Mme le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, non seulement la crise du logement perdure, mais elle s’amplifie.
Le logement coûte trop cher et plombe de plus en plus le pouvoir d’achat de nos concitoyens. La construction de logements, et particulièrement celle de logements sociaux ou abordables, s’effondre.
Le nombre de logements indignes ne diminue pas, et du fait du vieillissement du parc, ils sont même de plus en plus nombreux et dangereux. La résorption des passoires thermiques n’a pas trouvé un rythme de croisière permettant d’atteindre les objectifs fixés par la loi de 2019 relative à l’énergie et au climat !
D’une certaine façon, monsieur le ministre, vous le reconnaissiez il y a quelques jours, en indiquant : « On doit tous se mobiliser pour que le logement ne devienne pas la bombe sociale de demain. »
Ce budget répond-il à cette injonction ? Hélas, la réponse est non ! Aucun réel progrès n’y est inscrit pour enrayer cette crise ; pis, certains reculs y sont consacrés.
D’abord, ce budget ne contient aucune décision qui réparerait les graves erreurs du précédent quinquennat, qu’il s’agisse des APL, du prélèvement sur les bailleurs HLM avec la RLS, du niveau de la TVA pour le logement social… Rien pour réguler les dérives de prix, en particulier ceux du foncier, qu’il serait grand temps d’encadrer pour stopper cette spirale haussière qui renchérit indûment la production de nouveaux logements, et accentue la ségrégation sociale et spatiale. Il est pourtant urgent de s’attaquer à la rente foncière.
Ce budget ne répond pas à l’urgence sociale et ne prend pas en compte l’impact redoutable de l’inflation et de la hausse des prix de l’énergie.
Le Gouvernement n’a pas retenu la proposition de gel des loyers que défend notre groupe, et a fixé à 3,5 % la hausse de l’indice de référence des loyers (IRL), soit un niveau supérieur à la hausse moyenne des salaires cette année. De fait, cette décision pénalisera un grand nombre de foyers, en diminuant leur pouvoir d’achat.
Les APL ne devraient augmenter que de 3,5 %, ce qui ne compense pas la hausse effective de la quittance, laquelle comprend non seulement les loyers, mais aussi les charges locatives, en particulier le chauffage. Or ces dernières augmentent très fortement et le bouclier énergétique ne couvre pas l’entièreté de ces hausses. De plus, de nombreux locataires HLM n’en bénéficient toujours pas.
Nous regrettons que le forfait charges des APL, qui n’avait pas été revalorisé depuis douze ans, ne soit pas fortement augmenté cette année, alors que tout pourtant le justifie. La hausse de 2 euros, décidée en juillet dernier, ne suffit évidemment pas.
Vous auriez pu, à cet effet, utiliser les crédits d’un montant de 1,5 milliard d’euros économisés par l’État sur le dos de populations modestes, avec la mise en place de la contemporanéité des APL sans en revaloriser le niveau.
Refus de taxer les superprofits, mais ponction sur les APL et les bailleurs sociaux : oui, monsieur le ministre, c’est bien le terreau d’une bombe sociale !
La hausse du taux du livret A s’ajoute au maintien de la RLS, dont nous demandons l’abrogation, ces deux mesures obérant de façon inquiétante les capacités des organismes HLM de construire, de rénover et d’entretenir leur parc.
Ce budget consacre le total désengagement de l’État dans l’aide à la pierre pour le logement social, qui en a pourtant fortement besoin pour produire plus et pour fixer des loyers moins chers, mieux adaptés aux ressources des familles.
Le Fnap n’est plus abondé par l’État depuis plusieurs années, mais seulement par les bailleurs sociaux et Action Logement. S’il est maintenu cette année au même niveau que précédemment, ce qui déjà est très insuffisant et ne suit pas l’importante hausse des coûts des travaux, c’est au prix d’un prélèvement de 300 millions d’euros sur Action Logement.
Le Sénat a bien voté un amendement contestant ce prélèvement, mais il a en même temps très clairement signifié que cela devait être compensé par l’État et qu’il ne saurait y avoir en conséquence une baisse de la dotation du Fnap. Le maintien de cette dotation doit être garanti. C’est pour notre groupe – et, je le crois, pour notre assemblée – une priorité absolue.
Le Fnap est le seul outil qui assure vraiment l’égalité d’accès aux subventions pour tous les organismes HLM, quel que soit leur statut.
L’accession sociale à la propriété semble avoir disparu des radars du Gouvernement. C’est pourtant tout à la fois une aspiration de nos concitoyens et un atout pour le parcours résidentiel et, dans bien des cas, pour la mixité sociale.
Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. L’absence d’engagement sur le PTZ au-delà de 2023 va bloquer le lancement des nouveaux projets, ce qui n’est pas acceptable. J’espère d’ailleurs, monsieur le ministre, que vous accepterez l’amendement que le Sénat a adopté sur ce point.
Les hausses de taux et les restrictions de l’accès au crédit qui pénalisent les catégories populaires et moyennes rendent nécessaire l’institution d’une prime d’accession sociale pour y remédier. Mais, pour l’heure, rien n’est prévu !
Dans ces conditions, le groupe CRCE ne votera pas ce budget. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au-delà du seul exercice comptable et budgétaire, la mission dont nous discutons aujourd’hui – mais c’est aussi valable, plus largement, pour le projet de loi de finances (PLF) – doit nous amener à réfléchir au modèle de société que nous souhaitons soutenir pour les générations futures et pour notre pays.
Cette discussion intervient dans un contexte que nous savons perturbé, au lendemain d’une crise sanitaire. Nos concitoyens doivent désormais faire face à des difficultés liées à l’inflation, à la crise énergétique et aux nombreuses incertitudes qui en découlent.
À ces crises vient s’ajouter celle du logement. Nous le savons, nous devons relever de nombreux défis : rendre plus sobres nos logements pour atteindre la neutralité carbone ; continuer de construire pour soulager les zones tendues et faire face à la demande sur tout le territoire ; et favoriser le parcours résidentiel, source d’épanouissement familial et personnel pour nos concitoyens.
C’est pourquoi nous entendons, monsieur le ministre, rappeler aujourd’hui, au sein de cet hémicycle, que le logement est un bien de première nécessité, et non pas une variable d’ajustement des politiques publiques de l’État.
À ce titre, nous soutenons les mesures prises en faveur de l’hébergement des personnes vulnérables. Nous saluons la revalorisation des métiers du secteur accueil-hébergement-insertion, qui représentera 148 millions d’euros de plus en 2023, ainsi que les nouveaux développements du plan Logement d’abord destiné aux plus fragiles – les crédits supplémentaires s’élèvent à 44 millions d’euros.
Notre pays doit rester fidèle au principe d’accueil inconditionnel : le Gouvernement a d’ailleurs accepté d’amender le budget initial de 40 millions d’euros pour maintenir les 195 000 places d’hébergement, renonçant ainsi à en baisser le nombre.
L’État doit créer les conditions et mettre les moyens nécessaires pour s’assurer que cet accueil inconditionnel est effectivement mis en œuvre, mais il doit l’être de manière maîtrisée et il ne doit pas être dévoyé.
Le volume de places, qui a augmenté pendant la crise du covid-19, doit être maintenu : il constitue désormais un plateau que l’on ne peut restreindre. Nous resterons vigilants sur ce point.
Sur le plan budgétaire, des efforts importants sont également réalisés pour la rénovation énergétique des bâtiments et des logements. En effet, l’Anah voit son budget s’accroître de 900 millions d’euros via le programme 174 et de 219 millions grâce à l’affectation de recettes de quotas carbone.
Dans un contexte où la France se fait rappeler à l’ordre pour son retard en matière de rénovation énergétique des logements, l’Anah doit renforcer son intervention. Rappelons que, entre 2019 et 2021, toutes aides confondues, les décaissements du réseau ont été multipliés par trois et le nombre de logements aidés par cinq.
Concernant MaPrimeRénov’, le compte n’y est pas totalement, malgré des moyens importants : elle a été attribuée à 644 000 logements en 2021 pour un montant moyen de 3 200 euros. MaPrimeRénov’ Sérénité a permis, cette même année, la rénovation de 41 000 logements, dont plus de 23 000 ont bénéficié d’une bonification pour sortie de passoire thermique. MaPrimeRénov’ Copropriétés fait son chemin, avec 12 000 logements concernés en 2021.
J’en viens à un point sur lequel je souhaite attirer votre attention, monsieur le ministre. Si les efforts sont importants s’agissant du dispositif MaPrimeRénov’, il manque malgré tout une réflexion sur ce que devrait être notre ambition : la massification de la rénovation des logements. D’autant que le crédit d’impôt a été supprimé pour les classes moyennes, qui sont aujourd’hui en difficulté.
Les enveloppes déléguées aux préfets de région sont insuffisantes dans certaines régions. Ainsi, dans la mienne, il manque 40 millions d’euros. Nous subissons donc des retards dans l’instruction des dossiers.
Il nous faut aussi intensifier les politiques de sobriété énergétique. Les objectifs à atteindre font face à de nombreuses injonctions contradictoires qui sont imposées aux acteurs du logement.
De l’interdiction progressive de louer des passoires thermiques, votée dans la loi Climat et résilience, au ZAN et sa déclinaison dans nos territoires – j’associe à cette réflexion mon collègue Jean-Baptiste Blanc –, la transition énergétique dans notre pays est trop souvent synonyme d’une vision décliniste du logement.
À la lecture de ce budget, nous avons l’impression qu’il faudrait que nous construisions moins pour loger plus, comme l’a rappelé notre rapporteur pour avis Dominique Estrosi Sassone : l’équation est manifestement insoluble.
Le secteur de la construction de logements neufs est en grande souffrance. Or on ne peut prétendre vouloir protéger les générations futures, si on ne leur laisse pas de place pour se construire un foyer. Il ne s’agit pas là de faire le procès de la transition écologique ; bien au contraire, elle est indispensable, car elle permettra de conforter la situation des ménages grâce à une maîtrise de leurs charges. Je continuerai à défendre la nécessité d’agir à ce sujet, mais il faut être attentif à la mise en œuvre des politiques que nous mettons en place. Il faut marcher sur deux jambes : la rénovation et la construction.
La mission conjointe de contrôle relative à la mise en application du ZAN, que j’ai l’honneur de présider et dont le rapporteur est Jean-Baptiste Blanc, sera force de propositions en la matière : il sera nécessaire de corriger nos ambitions pour que le ZAN et l’acte de construire puissent converger.
Le conflit entre les objectifs de ces politiques publiques majeures est aujourd’hui manifeste. Les choix politiques opérés, qui auraient dû – et pu ! – s’inscrire dans une logique de développement durable, semblent avoir fait l’impasse sur l’aspect économique et social au profit du seul aspect environnemental, alors qu’il aurait fallu les conjuguer.
En 2023, les crédits consacrés au financement des APL augmentent de 292 millions d’euros. C’est la traduction des décisions votées cet été dans le cadre du projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, qui prévoit d’accroître de 3,5 % les paramètres de calcul des APL en raison de l’inflation.
Nous pourrions nous en féliciter, s’il ne s’agissait pas en fait d’une simple mesure de réaction qui nous rappelle avant tout le contexte dans lequel elle s’inscrit : une crise du logement.
Cette dernière n’épargne pas le monde du logement social, dont les difficultés sont déjà malheureusement bien connues.
Les bailleurs sociaux, fragilisés depuis 2018 par la RLS, voient leurs difficultés s’accroître, notamment en ce qui concerne le manque d’autofinancement. Ils ne disposent plus des mêmes moyens pour financer les nouveaux programmes de construction et la rénovation thermique des logements, et donc pour « dérisquer » leurs locataires. Ils multiplient les alertes sur la hausse des coûts de production et des taux d’intérêt et sur l’impératif toujours plus prégnant de rénovation et de construction.
Nous devons être davantage attentifs à ces signaux. L’État doit être offensif, reprendre toute sa place et financer les politiques du logement plutôt que d’aller chercher les moyens chez les acteurs, qui sont des partenaires, mais qui ne doivent pas être des financeurs.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Très bien !
Mme Valérie Létard. Dans ce contexte particulier, où, comme je viens de le dire, le secteur du logement manque de visibilité, il convient de souligner la pression exercée par le Gouvernement sur Action Logement – les orateurs précédents l’ont tous déjà rappelé, mais ce point est particulièrement important et ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre, monsieur le ministre.
Aujourd’hui, 2,2 millions de foyers sont en attente de logements sociaux. On nous explique qu’il ne faut plus construire, car le nombre de demandes diminue. Certes, mais 2,2 millions de familles attendent encore un logement ! On peut donc attendre fort longtemps avant que cette diminution se ressente sur le terrain. Et il ne faut pas oublier les décohabitations, qui ne sont aujourd’hui pas possibles sur certains territoires.
On nous avance aussi l’argument qu’il y a des logements vacants, mais sont-ils là où on a besoin de logements ? Je n’en suis pas certaine !
Mes chers collègues, Action Logement a besoin d’être soutenu pour être au rendez-vous de la décarbonation. C’est pour cette raison que j’ai déposé un amendement à l’article 16 de ce PLF, amendement qui a été adopté par le Sénat.
Mme le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Valérie Létard. Monsieur le ministre, il faut, sans attendre le PLF de l’année prochaine, envisager un véritable plan de décarbonation, avec un réel engagement de l’État, à la fois comme acteur et financeur d’une politique du logement à la hauteur des besoins de notre pays. Le monde du logement représente 30 % de la politique de décarbonation. (M. Alain Duffourg applaudit.)
Mme le président. Ma chère collègue, votre temps de parole était de huit, et non pas de neuf, minutes…
La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette mission touche à la question essentielle des moyens nécessaires à la mise en œuvre de la politique d’aménagement et de cohésion du territoire.
Je veux dire en préalable que l’éclatement des crédits qui concourent à cet objectif ne facilite pas une analyse globale des moyens de cette politique, pas plus que celle d’une éventuelle stratégie.
Le fléchage des crédits – je pense notamment au plan de relance qui est géré par le ministère de l’économie – complique l’analyse en raison d’un manque de lisibilité.
Concernant le programme 112, « Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire », on pourrait saluer une hausse des crédits, mais celle-ci n’est que de façade. Car si l’on considère les crédits pour 2022 et ceux qui étaient inscrits dans la mission « Plan de relance » et dont la gestion a été transférée à ce programme, nous assistons à une baisse tant en autorisations d’engagement qu’en crédits de paiement.
Le programme 112 doit permettre la mise en œuvre des CPER et des CPIER pour 2021-2027 sur leur volet territorial.
Je veux rappeler ici l’importance de ces contrats, qui doivent s’inscrire dans une logique ascendante de partenariat et de dialogue entre les collectivités locales et l’État, et dans une logique de décentralisation ; ils doivent traduire une stratégie globale d’aménagement et non une addition de projets.
Ainsi, 28 milliards d’euros de crédits de l’État ont été contractualisés dans les CPER et CPIER pour la septième génération de contrats, dont un peu moins d’un milliard pour le volet territorial.
Un mot sur les craintes que nous pouvons avoir quant à l’impact du contexte actuel sur les dépenses d’investissement des collectivités locales.
Les magistrats financiers ont récemment indiqué que la situation à la fin de l’année ne serait « certainement pas meilleure qu’en 2021 ». Or, depuis quelques semaines ou mois, les collectivités naviguent à vue.
Songez, mes chers collègues, qu’au début du mois d’octobre, Bercy estimait, dans une note confidentielle rendue publique depuis, que l’année 2022 s’achèverait « sans difficulté » pour les collectivités, et les services du ministère envisageaient même « des perspectives favorables pour 2023 » permettant de faire face à l’inflation.
Trois semaines plus tard, la Cour des comptes était loin d’être aussi affirmative et restait plutôt prudente devant les incertitudes liées à la conjoncture économique. Dans son dernier rapport, la juridiction de la rue Cambon fait même état d’une dégradation rapide de la situation en raison de l’inflation, du coût des biens et des services, de la difficulté de mettre en œuvre des projets d’investissement et de la multiplication des appels d’offres infructueux.
Ces contraintes s’ajoutent aux inéluctables nouvelles dépenses, auxquelles sont confrontées les collectivités locales, comme la hausse du point d’indice, la revalorisation de la catégorie C de la fonction publique et l’exigence de rénovation énergétique.
On le mesure clairement sur le terrain, ce contexte complique fortement le lancement d’opérations d’investissement par les collectivités locales.
J’en viens à l’ANCT et aux ZRR.
Les crédits inscrits dans le présent projet de budget pour l’ANCT sont stables. Mais, comme l’a indiqué le rapporteur spécial Bernard Delcros, l’Agence a des difficultés à financer ses dépenses de fonctionnement comme les missions qui lui sont confiées au fil de l’eau par l’État, et à intervenir à la demande de ses partenaires.
Notre rapporteur spécial note au passage le manque de coopération des différents opérateurs partenaires que sont le Cerema, l’Anru, l’Anah, l’Ademe et la Caisse des dépôts et consignations (CDC), avec lesquels sont conclues des conventions.
La révision programmée de ces conventions, qui arrivent à terme, devrait être l’occasion de rechercher une meilleure cohérence.
Comme nous l’avions craint lors de la discussion sur la création de l’ANCT, cet établissement public manque d’une stratégie globale, construite avec les opérateurs, et il souffre d’une absence de visibilité. Nombreux sont les élus qui ignorent encore son existence et le contenu de ses missions.
Autre sujet, le réseau des maisons France Services est aujourd’hui en phase de stabilisation. Les objectifs initiaux ont été relativement atteints, notamment en termes de maillage territorial. Je note que, lorsque la logique ascendante est respectée, le résultat est plutôt satisfaisant.
Globalement, les 2 600 structures labellisées, dont les deux tiers sur l’initiative des collectivités locales, constituent une réelle offre de services de proximité. Il faut y ajouter les 127 bus France Services déployés à ce jour, qui doivent traduire la volonté de l’État d’aller au-devant des administrés dans les endroits les plus éloignés des services et vers ceux qui n’ont pas basculé vers le digital, trop souvent présenté comme la panacée et une avancée allant de soi.
Nous pourrions nous inspirer du rapport de notre collègue Bernard Delcros sur le financement du réseau France Services, que nous aurons certainement l’occasion d’évoquer.
Je terminerai en évoquant la nécessité d’une remise à plat des zonages de soutien à l’attractivité et au développement rural. Il faut dynamiser le dispositif des ZRR.
Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons lors du vote sur les crédits de cette mission.
Mme le président. La parole est à Mme Martine Filleul. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
Mme Martine Filleul. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure de l’urgence du changement climatique et des lourdes contraintes qui pèsent sur les finances des collectivités, nous nous interrogeons sur la vision du Gouvernement en matière de politique d’aménagement.
En effet, la politique des territoires est à reconstruire pour fonder les bases de nouvelles solidarités territoriales, mettre en place des financements pérennes et mieux associer les élus et populations dans les choix politiques et structurants qui engagent l’avenir de leur territoire.
Les collectivités territoriales ont un rôle majeur à jouer pour répondre à ces enjeux, en particulier ceux de la transition énergétique, et pour offrir des opportunités et perspectives nouvelles aux citoyens : chacun doit pouvoir s’y retrouver. Pour cela, elles ont besoin d’une plus grande autonomie d’action, en vue de mettre en place des stratégies territoriales, de déployer des actions d’animation des acteurs de leur territoire, d’organiser le débat avec les habitants.
Or le chemin qui est pris n’est pas le bon : entre les injonctions contradictoires, le passage en force, la pression sur les finances locales, les collectivités perdent leurs moyens et, de ce fait, leur pouvoir d’agir. Je prendrai l’exemple éloquent du ZAN. En l’état, c’est un objectif contraignant, non concerté, sans outil pour le mettre en œuvre, laissant les collectivités démunies et suscitant l’incompréhension des populations.
Les moyens de l’ANCT dédiés au soutien et à l’accompagnement des collectivités territoriales en matière d’ingénierie n’ont pas évolué depuis sa création. L’indicateur du programme relatif au soutien des collectivités en demande d’ingénierie fait apparaître une cible de 500 projets en 2023, accompagnés en propre et sur mesure par des services ou programmes de l’ANCT, et 250 projets impliquant un prestataire issu du contrat-cadre d’ingénierie.
Ce nombre paraît vraiment bien faible en regard des 25 000 communes de moins de 1 000 habitants potentiellement concernées. Le constat est le même pour les programmes Action cœur de ville ou Petites Villes de demain.
Par ailleurs, les services publics, axe structurant de l’aménagement du territoire, se doivent de répondre à la forte demande des habitants des territoires ruraux, mais aussi de certains territoires urbains. Or leur accessibilité est percutée de plein fouet par le mouvement de dématérialisation, puisque 14 millions de Français sont touchés par l’illectronisme et qu’un Français sur deux n’est pas à l’aise avec le numérique, sans compter ceux qui n’ont pas accès à internet ou au matériel adéquat.
Au début de cette année, la Défenseure des droits dénonçait cette fracture numérique et recommandait de maintenir une alternative humaine au tout numérique. La dématérialisation accélérée des services publics alimente le malaise démocratique et le sentiment d’abandon. Les espaces France Services sont encore bien loin de répondre à cette attente.
Décidément, la politique d’aménagement proposée n’est pas à la hauteur de cette période, dont les enjeux tiennent autant à la transition écologique qu’à la justice territoriale. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Anglars. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de la mission « Cohésion des territoires » et de ses différents programmes comporte des insuffisances certaines, comme l’ont déjà souligné les rapporteurs dont je salue le travail.
Je ne suis pas loin de partager le constat sévère des associations d’élus concernant ce budget, qui révèle un manque de cohérence et de vision de la part du Gouvernement concernant la politique des territoires.
Cela a été rappelé, le point le plus symptomatique de cette situation est certainement le budget de l’ANCT, qui est très largement insuffisant au regard de ses missions. L’Agence devrait être un acteur essentiel de la décentralisation avec des solutions « sur mesure » – du cousu main ! – adaptées à la diversité des territoires, mais ses moyens de fonctionnement sont limités.
En effet, ce budget ne semble prendre en compte ni l’augmentation du nombre des programmes pilotés par l’ANCT, parmi lesquels Action cœur de ville, Territoires d’industrie et Petites Villes de demain, ni la montée en puissance de ces programmes.
Ce budget ne comble pas non plus le déficit de personnel de l’Agence, qui devient donc structurel.
Le développement de l’ANCT souffre de cette situation.
Comment justifier que les moyens alloués au programme France Services, qui servent à combler la disparition des services publics dans de trop nombreux territoires, soient largement inférieurs à ce que préconise l’inspection générale de l’administration dans son rapport de juin 2021 ? Est-ce, encore une fois, aux collectivités de compenser les carences de l’État ?
Il n’en reste pas moins que, selon moi, la première maison France Services est la mairie !
Plus largement, ce budget a de quoi renforcer l’inquiétude des élus des territoires ruraux, qui nous font part de leurs incompréhensions relatives à la mise en œuvre de politiques publiques bien souvent menées sans eux.
Je pense ici à ce qui a été fait par le passé, que ce soit la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam), la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) ou le reversement de la taxe d’aménagement, et maintenant à l’application du ZAN.
Je partage d’ailleurs le réquisitoire que nous a livré Stéphane Sautarel sur les zones rurales, les zones de montagne et l’agriculture ; et je veux dire que nous avons toute confiance en Jean-Baptiste Blanc, qui doit rendre son rapport sur ce sujet dans quelques jours.
Je pense aussi aux dotations d’investissement classiques – dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) et dotation de soutien à l’investissement local (DSIL).
Indépendamment du niveau d’ouverture de crédits, dont je note qu’ils n’augmentent pas malgré l’inflation, je rappelle au Gouvernement que les collectivités n’ont pas besoin d’injonctions particulières – écologiques en 2023 – pour présenter des projets vertueux adaptés à leur territoire. Le Gouvernement et l’État doivent faire confiance aux élus locaux.
L’inquiétude est réelle. Elle résulte certainement d’une forme d’incompréhension entre les élus locaux et le Gouvernement, comme l’a encore montré l’absence de discours du Président de la République à la tribune de l’Association des maires de France, lors de son congrès la semaine dernière.
Ce budget ne permet pas non plus de dissiper les inquiétudes sur les ZRR, un dispositif dont nous souhaitons le maintien et qui a montré son efficacité ; le Sénat devra être associé à son éventuelle réforme.
Il ne donne pas plus de visibilité sur la poursuite de l’agenda rural, même si nous prenons acte du travail qui a été engagé, comme l’a rappelé Bernard Delcros. Ce budget traduit une période de flottement pour la ruralité, alors qu’il aurait pu révéler, enfin, la vision du Gouvernement, à court ou à long terme.
La cohésion des territoires nécessite une prise en compte des spécificités pour forger une armature territoriale de proximité, fondée sur la commune, avec des élus qui peuvent réellement exercer des compétences.
Enfin, mes doutes concernant ce budget sont renforcés par le contexte économique actuel.