Mme Céline Brulin. Elle est bien bonne, celle-là !
M. Roger Karoutchi. Cette phrase est de trop…
M. Gabriel Attal, Premier ministre. Le message du Président de la République a été très clair : nous n’abandonnerons pas l’Ukraine et nous n’excluons par principe aucune option.
Nous nous inscrivons dans un cadre réfléchi pour réaffirmer notre soutien à l’Ukraine, mais sans faire la guerre à la Russie et en refusant toute logique d’escalade. Nous ne nous fixons pas de limites face à une Russie qui, elle, n’en fixe aucune.
Nous continuerons, comme nous le faisons depuis le début du conflit, à faire évoluer notre soutien pour l’adapter aux besoins des Ukrainiens. (M. François Patriat applaudit.)
En deux ans, de nombreuses évolutions que l’on croyait impensables ont eu lieu. La Suède et la Finlande qui rejoignent l’Otan ? Impensable ! Pourtant, c’est fait. L’Europe capable de prendre des sanctions fortes en quelques heures ? Impensable ! Pourtant, c’est fait. L’Europe qui se mobilise, qui fournit des armes ? Impensable ! Pourtant, c’est fait.
Il y a une différence entre le soutien militaire et la cobelligérance. Nous pratiquons cette différence tous les jours, avec nos partenaires et nos alliés. Une dynamique est en train de se lancer depuis les chantiers ouverts à Paris, afin de faire plus, mieux et, si besoin, différemment pour soutenir l’Ukraine dans la durée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces propos sont fermes, je le sais. Mais je veux rappeler qu’aucun pays n’a œuvré plus que la France au dialogue avec la Russie pour ramener ses dirigeants à la raison.
Que ce soit dans les négociations avec l’Allemagne au format dit Normandie, commencées dès 2014 sous l’égide du président François Hollande, puis reprises par le président Macron ; que ce soit par les initiatives françaises de ces dernières années, lors des rencontres entre le Président de la République et le président Poutine à Versailles, à Saint-Pétersbourg, à Osaka et à Brégançon ; que ce soit par l’organisation, sur l’initiative du Président de la République, de ce qui s’est révélé la seule rencontre entre les présidents Zelensky et Poutine, qui a eu lieu en décembre 2019, en France, à l’Élysée ; que ce soit dans les mois, les semaines, les jours et les heures qui ont précédé l’éclatement du conflit, durant lesquels le Président de la République a tout tenté, jusqu’à se rendre à Moscou pour éviter la guerre.
Mme Sophie Primas. Quel héros ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gabriel Attal, Premier ministre. À toutes les étapes, notre engagement a été constant en faveur de la souveraineté et du respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, sans volonté d’ostraciser la Russie.
C’est la raison pour laquelle la position de la France en faveur de la paix est inchangée. Notre objectif reste celui d’une solution négociée qui respecte les droits de l’Ukraine et nos intérêts de sécurité. C’est la seule solution qui permette d’obtenir des garanties crédibles de la part de la Russie, pour s’assurer que celle-ci ne retournera à l’assaut ni de l’Ukraine ni d’un autre pays européen.
Certaines voix s’élèvent dans le débat public et parmi les politiques, notamment parmi les députés qui se sont exprimés hier à l’Assemblée nationale. Elles disent que, si elles ne soutiennent pas le présent accord, qui prévoit de renforcer notre soutien à tout point de vue à l’Ukraine, elles plaident pour une solution négociée.
Toutefois, comment peut-on imaginer une solution négociée qui permette aux Ukrainiens de vivre libres si la situation reste inchangée et que la Russie conserve un avantage absolu dans le rapport de force avec l’Ukraine ? Comment peut-on imaginer une solution négociée acceptable qui se traduise par une paix réelle si celle-ci est conclue alors que les Ukrainiens ont un pistolet sur la tempe ? (M. Cédric Perrin approuve. – Mme Cécile Cukierman proteste.)
Soutenir l’Ukraine, c’est lui permettre de résister et de bénéficier d’un rapport de force favorable à la conclusion d’une solution négociée dans l’intérêt des Ukrainiens. L’inverse n’est, hélas ! pas envisageable.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dans quelques instants, vous voterez. Vous vous prononcerez sur notre accord de sécurité bilatéral avec l’Ukraine, sur notre soutien à l’Ukraine et sur notre capacité à défendre nos intérêts et nos valeurs.
Au moment de ce vote, les Français nous regardent ; des Français qui s’inquiètent de la situation, des Français que la Russie menace, des Français qui tiennent à nos valeurs, à notre liberté, à notre démocratie et qui, je le crois, ont parfaitement compris quels dangers les guettaient si la Russie l’emportait. Il est aussi de notre responsabilité de le leur redire.
Lorsque nous annonçons que nous soutenons l’Ukraine à hauteur de 3 milliards d’euros, des Français réagissent, s’interrogent et nous posent des questions.
Il nous revient de leur rappeler que, si ce soutien a un coût, nos valeurs, la liberté des peuples et la sécurité de l’Europe n’ont pas de prix, et que si la Russie venait à l’emporter sur l’Ukraine, il nous faudrait engager bien d’autres moyens budgétaires pour soutenir les Français face aux conséquences que j’ai évoquées tout à l’heure, en particulier face à l’inflation, aussi bien alimentaire qu’énergétique, qui serait plus forte encore que celle que nous connaissons aujourd’hui.
Évidemment, l’Ukraine nous regarde aussi. Je salue d’ailleurs son ambassadeur, présent en tribune. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement M. l’ambassadeur.)
L’Ukraine attend la confirmation et le signal de notre unité derrière elle.
Nos partenaires nous regardent. Ils ont répondu à notre appel, sont prêts à s’engager davantage pour l’Ukraine et attendent de nous que nous montrions l’exemple.
La Russie nous regarde également, elle qui veut imposer la loi du plus fort, elle qui veut nous diviser, elle qui veut mettre à bas nos principes et nos valeurs.
Ce vote est important. Dans le respect des convictions et des histoires de chacun, je sais pouvoir compter sur notre responsabilité collective.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette nuit, l’amiral Philippe de Gaulle est mort. Je tiens à lui rendre hommage, comme Gérard Larcher l’a fait précédemment. (Murmures sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE.)
M. Pascal Savoldelli. Ça, c’est de l’instrumentalisation !
M. Gabriel Attal, Premier ministre. Non, monsieur le sénateur, j’estime que c’est mon rôle de lui rendre hommage.
Engagé dans la Résistance avant même qu’elle n’en porte vraiment le nom, il a combattu avec la 2e DB. Il a passé sa vie au service de la France, que ce soit sous l’uniforme ou sur les travées de cet hémicycle. Pendant plus d’un siècle, Philippe de Gaulle a fait souffler l’esprit de résistance.
Il relève de la liberté de chacun de rejoindre ou non cette conviction, mais, j’y insiste, c’est bien de l’esprit de résistance, si français, qu’il est question aujourd’hui : résistance face à l’oppression, résistance face à l’invasion, résistance pour nos valeurs et pour les intérêts du peuple français.
La Russie ne peut et ne doit pas gagner. Car si l’Ukraine perd, nous perdons nous aussi.
Mme Silvana Silvani. C’est indécent !
M. Gabriel Attal, Premier ministre. Nous ne laisserons pas la Russie gagner. La France ne peut se dérober à ses responsabilités.
Mesdames, messieurs les sénateurs, hier, à une large majorité, l’Assemblée nationale a voté en faveur de cet accord bilatéral de sécurité. Aujourd’hui, je sollicite votre approbation, celle du Sénat. Ensemble, soyons fidèles à notre histoire, soyons fidèles à l’héritage de notre nation : demeurons du côté de la justice et de la résistance. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes SER, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, monsieur l’ambassadeur, mes chers collègues, il revient naturellement au Parlement de débattre de la guerre en Ukraine. Un tel débat est incontournable, d’autant que la donne est très différente de ce qu’elle était il y a deux ans. Mais débattre de quoi ?
Nous ne pouvons pas nous cacher que, depuis quelques jours ou quelques semaines, l’inquiétude quant à l’issue du conflit s’est doublée d’une autre inquiétude, celle d’une confusion française.
Les déclarations intempestives successives du Président de la République ont déconcerté nos alliés et peut-être donné le sentiment d’un mélange déplacé entre politique étrangère et politique intérieure, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.) Je m’efforcerai toutefois de situer mon propos au-delà de ce genre de polémiques.
La première inquiétude concerne l’issue du conflit. La nation ukrainienne s’est révélée. Elle a déployé une résistance héroïque qui se heurte à plusieurs obstacles : l’aide américaine bloquée par le Congrès, le soutien européen, qui, bien que manifeste, peine à se concrétiser, et, surtout, la détermination, froide et métallique, de l’autocrate russe, pour qui rien ne compte, ni le temps, ni les vies humaines, ni même la prospérité de sa population soumise à une militarisation sans précédent.
On constate un énorme paradoxe, mes chers collègues : la Russie et la Biélorussie représentent environ 3,3 % du produit intérieur brut (PIB) de l’Occident. Comment ces 3,3 % du PIB peuvent-ils produire un tel effort de guerre ?
Il est loin le temps où un ministre de l’économie français indiquait que nous allions « provoquer l’effondrement de l’économie russe » avec des sanctions… (Marques d’ironie sur les travées du groupe SER.)
M. Mickaël Vallet. De l’économie française, oui !
M. Bruno Retailleau. Ces sanctions, nous les avons acceptées, ici même, il y a deux ans. J’avais alors indiqué qu’elles auraient sans doute une portée limitée, mais que, moralement, nous devions les prendre. Force est de constater qu’elles n’ont pas affaibli la Russie, mais simplement renforcé son autonomie vis-à-vis des marchés occidentaux. Car – c’est la révélation de cette guerre –, à côté de l’Occident, il y a un autre monde.
Aujourd’hui, c’est notre propre effort de guerre qui peine à adopter le rythme nécessaire, car nous menons en quelque sorte une bataille de l’arrière pour aider ceux qui combattent à l’avant. Bien malin qui pourrait prédire l’issue de ce conflit. Il faudrait lire dans le marc de café ou bien être la reine de Saba, qui, si l’on en croit Flaubert, disposait d’un bouclier sur l’un des côtés duquel était gravé l’avenir des guerres… Mais tel n’est pas notre cas.
Une autre inquiétude concerne les déclarations du Président de la République, lorsqu’il menace ou du moins n’exclut pas l’envoi de troupes sur le front. Je sais que rien n’a été décidé, bien évidemment. Mais, vingt mois auparavant, il disait qu’il fallait veiller à ne pas humilier la Russie, ce que l’on pouvait d’ailleurs comprendre, à l’époque… Ces déclarations changeantes et ces volte-face ont eu pour résultat d’isoler la France, de diviser et de déconcerter nos alliés.
Je crois profondément que l’ambiguïté stratégique a pour objectif militaire de créer une incertitude. Mais quand l’on force ses alliés à déclarer l’un après l’autre qu’ils n’enverront pas de troupes sur le front, alors cette certitude l’emporte sur toute incertitude, et il reste la cacophonie.
Sur la scène internationale, pour qu’un État tienne son rang, il faut que le chef d’État tienne une ligne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Philippe Bonnecarrère et Olivier Henno applaudissent également.)
Précisément, quelle doit être la ligne de la France ? Pour notre groupe, elle doit rester ce qu’elle a été depuis le début de l’agression russe : tout faire pour que la Russie ne remporte pas ce conflit, ne rien faire qui nous entraîne dans une guerre que nous ne voulons pas. C’est une ligne de crête, je le sais, qui est difficile à tenir, mais c’est la seule position qui soit compatible avec l’intérêt de la France et avec nos convictions.
Car si nous soutenons du mieux que nous pouvons l’Ukraine, c’est au nom d’un double combat, à la fois gaullien – vous avez cité l’amiral de Gaulle, monsieur le Premier ministre – et certainement français : le combat pour la souveraineté des nations et pour la liberté des hommes.
Le premier est un combat continuel, et même originel, puisqu’il a fondé la France. C’était la Nation contre l’Empire, la frontière contre le glacis et contre les marches, le droit contre la force brute ou la violence. Voilà un combat que nous comprenons. Vladimir Poutine tente de récapituler l’histoire des deux périodes tsariste et soviétique à l’aune de la notion d’empire.
Paradoxalement, face à cet expansionnisme ou à cet impérialisme, puisque vous avez utilisé ce terme, monsieur le Premier ministre, la nation ukrainienne s’est unifiée et s’est révélée : elle a finalement découvert le sort sans doute tragique de toutes ces nations d’Europe centrale, qui savent que leur existence ne va pas de soi, comme l’a mis en lumière Milan Kundera dans l’un de ses plus grands livres, Un Occident kidnappé.
L’autre combat, c’est celui de la liberté des hommes. Pour reprendre cette belle phrase du général de Gaulle qui appartient à notre patrimoine, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, « il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde ». C’est au nom de ce pacte que nous ne pouvons pas tolérer ni accepter le retour de l’homme rouge à l’est de l’Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
En effet, c’est bien de cela qu’il s’agit : du retour des vieilles pratiques soviétiques, du mensonge institutionnalisé, de la délation – mes chers collègues, lisez la récente publication du dissident Victor Erofeev sur le sujet –, et de l’État KGBiste, comme le montre encore l’assassinat politique d’Alexeï Navalny.
La statue de Félix Dzerjinski a été déboulonnée à Kiev, mais reconstruite à Moscou. Le crime est récompensé et la mémoire verrouillée. L’association Mémorial, qui travaillait sur les crimes du soviétisme, a été dissoute, et l’écho résonne de la prophétie tragique du grand Soljenitsyne dans L’Archipel du Goulag : « L’archipel a été, l’archipel demeure, l’archipel sera. » Tout simplement, mes chers collègues, parce qu’il n’y a pas eu de Nuremberg du soviétisme,… (Murmures sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. Mickaël Vallet. Pas plus que du franquisme…
M. Bruno Retailleau. … et qu’aucun des tortionnaires n’a eu à répondre de ses crimes devant la justice.
Telles sont les raisons profondes pour lesquelles nous soutenons l’Ukraine, au-delà même de celles qui peuvent et doivent nous mobiliser, comme l’agression contre nos intérêts en Afrique et les guerres hybrides que la Russie mène contre nous.
Les choses étant ce qu’elles sont, comme disait le général de Gaulle, que devons-nous faire ? Il faut nécessairement accorder deux impératifs : la solidarité et la réalité.
En d’autres termes, monsieur le Premier ministre, à l’heure où je vous parle, un cessez-le-feu ou un armistice sont hors de portée. Aucun des deux belligérants ne le souhaite, compte tenu des crimes de guerre russes et de la volonté de Vladimir Poutine d’enregistrer une victoire de fait ou, du moins, d’établir une frontière depuis laquelle il pourrait menacer en permanence l’Ukraine. Ces objectifs ne sont donc pas atteignables à court terme.
En revanche, notre stratégie et notre but, puisque Vladimir Poutine ne connaît que le rapport de force, doivent être de rendre l’option de la poursuite de la guerre plus coûteuse que celle du refus des négociations. C’est ainsi que nous concevons notre soutien à l’Ukraine. Mais cela implique d’agir en conséquence, sans se payer de mots ni chercher à compenser par des déclarations tonitruantes des actes qui seraient trop faibles. Ce qui compte, c’est le soutien militaire immédiat, non les promesses de demain.
Dans cet accord, deux sujets préoccupent notre groupe.
Premièrement, il s’agit de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Celle-ci n’est pas à l’ordre du jour. Des obstacles demeureront tant qu’il n’y aura pas de réforme des institutions européennes, ce qui requiert l’unanimité et risque d’être compliqué. De plus, nos agriculteurs ne doivent pas payer le prix de cette guerre ; ce n’est pas à eux d’en assumer le coût. Par ailleurs, l’article 42.7 du traité sur l’Union européenne prévoit une obligation d’assistance mutuelle entre États membres.
Deuxièmement, il s’agit de l’Otan. Je ne vois pas non plus l’Ukraine y adhérer à court ou moyen terme : elle n’y entrera pas tant que la guerre se poursuivra. Et nous savons pertinemment que, lorsque viendra le moment des négociations – car il viendra nécessairement – tout sera sur la table. Aussi, plutôt que des promesses lointaines et incertaines ou des déclarations guerrières, il faut donner dès aujourd’hui à l’Ukraine les moyens de se défendre. Tel est le principe qui doit nous guider.
N’entrons pas dans la polémique et ne traitons pas de « lâche » tel ou tel de nos alliés… Regardons-nous plutôt en face. Vous êtes optimiste, monsieur le Premier ministre, et je veux croire en cet optimisme s’il est de volonté.
Toutefois, puisqu’il s’agit d’une guerre de stocks et que nous assumons la bataille de l’arrière, et certainement pas celle de l’avant, ce qui compte, ce sont les munitions. Or un excellent rapport de la commission des affaires étrangères, dont je salue le président, indique que, en deux ans, nous avons livré environ 30 000 obus de 155 millimètres, soit à peu près ce que consomme l’artillerie russe en une grosse journée… En outre, il y a quelques jours, l’unique usine de Tarbes qui nous permet de produire les corps d’obus était en panne.
Revenons donc à la réalité et aidons véritablement l’Ukraine, sans nous payer de déclarations qui peuvent épouvanter notre opinion et, je le répète, déconcerter nos partenaires et alliés.
L’Union européenne doit bien évidemment être au premier rang en cette année 2024, qui sera décisive. Elle a proclamé son réveil stratégique au lendemain de l’invasion, mais a-t-elle ouvert grand les yeux ? Permettez-moi d’être moins optimiste que vous, monsieur le Premier ministre.
Les trois quarts des armes livrées par les États membres ont été achetés, dont les deux tiers aux États-Unis, et cela alors que nous disposons d’une industrie de défense.
M. Bruno Retailleau. Il est important de le souligner pour donner au terme de « puissance » un peu de réalité concrète : il n’y aura pas de puissance européenne sans une puissance industrielle de production, notamment de munitions.
En conclusion, nous prenons acte de cet accord et le considérons comme ce qu’il est. Ce n’est pas un traité ; sinon vous auriez eu recours à l’article 53 de la Constitution, non à l’article 50-1. Nous le prenons d’abord comme un signal de solidarité, bien entendu. Et notre vote sera un vote de soutien à l’Ukraine, en aucun cas aux déclarations du Président de la République ou au Gouvernement – les choses sont claires et je les dis très solennellement.
Monsieur le Premier ministre, après les déclarations que nous avons tous entendues, pensez-vous que la France n’est pas déjà suffisamment archipélisée qu’il ne faille pas en rajouter ? Croyez-vous que, pour des raisons électorales, il faille ajouter à cette archipélisation une fragmentation nouvelle ? L’unité n’est-elle pas une force face à l’adversité ? Les enjeux sont tellement importants qu’il nous faut nous rassembler, car les temps tragiques sont de retour, où le destin frappe à la porte de l’Europe. Ces temps exigent que nous nous hissions à la hauteur de la situation.
Le soutien à l’Ukraine, c’est aussi notre intérêt et notre assurance. (Marques d’impatience sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Bruno Retailleau. Isaac Newton a dit un jour : « Je sais calculer le mouvement des corps pesants, mais pas la folie des foules. » Tenons-le-nous pour dit ! (Applaudissements prolongés sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rachid Temal. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur l’ambassadeur, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer le choix du Gouvernement d’organiser – enfin ! – un débat suivi d’un vote, en application de l’article 50-1 de la Constitution. Au nom de mon groupe, je souhaite que nous puissions avoir plus régulièrement de tels débats.
Pour commencer, je veux rendre un triple hommage.
Tout d’abord, aux femmes et aux hommes ukrainiens qui se battent chaque jour depuis maintenant deux ans, au péril de leur vie, subissant les bombes, les viols et les déportations d’enfants en Russie. Nous pouvons collectivement les saluer et les remercier.
Ensuite, je tiens à rendre hommage aux Français et aux Françaises qui, à titre individuel, dans des associations ou au niveau des collectivités, ont su accueillir des réfugiés ukrainiens et continuent de les accompagner. Il n’y a en effet rien de pire que de quitter son pays et sa famille en laissant derrière soi ses proches disparus.
Enfin, je souhaite rendre hommage aux opposants russes et biélorusses, qui risquent leur vie simplement pour dire non, pour exprimer leur opinion et pour appeler à la liberté dans leur pays.
Comme vous l’avez souligné, monsieur le Premier ministre, nous devons être à la hauteur des enjeux de ce débat, à un moment critique de notre histoire et de la guerre en Ukraine.
Permettez-moi de replacer les choses dans leur contexte. Ce nouveau monde dans lequel nous plongeons marque la fin d’une parenthèse presque heureuse depuis 1945, certains pensant que nous étions parvenus à la fin de l’histoire. Désormais, la question de la guerre totale redevient en Europe une réalité que nous devons prendre en compte, y compris dans notre programmation militaire et dans la nécessaire réindustrialisation de notre pays, notamment pour sécuriser nos approvisionnements en matières premières et en terres rares essentielles à notre défense.
Nous sommes aujourd’hui face à un dictateur qui, depuis son accession au pouvoir en 1999, d’abord comme Premier ministre, puis comme président du pays, n’a fait que mener des guerres entre deux pauses diplomatiques : la Tchétchénie, la Géorgie, l’Ukraine une première fois, la Syrie, puis aujourd’hui l’Afrique, avant de revenir sur le continent européen pour mener cette guerre en Ukraine.
Cela doit nous interroger sur ceux qui prétendent qu’il aurait été provoqué et que l’Europe ou l’Otan serait responsable… Non, la réalité est simple : Vladimir Poutine veut reconstituer un empire russe, et j’insiste sur cet adjectif, même si j’ai bien entendu le président Retailleau. Il faut garder en tête cet élément.
Il a d’ailleurs bafoué tous les traités : celui de 1991 entre la Russie et l’Ukraine sur les frontières, puis l’accord de Minsk et le protocole de Minsk de 2014. Je tiens d’ailleurs à saluer le courage du président François Hollande qui, en 2014, a refusé la livraison des missiles Mistral à la Russie, ce qui lui avait valu à l’époque d’être vilipendé, notamment par l’extrême droite, ainsi que par certains qui siégeaient sur les bancs de la droite républicaine (Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains.), mais qui ont depuis lors changé d’avis, je le sais, et c’est heureux.
Je le rappelle, car, dans le débat qui nous occupe, certains nous disent qu’il faudrait faire la paix et que nous serions trop durs avec Vladimir Poutine.
Je me souviens d’un candidat à l’élection présidentielle – chacun le reconnaîtra – qui proposait une conférence sur les frontières, ouvrant ainsi la porte aux revendications de Vladimir Poutine. Je me souviens également que l’extrême droite a toujours soutenu les pseudo-référendums dans le Donbass et en Crimée et ne fait finalement que payer sa dette envers son banquier.
Désormais, c’est bien la question du maintien du front qui nous préoccupe. Il y a quelques mois, les Ukrainiens lançaient une grande offensive. Aujourd’hui, ils sont en grande difficulté sur le plan défensif. Y aura-t-il encore un front dans quelques mois, alors que les États-Unis bloquent leur financement et que nous avons nous-mêmes du mal à produire suffisamment, malgré les efforts entrepris depuis deux ans ? Il nous faut aller plus loin.
Nous savons que, après l’Ukraine, le bruit des bottes pourrait se faire entendre vers la Moldavie. Nous savons aussi que les pays baltes, dont les frontières terrestres ne jouxtent que la Russie et la Biélorussie, alliée ou vassale de Vladimir Poutine, sont inquiets. Face à cette situation, que faire ?
J’ai bien entendu, monsieur le Premier ministre, tout ce que la France a déjà fait. Certains évoquent notre classement en quatorzième position dans un fameux barème, d’autres un rapport de l’Assemblée nationale qui nous placerait bien plus haut. Mais la réalité, c’est que les Ukrainiens ne peuvent plus tenir et que l’Europe et les États-Unis ne produisent pas suffisamment. L’enjeu n’est pas d’être deuxième, quatrième ou vingt-cinquième ; il est que le système ne fonctionne pas.
Au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous ne ferons le procès de personne, mais nous souhaitons avancer quelques propositions. Tout d’abord, monsieur le Premier ministre, il faut entendre les inquiétudes et les craintes des Français. J’invite le Président de la République, qui s’exprimera demain soir, à rassembler et à fédérer les Français derrière ce combat légitime pour nos amis ukrainiens.
Il faut aussi produire plus rapidement. Lors d’un débat organisé il y a quelques semaines dans cet hémicycle, nous avions proposé la création d’un livret d’épargne « défense et souveraineté », pour permettre aux Français de protéger leur épargne tout en contribuant à la défense du pays. Je crois qu’il faudrait le mettre en place sans attendre, même si cela n’offrira pas de solution immédiate, notamment pour la question des pièces détachées.
Il faut également nous assurer, monsieur le Premier ministre, que nous pourrons rapidement aider les Ukrainiens à tenir, y compris sur le plan budgétaire et financier, alors que 53 % de leurs dépenses sont consacrées à la défense.
Il faut aussi aller plus loin sur le gel des avoirs russes, qui représentent 200 milliards d’euros dans les banques européennes. L’avancée récente de l’Union européenne sur ce dossier est encore trop timide. Je propose que le Parlement puisse voter très rapidement une proposition de loi permettant de récupérer la partie française de ces avoirs, pour financer l’achat d’armes et, le moment venu, la reconstruction de l’Ukraine.
On pourrait aussi imaginer, monsieur le Premier ministre, un nouveau train de sanctions. Une autre proposition serait de faire en sorte que la Banque européenne d’investissement puisse, enfin, financer notre industrie de défense, ce qui n’est pas possible aujourd’hui.
Je pourrais également citer le travail que nous menons dans le cadre de la commission d’enquête sur les politiques publiques face aux opérations d’influences étrangères, car il ne faut pas oublier que, si nous ne faisons pas la guerre à la Russie, cette dernière la fait, à l’Ukraine avec des bombes et des drones, mais à nous aussi, via des cyberattaques.
Pour conclure, monsieur le Premier ministre, je crois qu’il faut revoir la loi de programmation militaire. Le texte prévoit une clause de revoyure, et je pense que l’on ne peut pas attendre.
La guerre totale en Europe, dont nous constatons les dégâts, nous oblige à reprendre les travaux, à reformer notre défense et à prendre des mesures exceptionnelles pour produire. Nous savons très bien que l’attractivité des métiers dans l’armée pose problème. Tout cela doit être mis sur la table. Nous avons voté une bonne loi de programmation militaire, mais elle est désormais fracturée et mise à mal par ce qui se passe en Europe.
À présent, monsieur le Premier ministre, il reste à savoir sur quoi nous allons voter. Il est vrai que cet accord est surtout une déclaration d’intention et de principe. Cela ne nous pose pas de problème au sein du groupe socialiste, puisque, depuis le premier jour, nous soutenons les Ukrainiens.
Toutefois, il faut dire aux Français qu’il ne s’agit pas d’un accord contraignant. Ce que l’on nous propose de ratifier n’est pas un blanc-seing pour le Gouvernement. Ce n’est pas non plus une déclaration de guerre contre la Russie, une entrée de la France dans le conflit ou la belligérance pour notre pays : il n’est pas prévu à ce jour d’envoyer des troupes combattantes en Ukraine.
Ce n’est pas non plus de l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne qu’il s’agit, car il faudra pour cela non seulement prévoir une réforme des institutions communautaires, mais aussi garantir la protection de certains secteurs, notamment l’agriculture. Ce n’est pas non plus l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan, puisque celle-ci devrait être soumise à un vote, comme pour la Suède et la Finlande.
Cet accord reste donc une déclaration d’intention, d’autant plus importante et forte que, comme vous l’avez dit, elle a été présentée devant M. l’ambassadeur d’Ukraine en France. C’est un message adressé aux Français et au peuple ukrainien, mais aussi, je le crois, au peuple russe qui subit le joug et la dictature.
Les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront cet accord. Ils le feront d’autant plus facilement qu’il existe une longue tradition de Présidents de la République et de Premiers ministres socialistes qui ont su prendre leurs responsabilités pour aider tel ou tel pays en difficulté.
Je terminerai en citant L’Armée nouvelle, un essai que Jean Jaurès publia en 1910. Il y indiquait qu’il était certes partisan de la paix, mais que, pour défendre celle-ci, il fallait avoir une armée capable de le faire. Tel est, je crois, l’enjeu qui doit nous préoccuper.
Nous voterons ce projet d’accord de sécurité franco-ukrainien. Vive l’Ukraine et vive la France ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC. – M. Philippe Tabarot applaudit également.)