M. le président. Il faut conclure.
M. Xavier Iacovelli. Si l’examen de ce texte en commission a révélé des désaccords, nous tous, dans cet hémicycle, avons en commun…
M. le président. Merci, mon cher collègue !
M. Xavier Iacovelli. … l’objectif du plein emploi.
C’est pourquoi les élus du groupe RDPI voteront ce texte.
M. le président. Mon cher collègue, chacun doit respecter le temps qui lui est imparti.
La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, que l’année écoulée fut éprouvante pour nos droits sociaux !
Après la réforme régressive de l’assurance chômage et la réforme brutale et injuste des retraites, nous voilà, à la veille des congés d’été, face à une nouvelle réforme de casse sociale…
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Carrément !
Mme Émilienne Poumirol. … avec ce projet de loi dit « pour le plein emploi ».
Le plein emploi : telle est l’ambition affichée du Gouvernement, certes, mais à quel prix – la précarisation et la paupérisation de notre société…
Ce texte traduit une vision purement adéquationniste de l’emploi. Il y aurait, d’un côté, les gens qui ne travaillent pas, que l’on propose d’inscrire obligatoirement sur la liste des demandeurs d’emploi, et, de l’autre, les entreprises qui peinent à recruter. Pour arriver au plein emploi, il suffirait d’assurer une mise en relation en sanctionnant les personnes qui n’obéissent pas à cette logique. Cette idée simple, pour ne pas dire simpliste, aura des conséquences dramatiques pour certains de nos concitoyens.
En préambule, j’insiste sur un point qui me paraît particulièrement problématique. Le Gouvernement inscrit la réforme d’un droit social, à savoir le revenu de solidarité active, dans un projet de loi portant sur le travail, donc réformant le code du travail.
Bien loin de la logique originelle du RMI, revenu minimal de subsistance destiné à sécuriser les personnes et à favoriser une sortie de la pauvreté, le Gouvernement définit le RSA non plus comme un droit social, mais comme un dispositif de recherche d’emploi. De même, le durcissement des conditions et sanctions imposées aux bénéficiaires du RSA semble supplanter la volonté d’accompagnement.
Rappelons-le : une suspension du RSA peut avoir des conséquences dramatiques pour des personnes dont le quotidien n’est que survie. Cette mesure ne fait que stigmatiser un peu plus les bénéficiaires de ce revenu.
En parallèle, le présent texte témoigne d’une volonté de recentraliser la gestion des demandeurs d’emploi : il déshabille ainsi les régions et départements de compétences exclusives.
Enfin, la problématique du financement durable de ces mesures doit être soulevée. Le Gouvernement a pour ambition d’assurer un meilleur accompagnement : nous l’entendons, bien sûr. Mais quels moyens humains et financiers compte-t-il mettre en œuvre pour atteindre cet objectif ? Les chiffres qu’il a présentés nous semblent bien en deçà des besoins effectifs.
Monsieur le ministre du travail, le problème du financement est pourtant particulièrement important. Or, au nom de votre dogme néolibéral de réduction du déficit public, vous vous contentez de proposer une baisse des dépenses publiques ou des exonérations fiscales pour les entreprises sans jamais envisager de recettes nouvelles. Je crains qu’un tel choix ne se fasse aux dépens de l’accompagnement des demandeurs d’emploi.
De plus, votre texte présente de grandes lacunes ; il s’agit pourtant de sujets primordiaux quand on parle de travail.
Vous prônez la valeur travail, soutenu en cela par la majorité sénatoriale. Mais qu’en est-il de la valeur accordée au travail, aux conditions de travail et à la juste rémunération du travail ? Vous visez le plein emploi, quoi qu’il en coûte, mais quel plein emploi ? Celui des temps partiels et des contrats courts ? La question de la qualité de l’emploi est totalement absente de votre texte.
De la même manière, la lutte contre la pauvreté ne semble pas être une priorité pour ce gouvernement. Bien au contraire, ce projet de loi ne tendra qu’à faire passer des gens de la précarité à la grande pauvreté !
La question du non-recours aux droits, phénomène qui sera aggravé par l’adoption de ce texte, est également absente, alors même que le Gouvernement l’a érigée en priorité ; il n’y a pas une ligne non plus sur le reste à vivre !
Enfin, il s’agit d’un texte relatif au travail qui ne traite pas des leviers utiles à la reprise d’activité pour lever les freins à l’emploi, sauf en ce qui concerne la petite enfance, j’en conviens, monsieur le ministre.
Farouches défenseurs des droits sociaux, du service public de l’emploi et de la lutte contre la pauvreté, les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain porteront des propositions pour un accompagnement plus humain, juste et efficace des personnes sans emploi. Nous voterons contre ce texte qui ne s’inscrit pas dans une telle logique. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, après la réforme de l’assurance chômage, qui a diminué les droits des allocataires et réduit la durée d’indemnisation de tous ceux qui perdent leurs emplois, après la réforme des retraites, qui vole deux ans aux salariés, y compris à ceux et à celles qui travaillent dans des conditions difficiles, après la réforme des lycées professionnels, qui n’est aucunement guidée par l’intérêt des élèves, vous nous présentez aujourd’hui un projet de loi intitulé « pour le plein emploi », qui vise non pas à éradiquer le chômage dans notre pays, mais à atteindre un taux de chômage inférieur à 5 % !
L’intitulé est alléchant : le « plein emploi », j’y souscris, nous y souscrivons tous évidemment. (Mme Émilienne Poumirol renchérit.) Nous sommes favorables à ce que chaque être humain travaille dans de bonnes conditions, avec un salaire décent.
Mais, en vérité, votre projet de loi est bien loin de tout cela ! De plus, l’adoption de ce texte aura un impact considérable sur la vie de nos concitoyens et de nos concitoyennes. Pourtant, deux jours à peine seront consacrés à son examen !
Renoncer à la disparition du chômage dans notre pays consiste à contraindre les chômeurs de répondre aux pénuries de main-d’œuvre dans les métiers en tension.
En réalité, il ne suffit pas de traverser la rue pour trouver un emploi ! Selon le rapport de prospective de France Stratégie de mars 2022 consacré aux métiers et aux qualifications en 2030, « au-delà du manque de formations, l’inadéquation entre le besoin en recrutement et la main-d’œuvre disponible est à mettre en lien avec des conditions de travail difficiles ou dégradées ».
Améliorer les salaires et les conditions de travail permettrait de pourvoir les emplois en tension plus que contraindre les chômeurs à accepter n’importe quel emploi, parfois pour quelques heures. Plutôt que d’un « plein emploi » précaire et sous-qualifié, nous avons besoin d’un « bon emploi » choisi, fait de CDI, garantissant un véritable salaire, et permettant à chacun de vivre dignement.
La création de France Travail en remplacement de Pôle emploi va permettre au Gouvernement de privatiser le service public de l’accompagnement des demandeurs d’emploi, en intégrant les organismes privés dans le réseau France Travail. Le ministre du travail a déjà annoncé son intention de faire payer la création de France Travail aux assurés sociaux qui financent l’Unédic. De plus, la lettre de cadrage de la future convention de l’assurance chômage devrait prévoir la ponction des 3 milliards d’euros et la modulation des allocations selon la conjoncture économique.
En durcissant les conditions de maintien du RSA, le Gouvernement choisit de ne pas s’attaquer au non-recours au RSA, qui concerne 30 % des personnes éligibles.
La majorité sénatoriale et le Gouvernement jouent la surenchère sur le contrôle des chômeurs, à la suite des déclarations d’Éric Ciotti, le 22 juin dernier, lequel estime qu’il est possible d’aller beaucoup plus loin dans la réduction des indemnités chômage. Selon lui, elles sont un obstacle évident au retour au plein emploi ! Du reste, la commission des affaires sociales a limité le versement rétroactif du RSA à trois mensualités, précarisant davantage encore les plus fragiles.
Les mesures prévues dans le projet de loi en faveur du handicap vont dans le bon sens, même si elles ne sont pas suffisantes.
La stratégie nationale de l’accueil du jeune enfant n’est pas satisfaisante. Cette politique est aujourd’hui financée à 70 % par les communes. Donnez aux maires les moyens de développer l’offre de garde en les assurant de la pérennité des aides pour faire face aux coûts de fonctionnement !
M. Xavier Iacovelli. C’est ce que nous faisons !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Vous deviez créer – il s’agit d’une promesse de campagne du Président Macron – 30 000 places en crèche ; quatre ans plus tard, quelque 8 927 places ont été ouvertes… Réfléchissons vite à un service public de l’enfance !
Notre groupe défend un projet alternatif de société. Il repose sur la création de nouveaux droits pour les salariés et surtout sur de nouveaux financements pour l’assurance chômage.
Face au projet de précarité généralisée pour tous et toutes, nous défendons un projet de sécurisation de l’emploi et de la formation dans l’objectif d’éradiquer le chômage et la précarité.
Ce projet « Sécurité Emploi Formation » prévoit de former, de créer des emplois de qualité, de sécuriser l’emploi et la formation, en mettant à contribution le capital et en conditionnant les aides publiques. Il prévoit également d’instituer des instances démocratiques locales et nationales pour planifier la priorité à l’emploi et non aux profits !
Il s’agit d’un système assurant à chacun et à chacune un emploi ou une formation rémunérée pour revenir en emploi, qui garantit la continuité des droits et des revenus, sans passage par la case chômage.
Face à la casse de l’enseignement professionnel, nous revendiquons des formations ouvertes, adaptées au travail, certes, mais également aux travailleurs en formation.
Face aux mesures cosmétiques en matière de handicap, nous prônons une réelle prise en compte et un accompagnement digne, y compris des aidants, qui sont maintenus dans l’exclusion, faute de statut.
Votre projet est à l’opposé de la vision que nous défendons. C’est la raison pour laquelle notre groupe votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Martine Berthet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui porte une ambition majeure : il tend à réorganiser le service public de l’emploi à tous les échelons territoriaux et à améliorer l’accueil et l’accompagnement des personnes en recherche d’un travail.
L’enjeu est de taille, car nous sommes encore loin du plein emploi : notre pays compte près de 3 millions de chômeurs ; près de 13 % de notre jeunesse est sans emploi et ne suit aucune formation ni aucun parcours d’études.
Ce sont autant d’occasions manquées d’insertion professionnelle et sociale, d’accomplissement personnel, et d’accroissement des revenus.
Je souhaiterais insister dans mon propos sur l’enjeu que représente l’amélioration du service public de l’emploi pour nos entreprises. Je me fais ici l’écho du récent rapport d’information que j’ai présenté avec mes collègues Michel Canévet et Florence Blatrix Contat, intitulé Former pour aujourd’hui et pour demain : les compétences, enjeu de croissance et de société, qui a été adopté à l’unanimité par la délégation aux entreprises.
En 2022, pour les entreprises, les tensions de recrutement et la pénurie de main-d’œuvre ont atteint de nouveaux sommets : désormais plus de deux entreprises sur trois y sont confrontées ; le taux de vacance des emplois est cinq fois supérieur à son taux de croisière. Par comparaison avec les pays européens qui nous entourent, nos entreprises ont plus de difficultés à pourvoir leurs emplois, en dépit d’un taux de chômage plus élevé. En cela, le service public de l’emploi a un rôle très important à jouer pour faire se rencontrer l’offre et la demande d’emploi.
Je rappelle que la loi confie explicitement à Pôle emploi la mission d’accompagner les entreprises dans leurs recrutements. Pourtant, la majorité d’entre elles, à quelques rares exceptions géographiques près, estiment toujours que son appui est insuffisant, surtout aux petites entreprises.
Je suis heureuse que la commission des affaires sociales ait adopté un amendement visant à réaffirmer et à renforcer la mission d’accompagnement de Pôle emploi vis-à-vis des entreprises, afin de mieux répondre à leurs besoins.
J’en profite pour féliciter notre collègue rapporteure, Pascale Gruny, pour son remarquable travail, ainsi que Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Le président de la délégation aux entreprises et moi-même proposerons d’aller plus loin dans cet accompagnement par un amendement visant à instaurer, dans chaque territoire, un guichet PME au sein du réseau France Travail. Il servira d’interlocuteur unique pour le dialogue et le suivi des PME. C’est cette logique qui fait le succès, par exemple, de la Team France Export auprès des PME. Il nous semble utile de l’appliquer à France Travail.
L’un des défis auxquels devra répondre la réforme est celui des métiers en tension, parmi lesquels figurent nombre de métiers essentiels à la vie de la Nation. Près de 120 métiers sont aujourd’hui en tension, contre environ 50 en 2015. Si le Gouvernement a déjà fait un pas en ce sens, au travers de la constitution de viviers de candidats pour certains métiers, il faut tout de même passer à l’échelle supérieure et couvrir davantage de besoins.
Aussi, nous vous proposons d’inclure systématiquement, dans l’accompagnement des demandeurs d’emploi, une sensibilisation aux métiers en tension selon les territoires, pour mieux informer et déconstruire les préjugés.
Par ailleurs, nous soutenons la proposition de Mme la rapporteure visant à assurer une participation de l’ensemble des acteurs locaux de l’insertion et de l’emploi au réseau France Travail. Ce sont des maillons essentiels de l’accompagnement du dernier kilomètre. Ils sont extrêmement agiles pour combler les « trous dans la raquette » de l’approche trop quantitative de Pôle emploi.
La commission a aussi introduit une plus grande coopération entre le service public de l’emploi et le service public de l’éducation. En effet, le dialogue entre l’école et l’entreprise, mais aussi entre le système éducatif et le service public de l’emploi, nous paraît fondamental pour que l’orientation de nos jeunes soit choisie et informée. À cette fin, nous présenterons un amendement visant à renforcer le suivi par Pôle emploi des jeunes diplômés de lycée professionnel, à partir de l’année de leur diplôme et pour les deux années suivantes. En effet, moins de la moitié des diplômés de CAP sont insérés dans l’emploi deux ans après leur diplôme ! Aussi, il faut inverser la tendance et mieux prévenir le décrochage.
Enfin, alors que ce texte a pour objet d’acter le lancement d’un second plan d’investissement dans les compétences, prenons garde de ponctionner les ressources dédiées à la formation professionnelle et à la formation des salariés, au profit de la formation des demandeurs d’emploi. Entre 2019 et 2022, plus de 6,4 milliards d’euros ont ainsi été prélevés sur les ressources de France compétences au profit du PIC, alors qu’elles sont normalement dédiées au financement de l’apprentissage, à l’action des opérateurs de compétences (Opco), ou encore à des plans de développement des compétences élaborés par les entreprises.
Nous défendrons donc un amendement visant à plafonner le prélèvement annuel effectué sur les ressources de France compétences au profit du PIC. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Corinne Féret. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre du projet de loi pour le plein emploi.
Si, au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous partageons l’ambition d’atteindre cet objectif, nous n’avons de toute évidence pas la même vision de ce que recouvre cette notion, puisque dans ce texte, le plein emploi doit être obtenu à tout prix, envers et contre tout. Cette vision est bien trop brutale et stigmatisante !
En 1988, lorsque la gauche a fait adopter à l’unanimité la création du RMI, aujourd’hui RSA, l’important était de garantir à tous un moyen de vivre, ou plutôt de survivre, en même temps qu’un droit à l’insertion sociale et professionnelle.
Dans ce texte, le Gouvernement change la philosophie du RSA. Il instaure un déséquilibre entre droits et devoirs et nourrit l’insécurité de personnes déjà très fragilisées.
Auparavant l’on considérait que la société avait le devoir d’insérer et d’accompagner les allocataires ; aujourd’hui, c’est l’inverse : ce sont les allocataires qui ont des devoirs, des obligations.
Or plus de 30 % des Français ayant droit au RSA ne le demandent pas ! Il aurait fallu des propositions pour lutter contre ce non-recours, mais il n’y en a aucune, ou plutôt si : la conditionnalité et de nouvelles sanctions, qui risquent d’aggraver davantage la précarité des plus fragiles !
Oui, ce texte est injuste envers les demandeurs d’emploi et représente une véritable violence sociale.
Ce texte est tout aussi flou que recentralisateur. Il est flou en ce que ses auteurs ont soigneusement évité de parler des moyens et ont renvoyé à des décrets – dont on ne sait rien – la mise en œuvre de nombre de dispositions. Où sont les milliards d’euros qui permettraient de mettre en place l’accompagnement intensif et personnalisé promis, et d’accéder à un emploi durable ?
De même, le texte tend à recentraliser certaines compétences. Ainsi, la compétence exclusive des régions en matière de formation professionnelle des demandeurs d’emploi, issue de quarante ans de décentralisation, devient une compétence partagée entre l’État et la région. Le rôle de la région sera demain réduit à celui d’opérateur de l’État !
Comment les représentants des collectivités territoriales que nous sommes peuvent-ils accepter cela, alors même que notre assemblée vient de rendre quinze nouvelles propositions pour redonner aux élus locaux leur pouvoir d’agir, issues du groupe de travail sur la décentralisation lancé par le président du Sénat en octobre dernier ?
Les collectivités et leurs élus attendent de nous une décentralisation claire et des transferts de compétences effectifs. La régionalisation des compétences de l’emploi et de la formation professionnelle est un modèle efficient et conforme à celui de la plupart des autres pays européens ; pourquoi la remettre en question ?
Nous nous inquiétons particulièrement pour notre jeunesse qui est jusqu’ici suivie par les missions locales, car elles aussi sont mises à mal. Elles jouent un rôle décisif dans l’accès à l’emploi des jeunes, mais pas seulement ! L’ensemble des jeunes qui fréquentent les missions locales ne correspondent pas à la définition du demandeur d’emploi. Il ne faudrait pas que la logique par trop administrative du projet de loi s’avère contre-productive dans la relation d’accompagnement et en matière d’accès au droit.
Nous veillerons donc à préserver, par voie d’amendement, ce véritable service public territorialisé de l’insertion des jeunes, dont l’atout est d’avoir une approche globale de l’accompagnement.
Vous l’avez compris, nous sommes opposés à ce texte, qui vise à remettre chacun au travail à marche forcée. Il s’agit en effet d’augmenter encore un peu plus la pression et les menaces sur les personnes sans emploi !
Nous n’acceptons pas les petites phrases qui consistent à faire penser qu’il suffit de traverser la rue ou même de faire le tour du Vieux-Port pour trouver un emploi. Il faut que ces provocations cessent !
Pour nous, il est important que l’individu s’inscrive dans une logique d’insertion professionnelle durable au point de vue de la motivation, du projet et du salaire, afin qu’il n’abdique pas toute aspiration professionnelle ou personnelle.
Le travail est un facteur d’intégration et d’émancipation, s’il est librement choisi et s’il s’exerce dans des conditions décentes. Aussi, un véritable service public de l’emploi ne saurait forcer les personnes à occuper des emplois précaires et sous-payés. Au contraire, il doit organiser un droit à l’emploi de qualité pour tous. Telle est la vision que nous défendrons lors des débats ces prochains jours.
Je conclurai en rappelant que le Gouvernement nous avait également promis un projet de loi relatif à la petite enfance, afin de mieux répondre aux besoins des familles et de donner à chaque enfant les mêmes chances. Le compte n’y est pas au travers de l’article 10 du projet de loi – c’est une sorte de cavalier législatif –, qui est loin de créer un véritable service public global de la petite enfance. Du reste, sa mise en œuvre suscite des interrogations au regard des pénuries de personnel et des charges qui incombent déjà aux collectivités. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mmes Cathy Apourceau-Poly et Esther Benbassa applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Belin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon applaudit également.)
M. Bruno Belin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, « plein emploi » : voilà deux mots dont la France rêve depuis cinquante ans !
Monsieur le ministre, à écouter les précédents orateurs, l’appréciation portée sur l’auteur de la copie pourrait être « ministre sympathique, combatif, méritant », comme ces dernières semaines l’ont montré. (Sourires.)
Aspiration louable, mais votre copie est incomplète, superficielle, et même va à contresens de l’Histoire ! Certaines collectivités sont vigilantes, on l’a bien compris, notamment les régions et les départements, ou bien parce que leurs compétences historiques sont mises en cause, ou bien parce qu’elles seront rapidement confrontées à la question des moyens.
Aspiration louable, mais ce projet de loi soulève de grandes questions : quelle gouvernance, quels moyens, quelle stratégie ?
Il y a également beaucoup de zones floues, notamment à propos du RSA. Mme la rapporteure l’a relevé : vous avez un peu manqué de courage en n’annonçant pas la couleur sur les contours de ce contrat d’accompagnement.
Je voudrais tordre le cou à l’idée reçue selon laquelle les bénéficiaires du RSA constitueraient un vivier de réticents à l’embauche, de réfractaires à l’emploi ou de complaisants à l’inactivité. Tant s’en faut ! Je connais l’énergie que mettent les services des conseils départementaux à trouver des solutions pour le retour à l’emploi de ces allocataires.
Quels moyens allouerez-vous aux conseils départementaux quand leurs services devront inscrire 100 % des bénéficiaires du RSA à France Travail, alors qu’aujourd’hui à peine 40 % sont inscrits à Pôle emploi ?
Il y a également une question à propos de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, dispositif évoqué par M. Mouiller précédemment. Après l’adoption du texte, un bénéficiaire de l’AAH disposant d’une RQTH perdra-t-il une partie de ses allocations, de ses revenus, s’il trouve un travail ?
Je pense enfin aux Ésat – vous les avez vous-même évoqués, monsieur le ministre –, qui manquent de places, comme chacun sait. C’est l’un des sujets à aborder dans un grand projet de loi Travail.
Monsieur le ministre Combe, je ne vous ai pas oublié : quid des responsabilités de la compétence petite enfance ? Cela a été dit par tous les orateurs, il s’agit d’un frein à l’emploi, pour reprendre l’expression communément employée pour désigner la garde d’enfants.
Cela revient à poser la question des moyens. Monsieur le ministre, vous avez annoncé 6 milliards d’euros ! Pour autant, au regard des 35 800 communes et des 4 000 intercommunalités qui pourraient être chargées de ce sujet, cet investissement ne représente que quelques milliers d’euros – environ 15 000 euros – par collectivité territoriale. C’est bien insuffisant dans le contexte financier et budgétaire que connaissent les collectivités territoriales depuis quelques années, vous en conviendrez, monsieur le ministre.
Comment réduire le nombre d’offres non pourvues ? Voilà l’équation à résoudre pour atteindre le plein emploi. Cela soulève quatre enjeux.
Premièrement, l’accompagnement par les missions locales : que faire, comment, dans quel cadre ?
Deuxièmement, la formation : quelle est la bonne voie de départ ? Sur ce point, il faudra un jour débattre de la plateforme Parcoursup, préalable à toute réflexion sur les métiers en tension.
Troisièmement, le logement – je pense notamment à celui des saisonniers.
Quatrièmement, l’enjeu de la mobilité. Je pense aux associations qui insèrent les travailleurs par des efforts de mobilité, mais qui ne sont pas aidées par l’État, à l’instar de Dynamob dans le département de la Vienne où je suis élu.
Ce projet de loi pour le plein emploi qu’un certain nombre d’entre nous voteront permet évidemment de faire un petit pas, mais pour avancer d’un bond de géant, il faudrait un peu plus de moyens et d’ambition. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre. Je souhaiterais remercier les différents orateurs de cette discussion générale.
Même si l’examen des amendements va nous permettre de revenir sur chacun des éléments de ce texte, je voudrais au préalable apporter des précisions sur trois points.
Le premier point concerne la question des activités. Dans la version du projet de loi que nous avons transmise au Parlement, nous avons indiqué que l’intensité du contrat d’engagement réciproque, inscrit à l’article 2, devait être définie par l’organisme référent et les allocataires, en tenant compte de l’âge, du niveau de qualification, de la situation économique et sociale du bassin d’emploi, ainsi que des freins à l’emploi, aussi bien en matière de mobilité, de garde d’enfants que de santé. Ainsi, nous avons bien prévu que l’intensité soit définie dans le cadre du contrat.
Notre objectif est évidemment d’atteindre le plus souvent possible ces 15 à 20 heures d’activité. J’ai noté que la commission des affaires sociales avait souhaité être plus précise et plus offensive sur ce point, en adoptant un amendement indiquant la durée hebdomadaire d’activité qu’il sera demandé au demandeur d’emploi d’accomplir devra être d’au moins 15 heures. Je l’entends, et nous aurons le débat.
Selon moi, nous devons penser au fait qu’un certain nombre d’allocataires sont extrêmement éloignés de l’emploi et parfois extrêmement abîmés par des incidents de vie. Aussi, dans un premier temps, le niveau d’activité à atteindre peut être intermédiaire et plus progressif. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons prévu à l’article 6 la possibilité pour ceux qui sont les plus éloignés de l’emploi de faire uniquement l’objet d’un suivi social. Ainsi, tous les six à douze mois, un bilan serait fait pour voir comment ils pourraient être accompagnés au moyen d’un suivi professionnel, dans l’objectif de leur insertion professionnelle.
Le deuxième point que je voulais clarifier concerne les missions locales. Comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, leur statut ne change pas et leur autonomie n’est pas remise en cause. Ce sont des opérateurs spécialisés et des acteurs centraux de l’accueil des jeunes.
Nous avons eu des discussions avec l’Union nationale des missions locales (UNML), qui s’est inquiétée de la formule, présente dans une version de l’avant-projet, qui disposait que l’exercice de leurs compétences d’accueil de tous les jeunes serait assuré par délégation de France Travail. La formule « par délégation » a été supprimée du projet qui vous a été transmis, ce qui indique combien les missions locales sont respectées dans leur statut.
Du reste, je précise deux points. Premièrement, le conventionnement pour le financement des missions locales reste passé avec l’État, tout comme celui pour le financement des structures d’insertion par l’activité économique. L’opérateur – Pôle emploi aujourd’hui, France Travail demain – n’aura pas la compétence pour passer une convention financière. Il n’y aura donc pas de lien de subordination par le financement. Deuxièmement, les missions locales seront amenées – c’est une nouveauté – à participer au comité local France Travail, et donc à définir les orientations de la politique de l’emploi à l’échelle des territoires. C’est une prérogative supplémentaire.
Le troisième point que je veux évoquer concerne la question des moyens. Évidemment, il ne s’agit pas d’un texte financier. Aussi, l’octroi des moyens devra passer par deux canaux.
Le premier canal est celui du projet de loi de finances dans la mesure où nous nous sommes engagés à aider les départements dans la mise en place d’un accompagnement renforcé. Nous sommes évidemment, dans cette période, en train de préparer le projet de loi de finances pour 2024. Nous avons adopté une logique de déploiement progressif, puisque, vous l’avez vu, le projet de loi tend à généraliser l’accompagnement renforcé pour 2025.
Je précise que généraliser ne veut pas dire atteindre 100 % d’accompagnement intensif, puisque nous savons par exemple que 32 % des allocataires du RSA sont des foyers monoparentaux. Il s’agit pour l’essentiel de femmes avec des enfants, qui sont donc confrontées à des difficultés de garde. Ce frein majeur fait apparaître comme une évidence une mise en œuvre progressive du nouveau système.
Le deuxième canal concerne effectivement la convention tripartite qui existe aujourd’hui entre l’État, Pôle emploi et l’Unédic, laquelle stipule que l’Unédic affecte 11 % de ses recettes au fonctionnement de Pôle emploi. C’est ce que j’appelle une dépense active : les recettes des cotisations financent le service public de l’emploi. Si le service public de l’emploi améliore l’accès à la formation des demandeurs d’emploi, cela favorise le retour à l’emploi des demandeurs d’emploi. Ainsi, c’est une dépense active, car elle permettra d’avoir plus d’emplois, plus de cotisations et moins de dépenses d’allocations ; c’est vertueux.
Pour répondre à la question de M. Mouiller relative au modèle économique des Ésat, je dirais que nous devons, indépendamment même de ce texte de loi, mener une réflexion sur leur modèle économique. Les tensions de recrutement connues sur le marché du travail, que Mme Berthet, notamment, a rappelées, ont amené les entreprises à se tourner vers de nouveaux employés, qui sont par définition les plus employables de ceux qui restaient sans emploi jusqu’à ce jour.
Il faut avoir une véritable réflexion en la matière, qui plus est s’agissant d’une logique de convergence des droits – ce qui aura un impact financier sur les Ésat.
Monsieur le sénateur, à votre question sur l’AAH-2 et le plafonnement du temps de travail, je vous réponds que Jean-Christophe Combe et moi-même travaillons à un décret visant à déplafonner le temps de travail ouvert aux bénéficiaires d’une AAH-2 qui souhaitent travailler plus et qui ne seraient plus cantonnés à la règle des 17 heures 30 que vous avez évoquée. Il s’agit d’un sujet strictement réglementaire. Le Président de la République s’y est engagé à l’issue de la Conférence nationale du handicap.
Je reviendrai sur les différents autres points à l’occasion de l’examen des amendements. Du reste, Mme la rapporteure le sait, sur les deux tiers, sinon les trois quarts, des amendements adoptés en commission, le Gouvernement n’émettra aucun avis défavorable. Nous considérons que beaucoup d’entre eux ont permis d’améliorer et d’enrichir le texte.