M. le président. La parole est à M. Aymeric Durox.
M. Aymeric Durox. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, je comptais m’adresser, dans ce discours, à M. le ministre de l’économie, mais il ne semble pas être invité à ce débat… Je ne doute pas, en revanche, que mes propos lui parviendront !
Une fois encore, le rapport annuel de la Cour des comptes porte un regard sévère sur l’action de M. Le Maire ; force est de constater qu’après sept années passées au pouvoir, dans les fonctions de ministre de l’économie, son bilan est devenu son boulet.
Après les atermoiements du mois de février – je dirai même : après l’insincérité budgétaire dont le Gouvernement a fait preuve en supprimant 10 milliards d’euros de crédits moins de cinquante jours après le vote de la loi de finances par les représentants de la Nation –, nous voici rassemblés aujourd’hui pour constater la situation catastrophique de nos comptes publics, alors que notre pays fait face à la double menace des taux d’intérêt croissants et des agences de notation.
Ces menaces sont réelles, à lire avec attention le rapport de la Cour des comptes.
Le Gouvernement promettait une trajectoire qui ramènerait le déficit public sous les 3 % d’ici à 2027 ; la Cour la juge à la fois fragile et peu ambitieuse.
Le Gouvernement a fait adopter la réforme des retraites, à coups de 49.3, pour sauver le budget de la sécurité sociale, disait-il ; la Cour constate qu’en 2027 le fameux « trou de la sécu » sera de 17,2 milliards d’euros, contre 8,7 milliards cette année.
Le Gouvernement annonce 10 milliards d’euros d’économies ; la Cour dit qu’il en faudrait 50 milliards pour passer sous les 3 % de déficit en 2027.
Et que dire des économies ordonnées par le Gouvernement ? Alors qu’il annonçait, l’automne dernier, une hausse de la dépense publique pour la justice, la recherche, l’intérieur et l’environnement, voilà ces budgets rabotés en février !
Le plus savoureux est le budget de l’école, qui se voit réduit de 700 millions d’euros. M. le Premier ministre avait annoncé qu’il emmènerait l’école avec lui, mais il semble que, de Grenelle à Matignon, elle soit « passée au scalp » de Bercy !
En matière d’environnement, la Cour regrette, par ailleurs, « l’absence de chiffrages exhaustifs et cohérents pour l’ensemble des acteurs publics » des dépenses qui seront nécessaires pour adapter la France au changement climatique. L’évaluation des coûts actuels et futurs de l’adaptation est dite « lacunaire », voire « inexistante », faute de données suffisantes et d’objectifs clairs. Une fois encore, les lacunes de M. Le Maire empêchent l’État de jouer correctement son rôle de stratège.
En ce qui concerne la crise du logement, toujours plus alarmante, il convient de prendre conscience que le parc de logements est très majoritairement inadapté aux risques climatiques. Les politiques de rénovation énergétique et thermique se sont surtout concentrées sur des aides ciblées, comme le changement du mode de chauffage, alors que les rénovations globales visant l’adaptation restent rares.
Enfin, comment ne pas conclure cette intervention sans évoquer la défaillance du Gouvernement en ce qui concerne notre politique énergétique ? Après avoir décidé de fermer la centrale nucléaire de Fessenheim et ainsi abandonné cette filière d’excellence, il a lancé un grand programme de construction de nouvelles centrales. C’est malheureusement bien tard ; la Cour atteste que notre pays doit désormais en payer l’addition. Il manquerait en effet des dizaines de milliards d’euros d’investissements supplémentaires pour adapter les nouvelles centrales nucléaires, les barrages et le réseau français de distribution d’électricité au réchauffement climatique.
Monsieur le ministre, si vous m’entendez, vous reconnaîtrez que votre « septennat » n’aura mené notre pays qu’à la menace de la faillite, avec une impréparation financière et un « en même temps » budgétaire qui pèse et pèsera pour longtemps sur la capacité de la France à préparer sereinement son avenir ! (MM. Joshua Hochart et Christopher Szczurek applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, je commencerai mon propos par une citation : « Nos gains de performance ont un coût caché. La dette accumulée, longtemps restée invisible, se manifeste désormais au grand jour dans les écosystèmes. Notre performance alimente une guerre contre la nature. Nous avons optimisé notre environnement pour le mettre au service de nos demandes, et non de nos besoins. En retour, nous contractons une dette. »
Je fais miens ces mots d’Olivier Hamant, biologiste, chercheur à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Ils expliquent, de façon limpide, comment notre modèle de production a généré, en même temps, une dette économique et une dette financière.
Il est illusoire de croire que nous pourrons réduire l’une de ces dettes en continuant de creuser l’autre. Opposer écologie et économie, c’est forcer les Français à choisir entre sobriété et prospérité, entre la fin du monde et la fin du mois.
L’urgence de la situation, que ce soit du point de vue économique ou écologique, nous oblige à changer de modèle, à explorer une autre voie, en cherchant à renforcer la robustesse de notre écosystème plutôt que sa performance. Cette option stratégique procède non pas de l’imagination, mais de l’observation de la nature.
Ces considérations peuvent sembler quelque peu ésotériques. Je les crois, au contraire, d’une grande actualité et même, si je puis dire, d’une grande rationalité. Alors que le Gouvernement a dû réviser sa prévision de croissance, de 1,4 % à 1 %, il est contraint, dans la foulée, d’annoncer des réductions budgétaires, deux mois à peine après l’adoption de la loi de finances initiale pour 2024. Notre modèle économique, qui se fonde sur un objectif de performance, vacille dès que cet objectif n’est pas atteint, alors que l’atteinte de cet objectif ne dépend pas de nous. C’est l’antithèse d’un modèle robuste !
Dans son rapport public annuel, la Cour des comptes dresse un double constat alarmant : d’une part, la situation préoccupante de nos finances publiques ; de l’autre, les défis de l’adaptation de notre modèle économique au changement climatique.
Je remercie le Premier président de la Cour des comptes d’avoir choisi ce sujet ; je regrette simplement qu’il n’ait pas transmis ce rapport plus tôt à notre commission des finances. Au reste, la grande diversité des sujets abordés ne nous permet pas de les explorer tous de manière approfondie. Je tiens toutefois à revenir sur trois points d’alerte.
Le premier point concerne le coût d’adaptation du parc résidentiel. La Cour estime qu’il est aujourd’hui impossible d’évaluer le montant des dépenses et des investissements à réaliser. C’est à la fois très inquiétant, puisque c’est un chantier incontournable pour les années à venir, et assez rassurant, au sens où le champ des possibles est ouvert et où le delta de progression est important.
Or nous disposons en la matière de marges de progression immenses. Le développement des nouvelles technologies – je pense notamment à l’internet des objets – constitue un levier majeur pour améliorer l’efficacité énergétique du patrimoine bâti. La création, dans le département dont je suis élue, l’Aube, du Cluster Patrimoine bâti 4.0 et l’implantation, par Europrod, d’une ligne industrielle de production de capteurs en apportent une démonstration opérationnelle.
Mon deuxième point d’alerte porte sur la modernisation des infrastructures de transport. Je partage le constat dressé par la Cour : la vétusté de certaines voies ferrées augmente leur vulnérabilité. Pour développer le transport ferroviaire, levier majeur de décarbonation, il faudra investir, afin de moderniser le réseau. Toutefois, il ne s’agit pas du seul levier. Je tiens, à ce sujet, à partager avec vous l’expérience d’une grosse coopérative céréalière de mon territoire, qui livre d’ordinaire sa production par voie ferrée. Outre l’état du réseau, les grèves à répétition et les absences inopinées la contraignent souvent à se rabattre sur du fret routier, report modal au bilan écologique et économique déplorable. La fiabilité du transport ferroviaire dépend bien sûr des infrastructures, mais aussi du personnel.
Le troisième point d’alerte que je souhaitais évoquer me tient particulièrement à cœur : c’est la forêt. Je partage totalement, sur ce sujet, le constat dressé par la Cour. Nous devons mobiliser davantage de financements, privés et publics, pour l’adaptation de nos forêts et en particulier des forêts communales. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Sautarel. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, en complément des propos de Christine Lavarde, je me concentrerai dans ce débat sur la situation de nos finances publiques, dont le rétablissement est le préalable pour conduire nos politiques publiques au niveau national et influer aux échelons européen et international.
Cette situation ne présente guère de surprise et elle s’inscrit, en s’aggravant, dans la lignée de celle que décrivaient les précédents rapports. Cela nous amène à nous interroger, comme nous le faisons parfois en tant que législateurs, sur la capacité de la Cour des comptes comme du Sénat à être entendus.
La Cour critique avec force les prévisions de croissance du Gouvernement et juge que la trajectoire budgétaire pour cette année reste précaire.
La situation de nos finances publiques est en effet plus que préoccupante. L’année 2023 devrait se terminer avec un niveau de déficit public supérieur à 5 % du PIB, soit une dégradation par rapport à 2022. Nous le disions déjà, vous en faites le constat : cette année n’aura pas été celle de la sortie du « quoi qu’il en coûte ». De plus, les recettes fiscales devraient être en 2023 en retrait de près de 8 milliards d’euros. Ainsi, la trajectoire des finances publiques établie pour 2023-2027 n’est pas tenue dès sa première année.
Depuis sept ans, nous nous heurtons à un ministre des finances tout-puissant, qui est dans l’autosatisfaction permanente et dans une impunité totale. Acculé, il a été contraint de mettre en œuvre le rabot à hauteur de 10 milliards d’euros, deux mois à peine après le vote du budget pour 2024.
La trajectoire fixée par le Gouvernement était déjà peu ambitieuse et très fragile ; c’était la plus tardive d’Europe et elle ne présentait, de plus, aucune marge de sécurité tant les hypothèses, notamment de croissance, qui la fondaient étaient optimistes.
Le nœud de l’inquiétude se trouve dans les trois D : la dette et la dépense, qui creusent le déficit.
Notre dette publique, qui atteindra 3 200 milliards d’euros à la fin de 2024, est déjà supérieure de 800 milliards d’euros à son niveau de 2019. La charge de la dette enregistre une augmentation spectaculaire de 10 milliards d’euros en 2024, avec la perspective d’un point culminant à près de 85 milliards d’euros en 2027. Notre situation est la plus dégradée, ou presque, de toute l’Europe.
Pour ce qui concerne la dépense, après le rabot et après, peut-être, un projet de loi de finances rectificative en 2024, les efforts annoncés pour 2025, à hauteur de 12 milliards d’euros d’économies, ont été portés à 20 milliards d’euros depuis la semaine dernière.
Vous indiquez, et je ne peux que partager votre estimation, que le besoin atteint plutôt 50 milliards d’euros sur la période 2025-2027. Le satisfaire sera d’autant plus complexe que la charge de la dette augmente, que les lois de programmation nous obligent et que les besoins d’investissement, notamment dans la transition écologique, sont importants.
Les effets du changement climatique montrent, vous le soulignez, la complexité de l’adaptation, la nécessaire cohérence et l’exigence d’efficience. Nous en sommes loin et nous arrivons bien démunis pour relever ces défis.
La dépense sociale, qui représente la moitié de la dépense publique, par-delà son volume – dont nous aurons à débattre – doit être équilibrée. Elle ne peut plus, elle ne doit plus, engager les générations futures.
Le budget de l’État doit être tourné vers l’investissement et sérieusement revu à la baisse, y compris en ce qui concerne la dépense fiscale. L’enjeu est de faire des économies massives en préservant la croissance. Plus nous attendons, plus cela sera difficile.
Le budget des collectivités, quant à lui – je marque ici une différence avec ce que vous laissez entendre, monsieur le Premier président –, doit cesser d’être la variable d’ajustement d’un État omnipotent et impuissant. Il faut d’abord rétablir la confiance pour bâtir une politique contractuelle responsable et équilibrée et enfin s’engager dans une véritable décentralisation.
Nous devons rétablir nos comptes en agissant sur la dépense, avec force et urgence, non pour Bruxelles ou pour les agences de notation, mais pour les Français. Ayons ce courage, pour le cinquantenaire de l’anniversaire de la mort de Georges Pompidou, qui marque aussi notre dernier budget voté à l’équilibre. Nous n’avons pas d’autre issue, le niveau de nos prélèvements obligatoires étant déjà très élevé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le Premier président de la Cour des comptes, pour répondre aux intervenants.
M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de l’organisation de ce débat, qui constitue pour nous un privilège dont nous ne jouissons pas, par exemple, à l’Assemblée nationale, où je me contente d’une présentation, suivie de quelques réactions.
Certes, le temps imparti a été un peu plus court que l’année dernière, mais je me félicite de la prise en compte de nos observations, de nos analyses et de la qualité du travail mené avec votre assemblée. J’ai entendu les remarques sur les délais de transmission, mais il ne s’agit pas tant de cela : nous avons simplement avancé plus rapidement dans la perspective de ce débat. J’ai remis ce rapport lundi matin au Président de la République, il a été rendu public hier matin et je me trouve aujourd’hui devant vous. C’est un peu bref, mais cela me paraît préférable à un débat qui serait trop décalé par rapport à la publication du rapport.
J’évoquais la qualité du travail réalisé avec le Sénat : je me réjouis de notre collaboration avec la commission des finances et la commission des affaires sociales, qui est toujours passionnante pour nos rapporteurs, ainsi que de la prise en compte de nos observations et de la grande convergence de nos travaux.
Sachez à quel point je suis attaché à notre mission constitutionnelle, prévue par l’article 47-2 de notre loi fondamentale : contribuer à l’information du Parlement et au contrôle du Gouvernement, notamment, mais pas seulement, dans le domaine des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale. Pour la Cour des comptes, c’est essentiel.
J’avoue avoir été quelque peu étonné que l’on se soit attendu à la présence du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ici. Comme le rappelait l’un de mes illustres prédécesseurs, Philippe Séguin, la Cour des comptes se tient rigoureusement à équidistance entre Parlement et Gouvernement. C’est donc en tant que président indépendant d’une institution indépendante que je m’exprime devant vous. J’ai, certes, été ministre des finances, mais c’était il y a dix ans et je n’aurais pas la prétention de répondre aujourd’hui à la place du ministre en fonction.
Permettez-moi d’articuler quelques réflexions autour de trois thèmes.
Le premier concerne les finances publiques elles-mêmes. Vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, le temps de l’effort est venu, non par plaisir, non pour obéir à je ne sais quelle règle extérieure, non pour complaire à Bruxelles, non par goût de l’austérité, mais simplement dans notre propre intérêt et parce que nous avons trop tardé.
Oui, Pierre Mendès France le disait, une oratrice l’a rappelé : « Les comptes publics en désordre sont le signe des nations qui s’abandonnent. » Nous devons absolument mettre notre maison en ordre et nous désendetter pour retrouver des marges de manœuvre afin de faire face aux défis du futur.
J’ai appris, au cours d’une vie publique déjà un peu longue, qu’il n’y a pas de bonne politique publique sans finances publiques saines. Si nous ne retrouvons pas de marge de manœuvre, nous n’avons ni indépendance ni souveraineté. Ce ne seront que de vains mots si nous ne sommes pas capables d’atteindre cet objectif.
Ensuite, il y a une gradation dans les qualificatifs que l’on peut employer pour juger les prévisions macroéconomiques. Certains d’entre vous ont parlé d’insincérité, d’autres d’optimisme, d’autres encore d’irréalisme. Je n’aime pas – je l’avoue – le terme d’insincérité lorsqu’il s’agit de juger la politique d’un gouvernement, car cela suppose une volonté de tromper ; c’est la définition même de l’insincérité, tant dans le dictionnaire qu’en droit. Or j’espère bien que, dans notre pays, les gouvernements successifs n’ont pas cette volonté.
En revanche, des prévisions peuvent être trop optimistes, comme l’avait souligné le Haut Conseil des finances publiques dans ses observations sur le projet de loi de finances pour 2024 et sur la loi de programmation des finances publiques, et, en réalité, nous étions même très proches de l’irréalisme : il n’était pas réaliste d’envisager une croissance de 1,4 % quand le consensus était à 0,8 %.
Soyez donc certains que, dans tous les travaux ultérieurs, compte tenu de cette situation préoccupante des finances publiques, tant le Haut Conseil des finances publiques que la Cour des comptes feront preuve d’une très grande exigence, non seulement dans leur vocabulaire, mais aussi dans les appréciations qu’ils seront amenés à formuler sur la situation financière du pays.
Cela passe pour nous par des revues de dépenses, que plusieurs d’entre vous ont évoquées ici. Je crois à ce procédé depuis longtemps : dans d’autres vies, j’ai été ministre des finances et commissaire européen chargé des finances, je sais donc à quel point cette pratique est répandue dans plusieurs pays.
Le rabot est toujours une technique frustrante, décevante et parfois inintelligente ; ce n’est pas ainsi que l’on peut assainir durablement les finances publiques. Il faut des économies pérennes, structurelles et intelligentes ; pour cela, il faut soulever le capot des politiques publiques, voir ce qui fonctionne et qui doit être maintenu, identifier les manques qui nécessitent des investissements, et repérer ce qui ne fonctionne pas et qui doit être remplacé ou limité. C’est en cela que cet exercice est indispensable.
La Cour des comptes a rappelé, l’été dernier, dans son rapport sur la situation des finances publiques, que, pour mener des revues de dépenses sérieuses, il fallait le faire dans la durée et non de manière ponctuelle, sur un périmètre large et non par des coups de sonde ici ou là et de façon démocratique, en engageant un débat avec les forces sociales, les milieux intellectuels et les parlementaires.
C’est cela que fera la Cour des comptes, pour sa part, pour les trois revues de dépenses qu’elle va maintenant engager, dont l’importance est considérable : la première concernera la régulation des dépenses d’assurance maladie, sous la présidence de mon collègue Raoul Briet ; la deuxième s’attachera au financement des collectivités locales, ce qui nous amènera à discuter avec les acteurs concernés, sans décider ex cathedra, même si nous ne sommes pas les plus mal placés pour étudier cette question ; la troisième concernera la sortie des dispositifs de crise. C’est la condition de l’intelligence.
Je souhaite également aborder devant vous – c’est mon deuxième thème – l’autre partie du rapport, qui traite de l’action publique face aux défis climatiques et en matière d’adaptation au changement climatique. Je me félicite que ce rapport marque une première en la matière et j’en suis fier : c’est la première fois que la Cour des comptes a choisi un tel sujet, marquant un engagement écologique durable de l’institution que je préside. Nous avons vocation à traiter ces sujets, non pas une seule fois, mais dans la durée, tant ils sont fondamentaux.
J’ai bien noté les réflexions des différents orateurs qui se sont succédé ici, sur le logement, sur les personnes âgées vulnérables, sur l’agriculture, bref, sur tous les thèmes que nous avons abordés. Cela permet de souligner à quel point l’action pour l’adaptation est multiforme, hétérogène, territorialisée, et concerne tous les niveaux de la société et de notre organisation publique. J’en tire une leçon principale : nous devons absolument combattre la « mal-adaptation ».
J’en donnerai deux exemples. Tout d’abord, les stations de ski. Le sujet est sensible, il heurte des réalités économiques, comme l’ont montré les réactions à ce rapport. Pour autant, nous ne saurions ignorer une réalité lourde de conséquences à laquelle nous ne pouvons nous dérober. Il en va de même avec le trait de côte. Il faut agir maintenant pour éviter des dépenses massives plus tard : trois kilomètres de côtes à déménager, cela coûte 835 millions d’euros, alors qu’avec 40 millions à 150 millions d’euros par an, nous pouvons largement prévenir les conséquences de ce processus.
Enfin, ma troisième réflexion porte sur la conciliation entre les deux dimensions du rapport : l’adaptation au changement climatique et les finances publiques. Un orateur a exprimé un point de vue que je ne partage pas : je ne vois pas, quant à moi, de contradiction entre ces deux dimensions, car la dette climatique et la dette financière sont intimement liées. Si nous voulons réduire la première, si nous voulons combattre efficacement le changement climatique, alors nous devons faire baisser la seconde pour retrouver des marges de manœuvre.
M. Thomas Dossus. Mais comment ? Par magie ?
M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Certes, dans la plupart des cas, nous allons devoir engager des dépenses publiques supplémentaires, mais comment les financer si nous sommes terriblement endettés ? Nous ne le pourrons tout simplement pas.
Enfin, j’en viens à la fiscalité. Oui, j’ai indiqué, à titre personnel, que pour moi le sujet n’était pas tabou et je le maintiens. Vous êtes des élus de la République et, par définition, la fiscalité est depuis toujours le débat politique noble. On peut vouloir taxer plus ou moins, taxer les uns ou les autres, la consommation ou la production, taxer les plus riches ou au contraire étaler largement l’imposition. C’est cela qui nous caractérise en démocratie et ce n’est évidemment pas tabou, notamment quand il s’agit d’écologie, de la transformation du pays, de la transition écologique.
Ce débat doit avoir lieu, mais avec une réserve, me semble-t-il : nous devons prendre en compte le fait que notre taux de prélèvements obligatoires atteint 45 % et que la marge de manœuvre pour accroître leur niveau global est très limitée.
Madame Lavarde, vous avez commencé en évoquant Turgot, qui est évidemment une référence pour nous tous et à laquelle personne ici ne saurait se comparer. Vous avez utilisé des mots qui font écho à ceux que j’ai inscrits dans ma conclusion et que je souhaite reprendre.
Nous sommes dans une situation tellement sérieuse, au regard à la fois de la dette climatique et de la dette financière, que nous avons besoin de volonté politique. Sans cela, nous n’avancerons pas.
Nous avons besoin de courage, car des décisions qui auraient dû être prises ont été trop longtemps différées. Maintenant, au risque d’être impopulaire, il faut les prendre, c’est impératif.
Nous avons besoin d’intelligence, car faire des économies ne peut se résumer à adopter une approche stupide ou mécaniste, qui serait destructrice.
Nous avons besoin de pédagogie, car les Français sont un grand peuple avec lequel on peut faire beaucoup de choses, à condition de les convaincre. C’est indispensable.
Tout cela – la volonté, le courage, l’intelligence et la pédagogie – est la condition de quelque chose que nous devons tous rechercher, vous l’avez évoqué, madame la sénatrice : la confiance. (Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe CRCE-K.)
M. le président. Nous en avons terminé avec la présentation du rapport public annuel de la Cour des comptes, et nous donnons acte du débat qui s’est ensuivi.
Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes.
(M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes sont reconduits selon le cérémonial d’usage.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.