Mme le président. La parole est à M. André Guiol.
M. André Guiol. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, examiner ce texte visant à réhabiliter les militaires fusillés pour l’exemple, c’est nous replonger non sans une certaine émotion dans l’un des épisodes les plus tragiques de la Première Guerre mondiale.
En effet, en filigrane de ce texte, apparaît une certaine vision de l’histoire, celle du quotidien brutal et atroce des soldats dans les tranchées, dans la boue, sous la mitraille ennemie, la faim et la peur au ventre. C’est l’histoire touchante de « Ceux de 14 », comme les a nommés Maurice Genevoix dans ses récits rapportés du front de Verdun.
Le poilu André Fribourg l’écrivait en 1915 au journal L’Opinion : « Voilà près d’un mois que je ne me suis ni déshabillé ni déchaussé. Je me suis lavé deux fois : dans une fontaine et dans un ruisseau près d’un cheval mort. Je n’ai jamais approché un matelas. J’ai passé toutes mes nuits sur la terre. »
La Nation a toujours salué le courage et les sacrifices consentis par tous ces hommes réduits à se battre dans des conditions insoutenables, au nom de la patrie et de la liberté, et à en mourir pour beaucoup d’entre eux.
Cependant, dans le tableau de l’honneur de la France, subsiste une ombre, celle des fusillés pour l’exemple. Ce sont ces militaires qui nous occupent aujourd’hui, seulement ceux – il faut le préciser – qui n’ont pas été exécutés pour des crimes de droit commun ou pour espionnage.
Naturellement, dans ce type de débat, la question du rôle du législateur face à l’histoire est bien souvent posée. Pour la majorité des membres de mon groupe, il ne s’agit pas de se conduire en historien. Le travail a été fait, je dirai même bien fait, notamment par l’historien Antoine Prost, qui a rendu en 2013 un rapport au Gouvernement sur les conditions de réhabilitation des fusillés pour l’exemple.
Il s’agit donc avant tout d’endosser la responsabilité de la justice au regard du trouble attesté et largement reconnu jusque dans les discours présidentiels, depuis Lionel Jospin, sur ce régime exceptionnel des fusillés pour la France.
Alors que 639 soldats sont visés par le projet de réhabilitation collective, on sait que l’injustice et l’arbitraire ont concerné une majorité d’entre eux. Notre émotion face au sort de ces jeunes soldats brisés, sans droit à la défense, serait-elle anachronique ? Je ne le crois pas.
Dès 1916, soit en plein conflit, le régime des fusillés pour l’exemple a été remis en question par la suppression des cours martiales et l’ouverture du droit au recours. Cela montre le malaise que la méthode avait suscité dès cette époque et cela explique aussi la concentration des exécutions sur les années 1914 et 1915. Notre collègue rapporteur a rappelé que certains officiers avaient également été relevés par leurs supérieurs à la suite d’exécutions.
Certes, on pourrait opposer que, en temps de guerre, la faiblesse n’a pas sa place et que la discipline doit être implacable. Mais il est question ici de situations complexes et d’interprétations erronées quant à l’attitude de certains soldats pris au piège de l’enfer des tranchées et, bien entendu, de l’absence de droit élémentaire à la défense.
Je pense aussi à ceux qui ont tenu le fusil, à ces jeunes gens qui ont dû tuer, souvent en pleurs, la boule au ventre, leurs camarades et leurs frères de combat : quel traumatisme irréparable !
Aujourd’hui, il ne s’agit pas de réécrire l’histoire. L’histoire, c’est l’étude et l’écriture des faits ; la réhabilitation, c’est rendre l’estime publique. Il s’agit donc de faire entrer dans la mémoire collective ceux qui en ont été exclus sans ménagement. Ici se rencontrent la justice et la discipline militaire. Tout notre discernement doit être mobilisé.
En tant qu’élus de la République, nous devons contribuer à construire une société plus apaisée. Ne sommes-nous pas dépositaires d’une fraternité bienveillante ? Soucieux d’honorer cette valeur, la majorité de mes collègues du RDSE soutiendront la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Antoine Lefèvre. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, parmi les événements historiques qui jalonnent le passé de notre nation, pas un n’a plus profondément façonné le territoire et la société de mon département de l’Aisne – de notre département, madame la présidente – que la Grande Guerre.
Dans la commune de Fontenoy, berceau de ma famille paternelle, il y a une histoire qui se transmettait de génération en génération et qui m’avait glacé le sang lorsque j’étais enfant : celle du soldat Lucien Bersot, âgé de 33 ans, qui a été évoquée par nos collègues Gréaume et Vaugrenard.
Il avait été mobilisé au 60e régiment d’infanterie, puis envoyé sur le front de l’Aisne dès l’hiver 1914. En février 1915, le jeune soldat portait toujours le même pantalon de toile blanc qui lui avait été remis à la mobilisation. Grelottant de froid dans les tranchées, il demanda l’autorisation de recevoir un nouveau pantalon de laine, identique à celui de ses camarades. Le sergent fourrier exécuta la demande en lui remettant un pantalon déchiré et maculé de sang, récupéré sur le cadavre d’un soldat français récemment tué.
Bersot refusa de le porter. Il fut condamné d’abord à huit jours de cachot, puis, trouvant que la peine était trop clémente, le lieutenant-colonel le fit comparaître devant le tribunal de guerre qui le condamna à mort pour refus d’obéissance. Il fut fusillé pour l’exemple le 13 février 1915.
Si le soldat Bersot fut réhabilité par la Cour de cassation en juillet 1922, aucun texte de loi et aucun artifice ne saura jamais panser les plaies de ces quatre années meurtrières, ni amender les décisions prises dans le contexte d’une si exceptionnelle violence qui était celui de la guerre.
Le politique s’est déjà fendu par le passé d’initiatives tendant à la reconnaissance de l’injustice de leur sort. En déplacement à Craonne, dans l’Aisne, en novembre 1998, le Premier ministre Lionel Jospin appela à la réintégration des fusillés pour l’exemple dans notre mémoire collective, tout comme le fit François Hollande, en 2017, à Cerny-en-Laonnois, toujours dans l’Aisne.
Nous comprenons la volonté des sénatrices et sénateurs porteurs de cette proposition, qui résulte d’une intention hautement honorable. Je tiens par ailleurs à saluer le travail de notre rapporteur, le président Gontard, sur ce sujet particulièrement douloureux de notre histoire. Mais il n’appartient pas selon moi au législateur de réécrire l’histoire à la lumière de la lecture qu’il souhaiterait en faire. Il lui revient de consacrer l’histoire en tant que phénomène disant quelque chose de son époque et de sa société.
Bien évidemment, ces condamnations paraissent aujourd’hui des actes juridiques entachés d’une cruauté sans nom. Mais quelle est la valeur de l’histoire si nous ne consentons pas à la lire sous le prisme de sa propre contemporanéité ?
Le législateur n’est pas un historien, et l’historien n’est pas législateur. Le législateur est un créateur de droit et il ne peut se permettre l’erreur de créer du droit avec du sentiment.
Réhabiliter collectivement, c’est prendre le risque de mettre sous un seul et même drapeau déserteurs, innocents, traîtres et mutilés volontaires.
M. Rachid Temal. Ce n’est pas l’objet du texte !
M. Antoine Lefèvre. Si la justice est individuelle, y compris dans ses erreurs, l’amnistie elle aussi doit être individuelle.
De nouvelles réhabilitations au cas par cas sont sans doute encore possibles et même nécessaires.
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Antoine Lefèvre. Connaître et comprendre l’histoire des fusillés est essentiel, et il est heureux que depuis vingt-cinq ans leur sort, dans toute sa complexité, ait très largement réintégré la mémoire nationale de la Grande Guerre. (M. Marc Laménie applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite saluer Mme Guidez, présidente du groupe d’études Monde combattant et mémoire, qui travaille sur de nombreux sujets dans le cadre du devoir de mémoire.
Je remercie également nos collègues du groupe GEST d’avoir consacré du temps, dans le cadre de leur espace réservé, à l’examen de cette proposition de loi, qui a été présentée par des députés issus de différents groupes et adoptée le 13 janvier 2022 à l’Assemblée nationale. Elle vise à réhabiliter les militaires fusillés pour l’exemple durant la Première Guerre mondiale.
Ce sujet historique est particulièrement sensible, comme l’ont rappelé M. le rapporteur et un certain nombre de nos collègues qui sont intervenus précédemment.
Il convient de replacer les faits dans le contexte de la Première Guerre mondiale, qui a mobilisé des dizaines de millions d’hommes dans le monde et qui a malheureusement fait des millions de morts et de blessés, ainsi que plusieurs centaines de milliers de veuves, d’orphelins et de mutilés.
Je ferai référence aussi, dans le cadre du devoir de mémoire et en tant que rapporteur de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », à la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale, qui a effectué un travail important dans nos territoires et départements respectifs, auquel ont participé les représentants des associations patriotiques de mémoire.
Cette proposition de loi sur la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple concerne 639 soldats. Dans le département des Ardennes, que je représente avec ma collègue sénatrice Else Joseph, j’ai pu rencontrer, il y a environ un an, un certain nombre d’associations et de collectifs, notamment la Ligue des droits de l’homme.
La notion de devoir de mémoire, de respect et de reconnaissance a été largement rappelée. Depuis de nombreuses années, différentes actions ont été menées avec le concours des plus hautes autorités de l’État, et les collectivités territoriales ont formulé un certain nombre de vœux.
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Marc Laménie. Je comprends la position de Mme la secrétaire d’État, mais, à titre personnel, je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Patricia Mirallès, secrétaire d’État auprès du ministre des armées, chargée des anciens combattants et de la mémoire. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai entendu dire que les balles et le poteau d’exécution étaient facturés aux familles. Enfin, soyons sérieux ! C’est faux et vous le savez.
M. Rachid Temal. Et donc ?
Mme Patricia Mirallès, secrétaire d’État. Débattons des faits, non des idées reçues. Les frais de justice, qui existent toujours d’ailleurs, sont mis à la charge de la partie condamnée.
Les orateurs qui ont dénoncé les conditions dans lesquelles cette justice de guerre a été rendue ont raison. Je l’ai dit : ce constat ne fait plus débat, il nous rassemble. Ce n’est plus de cela que nous discutons, pas plus que des fusillés qui avaient été tirés au sort, car eux, comme je l’ai déclaré lors de mon intervention liminaire, ont été réhabilités.
Les nombreux exemples cités à la tribune par les orateurs sont tous bien connus et tout aussi révoltants. Mais ce qui nous divise, ici, c’est seulement la méthode pour achever de réintégrer dans notre mémoire le sort de ces hommes. Il ne peut y avoir de réhabilitation collective. (MM. François Patriat et Antoine Lefèvre applaudissent.)
Mme le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale.
proposition de loi visant à réhabiliter les militaires « fusillés pour l’exemple » durant la première guerre mondiale
Article 1er
Les militaires en service dans les armées françaises du 2 août 1914 au 11 novembre 1918 ayant été condamnés à mort pour désobéissance militaire ou mutilation volontaire par les conseils de guerre spéciaux créés par le décret du 6 septembre 1914 relatif au fonctionnement des conseils de guerre ainsi que par les conseils de guerre rétablis par la loi du 27 avril 1916 relative au fonctionnement et à la compétence des tribunaux militaires en temps de guerre et dont la condamnation a été exécutée font l’objet d’une réhabilitation générale et collective, civique et morale. La Nation reconnaît que ces soldats ont été victimes d’une justice expéditive, instrument d’une politique répressive, qui ne respectait pas les droits de la défense et ne prenait pas en compte le contexte de brutalisation extrême auquel les soldats étaient soumis.
Les nom et prénom des intéressés sont inscrits sur les monuments aux morts.
Un monument national est érigé en vue de rendre hommage à la mémoire des « fusillés pour l’exemple ».
Le présent article n’est pas applicable aux militaires dont la situation a été révisée par la Cour de cassation, sur le fondement de la loi du 29 avril 1921 relative à l’amnistie et de la loi du 3 janvier 1925 portant amnistie, et par la Cour spéciale de justice militaire instituée par la loi du 9 mars 1932 créant une Cour spéciale de justice militaire chargée de la révision des jugements rendus dans la zone des opérations des armées de terre et de mer par des juridictions d’exception.
Mme le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant que ne commence l’examen des articles de ce texte, je veux me féliciter qu’un débat aussi dramatiquement sensible se tienne dans un climat de dignité qui fait honneur à cet hémicycle. À cet égard, je tiens à remercier les différents orateurs, quelles que soient les positions qu’ils ont défendues.
À l’issue de son examen par notre commission, cette proposition de loi a été, comme vous le savez, mes chers collègues, rejetée par vingt voix contre dix-sept. Cela ne signifie pas pour autant que les sénateurs qui se sont exprimés contre le texte ont voulu manifester leur refus ou leur mépris, car tout le monde est bien conscient que cette épouvantable affaire, qui a certainement suscité des injustices effrayantes, doit être prise en compte.
Simplement, comme le Gouvernement et un certain nombre d’entre vous l’ont rappelé, nous ne pensons pas que cette méthode consistant à revisiter un fait historique dans une assemblée parlementaire cent ans après réglera le problème. Celui-ci relève de l’histoire, même si, bien évidemment, il remet en cause certaines actions.
Je tenais simplement à souligner que cette discussion est bien le signe que nous sommes ici, au Sénat, en mesure d’évoquer des problèmes douloureux, qui ont marqué notre histoire, sans que le débat déraille ou soit de mauvaise tenue. Je souhaite de nouveau en remercier chacune et chacun d’entre vous. Je suis certain que cet état d’esprit prévaudra jusqu’au vote final. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, sur l’article.
M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite m’adresser à mes collègues les plus réticents à voter cette proposition de loi, en insistant sur ce qu’elle n’est pas.
Ce texte ne vise pas réhabiliter des traîtres, des espions ou des déserteurs – aucun des soldats figurant sur la liste des 639 fusillés pour l’exemple de la Première Guerre mondiale n’a été reconnu comme tel.
Nombre de ces condamnés pour refus d’obéissance ou abandon de poste ont en réalité commis des actes bien compréhensibles, comme celui de s’endormir à leur poste, de se replier parce qu’ils n’avaient plus de munitions ou de méconnaître un ordre qu’ils n’avaient pas entendu ou mal compris.
Voilà deux ans, nous commémorions dans mon département, la Loire, la réhabilitation des six martyrs de Vingré, aux côtés du maire d’Ambierle et des descendants de deux de ces soldats, natifs de cette commune.
Engagés en 1914 dans la défense du village de Vingré, ils ont été fusillés pour abandon de poste, parce qu’ils avaient obéi à l’ordre de repli de leur sous-lieutenant. Si les fusillés de Vingré ont été réhabilités en 1921, quelque 639 familles attendent toujours que cette marque d’infamie soit enfin effacée.
La présente proposition de loi ne vise pas à réécrire l’histoire. M. Antoine Prost, président du conseil scientifique de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale, l’a parfaitement expliqué dans son rapport : « L’histoire des fusillés de 1914-1918 ne réserve à nos yeux aucun mystère, mais la question posée est celle de la mémoire qu’en veut conserver la Nation. C’est à elle de s’en saisir. »
C’est exactement ce que nous faisons avec ce texte, qui ne tend aucunement à ternir l’histoire de notre pays et de son armée.
Tous les protagonistes de cette guerre ont prononcé des sentences de mort dans des conditions similaires. Mais nos alliés néo-zélandais, canadiens et anglais ont réalisé le travail que nous engageons aujourd’hui en amnistiant ou réhabilitant leurs fusillés. Notre pays s’honorerait lui aussi à tourner cette page de son histoire.
Enfin, et c’est peut-être le plus important, cette proposition de loi ne ternira en rien la mémoire des soldats honorés chaque 11 novembre. Selon les propres termes d’Antoine Prost, encore, « les soldats revenus du front haïssaient avant tout ceux qu’ils appelaient “les embusqués”, les planqués, les profiteurs, pas ceux qui avaient subi à leurs côtés le grand massacre. »
En tant que législateurs, nous avons aujourd’hui la possibilité de réunir enfin dans notre mémoire collective et sur nos monuments ces hommes qui ont combattu côte à côte et qui ont perdu la vie durant cette guerre. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article.
M. Olivier Paccaud. Je m’exprime évidemment en tant que sénateur, mais aussi en tant qu’agrégé d’histoire et citoyen picard, car l’Aisne, l’Oise et la Somme ont été particulièrement meurtries par ces combats, même si, soyons clairs, la France entière a été touchée : il n’est pas une seule famille dans notre pays qui n’ait été affectée, après que les pères, les frères et les fils ont été mobilisés, blessés ou tués.
Ce débat est effectivement particulièrement douloureux. Personne ici ne peut accepter le déni de justice qu’ont constitué ces punitions collectives, par définition aveugles. Or chacun des 639 fusillés évoqués pose un cas particulier. Certains d’entre eux étaient même des héros. La plupart de ces hommes n’étaient ni des traîtres ni des lâches. Il s’agissait de conscrits et non de militaires de carrière.
Nous aurions envie qu’ils soient tous réhabilités, mais, autant la punition collective est injuste, autant la réhabilitation collective, qui met sur le même plan certains héros qui ont été ignoblement fusillés – je pense à l’officier Chapelant, fusillé à Crapeaumesnil, dans l’Oise, sur son brancard ! –, autrement dit ceux qui ont été trahis, et ceux qui ont trahi, n’est pas une solution.
M. Rachid Temal. Il ne s’agit pas du tout de cela !
M. Olivier Paccaud. La seule solution consiste, mes chers collègues, à faire travailler les étudiants en histoire sur l’ensemble de ces dossiers. C’est de cette manière que nous pourrions individuellement les réhabiliter. Encourageons nos universités et nos directeurs de recherche à examiner chacun de ces 639 cas particuliers. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Ronan Dantec, sur l’article.
M. Ronan Dantec. Mes chers collègues, vous faites fausse route en considérant que, au motif que quelques-uns des 639 fusillés étaient peut-être coupables – je ne sais pas s’ils étaient passibles de la peine de mort –, on ne peut réhabiliter personne.
Mme Laure Darcos. Ce n’est pas ce que nous disons !
M. Olivier Paccaud. Vous ne m’avez pas écouté !
M. Ronan Dantec. Si, c’est l’idée que vous défendez depuis le début de l’après-midi.
Une telle position est profondément injuste, puisque chacun sait bien que nous ne sommes plus en mesure d’examiner individuellement le cas de ces 639 fusillés.
Surtout, nous ferions fausse route en continuant d’affirmer qu’ils ont été fusillés « pour l’exemple ». Je crois que personne ne remet en cause le fait qu’ils l’ont été en vertu d’une décision politique, afin d’éviter que l’armée française ne recule. Ils ont été en réalité fusillés pour la France, j’y insiste.
Comme les soldats que l’on a envoyés prendre des tranchées infranchissables, ils ont été fusillés parce qu’il fallait gagner la guerre. Et ils ont payé de leur sang cet objectif.
Les réhabiliter aujourd’hui ne peut prendre la forme d’un examen précis de chaque cas individuel : il nous faut avant tout reconnaître et tenir compte du fait que la décision prise par l’armée et l’État français à ce moment-là a consisté à faire des exemples, compte tenu du risque d’effondrement du front.
Je le répète, ces soldats ont versé leur sang pour la France. Les réhabiliter, c’est donc réhabiliter l’armée française. Se contenter de demander qu’un travail s’engage sur des injustices individuelles ne suffira pas. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Rachid Temal, sur l’article.
M. Rachid Temal. Mes chers collègues, je formulerai deux remarques.
La première concerne les 639 fusillés pour l’exemple. Ce chiffre ne sort pas d’un chapeau, mais d’un rapport du service historique de la défense (SHD), qui distingue très clairement les 639 cas que nous évoquons des soldats qui ont trahi ou refusé d’aller au combat. Il s’agit de faits parfaitement reconnus, issus d’un document du SHD, sur lequel nous fondons notre position.
Je veux bien que l’on débatte de la réhabilitation de ces fusillés, chers collègues de droite, mais il ne doit pas y avoir de fausse polémique entre nous. On peut être pour ou contre, mais ne simulez pas une pseudo-incompréhension à ce sujet.
Ma seconde remarque vise à soulever un problème de cohérence, comme je l’ai déjà fait en commission.
Certains d’entre vous, mes chers collègues, considèrent qu’il ne revient pas au Parlement d’écrire l’histoire. Mais on peut tout de même en prendre acte un siècle plus tard, à l’issue de travaux parlementaires.
Surtout, comment expliquez-vous alors que nous examinions parfois des textes – ce sera le cas la semaine prochaine au Sénat d’une proposition de résolution, que nous voterons d’ailleurs ! – relatifs à des génocides ayant eu lieu dans d’autres pays ? De facto, le Parlement français écrit l’histoire de ces États, mais il refuse bizarrement à chaque occasion d’engager le moindre débat sur l’histoire de notre propre pays…
Soyons cohérents : on ne peut pas refuser d’étudier les événements historiques lorsqu’ils concernent la France – c’était d’ailleurs tout le débat que nous avions eu lors de l’examen de la proposition de loi relative à la commémoration de la répression d’Algériens, le 17 octobre 1961, et des massacres d’Oran du 5 juillet 1962 –, et continuer, à l’inverse, d’écrire l’histoire de pays étrangers.
J’invite chacun d’entre vous, mes chers collègues, à faire preuve de cohérence. Je serai moi-même cohérent en votant ce texte, comme je voterai celui qui sera examiné la semaine prochaine. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Jacques Fernique, sur l’article.
M. Jacques Fernique. Je souhaiterais répondre aux principales réserves, voire désaccords, que certains de nos collègues ont exprimés et qui méritent selon moi d’être débattus.
Non, il n’est pas question ici de se substituer aux historiens : leurs travaux sur les 639 fusillés pour l’exemple sont consensuels, et cela d’autant plus depuis l’œuvre de synthèse publique qu’Antoine Prost a réalisée à l’occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale. Personne ne peut donc prétendre ici départager différentes lectures historiques ; chacun devrait plutôt en prendre acte…
Depuis le Premier ministre Lionel Jospin jusqu’aux Présidents de la République Nicolas Sarkozy et François Hollande, l’exécutif a fait avancer cette démarche, qui donne à chacun de ces centaines de fusillés la place qui lui est due dans notre mémoire collective nationale.
Après que l’exécutif y a pris toute sa part, il revient au Parlement de conclure, d’une certaine façon, ce qu’il avait entamé dès 1916, en mettant résolument en cause les modalités de ces conseils de guerre spéciaux bien plus napoléoniens que républicains.
Oui, réhabilitons tous ceux qui ont subi sommairement le choix désastreux des autorités républicaines d’alors d’en passer par cette forme injustifiable de justice expéditive, destinée à impressionner la masse bien plus qu’à sanctionner chacun en connaissance de cause.
Bien sûr, cette réhabilitation s’interprétera de façon souple : nous n’allons pas formellement invalider les quelque 639 décisions de justice. C’est justement, à mon sens, la force et le profit évident que l’on peut tirer de cette proposition de loi.
Puisqu’il s’agit de mémoire nationale, celle-ci pèsera lourdement : il s’agira avant tout d’un message adressé à la jeunesse.
Dans ma propre jeunesse, j’ai été marqué et révolté par Les Sentiers de la gloire, un film qui, souvenons-nous, n’a été projeté en France que dix-huit ans après sa sortie… Il faut permettre aux jeunes générations de mieux saisir combien la Nation et la République valent par leurs hauts faits et leurs valeurs, mais aussi par la reconnaissance de leurs zones d’ombre ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Michelle Gréaume applaudit également.)
Mme le président. L’amendement n° 1, présenté par MM. Gattolin et Patriat, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
La Nation reconnaît solennellement que les militaires en service dans les armées françaises du 2 août 1914 au 11 novembre 1918 qui ont été condamnés à mort pour les seuls faits de désobéissance militaire ou mutilation volontaire par les conseils de guerre spéciaux créés par le décret du 6 septembre 1914 relatif au fonctionnement des conseils de guerre ainsi que par les conseils de guerre rétablis par la loi du 27 avril 1916 relative au fonctionnement et à la compétence des tribunaux militaires, sont réintégrés dans la mémoire nationale.
Un monument national est érigé en leur mémoire.
Le présent article n’est pas applicable aux militaires dont la situation a été révisée par la Cour de cassation, sur le fondement de la loi du 29 avril 1921 relative à l’amnistie et de la loi du 3 janvier 1925 portant amnistie, et par la Cour spéciale de justice militaire chargée de la révision des jugements rendus dans la zone des opérations des armées de terre et de mer par des juridictions d’exception.
La parole est à M. François Patriat.