi pour une école de la confiance, ou loi Blanquer, les avait, eux aussi, inquiétés. Comme les familles et comme les collectivités, les professionnels se sont mobilisés pour la préservation des jardins d’enfants. Ils ont dénoncé la condamnation inscrite dans cette loi : se transformer en établissement d’accueil de la petite enfance jusqu’à l’âge de 3 ans, ou en école privée, sous ou hors contrat, ou tout simplement disparaître !
Les sénateurs et sénatrices n’ont cessé de contester cette remise en cause, de manière transpartisane et à l’unisson de nos collègues députés, qui ont déposé la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ; tous, nous avons voulu défendre le modèle et l’existence des jardins d’enfants, au nom d’un principe très simple qui a été rappelé par l’un de nos collègues : pourquoi détruire ce qui fonctionne ?
L’issue était incertaine ; le couperet, très proche. Aujourd’hui, nous arrivons enfin à l’examen de cette proposition de loi.
Au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, je tiens à remercier l’ensemble de celles et de ceux – sénateurs et sénatrices de tous bords politiques – qui se sont mobilisés pour défendre ce modèle.
Chacun remerciera les siens ; permettez-moi donc de saluer d’abord l’engagement sans faille de David Assouline et de Rémi Féraud, tous deux sénateurs socialistes parisiens, ainsi que de notre collègue Marie-Pierre Monier, mais aussi celui de la députée socialiste Fatiha Keloua Hachi. Deux autres députées méritent d’être saluées, Éva Sas et Michèle Tabarot, auteure de la présente proposition de loi.
Le caractère transpartisan de cet engagement pour les jardins d’enfants étant particulièrement notable, je veux donc remercier tout particulièrement la rapporteure Agnès Evren, ainsi que nos collègues Elsa Schalck, Max Brisson, Annick Billon et Laurent Lafon. Sans doute en ai-je oublié certains, qu’ils soient ici également remerciés. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST, UC et Les Républicains.)
Après ces applaudissements d’autocongratulation, je tiens aussi, et surtout, à remercier et à saluer les familles et les professionnels qui n’ont jamais renoncé. Pour le dire franchement, le doute aurait pu tous nous gagner à certains moments ; eux n’ont jamais rien lâché et si nous sommes ici aujourd’hui, c’est parce que les familles et les professionnels ont continué à se mobiliser. Les applaudissements sont pour eux ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes SER, UC et Les Républicains.)
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera donc, bien sûr, cette proposition de loi.
Alors que la période dérogatoire doit prendre fin en août 2024, un amendement nous est proposé visant à la prolonger une nouvelle fois – d’une durée encore allongée par rapport à l’amendement similaire déposé en commission –, « afin que les structures concernées puissent envisager la meilleure option possible ». Mes chers collègues, nous n’avons pas le temps d’attendre ! Il serait contre-productif de reporter de nouveau l’échéance.
Nous, sénateurs et sénatrices socialistes, n’avons déposé aucun amendement, afin que le texte voté par notre assemblée puisse être adopté conforme à celui de l’Assemblée nationale et que, enfin, professionnels et familles puissent préparer sereinement la prochaine rentrée scolaire et les suivantes.
Il était urgent d’agir. Le vote, que j’espère conforme, de notre assemblée sur ce texte nous permettra de garantir définitivement un avenir aux jardins d’enfants existants, de sauvegarder un modèle qui fonctionne et des structures qui contribuent indéniablement au service public et à l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST, UC et Les Républicains. – M. Cédric Chevalier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Elsa Schalck. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, INDEP et SER.)
Mme Elsa Schalck. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis est celui de la dernière chance si nous voulons sauver les jardins d’enfants : s’il n’est pas adopté, ces structures seront malheureusement condamnées à disparaître à la rentrée prochaine !
Les jardins d’enfants, structures complémentaires des écoles maternelles, existent pourtant depuis plus d’un siècle dans notre pays. Ils ont fait leurs preuves en veillant au développement des enfants âgés de 2 à 6 ans. Ces structures sont aussi très appréciées des parents.
Ce mode d’accueil du jeune enfant joue également un rôle important dans l’intégration des enfants présentant un handicap ou atteints d’une maladie chronique, grâce à une meilleure continuité et à un taux d’encadrement moyen plus élevé.
Ces structures constituent par ailleurs de réels soutiens à la parentalité, en assurant une prise en charge adaptée et une forte dimension familiale tout en appliquant les programmes de l’éducation nationale.
Pourtant, malgré leurs nombreux atouts, ces structures ont été des victimes collatérales de la loi de 2019, qui a rendu l’instruction obligatoire à partir de l’âge de 3 ans. Un moratoire d’une durée de cinq ans leur aura permis de perdurer, mais cette période prend fin au mois de septembre prochain. À plusieurs reprises, nous avions pourtant essayé de modifier la donne, notamment en adoptant un amendement que j’avais déposé à la proposition de loi de notre collègue Max Brisson, votée par notre assemblée au mois d’avril 2023.
C’est aussi dans ce contexte que j’avais déposé, au mois de juin 2023, une proposition de loi visant à préserver les jardins d’enfants.
Je suis dès lors particulièrement heureuse que l’occasion nous soit donnée d’atteindre ce même objectif au travers du texte de notre collègue députée Michèle Tabarot. Je tiens à la remercier d’avoir mené ce combat à l’Assemblée nationale jusqu’à l’adoption de cette proposition de loi.
De même, je remercie très chaleureusement notre rapporteure Agnès Evren pour le travail qu’elle a effectué et pour son implication sur cette question. Je sais à quel point elle est, elle aussi, attachée à la pérennisation de ces structures.
Nous partageons en effet tous la même conviction : il est indispensable de maintenir les jardins d’enfants.
Grâce au travail parlementaire concordant de nos deux assemblées, grâce à des volontés communes, transpartisanes, que je tiens, moi aussi, à saluer, nous pouvons aujourd’hui sauver les jardins d’enfants qui sont encore ouverts, du moins ceux qui préexistaient à la loi de 2019.
Pour cela, mes chers collègues, il importe de voter ce texte dans une version conforme à celle de l’Assemblée nationale, et ce dès la première lecture, c’est-à-dire aujourd’hui même. Vous l’aurez compris, ce texte nous parvient d’extrême justesse, à l’heure où débutent les inscriptions en maternelle. Il s’agit donc de notre dernière chance de garantir un avenir aux jardins d’enfants ; je remercie donc à mon tour le groupe Les Républicains de l’avoir inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée.
La question qui nous est posée aujourd’hui est finalement très simple : souhaitons-nous pérenniser des structures qui ont fait leurs preuves ? On pourrait aussi se demander a contrario : pourquoi vouloir supprimer un modèle qui a fait ses preuves en termes de compétences pédagogiques et d’accompagnement éducatif et social ?
Malheureusement, l’effet de la loi de 2019 se fait déjà sentir puisque le nombre d’enfants accueillis dans les jardins d’enfants est en forte diminution. Certaines de ces structures se sont transformées en crèches ; quinze autres ont fermé leurs portes en 2023. D’autres encore seront amenés à disparaître dans les prochains mois compte tenu du délai très court qui nous sépare de la prochaine rentrée scolaire. Mais pour celles qui restent, pour les personnels et les familles, très engagés depuis le début de cette affaire, que je tiens moi aussi à remercier, il nous faut agir ! Il nous faut légiférer pour corriger les effets collatéraux d’une loi qui n’avait pas pris en compte ces structures particulières.
Nos territoires – le Sénat en a tout particulièrement conscience – sont riches de spécificités et de traditions locales, et ce dans de nombreux domaines. Ils nous en livrent quotidiennement de nombreux exemples, qui mériteraient d’être encouragés plutôt qu’évincés. Les jardins d’enfants en font partie. Ils sont notamment implantés à Paris et en Alsace, dans les deux départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Ils sont très présents à Strasbourg, capitale européenne. Ces établissements sont très demandés par les parents, notamment par des couples franco-allemands et par des fonctionnaires européens, ce modèle étant fortement développé dans les pays du nord de l’Europe et en Allemagne, où l’on trouve les fameux Kindergärten.
Je me félicite donc de l’engagement des parlementaires sur ce sujet et de la volonté transpartisane qui nous a guidés jusqu’ici.
Il s’agit bien, aujourd’hui, de légiférer pour permettre à un modèle séculaire de demeurer une réalité dans notre pays.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les membres du groupe Les Républicains voteront bien évidemment ce texte, convaincus de la nécessité de sauvegarder les jardins d’enfants ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et GEST, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laure Darcos. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les jardins d’enfants sont des lieux d’accueil à mi-chemin entre la crèche et l’école maternelle. Destinés à l’accueil et à l’éveil des tout-petits, ils proposent une forme de pédagogie alternative. Présents dans une cinquantaine de départements, ils ont une longue histoire en France où, s’inspirant du modèle des Kindergärten allemands, ils existent depuis une centaine d’années.
Ces structures associatives ou municipales sont à échelle humaine et proposent un modèle complémentaire de celui du système scolaire. Ils ne dépendent pas du ministère de l’éducation nationale, ce qui explique sans doute sa méconnaissance de ces établissements si particuliers.
Ceux-ci se sont développés autour d’une triple ambition : parentale, inclusive et sociale. Les éducateurs qui s’occupent des enfants bénéficient d’une formation spécifique, souvent centrée sur la psychopédagogie. Les parents s’investissent dans la vie des établissements, le personnel leur apportant régulièrement conseils et aides à la parentalité. La relation entre les éducateurs, les enfants et les parents y est déterminante.
De plus, les jardins d’enfants défendent une vision inclusive de l’école pour les plus jeunes. En effet, la pédagogie y est centrée sur l’enfant, son développement et ses besoins. Cela signifie que tous les profils peuvent s’y épanouir, en particulier ceux qui nécessitent un accompagnement spécifique.
Ainsi, à l’échelle nationale, 11 % des élèves accueillis au sein de ces structures sont en situation de handicap, proportion qui s’élève à 13 % à Paris.
La disparition des jardins d’enfants aurait donc pour conséquence d’aggraver les difficultés des parents d’enfants en situation de handicap, ce que personne ne souhaite ici.
Enfin, ces jardins d’enfants sont historiquement liés aux cités ouvrières et accueillent sensiblement plus d’enfants issus de familles défavorisées que les autres structures de la petite enfance. Les premiers établissements ont été créés dans l’idée d’ouvrir des lieux d’apprentissage pour les plus modestes. Et c’est toujours vrai aujourd’hui : plus d’un quart des jardins d’enfants sont encore situés dans un quartier prioritaire de la politique de la ville.
Aussi, si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est bien pour sauvegarder les jardins d’enfants, lieux de mixité sociale et d’inclusion. Mais que de temps perdu, que de stress pour les familles et les salariés !
Comme vous le savez, à la suite du vote de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, ces établissements sont appelés à disparaître dès la prochaine rentrée scolaire si nous ne modifions pas la loi, donc si le présent texte n’aboutit pas rapidement.
Rappelons que le projet de loi de Jean-Michel Blanquer était à l’origine muet sur le devenir des jardins d’enfants ; il n’y avait eu aucune anticipation. C’est donc, déjà, sur l’initiative du Parlement que ces structures ont pu être conservées jusqu’à présent.
Nous voici au mois de mars 2024, à six mois de la prochaine rentrée scolaire ; or rien de ce qui a été annoncé depuis 2019 n’a été mis en œuvre pour sauver les jardins d’enfants. Les services du ministère de l’éducation nationale continuent de considérer ces établissements comme une anomalie, alors que ceux-ci ont fait la preuve de leurs compétences en termes pédagogiques et d’accompagnement éducatif et social des enfants. Ils sont un modèle original et peuvent constituer une expérimentation intéressante d’un autre type d’accueil que l’école maternelle.
Une nouvelle fois, il aura fallu attendre le dernier moment et compter sur l’engagement des parlementaires pour régler ce problème. Comme l’a souligné Agnès Evren, rapporteure de ce texte, dont je salue le travail, les inscriptions scolaires ont lieu en ce moment même. Les familles sont démunies et attendent les conclusions du travail du Parlement. Il est donc urgent de défendre ce modèle éducatif, qui fonctionne parfaitement, tout en veillant à ce que les enfants inscrits dans ce parcours ne soient pas pénalisés lorsqu’ils intègrent l’enseignement primaire.
Un vote conforme permettrait à ces structures d’accueillir sereinement des enfants à la rentrée prochaine et d’apporter aux parents, ainsi qu’aux salariés qui y travaillent, un réel soulagement. Cet objectif est très largement partagé, à l’Assemblée nationale comme entre ces murs. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour saluer l’auteure de ce texte, la députée Michèle Tabarot.
Mon collègue Cédric Chevalier, qui devait initialement s’exprimer dans cette discussion générale, aurait conclu ainsi : « Voici venu le temps des rires et des chants ; dans les jardins d’enfants, c’est tous les jours le printemps ! »