M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Franck Dhersin, rapporteur. En définitive, ce texte me paraît opérer la délicate synthèse entre garanties sociales, équité concurrentielle et respect du droit européen, en promouvant une ouverture à la concurrence équitable, juste et bénéfique à tous.
M. Pascal Savoldelli. On croirait entendre l’auteur du texte…
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement heureux de vous retrouver ce soir, après l’examen d’un autre texte consacré aux transports, pour débattre d’une proposition de loi portant sur les transports publics en Île-de-France.
Bien que ce texte ne s’intéresse qu’à une seule région, il concerne notre pays tout entier, tant le nombre des usagers de ce réseau, nationaux ou internationaux, est important.
C’est la raison pour laquelle, à nos yeux, le processus d’ouverture à la concurrence doit être réussi, pour tous. C’est un texte essentiel pour les agents publics et les usagers.
Je veux partager avec vous quelques éléments très simples, puisque beaucoup a déjà été dit.
Tout d’abord, je veux rappeler, parce que c’est nécessaire et salutaire, quelques éléments de calendrier, comme l’ont fait l’auteur et le rapporteur de cette proposition de loi. Le processus d’ouverture à la concurrence de la RATP, en particulier pour ce qui concerne les bus, est engagé depuis la loi du 8 décembre 2009. Celle-ci n’a été remise en cause de près ou de loin par aucune des majorités qui se sont succédé depuis lors.
Je le rappelle aussi, l’accord trouvé avec la Commission européenne remonte à 2013, puisque, comme l’a dit M. le rapporteur, le processus d’ouverture à la concurrence s’inscrit dans un cadre européen, voté par la France sous différentes majorités là encore.
Ensuite, lors du débat sur la loi d’orientation des mobilités, en 2018 et 2019, les dernières modalités ont été définies.
Je partage avec vous une conviction : le processus d’ouverture à la concurrence n’est pas un processus de privatisation. Il s’inscrit dans le service public. On peut être pour ou contre, mais encore aurait-il fallu le dire précédemment ! Il était temps en 2009, en 2012, en 2013, en 2017 et en 2022.
J’en ai la conviction profonde, il nous faut réussir ce processus, pour les agents et les usagers. L’ouverture à la concurrence est un outil et non pas une fin en soi. Depuis mon arrivée au ministère des transports, j’ai partagé la conviction selon laquelle il est nécessaire de revoir certaines modalités de ce processus d’ouverture à la concurrence, notamment son calendrier.
Tel est l’objet central de cette proposition de loi. Je l’ai toujours dit, y compris dans cet hémicycle, un calendrier qui aurait prévu une sorte de grande bascule au 1er janvier 2025 était irréaliste et non souhaitable, pour les agents comme pour les usagers.
Depuis quinze mois, en tant que ministre des transports, je l’ai toujours dit, nous devons renforcer les garanties sociales, pour les agents et les usagers, car c’est la qualité du service public qui est en jeu. Tel est d’ailleurs l’objet du texte que nous examinons.
Fondamentalement, la place des personnels est essentielle dans la proposition de loi de M. Vincent Capo-Canellas.
S’appuyant sur le précédent dispositif introduit par la loi pour un nouveau pacte ferroviaire de 2018 pour accompagner l’ouverture à la concurrence dans le secteur ferroviaire, des travaux ont été engagés, afin d’en adapter les modalités et d’organiser le transfert des personnels concernés par un changement d’exploitant.
Ces dispositions, qui ont fait l’objet d’un travail largement consensuel, mené par les parties prenantes en lien étroit les unes avec les autres, ont été arrêtées dans la loi d’orientation des mobilités (LOM), puis précisées par décret en décembre 2021.
La LOM a posé quelques grands principes protecteurs pour les salariés concernés, notamment le transfert du contrat de travail au repreneur ; l’obligation d’informer et d’accompagner ; le principe du maintien intégral des conventions collectives ; le principe du maintien de salaire ; le bénéfice de la garantie d’emploi et du régime spécial de retraite pour les salariés statutaires. Nous y sommes très attachés, et ce texte confirme tout cela, évidemment.
Parallèlement à ces travaux législatifs et réglementaires, Île-de-France Mobilités a plus récemment arrêté un schéma de répartition des lignes, résultant de l’allotissement des activités transférées.
C’est ce schéma qui modifie la répartition des lignes de bus entre les centres-bus et qui, en même temps, appelle à définir au niveau de la loi de nouvelles règles de sécurisation des conditions de transfert des salariés. Un tel travail n’avait pas été anticipé, les principes que j’ai évoqués ayant été pensés, à l’époque, à schéma d’organisation des lignes inchangé.
Pour trouver la réponse qui soit la meilleure et la plus protectrice possible à ces enjeux importants et en effet complexes, une mission a été confiée à deux grands noms du dialogue social, très largement reconnus comme tels, par-delà les diverses sensibilités, MM. Jean-Paul Bailly et Jean Grosset, que je tiens à saluer chaleureusement.
Leurs travaux d’une grande qualité trouvent leur traduction dans ce texte dont M. Capo-Canellas a bien voulu assurer la rédaction à l’issue d’une large consultation qu’il a lui-même orchestrée ces derniers mois.
À titre principal, je le disais en évoquant le renforcement des garanties, il s’agit d’éviter les mobilités géographiques contraintes tout en veillant à assurer le transfert d’effectifs suffisants à chaque délégataire.
Plus précisément, il s’agit de garantir aux agents affectés à un centre-bus l’absence de mobilité géographique contrainte – c’est essentiel – et de différencier davantage les conditions de désignation en fonction des catégories d’emploi, ainsi que du lieu d’exercice des missions.
En outre, l’examen désormais plus poussé, parce qu’elles sont mieux connues, des situations de transfert par catégorie d’emploi a révélé que certaines situations ne permettaient pas d’assurer le complet maintien des garanties sociales. Il faut y pourvoir, ce qui serait chose faite si cette proposition de loi était adoptée.
Il faut également prévoir par la loi de différer la date d’entrée en vigueur du décret relatif au contrat social territorialisé jusqu’à la date de reprise effective de l’exploitation par le nouveau délégataire, ce qui n’était pas explicitement prévu ; un tel report doit être assumé et revendiqué.
Surtout, il est très important de décaler ou d’étaler – chacun retiendra le mot qui lui convient – la mise en œuvre du calendrier initial, qui prévoit, en l’état actuel de la législation, une ouverture effective et totale à la concurrence au 1er janvier 2025.
Pour le dire très clairement, nous sommes favorables non seulement au renforcement des garanties sociales que j’ai brièvement énumérées – l’auteur et le rapporteur de la proposition de loi les ont rappelées avec davantage de précision –, mais aussi, et surtout, au délai de deux ans, jusqu’à la fin de l’année 2026, qui est proposé dans le texte.
Je rappelle d’ailleurs qu’une proposition de loi à l’objet identique avait été déposée à l’Assemblée nationale par le député communiste Stéphane Peu, et que lui-même, en commission, avait voté le report de deux ans.
M. Fabien Gay. Minimum !
M. Clément Beaune, ministre délégué. Je vous renvoie, mesdames, messieurs les sénateurs, aux travaux excellemment documentés de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale : chacun peut se référer au compte rendu des débats et des votes.
Ce report est nécessaire. Il se fera dans le respect du droit européen, en parfaite coordination avec Île-de-France Mobilités – cela a été rappelé. Il permettra que cette ouverture à la concurrence s’applique dans les meilleures conditions du point de vue de la qualité du service rendu, pour les salariés comme pour les usagers.
Vous l’aurez compris, le Gouvernement soutient la proposition de loi de M. Capo-Canellas. Nous défendrons cependant quelques amendements visant principalement à revenir sur une partie des dispositions modifiées en commission ou à les ajuster.
Il me paraît en particulier très important que la période de référence pour la détermination du nombre de salariés transférés et des délais accordés aux salariés pour faire connaître leur décision demeure celle qui figurait dans le texte initial.
Sur le fond, ce texte est utile et nécessaire, je le crois profondément. Pour ce qui est de la méthode, il est exemplaire, car il a fait l’objet d’un travail commun de la part des services de l’État, des grands opérateurs et d’Île-de-France Mobilités.
Il doit son contenu et son inspiration à une mission confiée, je l’ai dit, à de grands professionnels, respectés, du dialogue social, qui ont consulté toutes les parties, y compris les organisations représentatives des salariés, dans un large esprit de consensus. Tout ce travail a abouti à des idées rendues publiques dans le rapport de MM. Bailly et Grosset, qui sont elles-mêmes à l’origine, cher Vincent Capo-Canellas, de l’idée d’un texte législatif rapidement discuté.
L’objectif ici est simple : réussir un processus qui doit garantir un meilleur service public, en conservant sous l’autorité d’une autorité organisatrice, et d’elle seule, l’organisation des transports franciliens. C’est en cela que je conteste formellement le terme de « privatisation »,…
M. Pascal Savoldelli. Eh oui, c’est trop vulgaire ! (Sourires sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
M. Clément Beaune, ministre délégué. … car un service public est organisé par la puissance publique ! Quand la puissance publique définit l’intégralité des règles, il est difficile de parler d’un service privé.
Ce qui a fait l’objet de nombreux débats dans les différentes assemblées concernées, en revanche, ce sont les règles d’attribution, le nombre d’opérateurs et l’organisation de ces transports sous l’autorité d’Île-de-France Mobilités, l’autorité organisatrice des mobilités.
Les mesures prévues sont aujourd’hui ajustées dans le sens d’un renforcement des garanties sociales et d’un meilleur étalement du calendrier d’ouverture, toujours au nom de la réussite de ce processus : tel est l’objet de cette proposition de loi, et telle est la raison pour laquelle le Gouvernement la soutient. (M. Vincent Capo-Canellas et Mme Isabelle Florennes applaudissent.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Jacquin et Uzenat, Mmes Bélim et Bonnefoy, MM. Devinaz, Fagnen, Gillé, Ouizille, M. Weber, Féraud, Temal et Kanner, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, MM. Bouad et Bourgi, Mmes Briquet et Canalès, M. Cardon, Mme Carlotti, MM. Chaillou et Chantrel, Mmes Conconne et Conway-Mouret, M. Cozic, Mme Daniel, M. Darras, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Éblé, Mmes Espagnac et Féret, M. Fichet, Mme Harribey, MM. Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Kerrouche, Mmes Le Houerou et Linkenheld, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Marie, Mérillou et Michau, Mme Monier, M. Montaugé, Mme Narassiguin, M. Pla, Mme Poumirol, MM. Raynal et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, MM. Roiron et Ros, Mme Rossignol et MM. Stanzione, Tissot, M. Vallet, Vayssouze-Faure et Ziane, d’une motion n° 1 rectifiée.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi relative à l’ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP (n° 47, 2023-2024).
La parole est à M. Simon Uzenat, pour la motion.
M. Simon Uzenat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les réseaux de transport, particulièrement en Île-de-France, sont, pour citer les mots employés par M. le rapporteur en commission, de la « dentelle fine ». Toutefois, celle-ci est d’un genre un peu particulier, puisque nous parlons là du transfert de 19 000 salariés et de plus de 300 lignes – voilà qui est peut-être, en définitive, un peu plus épais que de la dentelle !
S’il s’agit malgré tout de dentelle, cette proposition de loi lui applique un traitement quelque peu brutal selon nous : lavage à 90 degrés, beaucoup de détergents, essorage maximal et, pour faire bonne mesure, un quart de bouchon d’adoucissant – pour ce qui est du « sac à dos social », quelques efforts ont été consentis, nous l’avons reconnu.
Globalement, notre sentiment est que l’on a confondu vitesse et précipitation. Cette proposition de loi est d’ailleurs en réalité un projet de loi déguisé, commandé – on le sait très bien – par Île-de-France Mobilités. Sa présidente ne s’en est d’ailleurs pas cachée lors de son audition.
Ce lavage quelque peu brutal, pour ne pas dire plus, met à mal les coutures sociales et territoriales de ce réseau de transport, faisant peser des risques très sérieux sur la continuité du service public et sur la qualité du service rendu au public – nous pouvons au moins partager cette préoccupation, mes chers collègues.
Les membres de mon groupe et moi-même sommes en particulier régulièrement revenus sur le sujet de l’unité du réseau – je le dis en regardant Olivier Jacquin.
La constitution de 12 – ou 13 – lots s’est faite – cela nous a été confirmé, je le dis au passage – sans recueillir l’avis de la RATP, ce qui n’est pas sans poser de nombreuses questions. Les orateurs qui m’ont précédé l’ont dit avant moi : chacun des lots représente l’équivalent du réseau d’une métropole comme Rennes ou Nantes : là encore, nous ne sommes pas dans l’épaisseur du trait…
Pour ces raisons, et pour d’autres que je m’apprête à développer, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain demande, au travers de cette motion tendant à opposer la question préalable, le rejet de cette proposition de loi.
Monsieur le ministre, je vous ai bien écouté. Je vous avoue que j’ai été surpris, pour ne pas dire plus, par certains mots que vous avez employés, notamment lorsque vous avez salué la « méthode exemplaire » d’élaboration de cette proposition de loi. Je le dis en ma qualité de nouveau sénateur, siégeant depuis trois semaines : j’ose espérer que ce n’est pas ainsi que vous concevez le rapport au Parlement et aux parlementaires, car, dans le cas contraire, j’aurais quelque raison de m’inquiéter…
Rappelons tout de même que cette proposition de loi a été déposée le 29 septembre, voilà un petit peu plus de trois semaines. Comme il s’agit d’une proposition de loi, elle ne s’assortit d’aucune étude d’impact ni d’aucun avis du Conseil d’État : l’opacité règne, comme la précipitation que j’évoquais il y a un instant.
Le rapport Bailly-Grosset, qui a été mentionné à plusieurs reprises, n’a pas été communiqué aux parlementaires. Certains ont réussi à en obtenir une copie, en quelque sorte « tombée du camion »… Voilà qui n’est pas très sérieux au regard des enjeux.
J’ajoute – cela ne surprendra guère M. le rapporteur, car j’ai déjà eu l’occasion de le dire en commission –, que les auditions du rapporteur n’étaient pas ouvertes aux commissaires, ce qui a ajouté à cette opacité ressentie et, en l’espèce, bien réelle.
J’en viens au calendrier : au-delà des délais d’examen du texte, c’est le calendrier prévu pour son application qui pose problème. J’ai déjà évoqué ce point en commission et, derechef, mes propos ne surprendront pas M. le rapporteur : sur ce sujet aussi nous sommes en profond désaccord.
Quant à l’argument des jeux Olympiques, je le trouve un peu particulier… Si les mesures contenues dans cette proposition de loi sont aussi formidables qu’on le prétend, si ce texte constitue un remède à tous les maux dont pâtissent les réseaux de transport public franciliens, pourquoi attendre ? Si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, c’est dans les plus brefs délais qu’il faudrait mettre en œuvre cette ouverture à la concurrence : les citoyens et les salariés n’attendraient que cela !
En réalité, vous le savez bien, tel n’est pas le cas. C’est d’ailleurs pour cette raison que vous voulez enjamber les jeux Olympiques : vous voulez éviter un crash industriel pendant cet événement ô combien important pour notre pays.
Monsieur le rapporteur, je vous avais trouvé plutôt pondéré pendant l’examen du texte en commission. Je n’en ai été que plus surpris de vous entendre employer ici des adjectifs forts : il serait « malhonnête » et « irresponsable » de vouloir discuter du calendrier.
M. Fabien Genet. C’est la chaleur de l’hémicycle ! (Sourires.)
M. Simon Uzenat. J’ose espérer que règne dans cette enceinte un respect unanime du débat parlementaire et de la démocratie locale – j’y reviendrai.
Ce qu’une loi fait, une autre peut le défaire. Plus encore, il faut le rappeler, le calendrier que vous proposez va venir percuter très directement les élections municipales de 2026.
Les citoyens de la région Île-de-France ne se sont d’ailleurs jamais prononcés clairement sur ce sujet de l’ouverture à la concurrence. La perspective des séquences électorales à venir, en 2026, en 2027 et surtout en 2028, mérite que nous attendions, c’est-à-dire que nous laissions la parole aux citoyens. C’est d’autant plus nécessaire que l’ouverture à la concurrence – vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur – n’était pas une obligation : le fameux règlement européen n° 1370/2007, dit OSP, ne fixait pas d’obligation en la matière.
Je précise que la computation des seuils s’applique bien pour trente ans à compter de décembre 2009, date d’entrée en vigueur du règlement : nous avions donc jusqu’en 2039… Vous l’avez vous-même dit, monsieur le ministre : il paraissait plus sage de décaler le calendrier. Nous estimons, quant à nous, qu’il fallait décaler le décalage !
Quoi qu’il en soit, nul problème démocratique majeur ne se posait ici, d’autant que les choses ont changé depuis 2020, cela n’aura échappé à personne : crise sanitaire, tensions sociales, difficultés de recrutement, tout cela est venu singulièrement compliquer la tâche.
Surtout, nous observons d’ores et déjà, au gré des échanges que nous avons avec les organisations syndicales et avec les élus, les effets très préoccupants de la mise en concurrence qui a eu lieu en grande couronne avec le réseau Optile (Organisation professionnelle des transports d’Île-de-France).
Voici les retours du terrain, qui ne sont rien moins qu’imaginaires : pour les salariés, coût social élevé et détérioration des conditions de travail ; pour les usagers, coût sociétal élevé, dégradation de la qualité de service. Les propos que nous avons recueillis, à Melun Val de Seine, sur le plateau de Saclay, dans le Vexin ou à Moret Seine et Loing, sont extrêmement sévères, qu’ils émanent des élus, des citoyens ou même des entreprises attributaires des lots.
Ainsi est-il question, dans un courrier rédigé par l’administrateur général d’Optile, de « difficultés financières importantes, parfois insoutenables, qui risquent d’entraîner une dynamique négative sur la qualité de service, le climat social et la capacité à recruter ».
Ce que nous entendons là, et ce n’est pas un cas isolé, c’est que les entreprises dont vous parliez en évoquant l’éventuel report supplémentaire que nous pourrions proposer expriment leur mécontentement, et de la manière la plus vive, à propos d’une mise en concurrence qui est déjà à l’œuvre.
Pour ce qui est du « sac à dos social », vous avez rappelé les progrès qui ont été réalisés. Certes, mais quid de la situation de départ ? Elle n’était à l’évidence absolument pas satisfaisante. Oui, des progrès ont été accomplis par rapport à cette situation de départ, mais la réalité est que le schéma qui est ici proposé ne rassure en rien les salariés et leurs représentants. Nous avons rencontré nous aussi les organisations syndicales : leur message est extrêmement clair.
L’opposition n’est pas que de principe : elle vaut y compris pour les mesures contenues dans cette proposition de loi et pour ses angles morts, par exemple le service de nuit. La réorganisation prévue, avec un seul lot pour les bus de nuit, entraînera nécessairement, sans mauvais jeu de mots, une « perte en ligne » pour de nombreux chauffeurs qui ne se porteront pas volontaires, mais aussi pour le service lui-même.
Quid également du maintien du salaire net et de tous les avantages existants, qui n’est pas garanti ? Nous avons notamment parlé avec les organisations syndicales des jours de repos.
Quant à la supervision et à la gestion des incidents, elles suscitent également de très fortes inquiétudes : la transition n’a pas tout à fait été préparée, c’est le moins que l’on puisse dire. De ce point de vue, le rapport de la mission Bailly-Grosset, du moins le document que nous avons pu consulter, s’en tient au service minimum au regard des attentes exprimées par les organisations syndicales. Ces dernières ont elles-mêmes dit qu’elles considéraient que cette mission « n’était pas légitime »…
Des interrogations financières subsistent par ailleurs : on le sait très bien, un mur d’investissements attend Île-de-France Mobilités, alors même que cette structure est déjà en très grande difficulté.
Des incertitudes majeures pèsent sur ses recettes, et l’on peut craindre que le financement des dépenses induites, qui pourraient croître énormément – cela se vérifie déjà en grande couronne –, demain, en petite couronne et à Paris, finisse par reposer assez largement sur l’usager, comme cela se produit couramment ces dernières années. Une telle situation se paierait d’un coût sociétal, à savoir le recours plus fréquent à la voiture – c’est ce que l’on observe en grande couronne –, d’un coût social et d’un coût financier.
Mes chers collègues, en votant cette motion tendant à opposer la question préalable, nous redonnerons aux citoyens la possibilité de choisir en toute connaissance de cause (Mme Marie-Claire Carrère-Gée s’exclame.), tandis que les partenaires et les élus pourront se situer en fonction d’un débat qui aura eu la sincérité et la clarté requises. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)
M. Olivier Jacquin. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Didier Mandelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’opposerai – cela ne vous surprendra pas – à cette motion tendant à opposer la question préalable déposée par les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sur la proposition de loi relative à l’ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP de notre collègue Vincent Capo-Canellas, adoptée la semaine dernière par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Il convient avant tout de ne pas se méprendre sur le sens du débat de ce soir : les auteurs de la motion préconisent le rejet de la proposition de loi au motif que le choix de ce véhicule législatif aurait privé le Sénat d’une étude d’impact permettant d’évaluer « tous les enjeux et l’ensemble des conséquences tant sur le plan social qu’organisationnel de l’ouverture à la concurrence ».
M. Hervé Gillé. C’est vrai !
M. Didier Mandelli. Or je rappelle que la proposition de loi qui est soumise à notre examen porte non pas sur le principe de l’ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP, mais bel et bien sur ses modalités pratiques et organisationnelles.
L’ouverture à la concurrence est déjà en marche, et cela depuis plusieurs années ; j’en veux pour preuve que l’ensemble des appels d’offres ont été lancés. Il ne s’agit donc pas ce soir d’apprécier le bien-fondé de ce processus, mais de définir les mesures requises pour en sécuriser et en fluidifier davantage la mise en œuvre, d’un point de vue tant technique qu’opérationnel et social.
Je partage évidemment la préoccupation des auteurs de cette motion concernant les garanties sociales dont bénéficient les salariés qui seront transférés dans le cadre de l’ouverture à la concurrence.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Très bien !
M. Didier Mandelli. Or l’un des principaux axes du texte est précisément de répondre à ces inquiétudes légitimes, en comblant certains « angles morts » de la loi d’orientation des mobilités de 2019.
M. Franck Dhersin, rapporteur. Bien sûr !
M. Didier Mandelli. L’article 1er permet notamment d’élargir le socle des bénéficiaires du « sac à dos social », expression qui désigne la portabilité d’une partie du statut des salariés de la RATP, comme l’a rappelé M. le rapporteur voilà quelques instants.
Le dispositif proposé assurera à l’ensemble des salariés transférés le bénéfice de ces acquis, quand le droit actuel conduirait à en laisser certains sur le bord de la route, ou plutôt de la voie (Sourires.), notamment ceux qui ne sont pas couverts par une convention collective du transport public.
Cet article opère également une modification substantielle des modalités du transfert : celui-ci s’effectuera à l’échelle des centres-bus et non à celle des lignes de bus. Cette évolution aura des conséquences concrètes pour le quotidien de nombreux salariés : elle permettra à 3 000 d’entre eux de ne pas changer de lieu de prise de poste malgré leur transfert.
Les mesures contenues dans ce texte sont de nature particulièrement consensuelle ; nombre d’entre elles traduisent d’ailleurs les préconisations de la mission de préfiguration sociale menée par Île-de-France Mobilités, qui ont fait l’objet d’une large concertation avec les parties prenantes il y a quelques mois.
L’amélioration de l’accompagnement des salariés et la prise en compte de leurs inquiétudes face au transfert sont donc un élément essentiel de ce texte. J’ajoute que le travail effectué en commission me semble pleinement s’inscrire dans cet état d’esprit.
Surtout, en avançant l’argument d’une ouverture à la concurrence trop rapide pour justifier un rejet de la proposition de loi, les auteurs de la question préalable se heurtent à un réel paradoxe, pour ne pas dire qu’ils commettent un contresens, car l’objectif central du texte est précisément de permettre un assouplissement du calendrier d’ouverture par rapport au droit actuel, grâce à un échelonnement sur une durée maximale de deux ans, entre le 31 décembre 2024 et le 31 décembre 2026.
Comme cela a été rappelé, l’ouverture à la concurrence des bus franciliens est un chantier d’une ampleur inédite, qui ne concerne pas moins de 308 lignes et de 19 000 salariés.
Or, de fait, rejeter la présente proposition de loi conduirait à imposer la conduite de ce transfert en une seule fois, à la date butoir du 31 décembre 2024 initialement prévue par le législateur, ce qui est en absolue contradiction avec l’objectif des auteurs de la motion. (Mme Marie-Claire Carrère-Gée applaudit.)
En outre, de l’avis de l’ensemble des acteurs entendus par M. le rapporteur, la mise en œuvre des transferts selon le calendrier actuel ne pourrait se traduire que par une importante désorganisation du réseau et des services, dont résulterait un risque sérieux de rupture de la continuité du service public.
Voilà qui n’est pas acceptable, alors que les transports publics de la région parisienne s’apprêtent à accueillir un flux inédit de voyageurs dans le cadre des jeux Olympiques et Paralympiques de l’été 2024.
Ces éléments plaident en faveur d’un séquençage responsable du calendrier de l’ouverture à la concurrence par l’autorité organisatrice de la mobilité, comme le présent texte le propose judicieusement.
Je ne reviens pas sur l’ensemble des mesures de cette proposition de loi. Elles se veulent pragmatiques et répondent à un objectif clair, qu’a rappelé M. le rapporteur : sécuriser les modalités de mise en œuvre de l’ouverture à la concurrence tout en promouvant l’équité du processus concurrentiel et en accompagnant au mieux les salariés, via le maintien de leur situation professionnelle et des garanties sociales dont ils bénéficient.
Sur la proposition du rapporteur, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a d’ailleurs complété ce texte, afin de préserver mieux encore les acquis du dialogue social, par exemple en faisant passer de quatre à six mois avant la date prévue pour le changement effectif d’exploitant du service le délai minimal d’information des salariés quant aux conditions du transfert de leur contrat de travail.
Elle a également veillé à mieux sécuriser le processus d’ouverture à la concurrence, en améliorant les conditions d’intervention de l’Autorité de régulation des transports, qui pourra prolonger de trois mois le délai de règlement de différends lorsque cela est nécessaire.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le texte qui vous est soumis est porteur d’améliorations – c’est celui qui fut rapporteur de la LOM qui vous le dit ! Il me semble poser les conditions d’une ouverture à la concurrence mieux encadrée, plus fluide et bénéfique tant aux voyageurs qu’aux salariés et aux entreprises qui candidatent aux appels d’offres.
Je vous invite donc à rejeter la présente motion tendant à opposer la question préalable et à examiner la proposition de loi qui nous est présentée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Laure Darcos applaudit également.)