M. Stéphane Piednoir. Et le projet de loi ?

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars, pour la réplique.

M. Jean-Claude Anglars. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. J’ai bien entendu votre proposition et je participerai à ces travaux, parce que je crois au développement de cette énergie sur la vallée de la Truyère. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

couverture téléphonique des territoires

M. le président. La parole est à M. Bernard Pillefer, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Bernard Pillefer. Ma question s’adressait à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du numérique.

En janvier 2018, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) annonçait conjointement avec le Gouvernement les engagements pris par les opérateurs de téléphonie mobile permettant de couvrir l’ensemble du territoire national pour éliminer les zones blanches.

Cet accord, intitulé New Deal mobile, et son dispositif de couverture ciblée prendront fin en 2025. Je salue l’efficacité de ce programme, qui a déjà permis une grande amélioration de la couverture mobile, notamment en milieu rural, comme dans le Loir-et-Cher.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Vous pouvez dire merci à Julien Denormandie !

M. Bernard Pillefer. Si le New Deal mobile a quasiment résolu la problématique des zones blanches, les zones dites grises restent néanmoins trop nombreuses.

La fin du New Deal mobile est proche et les sites qu’il prévoit de traiter à l’horizon de 2025 ne suffiront malheureusement pas à assurer une couverture optimale de l’ensemble des opérateurs, donc à résoudre le problème de ces zones grises.

Dans le Loir-et-Cher, plusieurs milliers de personnes sont concernées par cette problématique, étant donné qu’un seul opérateur couvre leur zone d’habitation. Pourtant, un réel besoin existe pour nos habitants, nos entreprises, nos élus, nos médecins ou encore nos services de santé et d’aide à la personne.

Ce déficit de couverture doit être résolu. Nous ne pouvons plus tolérer une telle fracture numérique dans nos territoires. Il s’agit pour le Loir-et-Cher, comme pour les autres départements ruraux, d’un enjeu d’équité territoriale, d’attractivité et de compétitivité.

Qu’entend donc faire le Gouvernement pour éliminer les zones grises et assurer une couverture mobile optimale pour tous ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation. Monsieur le sénateur Pillefer, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Marina Ferrari, secrétaire d’État chargée du numérique, qui est retenue en audition à l’Assemblée nationale. J’ai donc l’honneur de vous répondre.

En 2018, Julien Denormandie, dont le nom a été mentionné, mais également Jacqueline Gourault et Cédric O ont tous œuvré à la mise en place du fameux dispositif New Deal, que vous avez parfaitement décrit, monsieur le sénateur : un bel exemple de coopération et de bon fonctionnement avec les collectivités locales, les opérateurs de télécommunications et l’État pour répondre aux besoins de la vie quotidienne des Français ; c’est suffisamment rare pour être souligné et encouragé.

Beaucoup a été fait depuis plusieurs années maintenant, puisque le nombre de sites équipés en 4G en France a plus que doublé et la part du territoire située en zone blanche 4G est passée de 11 % à 1,9 %. À ce stade, le dispositif tient à peu près toutes ses promesses. Nous sommes aujourd’hui à 99 % de couverture de la population en 4G au bénéfice des zones rurales, où 67 % des sites mobile ont été déployés.

Ainsi, 92 % du territoire de votre propre circonscription, monsieur le sénateur, sont couverts par les quatre opérateurs, selon les données de l’Arcep, et, dans le cadre du dispositif de couverture ciblée, ce département a bénéficié d’une dotation de trente et un sites, dont dix-neuf pylônes, qui ont été mis en service.

Vous le savez, le Gouvernement a fait le choix de confier l’identification des zones à couvrir prioritairement à des équipes projet locales. Elles sont composées notamment de représentants des préfectures de région, des présidents des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), mais aussi d’associations de collectivités territoriales locales. Le dispositif du New Deal mobile comporte d’autres engagements, dont la couverture des axes ferroviaires et routiers courant jusqu’en 2030 ou encore la couverture mobile à l’intérieur des bâtiments.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Cette politique publique revêt une importance primordiale pour le développement de l’attractivité. Nous avons bel et bien vocation à le poursuivre et à l’amplifier. C’est toujours, monsieur le sénateur, une priorité du Gouvernement ! (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Pillefer, pour la réplique.

M. Bernard Pillefer. Il faudra aussi s’interroger sur le très haut débit pour tous, habitat isolé compris. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Notre prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le mercredi 20 mars, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

4

Dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes suivi d’un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat à la suite du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.

Huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes.

(M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes sont introduits dans lhémicycle selon le cérémonial dusage.)

M. le président. Monsieur le Premier président, monsieur le rapporteur général de la Cour des comptes, c’est avec plaisir que nous vous accueillons pour notre débat désormais traditionnel sur le rapport public annuel de la Cour des comptes, qui a été rendu public hier. Je vous remercie de votre présence.

Comme lors des années précédentes, un représentant de chaque groupe politique pourra s’exprimer sur les observations et recommandations formulées dans ce rapport.

Ce débat traduit notre attachement à la mission d’assistance du Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement que notre Constitution confie à la Cour des comptes. Vos éclairages et votre expertise apportent un concours précieux à notre mission de contrôle, à laquelle nous attachons une importance particulière.

Dans le cadre de votre analyse de la situation d’ensemble des finances publiques, marquée depuis 2022 par le retour de l’inflation, vous regrettez, monsieur le Premier président, que le Gouvernement ait construit les textes financiers de l’automne dernier sur des perspectives de croissance par trop optimistes. C’est également le constat que dressait à l’époque la commission des finances du Sénat.

Face à la réalité du contexte économique, la loi de finances promulguée voilà moins de trois mois est de ce fait déjà partiellement obsolète et le Gouvernement s’est vu contraint de publier un décret pour réduire ses dépenses de 10 milliards d’euros.

Nous sommes donc impatients, monsieur le Premier président, d’entendre votre analyse sur la trajectoire pluriannuelle fixée par le Gouvernement et les conditions de son respect.

Par ailleurs, la question de l’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique est, cette année, au cœur de votre rapport. Vous soulignez la nécessité d’une action transparente, cohérente et efficiente en la matière. Tous les domaines de l’action publique, mais également de nombreux acteurs sont concernés : l’État, les ménages, les entreprises, les institutions financières, mais également les collectivités territoriales.

Le Sénat s’est déjà saisi de cette question, notamment au travers des travaux de la délégation sénatoriale à la prospective, qui plaidait pour l’adaptation de nos politiques publiques au dérèglement climatique, ou encore, plus récemment, de ceux de notre commission des affaires économiques, dans le cadre de l’examen de la loi du 2 mars 2022 d’orientation relative à une meilleure diffusion de l’assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture.

Aussi votre rapport devrait-il susciter au Sénat, représentant des collectivités territoriales et des territoires, qui sont en première ligne sur ce sujet, un débat plein de richesse.

Monsieur le Premier président, je vous invite maintenant à rejoindre la tribune : vous avez la parole. (Applaudissements. – M. le Premier président remet à M. le président du Sénat un exemplaire du rapport public annuel de la Cour des comptes.)

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de l’accueil que vous réservez à la Cour des comptes ; cet accueil, toujours bon, traduit la qualité des liens qui unissent nos deux institutions. Vous savez combien j’y suis attaché et j’ai grand plaisir à retrouver la Haute Assemblée aujourd’hui.

Le rapport public annuel de 2024, que je m’apprête à vous présenter, est avant tout le fruit d’un travail collectif, accompli par les chambres de la Cour des comptes et par les chambres régionales et territoriales des comptes ; chacune de ces dernières a participé à la rédaction d’au moins un chapitre de ce rapport. C’est une première et c’est pour moi un motif de grande fierté.

La parution du rapport public annuel constitue pour la Cour un rendez-vous traditionnel et essentiel. Avant d’entrer dans le détail de son contenu, je signale que ce rapport prend la forme non plus d’un assemblage de productions de la Cour, mais d’une publication thématique.

L’édition 2024 est ainsi consacrée à l’adaptation au changement climatique. Par cette expression, nous désignons l’ensemble de mesures qu’il faut ou qu’il faudra prendre, aujourd’hui et dans les décennies à venir, pour continuer à vivre de façon supportable dans un climat qui aura profondément et rapidement changé. L’adaptation se distingue donc de l’atténuation, qui consiste à limiter le changement climatique lui-même. S’il faut agir sur les deux volets, nous avons choisi de nous pencher sur l’adaptation au changement climatique, parce que cette thématique est au cœur des préoccupations de nos concitoyens et parce qu’elle affecte directement leur quotidien.

Cet enjeu est très territorialisé : chaque région, chaque commune, jusqu’à la plus petite échelle, devra s’adapter à l’évolution de son propre environnement.

Par ailleurs, je souligne que le thème de notre rapport est d’actualité, puisqu’on attend pour l’été prochain le troisième plan national d’adaptation au changement climatique, fondé sur une trajectoire de réchauffement rehaussée à 4 degrés d’ici à 2100.

De nombreux défis s’imposent aux politiques publiques d’adaptation, au premier rang desquels figure l’absence de chiffrage exhaustif et cohérent de leur coût. Il existe bien quelques évaluations, qui vont de 2,3 milliards d’euros par an selon l’Institut de l’économie pour le climat à 3 milliards d’euros par an selon le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, mais, d’une part, ce coût est amené à augmenter et, d’autre part, nous ne disposons pas des données permettant d’établir un chiffrage objectif et définitif.

C’est pourquoi nous avons décidé de réfléchir secteur par secteur, dans seize chapitres, qui sont autant de coups de projecteur thématiques. Jusqu’à la parution de ce rapport, il n’existait pas – je le souligne – de panorama objectif et transversal de l’adaptation au changement climatique en France. Nous avons estimé que la Cour et les juridictions financières, en tant que tiers de confiance présents sur l’ensemble du territoire, devaient fournir cet état des lieux. Les quelque 700 pages du rapport sont ainsi le fruit d’un travail colossal.

Notre rapport public annuel comporte également toujours un premier chapitre, consacré à la situation des finances publiques. Si vous me le permettez, j’y reviendrai à la fin de mon propos.

Les seize chapitres thématiques qui font suite à cette partie abordent chacun la question de l’adaptation au changement climatique au travers d’un prisme distinct de l’action publique. Ils se répartissent en trois catégories.

Dans la première partie du rapport, nous nous sommes intéressés à l’adaptation des secteurs transversaux, au travers de trois chapitres : la recherche publique, les institutions financières et bancaires, et l’action de l’Agence française de développement.

Dans la deuxième partie, nous abordons l’adaptation au changement climatique des grandes infrastructures – équipements, villes et plus généralement de tout ce qui a été construit par l’homme –, au travers de sept chapitres : l’adaptation des logements, des villes, de la politique immobilière de l’État, des centrales nucléaires et ouvrages hydroélectriques, des réseaux de transport et de distribution d’électricité, ou encore des voies ferrées ; nous y traitons également du cas spécifique du ministère des armées.

Enfin, dans la troisième partie du rapport, nous nous sommes penchés sur l’adaptation aux effets du changement climatique de l’environnement naturel, dans lequel vivent nos concitoyens. Cette partie est composée de six enquêtes : la forêt, la prévention des catastrophes naturelles dans les territoires ultramarins, la gestion du trait de côte, l’adaptation des cultures céréalières, les stations de montagne face au climat – cette enquête a déjà fait l’objet d’une publication – et la protection de la santé des personnes vulnérables face aux vagues de chaleur ; en effet – faut-il le rappeler ? –, quelque 5 000 de nos concitoyens sont morts l’été dernier du fait de la chaleur.

Je souhaite à présent vous livrer quatre grands enseignements et principes d’action pour les politiques d’adaptation que nous avons tirés de ces enquêtes thématiques.

Premier enseignement, nous devons mieux connaître les effets du changement climatique, les risques auxquels nous devons nous adapter et leur ampleur.

La prise de conscience de la nécessité de l’adaptation est désormais bien réelle, mais elle est hétérogène selon les secteurs. Dans certains domaines, pour certains acteurs, comme les gestionnaires de réseaux, cette prise de conscience date des tempêtes de 1999. Dans d’autres domaines comme le logement, elle est plus récente. Et, dans d’autres domaines encore, comme l’immobilier de l’État, elle reste à faire.

Nous devons en outre absolument améliorer les prévisions et les données, souvent lacunaires, dont nous disposons. Par exemple, deux tiers seulement des 200 000 bâtiments de l’État sont recensés et font l’objet d’un diagnostic. Autre exemple, les projections climatiques en outre-mer sont de moins bonne qualité qu’en métropole, alors que les risques y sont autrement importants.

Il faut enfin actualiser les données existantes afin de mettre à jour les normes internes, par exemple au sein de SNCF Réseau.

Deuxième enseignement, il faut informer les citoyens et les décideurs publics sur l’adaptation et ses enjeux.

Il faut le faire, d’abord, pour éviter de « se faire avoir », si j’ose dire. Dans certains domaines, la confusion demeure – elle est parfois entretenue – entre atténuation et adaptation. Je pense notamment aux sociétés financières et bancaires, publiques comme privées, qui communiquent massivement sur leurs produits financiers « verts », sans que l’on sache précisément mesurer l’impact de ces financements et leur destination ni comparer les volumes engagés. Cela nous expose à un risque d’écoblanchiment : on nous vend comme vert quelque chose qui, en réalité, ne l’est pas particulièrement.

Communiquer sur les actions d’adaptation, c’est aussi faire de tous, citoyens et décideurs publics, des acteurs de ces politiques publiques. Le chapitre sur l’adaptation des soins pour les personnes vulnérables montre combien la communication est déterminante pour prévenir les conséquences des périodes de forte chaleur ou de canicule. Elle doit reposer sur la diffusion de messages adaptés, sur l’ensemble des supports disponibles, avant, mais aussi pendant les épisodes de vigilance.

Informer les citoyens permet aussi d’obtenir leur adhésion et de les faire participer aux efforts d’adaptation. Le dispositif MaPrimeRénov’, par exemple, permet à la fois d’améliorer le confort des résidents et de créer de l’emploi.

Troisième enseignement général de nos travaux, après connaître et informer : planifier. L’action publique doit développer une stratégie cohérente et articulée en matière d’adaptation.

La Cour relève ainsi que les objectifs de l’adaptation doivent être conciliés avec ceux d’autres politiques publiques, et que cette articulation est souvent difficile. C’est le cas dans les territoires touristiques comme les zones de montagne ou les littoraux, qui doivent concilier les politiques d’adaptation avec le souhait des élus et des populations de préserver, le plus longtemps possible, la pérennité de leurs modèles économiques.

J’ai pris connaissance, bien sûr, des réactions et de la colère qu’a pu susciter notre rapport sur les stations intitulé Les Stations de montagne face au changement climatique. Je les comprends, mais ce rapport n’est pas à charge ; il affirme simplement qu’il existe une réalité incontournable, que nous devons affronter et que, à différer la prise de conscience, nous nous exposons à bien des déconvenues. (M. Jean-Michel Arnaud proteste.)

Il faut aussi développer une véritable culture de la planification et de la gestion du risque. Les enquêtes que nous avons menées montrent, hélas ! que la planification, quand elle existe, est défaillante et dispersée. Parfois, des planifications locales existent, mais elles sont incomplètes ou appliquées de manière très inégale.

La mise en œuvre d’une planification rigoureuse et adaptée est une condition nécessaire, mais non suffisante ; il faut un pilote dans l’avion, qui coordonne les nombreux acteurs concernés et qui arbitre. Le rapport dessine en la matière un paysage très contrasté, ce pilotage étant, par exemple, pour ce qui concerne les gestionnaires de grands réseaux, plus abouti au sein d’EDF que de la SNCF.

Au-delà, les politiques d’adaptation doivent absolument être mieux coordonnées entre les acteurs et à l’échelle appropriée. La Cour préconise notamment de mieux coordonner les politiques d’adaptation entre les entités du bloc communal. Cela vaut pour divers secteurs, comme la rénovation thermique des bâtiments publics ou la végétalisation des espaces urbains.

Enfin, dans certains secteurs relevant de sa compétence, l’État lui-même ne joue pas correctement son rôle de stratège, qui consisterait à fixer des objectifs clairs et à définir une trajectoire pour les atteindre. Par exemple, pour sortir d’une logique de réponse au cas par cas, les gestionnaires d’infrastructures ferroviaires doivent pouvoir se référer à un niveau cible de résilience, partagé par toutes les parties prenantes, y compris les usagers. Or la définition de ce niveau, qui relève de la responsabilité de l’État, n’est pas totalement satisfaisante.

J’en viens au quatrième et dernier grand enseignement de notre rapport, assez naturel pour la Cour, qui concerne la manière de garantir la qualité de la dépense publique dans les politiques d’adaptation et de financer la mise en œuvre de ces politiques publiques. Nous avons donc analysé les moyens de mettre en œuvre des politiques efficientes, c’est-à-dire à la fois efficaces et soutenables.

Sur la question du financement, la plupart des chapitres du rapport montrent que l’évaluation des coûts de l’adaptation est lacunaire, voire inexistante. La « vérité des prix » est pourtant un élément essentiel d’arbitrage pour définir et mettre en œuvre des solutions financièrement soutenables.

Pour garantir des politiques efficientes, nous rappelons aussi que l’adaptation ne doit pas nécessairement passer par de nouvelles dépenses publiques. D’autres leviers peuvent être activés, qui consistent plutôt à inciter les acteurs à agir et à se responsabiliser. Par exemple, dans le secteur financier, le premier critère d’allocation des flux est celui de la rentabilité financière ; il faudrait y intégrer un critère d’impact environnemental, afin que les capitaux soient réorientés vers le financement de la transition.

La Cour préconise aussi la création de mécanismes de solidarité financière, comme un fonds d’aide à la recomposition du littoral face au recul inéluctable du trait de côte.

Par ailleurs, nous soulignons plusieurs points importants sur la conception et la mise en œuvre des politiques publiques.

D’abord, nous mettons en garde contre les risques de « mal-adaptation », qui sont souvent le résultat de logiques de court terme. Le déploiement systématique de la production de neige dans certaines stations de montagne, parfois même à température positive – une absurdité –, illustre bien ce constat. (M. Jean-Michel Arnaud proteste.)

M. Yannick Jadot. Très bien !

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Il en est de même du rechargement des plages en sable ou de la climatisation, qui ne sont pas de bonnes solutions, ni pour le logement ni pour le recul du trait de côte.

Ensuite, la Cour souligne le rôle essentiel de la recherche pour trouver des solutions adaptées, alors que les acteurs publics sont parfois démunis pour choisir les solutions les plus efficaces. En la matière, les performances sont très hétérogènes. Si l’agriculture céréalière a développé un système de recherche et d’innovation complet faisant intervenir secteur public et secteur privé, c’est moins le cas dans le domaine forestier ou dans celui du logement.

Enfin, pour mettre en œuvre de façon efficace des politiques d’adaptation, les décideurs doivent s’approprier les données, outils et solutions disponibles.

Voilà, mesdames, messieurs, les constats tirés de nos analyses sur l’adaptation et quelques-unes de nos préconisations en la matière. Dans la plupart des domaines, nous n’en sommes pas, heureusement, à l’année zéro – notre rapport le montre bien –, mais, pour autant, l’ampleur du défi qui nous attend est immense.

J’en viens à présent à la situation d’ensemble de nos finances publiques. Cette dernière est – je l’ai répété à maintes reprises au cours des derniers mois – préoccupante, mais elle l’est encore davantage à l’aune des analyses et informations dont nous disposons désormais sur les besoins d’adaptation.

La Cour a analysé la situation des finances publiques telle qu’elle se présente après l’exercice 2023, les principaux risques qui affectent l’exercice 2024 et la trajectoire prévue jusqu’à 2027. De cette analyse, nous tirons trois constats tout à fait sérieux.

Premier constat, l’année 2023 a été, au mieux, une année blanche pour la réduction du déficit public, lequel devrait même se creuser légèrement par rapport à 2022. Sur une trajectoire 2023-2027 exigeante – elle partait d’un point bas –, ce n’est pas un bon départ ; c’est peut-être même un faux départ !

L’année 2023 n’a pas été synonyme de sortie du « quoi qu’il en coûte » : 18 milliards d’euros de dépenses restent liés aux mesures tarifaires liées à l’énergie. Les recettes fiscales se sont révélées peu dynamiques ; le sursaut en la matière était attendu depuis deux ans, mais les élasticités mirobolantes mesurées jusqu’alors ont semble-t-il vécu. Les données sur l’exécution en recettes de l’État – les mauvaises surprises sont de l’ordre de 8 milliards d’euros – creusent encore un déficit qui, à 4,9 % du PIB, est déjà supérieur de 0,1 point à celui de l’année précédente. La marche à franchir pour réduire le déficit de 2024 à un niveau acceptable n’en est donc que plus haute.

Deuxième constat préoccupant pour les finances publiques : le respect de l’objectif de déficit pour 2024 n’est pas acquis, malgré les récentes décisions du Gouvernement.

En effet, la prévision de croissance de 1,4 % du PIB sur laquelle reposent la loi du 29 décembre 2023 de finances initiale pour 2024 et la loi du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 (LPFP) est trop optimiste. Cela n’est pas une découverte : en tant que président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), j’avais alerté la commission des finances sur ce point et nous pensions déjà, alors, que tous les postes de demande étaient surestimés.

Le Gouvernement a finalement décidé, en février dernier, d’abaisser sa prévision de croissance du PIB à 1 %, ce qui reste d’ailleurs encore supérieur au consensus des économistes. Il l’a fait sans modifier ni son objectif de déficit pour 2024 ni la trajectoire pluriannuelle de la LPFP, qu’il faut s’efforcer de préserver. Pour 2024, la loi de finances prévoit donc toujours une réduction de 0,5 point du déficit public, qui passerait de 4,9 % à 4,4 % du PIB. En réalité, la marche sera plus haute si le taux de 4,9 % venait à être dépassé significativement en 2023.

J’ajoute qu’aucun nouvel effort d’économie structurelle n’a été programmé dans la loi de finances pour 2024. Pour compenser la révision de croissance, le Gouvernement a donc été forcé d’annoncer 10 milliards d’euros d’annulation de crédits. C’est une décision cohérente avec la LPFP, mais il faut maintenant identifier et mettre en œuvre les réformes qui permettront ces économies, une annulation de crédits n’étant pas, je le rappelle, une économie structurelle.

Malgré ces annonces, je le dis sans détour, l’objectif de déficit pour 2024 est loin d’être acquis. D’une part, je le répète, la prévision de croissance du Gouvernement reste élevée et demeure au-dessus de la quasi-totalité des prévisions disponibles. D’autre part, les recettes de 2023 étant décevantes, la base des recettes pour 2024 sera plus faible que prévu. Si la dynamique n’est pas excellente en 2024, nous aurons un problème supplémentaire.

Il n’est donc pas certain – c’est un euphémisme – que l’objectif d’économies de 10 milliards d’euros soit suffisant pour maintenir la trajectoire de déficit. C’est sûrement la raison pour laquelle le ministre de l’économie a annoncé la semaine dernière que cette annulation de crédits n’était qu’une « première étape » avant un probable projet de loi de finances rectificative à l’été prochain, sur laquelle le HCFP aura également l’occasion de se prononcer.

Je serai très clair sur un point : même si nous parvenions, tant bien que mal, à tenir l’objectif de déficit de 4,4 % du PIB en 2024, nos finances publiques demeureraient parmi les plus dégradées de la zone euro. Un tel niveau de déficit, associé à un niveau de dette publique proche de 110 % du PIB, représente un véritable décrochage non seulement par rapport aux pays les plus performants ou les plus vertueux – l’Autriche, l’Allemagne, les Pays-Bas – mais également par rapport à des pays comme le Portugal, l’Espagne ou la Belgique. Nous devons regarder cette réalité en face : comme le disait avec moi ce matin le gouverneur de la Banque de France, nous avons, à cause de nos déficits, un problème de crédibilité en Europe.

Or – c’est notre troisième constat – la trajectoire fixée par la LPFP à l’horizon de 2027 est la fois peu ambitieuse et très fragile. Elle est peu ambitieuse, car nous visons en réalité un retour du déficit sous les 3 % du PIB en 2027, soit plus tard que la totalité de nos partenaires de la zone euro, certains ayant même déjà atteint cet objectif. Nous sommes donc non seulement loin de l’objectif de moyen terme, fixé à 0,4 % du PIB – nous pouvons carrément l’oublier –, mais nous sommes même loin des critères du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Non seulement cette trajectoire est peu ambitieuse, mais elle est – disons-le – pour le moment fragile et peu crédible. Elle ne présente en effet aucune marge de sécurité, tant les hypothèses sous-jacentes sont optimistes. Surtout, la trajectoire prévue repose sur des efforts d’économies qui sont absolument sans précédent dans l’histoire récente. Nous parlons ici de 50 milliards d’euros. La LPFP prévoit un effort pérenne de réduction des dépenses de 12 milliards d’euros en 2025, réparti entre l’État et la sphère sociale. Le ministre des comptes publics a annoncé la semaine dernière que cette réduction serait probablement de 20 milliards d’euros. C’est donc assez cohérent avec les chiffres dont nous disposons.

À ce stade, ces économies ne sont ni documentées ni étayées. Je plaide depuis longtemps pour des revues de dépenses intelligentes et structurelles. La Cour des comptes y participera. Le Premier ministre nous a demandé trois revues de dépenses, sur le financement des collectivités locales, sur la régulation de l’assurance maladie et sur les dépenses de crise. Nous les présenterons d’ici au mois de juin prochain.

La priorité, au cours des prochains mois, sera de concilier ajustement budgétaire et amélioration du potentiel de croissance. Chaque mauvaise nouvelle sur le front de la croissance devra être compensée pour préserver notre trajectoire, mais ces compensations ne doivent pas, en retour, nuire à la croissance. C’est un défi considérable et pourtant incontournable.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons trop tardé – tel est le message de la Cour – à nous attaquer à la réduction de nos déficits et de notre dette, ainsi qu’à la maîtrise de la dépense publique. L’effort à faire est considérable. Au regard des fonctions que j’ai jadis exercées, je ne sous-estime pas les difficultés de l’exercice à la fois économique, financier, politique et même démocratique, mais nous ne pouvons pas nous y dérober : il n’est plus possible d’accepter un état aussi dégradé de nos finances publiques. Le faire nous exposerait à de lourdes déconvenues.

Il nous faudra à la fois une volonté politique claire, du courage – les mesures à prendre ne sont pas populaires –, de l’intelligence – pour éviter de faire des économies qui nuisent à la croissance et à la cohésion sociale –, mais encore de la pédagogie, afin que nos citoyens comprennent pourquoi le désendettement est nécessaire, non par goût de l’austérité, mais pour retrouver des marges de manœuvre permettant d’investir dans l’avenir, notamment dans la lutte contre le changement climatique.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, notre rapport illustre la diversité des sujets traités par les juridictions financières, qui sont en prise avec l’actualité et les réalités du terrain.

Surtout, ce rapport montre que notre capacité à faire face aux effets du changement climatique est étroitement liée à la situation de nos finances publiques. L’adaptation et plus largement la transition écologique composent les briques du mur d’investissements qui se dresse devant nous. Pour surmonter ce mur, nous devons d’abord araser la montagne d’endettement, qui est déjà élevée.

Je me tiens maintenant prêt à répondre à vos questions et observations, que j’attends impatiemment. (Applaudissements sur toutes les travées, à lexception de celles des groupes CRCE-K et GEST.)