M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits d’équipement des forces augmentent de 900 millions d’euros, conformément à la LPM.
Mais depuis 2018, le monde a changé. D’abord, avec la crise du covid-19 : le Gouvernement a alors considéré que la LPM faisait office de plan de relance. Puis, avec la guerre déclenchée par les Russes en Ukraine : le Gouvernement y répond, là encore, à LPM constante.
Il est désormais question de bâtir une « économie de guerre ». Mais encore faudrait-il commencer par passer quelques commandes supplémentaires sur des équipements cruciaux, ce qui ne semble pas être le cas, puisqu’on nous a confirmé encore la semaine dernière qu’aucune commande de munitions nouvelles n’avait été effectuée depuis le 24 février dernier. (M. le ministre le conteste.) Peut-être pourrez-vous nous rassurer à cet égard, monsieur le ministre ?
Cette guerre a entraîné une accélération de l’inflation et un bouleversement du contexte géostratégique. L’effet de l’inflation sur le programme 146 est évalué à 460 millions d’euros en 2023.
Le recours au report de charge, qui représentera 15 % des crédits en 2023, permet de boucler le budget par un tour de passe-passe. C’est en fait le retour de la « bosse budgétaire », au détriment des créanciers du ministère alors que la LPM en cours devait y remédier.
Une indexation sur l’inflation est fondamentalement nécessaire, de même qu’un rehaussement de la provision pour les opérations extérieures et les missions intérieures, qui se révèle chaque année insuffisante.
Les surcoûts entraînent, encore cette année, une annulation de crédits mis en réserve sur le programme 146, à hauteur de 321 millions d’euros.
La guerre en Ukraine impose une LPM de renouveau. Notre modèle d’armée doit être complété pour tenir compte de la possibilité, désormais avérée, d’une guerre de haute intensité en Europe.
Notre commission apportera sa contribution à la réflexion, grâce à une mission d’information qui commence ses travaux cette semaine.
Mais, alors que nous attendons le projet de LPM, nous sommes d’ores et déjà inquiets d’éventuels arbitrages défavorables sur de grands programmes en cours.
Au vu du contexte international et des efforts considérables effectués par un certain nombre de nos alliés, nous nous attendions à une accélération de l’effort. Or il semblerait que des économies soient recherchées, grâce à des annulations ou à des reports, alors même qu’il est d’ores et déjà acquis que plusieurs capacités n’atteindront pas le jalon 2025 fixé par la LPM : notamment le format Rafale, en raison de l’export croate ; les frégates de défense et d’intervention, en raison de l’export grec ; ou encore l’Eurodrone, sur lequel je ne m’appesantirai pas, mais qui accusera bientôt six ans de retard ; le système de drones tactiques et les véhicules blindés légers régénérés.
Monsieur le ministre, la commission a émis un avis favorable sur ce budget, afin de permettre à nos armées de bénéficier de la remontée en puissance en cours, mais il est bien évident que la prochaine LPM, sur laquelle nous allons commencer à travailler, sera le moment de vérité. (M. Marc Laménie et M. Christian Cambon applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le ministre, mon collègue Cédric Perrin étant entré dans le détail des questions relatives au programme 146, je voudrais vous interroger sur deux points d’ordre plus général.
Premier point, ce budget de la défense suit l’augmentation budgétaire prévue en 2018 par la LPM. Mais la guerre en Ukraine nous oblige à porter un regard nouveau sur cette trajectoire, dans un contexte international profondément transformé, où la guerre conventionnelle de haute intensité a fait son retour. En effet, le 24 février 2022 constitue un tournant historique et géostratégique majeur pour l’Europe et le reste du monde.
Cette guerre nous oblige à analyser nos forces et nos faiblesses. Nous disposons d’atouts indéniables, à commencer par une armée aguerrie et professionnelle, bénéficiant de technologies parmi les plus avancées au monde, qui repose sur une BITD robuste et façonnée par la commande de l’État.
Les armes que nous avons livrées à l’Ukraine, comme le canon Caesar, sont des armes qui font la différence sur le champ de bataille. Mais, avec dix-huit exemplaires, c’est presque un quart de nos stocks que nous avons cédés…
Ce chiffre illustre nos faiblesses en termes de volumes, sans compter la vétusté de certains équipements comme le véhicule de l’avant blindé (VAB) qui a plus de quarante ans, mais demeure néanmoins en service, dans l’attente de son remplacement par le Griffon, prévu pour 2030. Mais nos lacunes sont encore plus criantes en matière de drones, de défense sol-air ou de capacités de suppression des défenses aériennes adverses. Nos armées sont en effet formatées pour mener des opérations sur des théâtres extérieurs, protéger le territoire, agir en coalition, et reposent surtout sur la maîtrise de notre espace aérien.
Monsieur le ministre, une vision nouvelle s’impose, fondée sur un questionnement prospectif qui semble jusqu’alors faire défaut. Je ne suis pas certaine que la mesure de ce défi ait été complètement prise dans la nouvelle revue nationale stratégique (RNS).
Où en est la réflexion sur notre ambition de défense nationale, voire européenne ? Où sont cette vision globale et le cadrage précis qui doivent être à la base de la prochaine LPM ?
Mon deuxième point porte sur la dissuasion, qui est l’une des pierres angulaires de notre modèle d’armée.
Le chantage nucléaire de la Russie et la possible utilisation d’une arme nucléaire sur un champ de bataille en Europe sont des données nouvelles. Faut-il faire évoluer nos doctrines ?
Sur le plan financier, nous avions compris, lors de l’examen de la LPM en cours, que l’accélération de l’effort en fin de période, avec la « marche » à 3 milliards d’euros, devait notamment servir à financer la montée en puissance du renouvellement des différentes composantes de la dissuasion. Or, monsieur le ministre, cela n’apparaît pas clairement dans les différentes lignes budgétaires. Une partie de l’effort est-elle reportée ?
Je sais ces questions sensibles, mais un minimum de transparence est nécessaire quand vous nous demandez de vous suivre sur les choix stratégiques et donc budgétaires que vous faites.
Enfin, c’est l’ensemble des ministères que vous devez fédérer pour sensibiliser les acteurs économiques et la société civile aux enjeux de souveraineté et de défense.
Le ministère des armées devrait être au cœur de la réflexion sur « l’économie de guerre », et la solidarité interministérielle être pleinement activée. Cela sera-t-il le cas pour le financement de la contribution française à la facilité européenne pour la paix (FEP), comme cela fut le cas pour les surcoûts Ukraine dans la loi de finances rectificative de novembre ?
Il faudrait enfin que l’accès au financement soit facilité, et que les métiers du secteur soient davantage connus et valorisés.
Dans l’attente de vos réponses sur ces sujets de fond, qui vont définir les budgets à venir, et notamment celui du programme 146, nous voterons cette année les crédits pour 2023.
M. le président. Dans la suite de notre discussion, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de quinze minutes pour intervenir.
La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.
M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 24 février dernier, les armées russes ont envahi l’Ukraine. Cette agression sur notre continent est une révolution. Longtemps, nous avons cru pouvoir nous contenter de percevoir les dividendes de la paix. Longtemps, certains ont refusé de croire à la brutalité des rapports de force.
Dans cette période, seuls quelques États européens n’ont pas baissé la garde. La France en fait partie, et nous nous en réjouissons. Personne aujourd’hui ne doute plus de l’importance vitale d’entretenir une force armée dotée de capacités.
Le budget de la mission « Défense » s’élève à 44 milliards d’euros pour 2023. Je veux rendre hommage au Gouvernement. Ce montant correspond en effet exactement à la trajectoire prévue par la loi de programmation militaire.
Cette montée en puissance permettra en premier lieu de moderniser les équipements de nos armées. Il s’agira notamment de maintenir en condition notre capacité de dissuasion nucléaire.
Depuis les menaces du pouvoir russe, ce sujet déjà essentiel est devenu encore plus crucial. Nous sommes la seule puissance dotée de l’arme nucléaire au sein de l’Union européenne, ce qui nous place dans une position singulière sur cette question.
Au-delà de la modernisation du matériel, il est également nécessaire de renforcer les effectifs : 1 500 équivalents temps plein (ETP) devraient, en outre, grossir les rangs de nos armées.
Depuis longtemps maintenant, la guerre ne se limite plus au champ de bataille. Le conflit ukrainien souligne avec force le rôle de l’information et du cyberespace. Nos armées doivent développer de plus en plus de compétences pour protéger la Nation. Cette diversification implique de nouveaux recrutements, tout comme la perspective du retour de la haute intensité.
Pour assumer notre part dans la confrontation avec la Russie, notre pays fournit des armes et matériels militaires à l’Ukraine. Cette aide nous honore. Elle impacte nécessairement le budget des armées.
Le contexte géopolitique nous contraindra à poursuivre notre effort de défense. Plus largement, la nouvelle conjoncture internationale pose la question du changement d’échelle de notre industrie de défense.
La haute intensité entraîne une attrition bien supérieure à celle que nos forces ont connue lors des dernières années. Il faut s’y préparer, et nous devons donner les moyens à notre industrie de soutenir cet effort. La nécessaire remontée en puissance de cette industrie prendra du temps ; il nous faut pourtant aller vite.
Dans ces conditions, la défense européenne paraît plus que jamais nécessaire. C’est ensemble que nous devons développer une base industrielle et technologique de défense solide.
Nous ne pouvons que regretter les choix faits par certains de nos partenaires. L’armement américain est, certes, performant, mais ce n’est pas celui qui permettra à l’Europe de bâtir une souveraineté stratégique.
En mettant en commun leurs ressources et leurs talents, les pays de l’Union européenne peuvent parvenir à construire une force armée solide. La France plaide pour cela depuis cinq ans. Pour l’heure, ni la présidence Trump ni la guerre en Ukraine n’ont achevé de convaincre nos voisins.
L’Otan a, certes, été ramenée à la vie par l’invasion russe. Mais le pilier européen reste la condition de l’indépendance de l’Union et, in fine, de sa sécurité.
Il est à cet égard incompréhensible que des projets comme le Scaf et le char du futur connaissent tant de difficultés. Nous avons besoin d’avancer rapidement sur ces questions.
Nous examinerons bientôt une nouvelle loi de programmation militaire. Elle doit nous permettre de doter la France des moyens nécessaires à la protection de ses intérêts. Nous serons particulièrement attentifs à ce que les fonds alloués à nos armées soient proportionnels à la difficulté des missions qui leur sont confiées.
Pour l’heure, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne peut que voter en faveur de l’adoption des crédits de la mission « Défense ».
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le contexte géopolitique instable de la guerre en Ukraine, nous examinons les crédits de la mission « Défense » dans ce qui semble être le dernier exercice budgétaire de la LPM de 2019. En effet, la programmation suivante devrait être avancée d’une année pour adapter l’effort aux troubles du monde et à l’aide fournie par notre appareil militaire en soutien aux forces ukrainiennes.
L’actuelle LPM poursuit son cours et tient ses engagements financiers, avec une augmentation de 3 milliards des crédits de paiement, qui porte le budget de la défense à 44 milliards d’euros en 2023. Pour éviter que cette augmentation de crédits ne soit massivement absorbée par l’inflation, le Gouvernement a fait le choix de reports de charges sur le prochain exercice, ce qui semble judicieux. Espérons que l’inflation soit jugulée, car ces reports représenteront 15 % des crédits de la mission, hors dépenses de personnel, l’an prochain.
Notre soutien à la résistance ukrainienne honore la France. Il impacte logiquement les crédits de la mission, qu’il s’agisse de la projection de nos soldats sur le flanc oriental de l’Otan ou de la reconstitution de nos stocks d’équipement, notamment de canons Caesar.
Les écologistes appellent de leurs vœux la poursuite de ce soutien, que celui-ci concerne la fourniture des systèmes antimissiles promis par le Président de la République ou, à l’instar de nos voisins allemands, la fourniture de chars d’assaut aux pays d’Europe de l’Est pour que ceux-ci puissent céder leurs chars soviétiques à l’Ukraine.
Ce soutien à la République ukrainienne, à son combat pour la démocratie et la liberté justifie à lui seul l’effort financier considérable réalisé par la France depuis près d’une décennie au travers de deux lois de programmation militaire.
Cela étant, alors que le Président de la République a présenté voilà quelques semaines la revue nationale stratégique, je ne suis pas convaincu qu’il faille fixer comme objectif absolu à la prochaine LPM de relever le défi de la haute intensité, avec les coûts que cela implique.
La guerre en Ukraine a illustré la force de la solidarité européenne et atlantique et, à moins d’envisager une improbable guerre avec nos voisins directs, c’est dans ce cadre européen et atlantique que la France doit déterminer son ambition militaire et envisager l’effort financier afférent.
Les sujets ne manqueront pas. Au-delà de l’effort d’équipement considérable réalisé et à réaliser, je pense à l’attractivité de nos armées, au statut de nos militaires, à leur rémunération, à leurs conditions de vie, et au défi important que représente la fidélisation de nos soldates et nos soldats. D’autant que notre armée est de plus en plus sollicitée, qu’il s’agisse du contexte géopolitique incertain ou de tâches plus « domestiques » pour épauler la sécurité civile face à la multiplication des catastrophes naturelles sur notre sol.
Monsieur le ministre, votre prédécesseure évoquait sans totalement convaincre des budgets à « hauteur d’hommes ». Force est de constater que cela n’a pas toujours été le cas ces cinq dernières années. Je salue néanmoins le nouveau plan Ambition Logement, qui trouve une concrétisation dans les crédits de ce projet de loi de finances. Ceux-ci représentent un saut qualitatif important, qu’il faudra poursuivre.
La qualité de vie de nos soldates et soldats doit impérativement bénéficier des efforts financiers considérables auxquels la Nation consent pour nos armées. Gageons que nos concitoyennes et nos concitoyens ne l’envisagent pas autrement.
Ce confort passera notamment par la rénovation énergétique des logements militaires, qui doit impérativement être accélérée. L’objectif d’éradication des chaudières au fioul en 2031 est trop lointain et trop restrictif. C’est vers une rénovation globale des bâtiments militaires que nous devons aller. C’est un enjeu écologique et un enjeu financier, puisque la défense est le premier poste énergétique de l’État en puissance consommée comme en argent public dépensé.
On ne va pas faire porter l’effort sur nos soldats en Opex. En revanche, la sobriété du bâti comme de la logistique en période de paix doit être au cœur des axes de la prochaine loi de programmation. Cela implique également de concevoir des équipements, notamment des véhicules de combat, plus économes en énergie, ce qui aurait le mérite de combiner la sobriété avec une meilleure autonomie en opération.
Pour conclure, je souhaite évoquer la dissuasion nucléaire, qui, cette année encore, représente un investissement lourd.
Alors que la menace d’un conflit nucléaire pèse sur le monde, la France doit s’interroger sur la nécessité d’étoffer ses capacités propres. Il nous semble au contraire qu’à l’issue du conflit ukrainien, c’est vers la réduction des arsenaux qu’il faudra collectivement nous tourner. À ce titre, nous reformulons notre demande d’adhésion de la France, en qualité de membre observateur, au traité sur l’interdiction des armes nucléaires.
Contrairement à ce qu’ils voteront sur les crédits de la diplomatie, qui font pâle figure à côté des vôtres, monsieur le ministre, et ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux géostratégiques de notre temps, les écologistes adopteront les crédits du ministère de la défense, en attendant avec exigence le futur cadre pluriannuel.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette année 2023 est une année charnière entre la LPM pour la période 2019-2025 et celle pour 2024-2030, dans ce contexte géopolitique instable, marqué par la recrudescence des menaces et le retour de la guerre sur le sol européen, mais aussi par la reprise de l’inflation.
Le budget de notre défense pour 2023 est en hausse sur tous les plans et suit la trajectoire de la LPM pour les années 2019 à 2025 ; mes collègues rapporteurs l’ont précédemment détaillé programme par programme.
Ces 62 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 53,1 milliards d’euros en crédits de paiement, soit 8 milliards de plus qu’en 2019 en euros courants, permettront d’aller vers un modèle soutenable et ambitieux pour que la France reste une grande puissance militaire mondiale autonome. Ce budget, par rapport à la loi de finances initiale pour 2022, c’est 300 millions d’euros de plus sur la dissuasion, 68 millions d’euros pour le renseignement, 500 millions d’euros au titre des programmes à effets majeurs, 600 millions d’euros pour l’EPM.
Notre défense est avant tout le reflet du moral de nos soldats, et vous en faites, monsieur le ministre, une priorité : 200 millions d’euros seront investis pour l’amélioration des conditions d’hébergement et de logement dans le cadre du programme Ambition Logement.
La nouvelle politique de rémunération des militaires permet la poursuite des efforts d’attractivité et de fidélisation des personnels. Les mesures annoncées lors de la conférence salariale de juin 2022 se concrétisent, avec la revalorisation des salaires, en particulier pour les catégories B.
Enfin, dans la continuité de l’action menée depuis 2017, le budget pour 2023 remet les femmes et les hommes au cœur de notre défense, avec la montée en puissance du plan Famille. Celui-ci se traduira par la poursuite des efforts en matière de construction d’hébergement, de crèches et de logements, en métropole comme en outre-mer, d’amélioration des conditions de vie en garnison, et d’accompagnement des conjoints vers l’emploi ou la mobilité. Le lien entre l’active et nos réserves sera consolidé, et ces dernières seront revalorisées, ce qui est essentiel.
Il s’agit aussi de soutenir notre industrie, et le savoir-faire français en matière d’armement et de technologie militaire.
L’armée de terre poursuit la modernisation de la force opérationnelle terrestre (FOT), avec en particulier des livraisons de véhicules du programme Scorpion (synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation), ainsi que de dix-huit chars Leclerc rénovés.
La marine s’apprête à recevoir la livraison de son deuxième sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Barracuda et des munitions d’importance cruciale.
L’armée de l’air et de l’espace recevra notamment 13 Rafale et 13 Mirage 2 000D, ainsi que des missiles Scalp (système de croisière conventionnel autonome à longue portée).
Des crédits à hauteur de 2 milliards d’euros permettront de renforcer notre stock de munitions, avec notamment 200 missiles antichars, 100 missiles sol-air et 100 missiles air-air ; et 1,7 milliard d’euros seront dédiés à l’acquisition des petits équipements « à hauteur d’hommes » pour nos soldats.
Les investissements dans les domaines clés pour les conflits de demain ne sont pas négligés : le renseignement, l’espace, le cyberespace et le numérique bénéficient d’abondements importants.
Les admissions au service actif des frégates de défense et d’intervention (FDI) et des bâtiments ravitailleurs de forces (BRF), ainsi que la mise en place du programme système de lutte anti-mines marines futur (Slamf) seront les éléments déterminants pour l’amélioration de la capacité de la marine à assurer sa fonction.
On ne peut pas faire l’analyse de cette mission sans prendre en compte la guerre en Ukraine. Les crédits que nous examinons intègrent cette nouvelle donnée.
Dans cet environnement géopolitique profondément modifié sur le flanc Est de l’Otan, nos armées doivent se préparer à un affrontement de haute intensité avec, dans le programme 178, l’entretien programmé du matériel, et, dans le programme 146, le recomplètement des canons Caesar.
Il faut considérer ce budget non pas comme une fin en soi, mais plutôt comme un point de jonction : cette année 2023 relie deux LPM et fait la liaison avec les enjeux stratégiques de demain.
Le Président de la République a annoncé le 13 juillet dernier, lors de son discours aux armées, la revue nationale stratégique pour préparer la nouvelle LPM. Le 9 novembre, il a déclaré lors de son discours à Toulon : « Lorsque la paix sera revenue en Ukraine, il nous faudra bâtir véritablement une architecture de sécurité nouvelle. […] Il faut anticiper une révolution copernicienne du mode de conception des conflits […] ; c’est une nécessité pour avoir en 2030 les armées de la décennie à suivre et non celles de la décennie qui précède. »
Cette LPM nouvelle, vous souhaitez, monsieur le ministre, la construire en concertation avec les parlementaires, et c’est l’objet des différents groupes de travail que vous nous avez proposés. Le Président de la République l’a bien souligné : « La loi qui sera présentée au Parlement […] devra dépeindre une France unie, forte, autonome dans ses appréciations, et souveraine dans ses décisions. »
Vous l’avez souligné le 3 novembre dernier en Roumanie, ce qui se joue pour l’avenir, c’est notre capacité à tenir de manière fiable notre engagement dans les années qui viendront, pour être bons « partout et en même temps ».
Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI est évidemment favorable à l’adoption des crédits de la mission « Défense ». (MM. André Gattolin et Olivier Cigolotti applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rachid Temal. Monsieur le président, monsieur le ministre des armées, mes chers collègues, alors que nous nous apprêtons à discuter et à voter les crédits de la mission « Défense », je souhaite commencer mon propos en saluant l’engagement et le professionnalisme des femmes et des hommes qui composent nos armées.
Monsieur le ministre, votre budget s’inscrit dans un contexte particulier, au regard de la situation internationale et nationale.
Au niveau international, d’abord, le doux mythe de la « fin de l’histoire », né de la chute du mur de Berlin et cher à certains spécialistes, s’est envolé. La guerre entre États est, malheureusement, de nouveau une option sérieuse et réelle dans les relations internationales. La guerre menée par les armées de Poutine, leader d’une puissance nucléaire, contre l’Ukraine en est l’illustration.
La guerre, avec son lot de morts, de destructions et de drames, est de nouveau présente sur le vieux continent et aux portes de l’Union européenne.
Les anciens empires contrariés – je pense notamment à la Russie, à la Chine et à la Turquie – veulent retrouver leur puissance militaire et diplomatique passée. Ils souhaitent aussi imposer dorénavant une nouvelle lecture du monde et construire une alternative aux pays occidentaux. Les différents votes à l’Assemblée générale des Nations unies, à commencer par ceux visant à condamner l’aventurisme de Poutine, le démontrent.
Comment ne pas interpréter, comment ne pas entendre les propos du président chinois quand il annonce lors du XXe Congrès du parti communiste, sa nouvelle doctrine : assumer la nouvelle puissance chinoise, avec comme matérialisation l’intégration de Taïwan dans le giron de Pékin ?
Je pourrais également évoquer la montée en puissance de la capacité militaire de la Chine, tant sur les mers que dans les airs.
La volonté de puissance chinoise pèse dans le concert des nations et dans la construction de ce nouvel ordre mondial alternatif, et structure durablement l’Indo-Pacifique.
N’oublions pas que la France, qui est une puissance de l’Indo-Pacifique, est l’une des premières touchées par la concurrence stratégique entre la Chine et les États-Unis.
La situation internationale est aussi marquée par notre évolution sur le continent africain.
Monsieur le ministre, votre projet de budget est le premier à être postérieur au départ de la France du Mali et à l’annonce par le Président de la République de la fin de l’opération Barkhane, et ce au profit d’une nouvelle doctrine en termes de présence sur le terrain et de règles d’engagement de nos troupes.
Pour autant, la présence accrue des forces terroristes, ainsi que l’implantation de nouvelles puissances, par exemple les troupes Wagner, doit nous interroger sur l’efficacité de notre stratégie de défense, diplomatie et développement (3D).
Enfin, sur la situation internationale, comment ne pas dire un mot de l’Otan, que le Président de la République estimait être en « mort cérébrale » ? Chacun jugera ces propos. Chacun peut aussi constater le rôle essentiel de l’Otan face à l’agresseur russe.
Nous devons également intégrer la nouvelle dimension de l’Alliance atlantique après l’entrée, soutenue par notre assemblée, de la Suède et de la Finlande. L’entrée de cette dernière ajoute 1 300 kilomètres de frontière entre l’Otan et la Russie.
Votre projet de budget, monsieur le ministre, s’inscrit également dans un contexte national. Je pense en l’occurrence à l’annonce d’une nouvelle loi de programmation militaire.
Avant de parler de la prochaine LPM, permettez-moi de dire quelques mots de l’actuelle, qui couvre la période 2019-2025.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain regrette la décision du Gouvernement de ne pas avoir activé la « clause de revoyure » prévue par la LPM, et ce au profit d’un simple débat. Je crois que ce n’était pas à la hauteur de l’enjeu.
Après cet épisode, et plus encore après les propos du Président de la République et de la Première ministre sur une nouvelle gouvernance post-élections présidentielle et législatives, nous nous attendions à une autre démarche. Là encore, que de déceptions ! Pour être plus précis, je dirai que les anciennes méthodes sont de retour.
En effet, c’est le Gouvernement seul, en chambre, qui a rédigé la revue nationale stratégique. Vous avez fait le choix d’écarter le Parlement, de vous priver des compétences qui irriguent le Sénat et sa commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ; je le regrette.
Pour cette raison, les membres de cette commission ont décidé, sous l’autorité du président Cambon, d’engager dès à présent les travaux nécessaires à la nouvelle LPM : d’abord, en menant un travail de « retours d’expérience », sur la guerre en Ukraine, le Sahel et la lutte contre le terrorisme ; puis, en engageant une réflexion, au travers des différents programmes budgétaires, pour doter la France des armées du futur.
Monsieur le ministre, le Sénat sera, une nouvelle fois, au rendez-vous de la construction de la nouvelle LPM. Vous pourrez compter sur notre sens de la responsabilité, et nos armées pourront compter sur notre soutien.
Le projet de budget pour 2023 s’inscrit pleinement dans la trajectoire budgétaire de la LPM ; en apparence, pourrais-je ajouter.
Car si nous retrouvons la fameuse « bosse » de 3 milliards d’euros en 2023, et nous en félicitons, il faut avouer que le contexte économique, avec une inflation forte de 7 % en 2022 et de 4 % en 2023, ainsi que le renchérissement du coût des fluides, de l’énergie et des matériaux viendront grever cette hausse. N’oublions pas que, dans le cadre du PLFR pour 2022, nous avons dû abonder ces lignes budgétaires.
De plus, nous avons l’obligation de recomposer nos stocks après la décision, que nous soutenons, de transférer des armes, notamment dix-huit canons Caesar, à l’armée ukrainienne.
Au regard de la situation internationale, nationale et économique, nous nous devons d’anticiper et de ne pas voter un budget de transition.
C’est pourquoi nous devons examiner les quatre programmes de la mission « Défense » à l’aune de différentes questions. Quelles sont les nouvelles menaces et quelles armées pour y répondre ? Comment envisageons-nous de protéger notre territoire et de renforcer notre souveraineté en matière de défense et d’armement ? Quel rapport entre la Nation et ses armées ? Quel est notre rôle au sein de l’Otan ? Quel est l’avenir de la défense européenne ? Enfin, quelle politique de ressources humaines ?
Si – reconnaissons-le – des réponses se trouvent dans ce projet de budget pour 2023, nous devons encore travailler afin que la prochaine LPM soit un texte à la fois d’anticipation et de réalisation.
Permettez-moi d’ailleurs de dire un mot d’une actualité brûlante : l’annonce d’un accord entre Dassault et son partenaire allemand pour la réalisation du Scaf. Je salue cet accord, d’autant que le contrôle attendu par la partie française a été obtenu. Il faudra veiller à ce que la capacité de vente demeure bien chez l’industriel tricolore, dont le savoir-faire n’est plus à démontrer.
Si des succès existent, la question des coopérations industrielles reste un sujet de préoccupation. D’autant que le Brexit est passé par là, que l’état de la relation entre Paris et Berlin inquiète et que le tropisme allemand pour l’équipement américain demeure. Je pense notamment au char du futur, au bouclier antimissile ou encore au domaine spatial.
Tout cela doit renforcer notre volonté de soutien et de développement de notre industrie de défense. Plutôt que de parler d’« économie de guerre », qui nous semble un concept à préciser, nous devons redéfinir une stratégie et nous en donner les moyens. De la recherche-développement à la formation des personnels, les chantiers sont colossaux.
Monsieur le ministre, c’est en responsabilité et en soutien à nos armées que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera ce projet de budget pour 2023.
C’est également en partenaire exigeant pour la France, et réaliste face au monde de demain, que notre groupe portera une vision ambitieuse pour la prochaine loi de programmation militaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Jean-Claude Requier, André Gattolin et Olivier Cigolotti applaudissent également.)