Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la présidente, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, sur l’initiative du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, la Haute Assemblée examine cet après-midi une proposition de loi portant plusieurs mesures de lutte contre les déserts médicaux.
À l’Assemblée nationale comme au Sénat, les initiatives parlementaires se multiplient pour trouver des solutions face à cet enjeu clé pour nos concitoyens qu’est l’accès aux soins. Le premier des besoins, le plus essentiel peut-être, est celui de l’accès pour tous et partout à la santé.
Avant d’être ministre, je reste une professionnelle de santé et, tous les jours jusqu’à ma nomination, j’ai pu constater, comme vous, les difficultés rencontrées par les Françaises et les Français pour avoir accès à un médecin et se soigner correctement.
Permettez-moi d’ailleurs d’être un peu taquine en regrettant que le gouvernement de François Hollande n’ait pas jugé bon de supprimer le numerus clausus entre 2012 et 2017. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
M. Bernard Jomier. Nous l’avons augmenté !
Mme Annie Le Houerou, rapporteure. Regardez les chiffres !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Nous aurions gagné un temps précieux, que nous n’avons plus aujourd’hui, pour mieux anticiper les évolutions de la démographie médicale. J’y insiste, peut-être que ceux qui prônent aujourd’hui l’obligation, et qui étaient aux manettes entre 2012 et 2017, auraient pu le proposer.
La situation, vous la connaissez, elle est préoccupante : 6 millions de patients, dont plus de 650 000 en ALD, sont sans médecin traitant ; 87 % du territoire français est aujourd’hui considéré comme une zone de sous-densité médicale ; les délais d’attente ne cessent de s’allonger. On constate enfin une crise des vocations et une perte de sens chez de nombreux personnels soignants.
Devant cette situation, qui n’est pas nouvelle, mais qui s’est aggravée avec la crise sanitaire, le PLFSS pour 2023 apporte des premières réponses, dont une qui a recueilli l’assentiment de votre assemblée : l’allongement à quatre ans du diplôme d’études spécialisés de médecine générale.
Nous partageons donc pleinement votre volonté d’agir.
Cependant, sur le fond, le Gouvernement regrette les mesures de coercition prévues dans cette proposition de loi.
L’obligation n’est pas la bonne solution. Nos voisins européens qui l’ont fait en reviennent. Réguler le vide n’apportera rien, et je ne crois pas que nous donnerons envie en obligeant.
Ainsi, l’article 1er de cette proposition prévoit que les étudiants réalisent, à l’issue du troisième cycle des études de médecine, une année de professionnalisation obligatoirement en zone sous-dense. Nous partageons la volonté de mettre en place une quatrième année de professionnalisation, mais nous divergeons sur la philosophie. Nous souhaitons plutôt inciter les étudiants en médecine à s’installer volontairement dans les territoires sous-dotés. C’est tout l’objet de la création de cette quatrième année de médecine générale dans le PLFSS, dont le Parlement vient d’achever l’examen. L’objectif est bien de donner confiance dans l’exercice ambulatoire, y compris en zone sous-dotée.
La mission que le ministre de la santé et de la prévention, François Braun, et moi-même avons lancée sur la création d’une quatrième année de médecine générale a précisément pour objectif de travailler aux nouvelles modalités pédagogiques et aux règles de répartition des terrains de stage et des praticiens maîtres de stage universitaires. Il s’agit bien de favoriser une affectation dans les territoires et zones sous-denses.
Les dispositions prévues à l’article 2 visent à rendre obligatoire l’exercice libéral de la médecine générale de premier recours sous la forme d’équipes de soins primaires, lesquelles pourront prendre la forme d’une convention entre professionnels de santé.
Là encore, le Gouvernement n’est pas favorable à l’obligation. Le risque est de ne pas réellement engager les professionnels dans un projet collaboratif, en rendant cette reconnaissance uniquement administrative.
Cependant, l’encouragement à l’exercice coordonné sous toutes ses formes, sur l’initiative des personnels de santé eux-mêmes, est bien une priorité du Gouvernement.
Depuis mon entrée en fonction, en juillet dernier, j’ai souhaité rencontrer, lors de mes déplacements sur le terrain, les professionnels de santé qui ont fait le choix d’un exercice coordonné au travers d’une communauté professionnelle territoriale de santé ou d’une maison de santé pluridisciplinaire.
J’ai ainsi découvert des structures qui fonctionnent bien, mais aussi d’autres qui connaissent plus de difficultés. Toutes sont différentes, mais les structures qui fonctionnent bien, et c’est heureusement la grande majorité, sont celles où les professionnels sont pleinement à l’initiative.
De même, instaurer, comme le prévoit l’article 3, une obligation à la permanence des soins en ambulatoire ne nous paraît pas adapté. C’est vrai, le taux de couverture en PDSA varie selon les territoires, mais il n’est pas directement lié au caractère sous-dense des zones. En effet, dans les zones sous-dotées, les médecins participent le plus souvent à la PDSA.
Cette disparité pose la question de l’équité entre médecins, ceux qui sont installés en zones moins dotées assurant nécessairement plus de gardes que les autres. Or la réintroduction de l’obligation individuelle de PDSA ne réglerait pas cette difficulté.
Le principe de responsabilité collective introduit par amendement gouvernemental dans le PLFSS pour 2023 nous semble préférable à un retour à l’obligation individuelle.
L’article 4 prévoit de subordonner le conventionnement d’un médecin dans les zones surdotées médicalement à la condition qu’un médecin déjà installé cesse son activité.
Le Gouvernement n’y est pas non plus favorable.
Alors que la négociation conventionnelle est en cours, nous n’entendons pas limiter de façon unilatérale la liberté de conventionnement des médecins en fonction de leur zone d’installation.
Enfin, je ne vous suis pas sur le bien-fondé de l’article 5, même si je partage le constat, que vous avez souligné dans votre rapport, madame la rapporteure, sur la multiplicité des aides à l’installation, dont le nombre et les paramètres peuvent être source de confusion pour les jeunes professionnels.
C’est bien dans cette perspective que le PLFSS pour 2023 porte la création des guichets uniques d’accompagnement à l’installation des professionnels de santé, ainsi qu’une simplification des aides données aux professionnels qui s’installeront.
J’en viens à la différence de traitement, que vous regrettez, entre centres de santé et médecine libérale.
Ces aides conventionnelles fournies aux centres de santé existent et relèvent des négociations entre les représentants des centres de santé et l’assurance maladie. Aujourd’hui, les premiers peuvent être aidés pour financer jusqu’à trois médecins ETP, à condition que le centre installé dans la zone sous-dotée reste ouvert pendant cinq ans et participe à la PDSA.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis que nous ayons ce débat cet après-midi. Les défis et les attentes sur ce sujet sont immenses. Nous avons un devoir collectif d’agir, tous ensemble, dans un esprit de responsabilité et d’engagement pour apporter des réponses concrètes et opérantes aux besoins de nos concitoyens.
Pour autant, et je conclurai par là, l’instauration de mesures coercitives n’est pas la solution. C’est bien en partant des initiatives du terrain, avec la mobilisation de l’ensemble des acteurs, et non pas contre eux, que nous réussirons.
Madame la sénatrice Poumirol, je tiens à vous rassurer sur l’ambition de répondre aux besoins de santé que porte, tout comme vous, le Gouvernement.
M. Patrick Kanner. On n’est pas rassuré du tout !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Plus qu’une ambition, c’est un devoir, auquel nous nous attelons activement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mmes Véronique Guillotin et Nadia Sollogoub applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, portée par nos collègues Émilienne Poumirol et Annie Le Houerou, est le fruit du travail des sénateurs du groupe socialiste depuis plusieurs années maintenant.
Nous avons déjà présenté certaines de ces dispositions dans le cadre du débat parlementaire, au cours de l’examen de textes et de propositions du Gouvernement et d’autres groupes politiques qui nous ont semblé apporter des réponses insuffisantes à un problème de plus en plus aigu.
Nous sommes confrontés à une crise profonde et durable concernant l’accès aux médecins, généralistes aussi bien que spécialistes.
Nous l’avons rappelé lors de précédentes discussions : dans les années 1970, 10 000 médecins, toutes spécialités confondues, étaient formés par an, ce chiffre tombant à moins de 4 000 en 2004, dont 2 000 médecins généralistes, pour remonter entre 8 000 et 9 000, dont 4 000 généralistes, de 2011 à 2016, avant une nouvelle baisse en dessous de 3 400 de 2017 à 2021 pour les généralistes, alors que la progression était continue pour les autres spécialités sur cette même période.
En 2022, nous formons 9 024 médecins, dont 3 634 généralistes. C’est donc une réduction de 67,5 % en cinquante ans ! Dans ce laps de temps, notre population est passée de 50 millions à plus de 65 millions d’habitants, soit une augmentation de 21 %, avec, de surcroît, la montée en puissance des problématiques du vieillissement, de l’autonomie et de la dépendance.
Avec les départs à la retraite des baby-boomers, le chemin parfois long pour les médecins diplômés avant de pouvoir s’installer dans les territoires, les tensions liées aux multiples difficultés des secteurs du médico-social et de la santé, sans oublier les dix ans nécessaires pour former un médecin, nous avons là tous les ingrédients d’une situation critique. Et nous en voyons les effets dans nos territoires, que ce soit à Canenx-et-Réaut, Retjons ou Cère, dans les Landes, à Moncontour, Bourbriac ou au Mené, dans les Côtes-d’Armor, ou à Antichan-de-Frontignes, Aurin ou Bax, en Haute-Garonne, mais je pense que vous pourriez tous me citer des communes de vos départements. Pourtant, les élus locaux font des efforts considérables en la matière.
L’adoption de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 n’aura pas offert de réponse satisfaisante à ce problème. Elle crée une quatrième année d’études pour les médecins généralistes, sans rémunération prévue, mais cette mesure reste très floue. Dès son annonce, elle a eu des effets délétères, puisqu’un étudiant en médecine sur trois a pensé arrêter ses études dans les dernières semaines, selon une enquête de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf).
Parfois, le remède est pire que le mal : nous avons besoin de tout sauf d’une crise des vocations chez les futurs médecins.
La France entre, en tout état de cause, dans une période dans laquelle tout le territoire est ou sera en situation d’insuffisance chronique en matière de démographie médicale. Le pays pâtit des manques des politiques de l’État que tous paient aujourd’hui.
D’abord, nos concitoyens, qui sont confrontés à la situation angoissante de ne pas être assurés de trouver les rendez-vous médicaux dont ils ont besoin, au prix de pertes de chances de guérison et d’une grande dégradation de leur qualité de vie.
Ensuite, les médecins eux-mêmes, qui voient les listes de patients à suivre s’allonger et ont plus que jamais besoin d’accompagnement pour assurer leur mission.
Enfin, les élus locaux, qui multiplient les projets, les innovations et les offres pour attirer les médecins sur leurs territoires et les amener à s’y installer durablement pour assurer la permanence des soins.
Chacun de nous dans cet hémicycle, chacun de nos territoires est, ou, pour les plus chanceux, sera concerné. La situation exige de nous des réponses qui apportent des améliorations sur les court, moyen et long termes, des réponses qui ne fassent pas plus de mal que de bien.
Les sénateurs du groupe socialiste ont travaillé à partir des situations que nous constations sur nos territoires, souvent alertés par ces vigies de la santé publique que sont aussi les élus. Nous avons auditionné les associations d’élus, l’État, les représentants des médecins et les syndicats de jeunes médecins.
Nous avons œuvré avec la conviction qu’il est aujourd’hui impératif de conjuguer une meilleure professionnalisation des médecins avec l’apport de temps médical dans nos territoires sous-dotés. C’est pourquoi nous avons investi à la fois le cadre pédagogique et l’apport de santé publique, comme le soulignait dans cet hémicycle notre collègue Bernard Jomier.
L’une de nos propositions phares présentées dans cette proposition de loi est en effet l’année de professionnalisation, dont nous avons déjà abondamment parlé. Elle a plusieurs avantages, au nombre desquels la reconnaissance et la rémunération à sa juste valeur de la contribution qui est demandée aux futurs jeunes médecins.
Une telle année de professionnalisation permet également de mieux prendre en compte leurs problématiques de vie, en associant aux universités les collectivités territoriales, qui sont mieux à même de leur garantir des conditions matérielles adaptées en matière de logement, de transport et de vie quotidienne.
Cette proposition de loi, si elle était adoptée, ne résoudrait pas à elle seule à la crise des déserts médicaux, mais elle apporterait des solutions opérationnelles qui se verraient tout de suite dans les territoires. Elle aurait le précieux avantage de permettre le déploiement très rapide de 4 000 jeunes médecins généralistes, soit en moyenne 40 médecins par département.
Notre texte contient aussi, grâce au travail de notre collègue Patrice Joly, un article consacré aux conditions de l’exercice libéral et de l’exercice salarié.
Notre proposition de loi a par ailleurs pour objet de mettre en place une organisation du parcours de soins facilitant la prise en charge de chaque patient, dans chaque territoire. Cela serait rendu possible par le gain de temps médical obtenu grâce à une meilleure coordination entre les professionnels de proximité. Cette nouvelle organisation permettrait de dégager du temps médical en priorité pour les patients sans médecin traitant ou subissant une affection de longue durée.
Notre texte rétablit également l’obligation de garde pour les médecins libéraux, afin de permettre la permanence des soins. Pour mémoire, c’est un dispositif de prise en charge aux horaires de fermeture des cabinets libéraux. Depuis la suppression de cette obligation en 2002, on observe une dégradation du service rendu. Le volontariat ne suffit plus pour répondre à la demande.
La voie que nous ouvrons ainsi nous semble susceptible d’apporter des réponses d’ores et déjà concrètes, efficaces et pragmatiques au problème des déserts médicaux, qui nous taraude tous. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je veux avant tout remercier ici nos collègues Émilienne Poumirol et Annie Le Houerou, ainsi que l’ensemble du groupe socialiste d’avoir déposé cette proposition de loi, qui vise à réduire les inégalités territoriales d’accès aux soins. Ces dernières ne cessent de se creuser dans notre pays.
Nous avons plusieurs fois eu l’occasion de débattre du problème, tout dernièrement lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
Contrairement aux membres du groupe Les Républicains et au Gouvernement, qui proposent d’instaurer une dixième année d’études de médecine devant s’effectuer en stage dans un désert médical, les auteurs du présent texte souhaitent instaurer une année de professionnalisation obligatoire dans ces mêmes déserts médicaux.
Il s’agit non pas d’une simple incitation à effectuer un stage dans un désert médical, mais d’une véritable année de professionnalisation, encadrée par un maître de stage universitaire et rémunérée à hauteur de 3 500 euros bruts par mois.
Par ailleurs, aux termes de la proposition de loi, les modalités de mise en œuvre du dispositif devront faire l’objet de discussions avec les organisations syndicales des étudiants de médecine générale. Une telle concertation était absente des propositions du groupe LR et du Gouvernement.
Face au manque de médecins généralistes, cette proposition de loi met en place une organisation coordonnée du parcours de soins de premier recours.
Nous ne pouvons pas rester dans une situation où 6 millions de nos concitoyennes et de nos concitoyens, y compris des malades en affection de longue durée, se trouvent sans médecin traitant. Les équipes de soins primaires proposées ici sont une solution pour les actes de premier recours.
Par ailleurs, la proposition de loi rétablit l’obligation de garde pour les médecins libéraux, supprimée par le décret Mattei du 15 septembre 2003, et étend l’obligation de permanence des soins des établissements publics de santé aux médecins libéraux lorsque l’offre de soins du territoire de santé l’exige, notamment dans des disciplines comme l’ophtalmologie ou la radiologie.
C’est exactement ce que notre groupe défend depuis 2019, quand nous avons déposé notre proposition de loi portant mesures d’urgence pour la santé et les hôpitaux.
De la même manière, nous convenons de la nécessité de réguler l’installation des médecins dans les zones surdenses, comme cela existe pour d’autres professionnels de santé, notamment les pharmaciens, les infirmières, les chirurgiens-dentistes et les orthophonistes.
Enfin, la proposition de loi revient sur les disparités existantes entre maisons et centres de santé en matière de fiscalité, de cotisations sociales, de garanties de revenu et d’aides à l’installation.
Il est en effet inacceptable que l’aide financière accordée à l’installation des médecins libéraux et des maisons de santé soit de 50 000 euros, tandis qu’un centre de santé bénéficie d’une aide financière de seulement 30 000 euros.
Je le rappelle, à la différence des maisons de santé pluriprofessionnelles, les centres de santé sont gérés par des organismes publics ou privés à but non lucratif, et garantissent un accès aux soins de proximité sans dépassements d’honoraires et sans avances de frais. Surtout, les professionnels y exercent leur activité de manière salariée, ce qui répond à une aspiration grandissante des jeunes médecins.
En conclusion, la proposition de loi, qui reprend de nombreuses mesures défendues par notre groupe depuis de nombreuses années, va dans le bon sens.
À ces mesures d’urgence, il conviendrait d’ajouter la suppression du numerus apertus et une augmentation des moyens des universités, de manière à former davantage de médecins. Il faut, par conséquent, une politique ambitieuse pour consolider et améliorer notre système de santé et de protection sociale. Mais c’est au Gouvernement de prendre la main !
En attendant, nous voterons évidemment cette proposition de loi.
Je profite de l’occasion, madame la ministre, pour vous alerter de vive voix, après avoir adressé un courrier au ministre de la santé, sur la situation des hôpitaux de Saint-Maurice, où l’agence régionale de santé et la direction ont prévu une opération immobilière de grande ampleur. Alors que psychiatrie et pédopsychiatrie sont en grande difficulté, mon collègue Pascal Savoldelli et moi-même craignons que ce projet purement spéculatif ne porte un coup fatal à la qualité de la prise en charge des patients. Je vous appelle donc à intervenir afin que la direction revoie sa copie. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Élisabeth Doineau, qui est souffrante, m’a demandé de porter sa voix dans notre hémicycle.
L’accès aux soins est l’un des principaux sujets de préoccupation des Français. Aussi, il est naturel que les parlementaires se saisissent de cette problématique et tentent d’apporter des réponses par le biais de propositions de loi. Celles-ci se multiplient. C’est la preuve que nous avons à cœur de répondre aux difficultés rencontrées en la matière par nos concitoyens sur tous les territoires.
Le constat est largement partagé. De nombreux rapports ont été publiés ces dernières années et les statistiques produites par diverses institutions, comme la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère de la santé, permettent de saisir en toute connaissance de cause l’ampleur des difficultés.
Deux raisons principales à cette situation doivent cependant être rappelées : d’une part, le manque d’anticipation des pouvoirs politiques face au vieillissement de la population ; d’autre part, le changement de la pratique médicale, les jeunes médecins souhaitant légitimement aménager leur temps de travail pour une meilleure vie familiale. D’un côté, davantage de temps médical est requis, pour plus de polypathologies ; de l’autre, on dispose de moins de temps médical par praticien.
Les auteurs de cette proposition de loi tentent de répondre au problème de la désertification médicale. Je veux à mon tour tenter d’expliquer pourquoi les solutions envisagées ne sont pas les bonnes et elles auraient même des conséquences préjudiciables pour notre système de santé et pour toute une profession.
Je me permettrai de ne pas commenter l’article 1er, car nous avons largement débattu de questions similaires ces dernières semaines, en particulier à l’occasion de l’examen du PLFSS pour 2023.
Je ne suis pas opposée à l’article 2 sur le fond, puisque je suis favorable à l’accélération du développement de la coordination entre les professionnels et du travail pluridisciplinaire ; je soutiens en particulier la pratique en équipe de soins primaires. Cependant, cette dernière ne peut pas tout simplement se décréter ! Elle nécessite la participation active des principaux concernés. C’est d’ailleurs ce que l’on observe dans la plupart des MSP, voire sur un plus large périmètre quand il existe une CPTS. Cela demande du temps, de la volonté et beaucoup d’investissement de la part de tous les professionnels de santé, des paramédicaux jusqu’aux professionnels du secteur médico-social.
L’article 3 soulève le sujet essentiel de la permanence des soins ambulatoires. Celle-ci recule fortement, ce qui accroît les tensions sur les services d’urgence hospitaliers.
Néanmoins, obliger les professionnels à assurer la permanence des soins dans un contexte de pénurie contribue à accélérer leur épuisement, dès lors que les rotations sont de plus en plus fréquentes faute de relais. Prenons donc garde à ne pas apporter une réponse plus néfaste que le problème initial !
L’article 4 pose le principe d’une arrivée pour un départ en matière de conventionnement dans les zones surdotées. De l’aveu même de Mme la rapporteure, une telle mesure ne s’appliquerait qu’à la marge.
J’en viens à l’article 5. Certes, il est difficile de s’y retrouver dans le maquis des aides. Mais aligner les aides apportées aux centres de santé sur celles dont bénéficient les MSP reviendrait à encourager encore plus le salariat. Or les chiffres nous montrent que cette tendance est déjà prégnante. Je ne suis pas opposée à la pratique médicale salariée dans l’absolu, mais elle diminue en moyenne d’un tiers le temps médical par rapport à l’exercice libéral. Attention à ne pas accélérer davantage le phénomène !
Après ce réquisitoire, vous pourriez être tentés, mes chers collègues, de me rétorquer que la critique est aisée, mais que l’art est difficile. Alors, quelles solutions apporter ?
Je suis persuadée que nous avons déjà un arsenal d’outils, mais que le plus difficile est de les mettre en œuvre.
Il est ainsi possible de dégager du temps médical en recrutant des assistants médicaux et en répartissant le parcours de soins entre des médecins et d’autres professionnels de santé, notamment des infirmiers en pratique avancée (IPA).
Le partage des tâches est logique et indispensable, parce que nous devons penser à l’échelle des équipes traitantes ; il l’est aussi, parce que la montée en compétences de certains professionnels de santé permet de répartir les prises en charge ; il l’est enfin, parce que la coordination des soins, la complexité de certaines situations et la notion même de « parcours » l’imposent.
La télémédecine est un autre outil qui a prouvé, pendant la crise sanitaire, combien il pouvait être utile lorsqu’il est bien encadré.
Je crois également en la territorialisation des politiques de santé. À chaque territoire ses spécificités ! Il conviendrait sans doute de déterminer quelle collectivité doit être chargée de l’accès aux soins. L’échelon le plus pertinent est le département. Celui-ci pourrait déployer avec l’ARS des brigades de coordination et d’ingénierie pour accompagner les élus et les professionnels de santé sur le territoire.
Je souhaite aborder deux autres points.
D’une part, nous ne pouvons pas rester sourds aux demandes des médecins quant à la revalorisation du tarif des consultations, qui est l’un des plus faibles d’Europe.
D’autre part, si le PLFSS pour 2023 impulse un premier virage en faveur de la prévention, un chantier énorme s’ouvre à nous, d’une alimentation plus saine à une activité sportive régulière, en passant par une réduction des conduites addictives. Plus de prévention, c’est vivre en meilleure santé ; c’est donc moins de besoin de temps médical.
Améliorer l’offre en santé ne peut pas se résumer à traiter de la médecine de ville. Il faut une refonte globale et graduée entre la ville et l’hôpital.
Le Gouvernement a lancé les travaux du volet santé du Conseil national de la refondation. Attendons ses conclusions et les actions qui en découleront.
Pour conclure, je crois qu’il convient d’assumer un discours de vérité. Nous savons que la prochaine décennie sera encore difficile. La régulation est une coercition qui ne dit pas son nom ; elle ne répondra pas à la pénurie. À l’inverse, la coopération peut nous aider à passer ce cap difficile.
Pour toutes ces raisons, la majorité du groupe Union Centriste ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les auteurs de cette proposition de loi dressent un constat qui est partagé sur toutes les travées de l’hémicycle.
Nous observons en effet depuis plusieurs années un recul de l’accès aux soins et un déclin de la permanence des soins. Ce sont des sujets de préoccupation, voire d’inquiétude grandissante pour les élus, les patients et les professionnels de santé.
Les chiffres le confirment. En vingt ans, nous avons perdu 18 % de généralistes et 9 % de spécialistes. Un bon nombre de médecins partiront à la retraite, alors que les besoins liés au vieillissement de la population et à la prévalence des maladies chroniques augmentent et que les jeunes médecins, comme d’ailleurs le reste de la population, sont désireux – c’est légitime – de mieux concilier vie personnelle et vie professionnelle. Nous sommes donc face à un problème de pénurie bien plus que de répartition.
Cette pénurie a été instaurée dès le début des années 1980 à des fins avouées de régulation des dépenses de santé. Il fallait boucher le trou de la sécurité sociale, comme en témoigne le slogan des années 1990 : « La sécurité sociale, c’est bien ; en abuser, ça craint ! » Tous les gouvernements, de droite et de gauche, ont poursuivi cette approche mortifère pendant plus de deux décennies. Voilà la principale raison de la situation que patients et professionnels subissent au quotidien.
L’augmentation du numerus clausus, puis sa transformation en numerus apertus, décidées tardivement, ne porteront leurs fruits que dans une bonne dizaine d’années. À ce propos, madame la ministre, pourriez-vous nous donner des chiffres précis sur le nombre d’étudiants en médecine, notamment en médecine générale, ayant entamé leurs études ces dernières années ? Combien de médecins supplémentaires pouvons-nous espérer pour 2030 ? Seront-ils en nombre suffisant pour faire face aux enjeux qui nous attendent demain ?
Face à la pénurie, la proposition de loi que nous examinons propose une fois encore de renforcer les contraintes et les obligations : à l’article 1er, stage obligatoire dans les déserts médicaux ; à l’article 2, obligation de création d’équipes de soins primaires ; à l’article 3, obligation de garde ; à l’article 4, régulation à l’installation.
Or nous devons tous prendre conscience qu’aujourd’hui, la médecine générale n’est plus attractive. Cela n’est pas assez dit, me semble-t-il. J’en veux pour preuve qu’elle est l’avant-dernière spécialité choisie aux épreuves classantes nationales (ECN). Les raisons en sont multiples, entre les contraintes administratives et la charge de travail grandissante. En outre, les perspectives de carrière sont limitées : fini l’accès aux métiers d’urgentiste et de gériatre ; finis les diplômes universitaires d’angiologie ou de médecine esthétique, qui permettaient de diversifier le métier. Enfin, le stage libre a été retiré des stages autonomes en soins primaires ambulatoires supervisés (Saspas) ; la quatrième année a encore failli être limitée à la pratique ambulatoire.
Les tentatives, nombreuses et répétées, de renforcer les obligations pour compenser plusieurs décennies de politiques publiques de santé défaillantes ne réconcilieront pas les jeunes avec l’exercice de la médecine générale. Les professionnels font face à des conditions de travail suffisamment dégradées ; je ne crois pas qu’il faille les aggraver encore en faisant peser davantage de contraintes sur ceux qui tiennent, tant bien que mal, notre système de santé à bout de bras. C’est avec eux, et non contre eux, que les solutions seront trouvées, notamment dans le cadre des négociations conventionnelles avec l’assurance maladie qui se tiennent en ce moment. Dans le cadre de ces dernières, il faut miser sur la responsabilité collective, notamment pour la permanence des soins ambulatoires.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous ne croyons pas que les mesures proposées dans ce texte puissent résoudre nos problèmes.
En période de crise et de pénurie, en attendant que le numerus apertus produise ses effets, nous devons au contraire serrer les rangs, instaurer la confiance, laisser le terrain s’organiser, comme il a su le faire pendant la crise du covid, décharger les professionnels des tâches administratives, valoriser et respecter leur travail, lever les freins et accélérer le déploiement d’outils déjà existants, qu’il s’agisse des MSP ou de toutes les autres formes d’exercice coordonné. Il faudra aussi assouplir les règles de cumul emploi-retraite, avoir recours aux assistants médicaux et aux IPA, ou encore déployer la télémédecine, voire encourager le partage de tâches, pour in fine donner envie aux jeunes de s’engager dans cette voie. Ce n’est, selon moi, qu’à ce prix que nous pourrons améliorer l’accès aux soins partout et pour tous.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – Mme Corinne Imbert applaudit également.)