Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Premièrement, je confirme qu’il faut renforcer les moyens du service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF). Ce service, très utile, dirige des enquêtes judiciaires avec les services de Bercy. Au-delà des moyens, je souhaiterais élargir la réflexion à la question des compétences et des pouvoirs.
En effet, les moyens ne peuvent être dissociés du champ de compétence, ce que le Sénat a bien perçu en préconisant dans le rapport de sa mission d’information une extension des pouvoirs des officiers fiscaux judiciaires aux escroqueries à la TVA. Cette extension pourrait intégrer d’autres domaines, conformément à la feuille de route du plan de lutte contre toutes les fraudes que j’évoquais précédemment, sur lequel nous travaillerons dans les trois prochains mois.
Deuxièmement, les NFT étant des actifs numériques, ils sont traités fiscalement comme tels. À ce titre, nous avons adapté notre droit pour améliorer le traitement des revenus issus des crypto-actifs. Aussi, nous ne sommes pas pris de court par l’irruption des NFT : nous savons déjà comment les prendre en compte. Les particuliers comme les entreprises doivent déclarer ceux qu’ils détiennent.
Il faut probablement aller plus loin, perfectionner les obligations déclaratives et nos outils. Pour cette raison, la Commission européenne a dévoilé un projet : la directive relative à la coopération administrative DAC8. Elle vise à renforcer les obligations déclaratives en la matière. Il me semble que la présidence suédoise du Conseil de l’Union européenne en a fait une de ses priorités. Évidemment, la France elle-même sera à la manœuvre.
Troisièmement, je rappelle que les intermédiaires financiers ne peuvent opposer le secret professionnel lorsque la DGFiP leur demande des informations ou, en tout cas, lorsqu’elle exerce ce qu’on appelle son droit de communication. Lorsque cela est le cas, ces intermédiaires s’exécutent ; ils ont également l’obligation de communiquer ces données à Tracfin, en cas de doute sérieux.
Bien entendu, il arrive que des professionnels ne se conforment pas à la loi. Il faut alors les identifier puis les sanctionner. Toutefois, l’écrasante majorité d’entre eux respecte, sur demande, le droit de communication et fait les signalements à Tracfin.
Mme le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet, pour la réplique.
Mme Sylvie Vermeillet. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour vos réponses. Malgré tout, le prochain fléau en termes d’évasion fiscale et de fraude à la TVA sera, je le pense, lié aux NFT. La preuve, l’administration fiscale britannique a ouvert une enquête sur trois de ces jetons ; 250 sociétés sont mises en cause.
Il faut conserver une vigilance particulière en matière de déploiement de ces crypto-actifs. Je suis certaine que vous ne prenez pas de retard et que vous faites ce qu’il faut.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela a été dit, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est un sujet étudié de longue date par notre commission des finances. Mon collègue Éric Bocquet a rappelé nos discussions, remontant à quelques années, sur l’organisation de véritables COP fiscales et financières.
Pour sa part, en 2019, le groupe RDSE avait organisé, sur l’initiative de notre ancien collègue Yvon Collin, un débat relatif à la fraude à la TVA transfrontalière, un sujet également crucial. Cette thématique a été conservée dans les travaux de la mission d’information : je m’en félicite.
En effet, le montant de la fraude à la TVA, et plus largement à l’ensemble des impôts, est considérable. Pourtant, on bute encore sur la difficulté à évaluer le montant exact de la fraude fiscale, et ce à plusieurs dizaines de milliards d’euros près.
C’est un aspect particulièrement éclairant du rapport d’information remis à l’automne dernier : il pointe « un défaut d’évaluation du phénomène de fraude […] préjudiciable à la juste appréciation des résultats du contrôle fiscal ». On ne saurait être plus clair !
Plusieurs de nos voisins, qui ne sont pourtant pas les derniers en matière de fraude ou d’optimisation, publient des estimations de la fraude fiscale, ou, plus exactement, de l’écart entre les recettes attendues et celles qui sont effectivement recouvrées. Il s’agit principalement des pays anglo-saxons et nordiques. Cela suppose d’importants travaux méthodologiques et des contrôles aléatoires. Cette mission pourrait concrètement relever de l’Insee.
Une première évaluation – bonne nouvelle ! – a été donnée en 2022 pour la TVA : entre 20 milliards et 25 milliards d’euros de fraude par an. Cela représente un taux de fraude sur la première ressource fiscale compris entre 10 % et 15 %.
Notre arsenal juridique en matière de lutte a pourtant évolué ces dernières années. Je pense en particulier à la suppression du fameux verrou de Bercy, en 2018, à mettre au crédit du précédent gouvernement. Avant, le juge avait l’initiative des poursuites non pour fraude fiscale, seulement pour blanchiment de fraude. Dorénavant, la justice dispose de marges de manœuvre plus importantes, même si cela a pour conséquence logique une forte hausse du nombre de dossiers à traiter par le parquet national financier.
Plus largement, la lutte contre la corruption a été renforcée depuis l’adoption de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2. Les entreprises et les banques implantées en France se voient désormais appliquer des règles de conformité plus strictes, entrant également dans le cadre d’accords internationaux, comme ceux de Bâle III.
Parallèlement, les technologies évoluent aussi : l’échange automatique de données est une réalité, bien que les moyens de contournement soient eux aussi toujours plus sophistiqués. Les règles internationales plus strictes ont eu pour effet collatéral le développement de la finance de l’ombre, tandis que le système Beps (Base Erosion and Profit Shifting) de l’OCDE, visant à lutter contre l’érosion des bases fiscales, reste facultatif dans bien des domaines.
Les propositions d’évolution législative se heurtent à des difficultés de procédure. Je pense ainsi aux dispositions de la dernière loi de finances censurées il y a quelques jours par le Conseil constitutionnel : l’article 83, qui concernait la levée du secret professionnel des agents des finances publiques en faveur des assistants détachés auprès du procureur de la République, et l’article 187, qui réduisait le nombre de membres de la commission des infractions fiscales, ont été considérés comme des cavaliers législatifs malgré l’avis favorable émis en séance par le Gouvernement. C’est la preuve que les sages de la rue de Montpensier peuvent se montrer aussi tatillons que notre commission des finances en matière de recevabilité ! (Sourires sur le banc des commissions.)
Je terminerai mon propos sur les lacunes persistant dans notre droit national ou européen. En 2023, certaines de nos conventions fiscales bilatérales restent avantageuses pour les investisseurs étrangers, alors que la France est souvent décrite comme un enfer fiscal. Il est vrai que notre droit fiscal est l’un des plus complexes, et que la pression fiscale moyenne reste élevée. À ce propos, dispose-t-on d’une évaluation de la fraude involontaire, liée à l’ignorance de certaines règles de fiscalité ?
En conclusion, a-t-on réellement progressé dans la lutte contre l’évasion fiscale depuis le sommet du G20 à Londres en 2009 ? Si les connaissances et les moyens de lutte se sont indéniablement renforcés, force est de constater que les ordres de grandeur sont restés plus ou moins les mêmes. Le « mur de l’argent », évoqué il y a plus d’un siècle par Édouard Herriot, garde encore de beaux jours devant lui…
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur Requier, vous abordez dans votre intervention un point important : la capacité d’évaluation de la fraude, et notamment celle à la TVA. Je tiens à dire que nous avons précisément fait évoluer notre méthodologie d’évaluation de la fraude à la TVA sur l’initiative du Parlement.
J’évoquais l’étude de l’Insee estimant cette fraude à 20 milliards d’euros ; en réalité, le chiffre exact est de 23 milliards d’euros par an. Cette estimation est justement élaborée à partir d’une nouvelle méthodologie, construite avec les services de la direction générale des finances publiques. À partir des contrôles fiscaux effectués, la nouvelle évaluation se fonde sur une extrapolation. La méthode est clairement différente de la précédente, celle de l’écart de TVA.
Comme vous, je crois profondément qu’il faut perfectionner notre évaluation. La question du montant de la fraude dans notre pays, qu’elle soit fiscale ou sociale, revient beaucoup dans le débat public, mais il est très difficile d’y répondre. Si nous étions capables d’apporter une réponse précise, nous saurions où se situe la fraude ; elle serait alors recouvrée.
J’y vois une question démocratique essentielle. Je le disais précédemment, la lutte contre la fraude a pris une place importante lors de la dernière élection présidentielle, les procédures que vous évoquiez ayant été au centre de l’attention ; cette lutte est même devenue aux programmes des candidats à l’élection présidentielle ce que le tabac est aux amendements parlementaires (M. Antoine Lefèvre rit.), à savoir un gage pour faire passer toutes les propositions. Face à des propositions nombreuses, il suffit de dire que ces dépenses seront financées par l’argent recouvré grâce à la lutte contre la fraude, mais quel est le montant recouvrable derrière cette expression de « lutte contre la fraude » ?
Dans le cadre de la feuille de route que je présenterai, il sera essentiel de renforcer notre capacité d’évaluation et d’objectivation du phénomène.
Mme le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « la fraude est à l’impôt ce que l’ombre est à l’homme », disait Georges Pompidou. L’ancien Président de la République soulignait de cette façon l’étroite relation entre la contribution obligatoire des citoyens aux charges publiques, respectée par le plus grand nombre, et la proportion d’individus qui choisira de s’y soustraire au cours de son existence.
La fraude fiscale priverait chaque année l’État de 80 milliards à 100 milliards d’euros de recettes, selon l’Insee. Ces estimations sont approximatives, les déterminer précisément étant impossible, mais elles donnent à elles seules le tournis. Elles équivalent en tout et pour tout à près d’un quart des 450 milliards d’euros du budget de l’État adopté pour 2023.
Cette fraude porte gravement atteinte aux principes de solidarité nationale et d’égalité devant tant la loi fiscale que les charges publiques, qui figurent – vous le rappeliez, monsieur le ministre – en préambule de notre Constitution.
Ses préjudices pour notre société sont innombrables. Ils sont autant d’investissements manqués dans les politiques publiques de notre nation que de coups de couteau donnés à notre contrat social. La redistribution pour nos concitoyens les plus défavorisés n’est pas pleinement opérée, l’idée même de performance publique est affaiblie, la confiance qui doit régir les rapports entre les citoyens et l’administration se trouve durablement sapée.
C’est parce que notre société condamne avec la plus grande sévérité les faits de fraude fiscale que notre puissance publique s’est dotée, au fil des décennies, d’armes nouvelles pour la combattre. Le Conseil constitutionnel a fait le choix de l’ériger au rang d’objectif de valeur constitutionnelle par une décision du 29 décembre 1999. Le législateur, pour sa part, a examiné puis adopté la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude ; notre chambre avait puissamment contribué à l’élaboration de ce texte en adoptant notamment en commission la fin du verrou de Bercy, ainsi que le renforcement des diverses sanctions pénales et administratives applicables.
La commission des finances du Sénat a souhaité ramener ce sujet au cœur des discussions il y a un an, en mettant sur pied en janvier 2022 une mission d’information relative à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Je remercie le président de cette commission, Claude Raynal, ainsi que son rapporteur général, Jean-François Husson, pour leur initiative extrêmement judicieuse, ainsi que pour la grande qualité des travaux qu’ils ont rendus.
Leurs conclusions font état d’un gain d’efficacité des instruments affectés au contrôle fiscal, et, ainsi, d’une progression des montants recouvrés sur les cinq dernières années : environ 10,6 milliards d’euros en 2021 contre 7,7 milliards d’euros trois années plus tôt. Face à cette hausse de 38 % des recouvrements, nous serions bien ingrats de bouder notre plaisir…
Hélas, ces montants demeurent bien loin de la réalité de ceux annuellement soustraits à l’État et aux collectivités. Il revient dès lors au législateur non seulement de poursuivre les efforts engagés dans cette direction, mais aussi, et peut-être en premier lieu, d’interroger les motifs de la persistance de cette fraude fiscale.
Si l’on se fonde sur la pensée développée par l’économiste américain Richard Musgrave en 1959, l’État doit pourvoir trois grandes fonctions constitutives de sa puissance publique : l’allocation des ressources, la redistribution des richesses et la régulation de l’activité économique. Partant de là, la volonté qui anime l’auteur de l’infraction de fraude fiscale résulte de la perte de légitimité de ces missions, et donc de l’absence de consentement à y contribuer à un titre quelconque, fût-il marginal.
En réalité, assurer le consentement des citoyens à l’impôt dépend invariablement de sa juste et proportionnelle détermination par le Parlement. « Demandez plus à l’impôt et moins au contribuable ! », disait Alphonse Allais à la Belle Époque. Ce propos est en substance repris par la théorie de la courbe de Laffer, qui introduit une corrélation entre, d’une part, une trop grande pression fiscale et, d’autre part, une baisse de la légitimité des prélèvements obligatoires et, ainsi, un déclin des recettes publiques.
Toutefois, il me semble particulièrement important de saluer le fait que la répression de la fraude et de l’évasion fiscales jouit en France de moyens autrement plus étendus que par le passé.
D’abord, la fin du monopole de l’administration fiscale sur les poursuites pénales a considérablement élargi les voies de recours du ministère public contre les auteurs d’infractions.
Ensuite, les dénonciations obligatoires au parquet de fraudes fiscales supérieures à 100 000 euros, introduites par la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, ont favorisé un rebond de 75 % des dossiers transmis par l’administration. En 2021, 1 217 dossiers de fraude sur les 1 620 recensés par la DGFiP étaient le fruit de cet assouplissement.
Enfin, n’omettons pas la fin d’une relative opacité des décisions de la commission des infractions fiscales, qui n’était pas tenue avant 2018 de motiver ses avis en faveur ou défaveur de poursuites. J’y vois la preuve que la justice fiscale n’aurait su déroger plus longtemps à l’exigence de transparence qui régit ses homologues pénale ou civile.
Toutefois, il revient au législateur d’examiner davantage de nouvelles pistes d’amélioration de notre politique en matière de lutte contre la fraude fiscale.
Dans son rapport rendu en octobre 2022, la mission d’information relative à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales a préconisé que soient estimés dans la loi de finances initiale les montants approximatifs de la fraude – vous les avez évoqués, monsieur le ministre – sur le fondement d’une méthodologie aussi précise que possible. Une telle ambition donnerait potentiellement une lisibilité nouvelle à l’action publique en matière de répression, voire faciliterait une prise de conscience dans l’opinion de l’ordre de grandeur des sommes échappant à l’État. Peut-être même, soyons fous, permettrait-elle un infléchissement des comportements des auteurs d’infraction…
La lutte contre la fraude fiscale ne pourra jamais se prévaloir d’une pleine efficacité tant que des coups continueront d’être portés au lien qui unit le citoyen à l’administration. La légitimité de ce lien est une condition essentielle au retour du consentement à l’impôt. La suppression de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) adoptée dans la loi de finances pour 2023 constitue un exemple d’atteinte à ce lien, en ce qu’elle est appelée à étioler, à long terme, le lien d’appartenance entre les acteurs économiques et leur territoire.
Par ailleurs, si les récentes avancées ont permis de mettre fin à l’anomalie démocratique qui privait notre pays d’une police fiscale opérationnelle, les autorités en charge des poursuites judiciaires en matière fiscale et leurs services ne disposent toujours pas d’une plénitude de compétence. En effet, si le service d’enquêtes judiciaires des finances constitue bel et bien le bras armé de la répression des fraudes, ses effectifs étant dotés des pouvoirs de police judiciaire, les vingt-cinq officiers en poste ont une compétence qui reste cantonnée à certaines infractions fiscales, les privant ainsi de la même amplitude d’intervention que les officiers de police judiciaire.
Regrouper sous une seule et même bannière les pouvoirs d’enquête et de poursuite sera une étape importante pour assurer la pleine performance de la police fiscale, telle qu’on peut l’observer en Allemagne ou aux Pays-Bas. Peut-être tendrons-nous un jour vers la constitution d’une véritable police fiscale et financière française autonome, sur le modèle de la Guardia di Finanza italienne, appelée à œuvrer en binôme avec le parquet national financier.
Enfin, il paraît indispensable de renforcer la coopération entre les différents services de répression, tant au niveau territorial, entre les directions régionales des finances publiques (DRFiP) et les directions régionales des douanes et droits indirects (DRDDI), qu’au niveau international, avec les autorités des pays voisins.
Le législateur en est conscient : la lutte contre la fraude fiscale a encore de beaux jours devant elle. Charge à nous, parlementaires, de poursuivre ce combat et d’améliorer la sensibilisation du public sur les préjudices liés à cette fraude.
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Je vous remercie, monsieur Lefèvre, de votre intervention. Je crois comme vous qu’une lutte efficace contre la fraude fiscale fait partie du pacte social.
Je vous remercie également d’avoir salué les effets de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude. À l’occasion de son adoption, il a été rappelé un point essentiel : cette politique tient sur deux jambes, à savoir, d’un côté, la lutte contre la fraude, de l’autre, la nouvelle relation de confiance entre l’administration fiscale et les acteurs économiques, particuliers et entreprises, notamment pour apporter une sécurisation juridique à ces derniers.
Je salue une nouvelle fois tout le travail de la direction générale des finances publiques pour établir cette confiance. Il porte véritablement ses fruits. Nous le voyons notamment du côté des chefs d’entreprise : un changement a été perçu, il est reconnu comme utile.
J’estime, comme vous, que la réforme du verrou de Bercy a été extrêmement positive. Elle a permis une augmentation très forte du nombre des dossiers transmis à la justice.
J’ajouterai simplement, en écho à l’intervention de Mme Vermeillet et à nos échanges sur le renforcement des moyens du SEJF, que l’enjeu actuel est celui de la priorisation. En effet, de nombreux dossiers étant actuellement transmis à la justice, il faut aider les parquets à mettre en avant les dossiers nécessitant, selon l’ampleur de la fraude estimée, de véritables enquêtes judiciaires.
Ce travail sera mené. Je discute régulièrement avec mon collègue Éric Dupond-Moretti sur ce sujet pour mieux accompagner les parquets en la matière.
Mme le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Comme les autres intervenants, je salue l’initiative de la commission des finances. Cette dernière nous propose de nous pencher sur un sujet à l’origine de nombreuses discussions et de divers fantasmes, lié, de manière centrale, au financement du budget de l’État. Il s’agit également d’une certaine conception de la justice face à l’impôt, notamment pour les contribuables, particuliers comme entreprises, qui le paient.
Dans ce débat, je distinguerai la fraude fiscale de l’évasion fiscale.
La fraude fiscale est condamnée par la loi, puisqu’il s’agit de minimiser ses revenus, de les détourner, de ne pas les déclarer, de se soustraire frauduleusement au paiement de l’impôt. Dit simplement, elle consiste, par des moyens illégaux, à ne pas payer d’impôt ou à en payer une moindre part.
L’évasion fiscale, quant à elle, n’est pas définie par le droit. Elle consiste à utiliser des moyens à la limite de la légalité pour payer le moins d’impôts possible, dans une démarche d’optimisation. Autrement dit, par des procédés licites, l’objectif est de faire disparaître l’impôt payé en France au profit de contrées fiscales plus accueillantes. Nous sommes ici dans une zone grise juridique.
Comme cela a été dit, notamment par vous, monsieur le ministre, chacun vient avec ses chiffres. Par nature, il est compliqué d’additionner des données qu’on ne connaît pas, même si des méthodes de calcul permettent de se faire une idée du total. Pour ma part, le chiffre dont je disposais tournait autour de 25 milliards d’euros par an.
Le montant de la fraude et de l’évasion fiscales fait l’objet de nombreux fantasmes. Certains voient dans le recouvrement des sommes détournées la solution à tous les problèmes. La difficulté est qu’il faut parvenir à mettre la main sur ces montants. Quand bien même nous recouvrerions les sommes en question, elles ne représenteraient qu’un très faible pourcentage du coût des propositions économiques de plusieurs candidats à l’élection présidentielle… Je le précise pour replacer le curseur au bon endroit.
De manière régulière, le débat sur l’imposition des plus riches et des grandes entreprises revient logiquement dans le débat public. En effet, plus le niveau d’imposition sera proche entre notre pays et les autres, qu’ils soient voisins ou non, moins il y aura de dumping et de projets d’évasion fiscale. Un tel débat a eu lieu lors de l’examen de la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 au sujet des superprofits. Il est tout à fait légitime de réfléchir à la mise en place d’un impôt exceptionnel sur des années tout aussi inhabituelles.
Néanmoins, l’enjeu fondamental est celui d’un impôt minimal, afin de faire en sorte que toutes les entreprises, grands groupes compris, paient ce taux plancher. Elles ne doivent pas pouvoir optimiser jusqu’à parvenir à une contribution nulle.
À ce sujet, notons l’action du Gouvernement menée depuis quelques années auprès de nos partenaires européens et au sein de l’OCDE pour instaurer un impôt minimal de 15 %. Il devrait être mis en œuvre en 2023 pour les 138 juridictions ayant accepté cet accord.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que la mise en place de cet impôt minimal est en cours, et qu’elle sera une réalité dans les mois qui viennent ?
La situation que je viens d’évoquer est celle d’États qui se réunissent autour d’une table pour discuter, mais d’autres ne souhaitent pas participer aux échanges : j’en viens donc à la question de l’évasion fiscale et des paradis fiscaux. Comprenons-nous bien sur ce point important : sans paradis fiscal, pas d’évasion fiscale.
Depuis la crise financière de 2008, plusieurs réformes ont visé à s’attaquer aux paradis fiscaux, mais les résultats sont loin d’être à la hauteur de ce que nous pourrions attendre. Évidemment, les pays concernés sont indépendants et n’ont pas à recevoir d’ordres. Néanmoins, une volonté politique internationale coordonnée peut faire avancer la lutte contre cette distorsion.
Comme une collègue l’indiquait précédemment, il reste beaucoup à faire sur le plan bancaire. Ayant travaillé dans ce secteur, je me souviens de l’embargo sur l’Iran : pour tout virement de France vers ce pays ou vers les pays plateformes permettant le transit des fonds, il fallait réunir un nombre extrêmement important de documents ; les sommes demeuraient bloquées plusieurs semaines entre les pays. Il était beaucoup plus simple et souple, en parallèle, d’opérer des virements vers les paradis fiscaux, malgré les déclarations à Tracfin. Il reste donc des marges de progression en ce domaine.
Monsieur le ministre, quelles mesures coordonnées à l’échelle internationale et coercitives pourraient être mises en œuvre pour lutter contre l’opacité des paradis fiscaux ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Nous avons évidemment à cœur de poursuivre la lutte contre les paradis fiscaux, et nous actualisons régulièrement la liste des États dits non coopératifs en la matière. Croyez bien, monsieur le sénateur, en la célérité absolue de notre action sur ce sujet.
Je veux revenir – il faut choisir, en deux minutes – sur le pilier 2, à savoir l’instauration au niveau mondial d’une imposition minimale des grandes entreprises, en saluant le progrès majeur que constitue cette initiative.
J’en rappelle l’histoire : on nous a dit, quand le Président de la République a porté ce sujet devant l’OCDE en 2020-2021, que nous n’arriverions pas à obtenir un accord. Or nous avons bel et bien obtenu, en octobre 2021, un accord dans le cadre de l’OCDE rassemblant 140 États sur la mise en œuvre d’une telle imposition minimale.
On nous a dit, ensuite, qu’il n’y aurait pas d’accord au niveau européen pour transcrire cette déclaration dans le droit communautaire. Et il est vrai que certains pays, notamment la Hongrie, pour ne pas la citer, bloquaient en utilisant leur droit de veto, tant et si bien que, en septembre 2022, sur l’initiative de la France, cinq pays – l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas et la France – ont signé une motion commune indiquant que, en l’absence de transcription à brève échéance du pilier 2 dans le droit de l’Union européenne, ils l’appliqueraient unilatéralement. Cette position a contribué à faire bouger les lignes au niveau européen, jusqu’à l’accord historique obtenu lors de la réunion du Conseil de l’Union européenne le 15 décembre dernier.
Il s’agit vraiment d’un progrès majeur, qui va permettre de lutter contre l’optimisation fiscale, laquelle scandalise évidemment les Français. Une petite PME n’a pas la possibilité de minorer son impôt sur les sociétés en délocalisant une partie de ses profits dans des pays où l’imposition est moindre, ce qui crée une véritable inégalité entre les entreprises. En tant que ministre du budget, j’ajoute que cette lutte va engendrer des rentrées fiscales supplémentaires permettant de financer nos politiques publiques.
Vraiment, il faut saluer cette avancée importante et la faire connaître. Les Français étant régulièrement scandalisés par la révélation d’affaires dans ce domaine, il importe, lorsque les choses avancent, de le leur montrer.