M. François Bonhomme. Comment va-t-elle ?
Mme Anne Souyris. Elle aurait pu ajouter : rien n’est jamais acquis pour les femmes.
Aujourd’hui, nous avons la possibilité de faire cesser cette insécurité. Regardons ce qui s’est passé chez nos voisins hongrois et polonais. Oui, l’IVG est un droit précaire qu’il faut protéger. Prenons les devants et protégeons avec force ce droit fondamental. Nous ne savons jamais de quoi les lendemains sont faits. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
(M. Gérard Larcher remplace Mme Sylvie Vermeillet au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, sur l’article unique.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est bien le devoir de la loi fondamentale que de protéger et de garantir les droits les plus fondamentaux. Il est bon et apparemment nécessaire de le rappeler.
Si, aujourd’hui, nous œuvrons à la garantie de cette liberté dans la Constitution, demain, nous continuerons à lutter pour que ce droit soit effectif. Quand les moyens manquent, quand les stocks de médicaments sont vides, quand les forces anti-avortement s’organisent pour piéger les femmes, quand les services publics de santé sont défaillants, c’est bien l’accès des femmes à ce droit qui est compromis.
Si l’inscription dans la Constitution est une avancée nécessaire que nous saluons, il ne faudrait pas la croire suffisante. Disposer de son corps, c’est choisir d’avoir un enfant ou non. Déjà, dans l’histoire, les femmes ont été victimes de la volonté de l’État de contrôler leur corps dans un sens comme dans l’autre.
Je ne peux pas m’empêcher de penser à un épisode trop peu connu de l’histoire de mon département, La Réunion. Entre 1960 et 1970, les femmes réunionnaises ont été victimes de la politique antinataliste de l’État français. Les plus fragiles d’entre elles ont subi des stérilisations non consenties et des avortements forcés à l’époque où la loi interdisait l’avortement !
Les dérives se sont produites, parce que des politiques bien intentionnés prétendaient agir ainsi dans l’intérêt des femmes elles-mêmes. En d’autres mots, ils s’étaient affranchis des limites de la loi dont on a parlé tout à l’heure. (Applaudissements sur des travées du groupe CRCE-K. – Mme Catherine Conconne applaudit également.)
Et c’est bien pour réaffirmer que le corps des femmes ne doit pas être un espace contrôlé par l’État que nous voterons pour ce projet de loi constitutionnelle. (Marques d’impatience sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Il faut conclure !
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Inscrire cette liberté individuelle, première et physique dans la Constitution, c’est admettre que la femme est la mieux placée pour décider pour elle-même. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, sur l’article unique.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en ce moment crucial où nous abordons la discussion de l’article unique de ce projet de loi constitutionnelle, je souhaite en souligner l’importance et la gravité, ainsi que l’opportunité qu’il représente.
Près de cinquante ans après l’adoption de la loi Veil, le texte que nous examinons prévoit d’élever la liberté des femmes de recourir à l’interruption volontaire de grossesse au rang constitutionnel. Il s’agit bien d’un moment historique.
En conférant à ce choix fondamental la protection suprême de la Constitution, nous réaffirmerions haut et fort que l’IVG et la maîtrise par les femmes de leur fécondité et de leur corps ne relèvent ni d’une tolérance, ni d’une faveur, ni même encore d’une simple exception, mais constituent bien des principes fondamentaux inscrits au plus haut de la hiérarchie des normes.
Dans un contexte où le droit à l’avortement est menacé dans de nombreux pays, notre action enverrait un message d’espoir et de soutien aux femmes d’Europe et au-delà.
Bien que le recours à l’IVG ne soit pas menacé actuellement en France, il est important de rappeler, comme l’a souligné le Conseil d’État, qu’il n’est pas protégé par une disposition de valeur supérieure. Aussi est-il vulnérable aux aléas politiques et sociaux.
La rédaction de compromis proposée s’inspire largement de celle qui a été adoptée par notre assemblée sur proposition du sénateur Philippe Bas. Son adoption conforme serait un véritable motif de satisfaction pour notre assemblée.
En effet, il s’agit bien de garantir la liberté des femmes, tout en offrant une certaine flexibilité permettant au législateur d’adapter le cadre juridique entourant l’IVG.
Mes chers collègues, l’émancipation des femmes et la protection de leurs droits font souvent l’objet de beaux discours dans notre assemblée. Aujourd’hui, nous avons l’opportunité historique de joindre le geste à la parole.
J’espère sincèrement que notre assemblée saura être à la hauteur de cet enjeu et que la liberté, l’autonomie des femmes, ainsi que le respect de leur corps et de leur droit à en disposer comme elles le souhaitent ne resteront pas de vaines promesses. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l’article unique.
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, notre présence nombreuse montre l’importance que chacun attache au moment politique que nous allons vivre ensemble dans quelques instants.
Le débat qui nous anime aujourd’hui est très attendu de la société française et le garde des sceaux a raison de dire que nous sommes regardés ce soir. En effet, quelle que soit notre position, elle est souvent liée à de très fortes convictions.
Ma conviction profonde, sincère, est que le droit absolu à disposer de son corps est une condition indispensable à l’existence de toutes les autres libertés. Fruit d’un long combat, c’est un élément structurant de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Mes chers collègues, partout dans le monde aujourd’hui s’élèvent des voix et des actions pour restreindre et bafouer le droit à l’avortement. Les exemples sont nombreux.
À l’échelle internationale, il y a désormais une coalition d’États qui mène d’âpres offensives contre les droits des femmes, donc contre les droits humains. Le climat n’a jamais été aussi inquiétant, cela a été rappelé à plusieurs reprises lors de la discussion générale. Je pourrais citer l’exemple du planning familial de Lille, dont les locaux ont été tagués de propos insultants à l’égard des femmes il y a quelques jours.
La constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse permettra d’envoyer un signal fort, tant à l’échelon national qu’à l’échelon international, un signal d’absolue conviction que garantir l’accès à l’IVG est cardinal et d’une importance telle qu’il ne pourra pas être remis en question.
Mes chers collègues, je respecte les sensibilités qui se sont exprimées au travers du dépôt d’amendements visant de fait à prolonger la procédure parlementaire. Toutefois, et je tiens à vous le dire avec beaucoup de force, il est aujourd’hui temps ! Le Gouvernement a enfin pris ses responsabilités. Nous avons un véritable rendez-vous avec l’histoire. Ne le manquons pas ce soir ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, sur l’article unique.
M. Yan Chantrel. Monsieur le président, aujourd’hui, et c’est un moment rare dans la vie parlementaire, nous avons la possibilité de faire l’histoire. L’occasion nous est en effet donnée d’être à l’avant-garde, cela a été dit par plusieurs d’entre nous, dans la défense du droit à l’IVG, en envoyant au monde et à toutes les personnes qui luttent pour ce droit un message puissant pour la défense de ce droit fondamental.
Nous sommes regardés par les Françaises et les Français et nous sommes attendus pour graver dans le marbre de notre Constitution le droit à l’IVG. Près de 90 % de nos compatriotes soutiennent ce texte. Certains ont dit au cours de ce débat que ce droit n’était pas menacé et qu’il n’avait donc pas besoin d’être constitutionnalisé.
Je peux témoigner, en particulier en tant que sénateur des Français établis hors de France, que plusieurs pays ont remis en cause ce droit. Là-bas aussi, des responsables publics avaient prétendu que cela ne serait jamais le cas, qu’il n’était pas nécessaire de placer ce droit au sommet de la hiérarchie des normes juridiques de leur pays, parce qu’il n’était pas, disaient-ils alors, menacé. Nous avons vu le résultat !
À l’occasion d’un récent déplacement en Asie, plusieurs compatriotes m’ont dit qu’elles seraient fières de notre pays si nous faisions entrer ce droit dans notre Constitution.
Soyons à la hauteur de ce moment historique, soutenu massivement par nos compatriotes. Devenons le premier pays au monde à constitutionnaliser ce droit fondamental. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées des groupes CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, sur l’article unique.
M. Thomas Dossus. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, pour un parlementaire, le moment est assez grisant.
C’est grisant de voir une idée d’abord minoritaire prendre de l’ampleur au travers de nos débats, de la voir grandir, de voir le consensus croître par le travail parlementaire des sénatrices de toutes les travées de notre hémicycle.
C’est grisant de voir qu’après deux passages au Sénat nous avons aujourd’hui l’occasion de répondre à une demande de protection des Françaises.
Il faut le redire : ici, personne ne prend à la légère cette modification de la Constitution. Personne ici ne considère que nous pouvons faire entrer dans la Constitution nos humeurs ou l’air du temps. En revanche, oui, nous voulons aujourd’hui protéger les femmes des vents mauvais qui soufflent ou souffleront à l’avenir sur notre démocratie.
M. Max Brisson. Oh…
M. Thomas Dossus. C’est avec humilité que nous allons voter aujourd’hui, parce que nous ne sommes qu’un petit maillon de la chaîne que constitue ce long combat féministe.
C’est en remontant cette chaîne, cette longue histoire du combat pour l’égalité des femmes et des hommes, cette longue histoire faite de drames et de luttes menées par nos grands-mères, nos mères, nos sœurs, que nous savons à quel point le moment est important et tout ce que nous leur devons.
Ce qui rentrera dans la Constitution, c’est la garantie d’une liberté essentielle, celle des femmes à disposer de leur corps. C’est une nouvelle manifestation du grand principe républicain d’égalité.
Laissons-nous griser par le moment, pour les Françaises et pour toutes celles et tous ceux qui sont attachés à faire vivre nos libertés et nos principes républicains. Votons ce texte conforme. Envoyons ce beau signal à toutes les démocraties aujourd’hui confrontées à la résistance et aux néoconservateurs.
Rendez-vous lundi à Versailles ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, sur l’article unique.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, oui, c’est un moment fort, un moment émouvant pour le droit et pour la liberté des femmes. Depuis l’adoption de la Constitution en 1958, il en a fallu des combats et il en faudra encore.
Il a fallu attendre juillet 1965 pour que le Parlement vote une loi autorisant les femmes à ouvrir un compte bancaire en leur nom et à travailler sans le consentement de leur mari. Il a fallu attendre le 17 janvier 1975 pour que le droit à l’IVG soit reconnu.
Nous sommes toujours bien loin de l’égalité entre les femmes et les hommes : il reste tant à faire.
Oui, c’est un moment fort, c’est un moment important. C’est aussi la victoire de nos mères, de nos grands-mères, des féministes, des associations, des militantes, des militants qui ont œuvré pour que ce moment puisse avoir lieu et que ces libertés puissent exister.
C’est surtout un moment fort de démocratie. En effet, à l’occasion des trois passages au Sénat, nous avons accompli un travail commun, un travail qui rassemble – le travail parlementaire doit aussi permettre de nous rassembler.
En outre, ce vote dont je suis persuadé qu’il sera favorable rassemblera les Français. Nous savons que 80 % de nos concitoyennes et de nos concitoyens attendent ce vote.
Par la décision que nous allons prendre, nous allons donc non seulement travailler en commun, mais également rassembler les Français. Aujourd’hui, plus que jamais, il ne s’agit pas seulement d’énoncer ou de fabriquer des droits et des libertés, il faut surtout les protéger. Avec ce texte, nous créons non pas un droit complémentaire, mais bien une garantie, car nous allons garantir un droit.
Qui plus est, ce serait une première dans le monde et c’est important. Oui, c’est une valeur symbolique, mais c’est une valeur ô combien symbolique pour l’ensemble des femmes et des hommes qui se battent dans le monde pour avoir ce droit. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, sur l’article unique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il y a des moments historiques qu’il faut savoir sentir et appréhender. Celui qui nous rassemble aujourd’hui appartiendra indéniablement à l’histoire perpétuelle du combat en faveur du droit des femmes.
Garantir la liberté de la femme à disposer de son corps se révèle un véritable combat dans le combat, peut-être le plus ardu à gagner.
Or le Sénat, par sa prudence, son réalisme et sa sagesse – triptyque cher à Alain Poher –, a souvent su être au rendez-vous de ces moments historiques. Aujourd’hui, je crois que nous avons précisément besoin de sa prudence, de son réalisme et de sa sagesse.
Prudence de garantir aux femmes une protection juridique maximale, en constitutionnalisant la liberté de recourir à l’IVG.
Réalisme d’observer que la France n’est pas un pays isolé et que, partout, cette liberté est constamment remise en cause et attaquée, quand elle n’est pas tout simplement niée.
Sagesse, enfin, de ne pas insulter l’avenir et d’anticiper, puisque gouverner, c’est prévoir.
Certes, la Constitution n’est pas uniquement un catalogue de droits, mais au travers de ces droits constitutionnellement garantis se dessine quelque chose de beaucoup plus profond, ce à quoi nous attachons une valeur fondamentale, ce que nous estimons devoir être impérativement protégé par notre État de droit, ce qui de manière intangible doit survivre aux tourments et affres du présent, ce par quoi, enfin, nous matérialisons les plus hauts principes de notre République.
Certes, la Constitution n’est pas par essence un catalogue de droits, mais ces droits sont le reflet de ce que nous sommes collectivement.
« Il suffit d’écouter les femmes. » Tel était le conseil prudent, réaliste et sage que prodiguait Simone Veil en 1975. Alors, écoutons-les et protégeons-les, en constitutionnalisant cette liberté si prompte à être effacée ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, GEST et RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, sur l’article unique.
Mme Mathilde Ollivier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il y a plus d’un an déjà, des femmes du monde entier tournaient leur regard vers la France, plus précisément vers la proposition de loi que ma collègue Mélanie Vogel avait déposée pour constitutionnaliser le droit à l’IVG.
Ce texte représentait enfin une lueur d’espoir, d’avancée sociétale, alors que, dans le monde entier, ce droit était attaqué.
Au mois de juin 2022, la Cour suprême américaine annula l’arrêt historique Roe v. Wade.
Au mois de septembre 2022, la Hongrie décida d’obliger les femmes à écouter les battements de cœur du fœtus avant tout avortement.
Ce n’est donc pas un hasard si ce sujet a été porté par une sénatrice représentant les Français établis hors de France.
Tous les ans, nous réclamons davantage d’informations de la part des consulats sur les réglementations locales pour les Françaises de l’étranger et pour les rapatriements de Françaises qui résident dans des pays où elles n’ont pas accès à l’IVG. De nombreuses femmes partout dans le monde s’exposent à tous les dangers – médicaux, légaux, sociétaux… – pour avoir accès à une IVG.
Nous pensons à toutes celles qui meurent ou sont grièvement blessées. On peut bien sûr continuer de s’autocongratuler : la France, pays des droits humains, ne serait pas sujette à ce type de régression des droits des femmes.
Il suffit pourtant de lire les courriers que beaucoup d’entre nous avons reçus, de constater les nombreuses attaques dont fait l’objet le planning familial, ainsi que celles qui ont lieu partout dans le monde contre le droit à l’avortement. Oui, nous avons besoin de garantir nos droits !
Ce n’est donc pas un hasard si ce sujet est fièrement porté par de jeunes femmes élues au Parlement, alors que nous sommes encore si peu représentées dans les institutions. Je suis heureuse que plusieurs d’entre vous aient écouté les femmes qui les entourent, leurs conjointes, leurs filles, leurs sœurs. Écoutez-les, écoutez-nous !
Nous parlons de nos corps, de nos aspirations légitimes. Il est temps aujourd’hui que, en responsabilité, nous votions – que vous votiez – ce projet de loi historique afin de constitutionnaliser la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées des groupes SER et RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, sur l’article unique.
Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, permettez-moi d’apporter ma contribution personnelle à ce débat, sans prétention, car je ne suis pas Simone Veil, qui a porté avec courage des choses qui font à présent consensus. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de débattre pour ou contre l’IVG, ce droit étant inscrit dans la loi.
Je respecte l’ensemble des points de vue qui ont été exprimés. Je me veux extrêmement modeste, car je n’ai de leçons à donner à personne, à aucun d’entre nous, encore moins au monde entier.
Cher Thomas Dossus, vous avez dit que l’atmosphère était grisante ; moi, elle me dégrise totalement et je vais vous dire pourquoi. Je suis profondément troublée quand j’entends dire que nous devons nous mettre à l’abri de choses qui vont arriver prochainement.
Je vais vous livrer une interrogation que j’ai au plus profond de moi : cela signifie-t-il, mes chers collègues, que les partis démocratiques dont nous faisons partie ont définitivement renoncé à gagner les élections et à ne pas faire le lit du Front national ? (Bravo ! et applaudissements nourris sur des travées des groupes UC, RDPI, INDEP et Les Républicains.)
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Bas et Retailleau, Mme Aeschlimann, M. Bacci, Mmes Belrhiti et Berthet, M. Bouchet, Mme V. Boyer, MM. Brisson, Bruyen et Burgoa, Mme Chain-Larché, MM. Chaize et Chatillon, Mme Ciuntu, MM. Cuypers et Daubresse, Mmes Deseyne, Di Folco, Drexler, Dumont et Eustache-Brinio, M. Favreau, Mme Garnier, M. Genet, Mmes F. Gerbaud, Gosselin, Goy-Chavent, Gruny, Imbert, Jacques et Joseph, MM. Karoutchi, Khalifé, Klinger et Laménie, Mmes Lassarade et Lavarde, MM. de Legge, Le Gleut, H. Leroy et Le Rudulier, Mmes Lopez et Malet, M. Mandelli, Mmes M. Mercier et Micouleau, M. Milon, Mme Muller-Bronn, MM. de Nicolaÿ, Nougein, Paccaud, Panunzi, Pernot et Perrin, Mmes Pluchet et Puissat et MM. Rapin, Reichardt, Rietmann, Sol, Somon, Szpiner, Tabarot et C. Vial, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
garantie à
par le mot :
de
La parole est à M. Philippe Bas.
M. Philippe Bas. Mes chers collègues, le Sénat n’étant pas une chambre d’enregistrement – c’est ce qu’il me semble en tout cas –, notre travail est d’essayer d’améliorer les textes qui nous sont soumis. S’il nous faut donc consacrer quelques semaines de travail supplémentaires au présent texte, cela en vaut bien la peine, surtout qu’il comporte des ambiguïtés qu’il serait facile de lever.
Le mot « garantie » est ainsi source d’ambiguïté. Il n’y a pas dans la Constitution deux catégories de libertés et de droits : des droits et des libertés qui seraient garantis, d’autres qui ne le seraient pas.
À la lecture de la Constitution et de tous les textes constitutionnels, que constate-t-on ? Le droit de grève : pas garanti. La liberté syndicale : pas garantie. La liberté d’aller et venir : pas garantie. La liberté d’opinion : pas garantie. La liberté de croyance : pas garantie. La liberté d’expression : pas garantie. Le droit de vivre dans un environnement sain – c’est l’article 1er de la Charte de l’environnement – : pas garanti. L’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives : pas garanti !
Faudrait-il donc considérer, si nous inscrivions une liberté garantie dans la Constitution, que toutes ces libertés ne le seraient pas ? Eh bien non, mes chers collègues ! Les libertés sont garanties du seul fait qu’elles sont inscrites dans les textes constitutionnels. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
Quand on ajoute un mot dans un texte constitutionnel – la Constitution n’est pas là pour ne rien dire, elle pose des règles ! –, il a nécessairement une portée. Donc, si nous ajoutons le terme « garantie » dans la Constitution, nous allons susciter chez le juge constitutionnel – et chez tous les autres juges – un travail d’interprétation qui le conduira à ajouter à ce qui est garanti pour les autres libertés des garanties spécifiques pour celle-ci. Cela pourrait mettre en péril l’équilibre entre les droits de l’enfant à naître et la liberté fondamentale de la femme de mettre fin à sa grossesse.
C’est la raison pour laquelle je vous demande très sincèrement et simplement que nous fassions ensemble notre travail d’amélioration du texte. On s’en portera bien s’il est adopté après avoir été amélioré. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Hervé Maurey applaudit également.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Chaque mot inscrit dans la Constitution a un sens, chacun des termes qui y figurent a été pesé, sous-pesé, ses contours et ses enjeux calculés. Nous le voyons, le nouveau concept de « liberté garantie » et l’utilisation qui pourrait en être faite donnent lieu à des interprétations divergentes.
Certains pensent qu’il sera opposable, qu’il donnera lieu à une interprétation, comme vient de le dire le sénateur Bas, du Conseil constitutionnel, dont on ne connaît pas très bien aujourd’hui les tenants et les aboutissants. D’autres pensent au contraire que l’inscription de cette liberté dans la Constitution n’ajoute pas grand-chose ; d’autres encore qu’elle renforce la garantie de cette liberté, lui conférant un statut différent des autres libertés fondamentales.
Quoi qu’il en soit, la commission des lois du Sénat a considéré qu’il ne fallait pas s’opposer à l’utilisation du terme « garantie ». Elle a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice Françoise Gatel, permettez-moi une correction : on a dit non pas « qui vont arriver », mais « qui pourraient arriver ». (Marques d’approbation sur des travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Eh oui !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Comme je l’ai dit précédemment, lorsque le président Chirac a pris l’initiative de constitutionnaliser l’abolition de la peine de mort, cette dernière n’était pas menacée. Mais des ombres planent et me font dire, et vous font sans doute dire, qu’il a eu mille fois raison de le faire.
Monsieur le sénateur Philippe Bas, avec la délicatesse qui vous caractérise – c’est votre marque de fabrique –, vous m’avez subrepticement intenté un procès en approximation et, ce faisant, vous avez jeté une pierre dans le jardin de la Chancellerie.
Alors, je vais répondre complètement, comme je l’ai déjà fait à de multiples reprises, à la question de savoir si le texte instaure un droit opposable ou non. L’Assemblée nationale dit que ce n’est pas un droit opposable ; la Chancellerie et le Conseil d’État le disent également.
Dois-je vous faire un procès en certitude ? Je m’interdis de le faire. Je pense que le dialogue est essentiel et que la superposition des monologues n’a aucun sens. Je veux définitivement vous convaincre.
Je n’ignore évidemment pas que le terme « garantie » vous déplaît profondément, mais je veux profiter de cet amendement pour tenter de vous réconcilier avec la rédaction du Gouvernement, qui reprend, je l’ai déjà dit et je le répète, quasi intégralement la version votée par le Sénat, dont vous êtes d’ailleurs l’un des artisans, si ce n’est l’artisan originel.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est bien là son problème !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. En préambule, permettez-moi de dire que, s’il est bien normal, au moment où l’on s’apprête à réviser la Constitution, de soupeser avec attention chacun des mots que nous choisissons, cette prudence ne doit pas nous faire céder à une forme de juridisme qui nous détournerait du principal. C’est pourquoi je vais tenter de vous rassurer une bonne fois pour toutes.
Alors, en l’espèce, de quoi s’agit-il précisément ? Il s’agit d’affirmer dans le texte constitutionnel que la liberté dont il est question est « garantie » à la femme enceinte. Par ces mots, le Gouvernement entend préciser l’intention qui guide la plume du constituant.
Il ne faut pas perdre de vue que le texte emporte modification de l’article 34 de la Constitution, exactement comme l’a voulu le Sénat. Or nous savons que l’article 34 de la Constitution est avant tout un article de procédure, consacré à la compétence du législateur.
Le terme « garantie » permet de rendre clair le fait que l’objet de cette révision constitutionnelle est non pas simplement d’attribuer une compétence au législateur, qu’il avait déjà au demeurant, mais de guider l’exercice de sa compétence dans le sens du respect de sa liberté. Vous saisissez bien sûr la nuance.
Par ailleurs, il est inexact d’affirmer que ce mot est inconnu du texte constitutionnel. On y trouve en fait plusieurs occurrences.
La référence la plus évidente se trouve à l’article 61-1 de la Constitution, qui permet à tout citoyen de contester la constitutionnalité d’une loi qui porterait atteinte « aux droits et libertés que la Constitution garantit ». Par ailleurs, l’article 13 évoque les emplois ou fonctions ayant une importance pour « la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ». Enfin, les articles 72 et 73 évoquent « un droit constitutionnellement garanti ».
Le terme « garantie », vous le voyez, n’a rien d’incongru. Il ne fait en réalité qu’expliciter l’objet et la portée de cette révision : protéger la liberté des femmes de recourir à une interruption volontaire de grossesse.
Je veux vous rassurer : ce terme ne devrait pas vous inquiéter, car il ne crée en aucune manière un droit absolu, sans limites ou encore opposable. Contrairement à ce que j’ai pu entendre, personne ne souhaite cela, en tous les cas pas le Gouvernement.
Par le mot « garantie », le Gouvernement a souhaité préciser son intention, en indiquant que la liberté de recourir à l’IVG serait garantie à la femme contre des tentatives législatives de la restreindre drastiquement. Car, oui, le Gouvernement souhaite, en l’inscrivant dans la Constitution, protéger la liberté de recourir à l’IVG. Il souhaite la protéger et non l’étendre.
Dans son avis, le Conseil d’État – il vous convaincra peut-être davantage que votre modeste serviteur – n’a rien trouvé à redire à la rédaction qui a été retenue. De façon on ne peut plus limpide, monsieur le sénateur Bas, il « considère que, par elle-même, l’inscription de la liberté de recourir à une interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, dans les termes que propose le Gouvernement, ne remet pas en cause les autres droits et libertés que la Constitution garantit, tels que notamment la liberté de conscience » – elle fera l’objet d’un amendement que nous examinerons dans un instant – « qui sous-tend la liberté des médecins et sages-femmes de ne pas pratiquer une interruption volontaire de grossesse ainsi que la liberté d’expression ».
Cette rédaction ne crée donc en aucune manière une forme de droit opposable.
Pour toutes ces raisons, qui lèvent les incertitudes juridiques, je suis, tout comme la commission d’ailleurs, défavorable à votre amendement.