Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Joël Guerriau. Monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, tous nos élus, dont la mission est de servir le citoyen et d’agir pour la République, méritent d’être mieux soutenus en cas d’agression grâce à l’engagement d’une procédure pénale, afin que justice leur soit rendue. Tel est l’objectif de cette proposition de loi.
C’est pourquoi le groupe Les Indépendants – République et Territoires la votera à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Lana Tetuanui applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, il n’aura échappé à personne que notre société se polarise, que les tensions se sont exacerbées et que les élus font fréquemment l’objet d’une colère souvent mal placée et de violences toujours injustifiées.
Selon les chiffres du ministère de l’intérieur publiés en janvier 2021, les violences physiques contre les élus ont augmenté de 47 % sur les onze premiers mois de 2021 : quelque 1 180 élus sont concernés, dont 162 parlementaires et 605 maires ou adjoints. Si les maires restent les élus préférés de nos concitoyens, ancrés dans la réalité et la connaissance de leurs territoires, ils sont comme le veut, hélas, trop souvent le dicton, « à portée de baffes »…
Encore une fois, ni la frustration de l’incompréhension de décisions personnelles ni la fatigue parfois devant la complexité et la lenteur de certaines administrations ne sauraient justifier une quelconque violence à l’égard des élus de notre pays. Plus de 300 plaintes pour « menaces de mort » ont été déposées et plusieurs sources rapportent une hausse de ces violences. Ces élus, qui continuent, malgré les difficultés – c’est une litote –, à se mettre au service des autres méritent une protection.
Certes, de récents textes ont déjà accru cette protection. La présente proposition de loi s’inscrit dans cette démarche, et c’est heureux. Mais permettez-moi quelques remarques. Ce n’est pas le premier texte qui m’interroge sur la volonté d’ultraspécialisation selon les victimes. C’est peut-être naïf de ma part, mais il est important de le répéter : l’égalité devant la loi et la perception de l’égalité devant la loi sont le fondement de notre société démocratique.
Je ne reviens pas sur le besoin de condamner les agressions de manière spécifique pour les représentants des citoyens, les représentants de l’État, les personnes chargées d’une mission de service public, mais j’aurais du mal à justifier auprès de nos concitoyens et même de nos électeurs que l’agression de la famille d’un élu doive recevoir une sanction plus sévère que celle de toute autre famille.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Ils sont plus exposés !
M. Guy Benarroche. Je ne vous ferai même pas l’offense de souligner l’impraticabilité de cette notion de « famille », dont la définition légale pourrait poser des problèmes, par exemple en termes d’égalité, entre les édiles mariés, en concubinage non déclaré, avec des enfants, enfants de conjoints, etc.
L’amendement déposé par Mme le rapporteur de la commission des lois ne tend pas à arranger les choses en ajoutant la notion de « personne vivant habituellement à son domicile ». Pardonnez cet exemple trivial, mais seraient alors concernés la nounou de la concubine du neveu hébergé ou le jardinier à demeure de la belle-mère du concubin de sa fille ! (Sourires.)
Mme Nathalie Goulet. Ce n’est pas fréquent !
M. Guy Benarroche. Nous comprenons et entendons le sentiment de lassitude des élus agressés, qui demandent plus de sévérité, mais la solution ne se trouve pas forcément dans l’aggravation des délits sanctionnés de manière plus importante ou dans l’extension d’une « plus grande protection » aux personnes relevant de la sphère privée des élus.
L’insuffisance des moyens humains et matériels de la justice, responsable souvent de sa lenteur, reste structurelle et profonde. Elle appelle un accroissement substantiel des budgets : il s’agit d’augmenter le nombre de magistrats et de greffiers pour pallier ces dysfonctionnements.
Pour autant, nous accueillons favorablement l’idée d’élargir la protection à l’ensemble des élus. Il est aussi essentiel de mieux accompagner les élus, et nous partageons la pertinence de la constitution comme partie civile des associations d’élus. Leur intérêt à agir est déjà reconnu au niveau de leurs filiales locales ; il apparaît opportun d’élargir cette action aux associations nationales.
Nous défendrons deux amendements, l’un afin de mieux prendre en compte les outrages sexistes, l’autre pour élargir la possibilité de se constituer partie civile au-delà des grandes associations nationales comme l’Association des maires de France. Ce dernier désir semble partagé sur plusieurs travées, puisque de nombreux amendements ont été déposés en ce sens.
L’idée d’un monopole de l’accompagnement ou de l’intérêt à agir nous paraît problématique, sans déjuger la qualité de l’AMF.
Voilà, mes chers collègues, notre sentiment profond et nos inquiétudes réelles sur un sujet essentiel, mais dont tout débordement s’apparentant à une volonté de justice corporatiste serait nuisible et contre-productive dans l’ambition d’une meilleure protection des élus. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Guylène Pantel et M. Henri Cabanel applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, en septembre 2021, l’hôtel de ville de Koungou dans mon département a été la cible d’un incendie volontaire après des manifestations contre la destruction d’un bidonville.
Un mois plus tard, les véhicules du maire d’Ouangani, de sa femme et d’un autre élu de la municipalité ont connu le même sort. Plus récemment, le maire de Bandrélé a fait l’objet de plusieurs menaces de mort.
D’après les chiffres du ministère de l’intérieur publiés en janvier 2022, plus de 1 100 élus, majoritairement des maires ou leurs adjoints, ont subi des agressions, et 400 outrages ont été recensés.
Lors du congrès de l’AMF de novembre 2021, le Président de la République rappelait la nécessité d’être « intraitable face au retour et à l’augmentation de la violence » envers les élus et particulièrement les maires, dépositaires de l’autorité publique. Le chef de l’État avait estimé que « la sanction devait être décisive par devoir envers nos élus ».
La proposition de loi de notre collègue Nathalie Delattre, que nous examinons aujourd’hui, s’inscrit dans cet état d’esprit, en apportant une réponse à une demande de l’AMF de se porter partie civile lors d’agressions d’élus. Initialement composée d’un article unique, elle a été enrichie lors de son examen par notre commission des lois.
Ainsi, les principales associations nationales d’élus – AMF, AMRF, ADF et Régions de France – pourront se constituer partie civile pour accompagner, au pénal, tout édile de l’Hexagone et des outre-mer qui aurait donné préalablement son accord, notamment en cas de dégradation d’un de ses biens, d’agression, d’acte d’intimidation, de harcèlement et de violation de domicile. Ses proches pourront également en bénéficier.
Je me permets de saluer la rédaction de compromis qui a été trouvée sur l’article 1er entre notre rapporteur et le Gouvernement.
En outre, la divulgation d’informations dans le but de nuire à une personne, adoptée dans le cadre de la loi confortant le respect des principes de la République, constituera une infraction.
Les assemblées parlementaires, les collectivités territoriales et le Parlement européen auront la possibilité de se porter partie civile en cas d’agression de l’un de leurs membres ou de ses proches.
Enfin, grâce au travail réalisé par notre rapporteur, ce texte s’appliquera en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna.
Le présent texte viendra étoffer les actions d’ores et déjà menées par le Gouvernement, notamment par le ministère de la justice, avec la direction des affaires criminelles et des grâces, ainsi que par le ministère chargé des collectivités territoriales.
Je pense à la circulaire du 7 septembre 2020 adressée aux parquets mettant en œuvre une politique pénale ferme, ou encore à celle du 15 décembre 2020 relative à la mise en œuvre de la justice de proximité pénale, pour une justice plus proche des partenaires locaux.
Je pense également à l’article 104 de la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, qui est venu renforcer la protection juridique et la formation des élus locaux face aux violences et aux incivilités.
Enfin, je salue l’initiative du Sénat de mettre en place une formation organisée par la direction générale de la police nationale (DGPN) sur la sensibilisation des sénateurs à la gestion des comportements agressifs et à la désescalade des conflits. En tant que vigies des territoires, nous pourrons, grâce à cela, accompagner et aider nos élus face aux agressions.
Les élus de la République doivent être protégés dans l’exercice de leurs fonctions et dans leur vie privée. Nous devons les accompagner et renforcer la réponse pénale.
C’est pourquoi le groupe RDPI votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – Mme Lana Tetuanui applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi a pour objectif de soutenir les élus dans les démarches judiciaires qu’ils peuvent engager à la suite de violences commises contre eux. Elle permettra aux associations d’élus de les accompagner dans ces démarches au pénal.
On ne peut que saluer cette initiative portée par notre collègue Nathalie Delattre, car les élus sont très régulièrement la cible d’attaques, dont la violence s’intensifie d’année en d’année.
Je pense ici particulièrement aux maires, qui semblent être au centre de nombreuses revendications de nos concitoyens et qui représentent la grande majorité des victimes. Je ne puis que citer à mon tour la terrible attaque commise contre le maire de Signes, mortellement renversé par un véhicule, qui nous a tous marqués.
La violence dont les élus municipaux font l’objet peut s’expliquer par leur rôle de premier plan dans la vie des Français : ils exercent des responsabilités et prennent des décisions pas toujours populaires, qui affectent directement le quotidien de leurs administrés, et leur visibilité les rend facilement identifiables. Comme l’un de mes collègues l’a souligné à juste titre, ils sont « à portée de baffes ».
Dès lors, ils cristallisent les critiques, les revendications et peuvent faire l’objet, dans les cas les plus graves, d’agressions. Ces actes, nous devons les condamner, tous sans exception, car la violence n’est jamais la solution. Pour cela, la justice doit être saisie, mais les élus ont besoin de soutien, de moyens et de ressources. Certaines associations d’élus possèdent ces ressources et peuvent apporter un accompagnement bienvenu en pareilles circonstances.
La rédaction initiale de cette proposition de loi prévoyait que seules l’AMF, l’ADF et Régions de France pouvaient se constituer partie civile. Je reconnais évidemment le travail de ces trois grandes associations, mais il me semble que chaque élu doit pouvoir se faire représenter par l’association qu’il juge la plus adaptée pour défendre ses intérêts. J’ai donc déposé un amendement en commission pour élargir le champ des associations concernées à toutes celles qui le prévoient et qui sont régulièrement enregistrées, mais il a été rejeté.
Peut-être ai-je eu raison trop tôt ? Une semaine plus tard, le Gouvernement semble avoir entendu mon appel et a souhaité que Mme le rapporteur dépose un amendement dont les dispositions vont dans le même sens que le mien. Nous en discuterons tout à l’heure, mais je m’en réjouis !
Le champ des infractions visées doit être le plus large possible, car nos élus sont la cible d’attaques physiques contre leurs biens ou à leur encontre directe, mais aussi d’attaques verbales. Un amendement a été intégré en ce sens dans la proposition de loi, ce que je salue.
Mes chers collègues, un point d’actualité nous a tous marqués, voire choqués, me semble-t-il. L’exemple de Louis Boyard, député de La France insoumise insulté par Cyril Hanouna, est le dernier en date, mais il est ô combien révélateur de la « vulgarisation » de notre audiovisuel. (Murmures sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
Mme Nathalie Delattre. Il ne faut pas aller dans ces émissions !
M. Patrick Kanner. L’escalade d’absurdités et de violence à laquelle nous avons assisté lors de cette séquence n’a existé que pour répondre à cette soif de la petite phrase qui fait le buzz, ce qui n’est digne ni de la classe politique ni de la classe journalistique.
Mme Françoise Gatel. Quand on cherche, on trouve !
M. Patrick Kanner. Je ne puis que regretter que tout soit érigé en polémique pour que l’on en parle. À ce petit jeu, auquel les politiques ne devraient pas se prêter,…
Mme Françoise Gatel. Exactement !
M. Patrick Kanner. … les gagnants sont toujours les mêmes : ce sont les extrêmes.
Notre discussion du jour porte sur une proposition d’amélioration de l’accompagnement des élus lorsqu’ils décident d’engager des poursuites contre les auteurs de l’agression. On ne peut qu’y souscrire. D’ailleurs, le calendrier nous y invite : quelle belle occasion à une semaine du Congrès des maires !
Les élus locaux jouent un rôle essentiel dans notre pays, ils sont actuellement plus de 500 000 à exercer un mandat local, à nous représenter et à défendre l’intérêt général au travers de l’élaboration et de la mise en œuvre de politiques publiques, lorsqu’on leur en donne les moyens.
J’ouvre ici une parenthèse qui devrait faire consensus : les élus locaux, particulièrement les maires, se sentent actuellement fragilisés dans l’exercice de leur mandat, car on leur en demande toujours plus avec toujours moins de moyens. Ils sont inquiets de l’augmentation de leurs charges fixes du fait de l’inflation. Ils sont préoccupés par la suppression de certaines dotations.
Dans le cadre du projet de loi de finances, nous pourrons bientôt répondre à leurs légitimes inquiétudes. Il faut des recettes pour que les budgets d’investissement et de fonctionnement puissent exister, afin, notamment, de mettre en place les projets souhaités par nos concitoyens. Lorsque les élus ne peuvent agir, cela participe de la fragilisation de leur image. Je le dis au Gouvernement : il existe une grande inquiétude, qui s’exprimera à l’occasion du Congrès des maires de France.
Mes chers collègues, l’action des élus locaux irrigue l’ensemble de notre vie quotidienne. Elle doit être respectée. Sans élu, aucune organisation de notre société n’est possible. En cas de violence, il faut mettre à leur disposition toutes les ressources qui pourraient les aider dans la défense de leurs intérêts.
Vous l’aurez compris, mon groupe votera cette proposition de loi, enrichie par nos débats à venir. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée vise à permettre aux différentes associations nationales d’élus de se constituer partie civile pour accompagner, au pénal, tout édile qui aurait donné préalablement son accord.
Les élus, plus spécifiquement les élus locaux, sont les premiers contacts de nos concitoyens avec l’autorité publique.
Aujourd’hui, l’article 2-19 du code de procédure pénale n’autorise l’action des associations qu’en cas de faits commis contre l’élu « à raison de ses fonctions » particulières, et non de son mandat. La proposition de loi que nous examinons est sur ce point utile et égalitaire. En effet, grâce à son apport, les associations d’élus pourront accompagner tous les élus victimes de harcèlement ou d’agression, même ceux qui ne sont pas investis de fonctions particulières. C’est en cela qu’elle nous semble pertinente.
Néanmoins, nous ne pouvons l’ignorer, le climat politique, économique et social actuel est tendu. Notre société va mal ; de plus en plus d’hommes et de femmes sont inquiets et en colère contre les responsables politiques. Dans ce contexte, nous ne pouvons faire l’autruche. Un élu incarne des idées, des prises de position, des revendications. Nous sommes dans une démocratie, et il est tout à fait sain de ne pas faire l’unanimité.
Pour autant, cette nécessaire opposition dans le débat d’idées ne doit pas justifier une attaque personnelle, physique ou verbale. C’est bien parce qu’un mandat expose personnellement l’élu que cette proposition de loi est à notre sens objective.
Si la qualité d’élu est depuis longtemps une circonstance aggravante pour plusieurs infractions, il convient également de se soucier de l’accompagnement des élus victimes tout au long d’une procédure devant le juge pénal.
Cet accompagnement ne sera pas exorbitant du droit commun, nos concitoyens victimes pouvant également être soutenus dans leurs procédures pénales par des associations à but non lucratif. Il est donc adéquat, pour répondre à cette attente d’accompagnement, d’étendre le champ des associations susceptibles de se constituer partie civile.
Au-delà du soutien à l’élu lui-même, nous considérons qu’une telle action participe de la lutte en faveur d’un exercice serein des mandats locaux, donc au bon fonctionnement des assemblées locales. Un élu ne doit pas craindre pour sa personne dans l’exercice de son mandat. Le risque d’une agression ne doit pas être dissuasif dans l’expression de ses opinions politiques ; à défaut, l’existence même de la démocratie pourrait être compromise.
En droit pénal général, le fait qu’une personne chargée d’une mission de service public, à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, soit victime d’une infraction constitue une circonstance aggravante pour la majorité des infractions contre les personnes. Cette aggravation des peines permet une réponse pénale satisfaisante en cas d’agression.
Aujourd’hui, le propos est celui non pas de l’efficacité de la justice, mais de l’accompagnement de l’élu, qui, en tant que personne, peut être traumatisé à la suite d’une agression. Or aucun citoyen ne doit être isolé dans une procédure pénale qui pourrait le dépasser. L’enjeu sous-jacent est de garantir le droit des élus à la liberté d’expression.
L’exercice de nos mandats ne saurait être un motif de crainte. Le débat politique ne doit pas être vecteur de violence. L’art du débat doit être respecté en toute décence.
Permettre aux associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, un édile victime d’agression est utile à un exercice serein des mandats électoraux. Nous voterons donc en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et RDSE. – M. Bernard Buis applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Baptiste Blanc. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, mon propos sera redondant, mais, si cela va sans dire, cela va encore mieux en le martelant…
La proposition de loi de notre collègue Nathalie Delattre visant à permettre aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, un édile victime d’agression a donc été inscrite à notre ordre du jour, et c’est tout à fait heureux.
Au travers de cette inscription à l’ordre du jour, nous voulons tous ici redire notre mobilisation sur le sujet. En effet, en tant que représentants des élus locaux, nous sommes les témoins des violences que peuvent subir au quotidien les maires et les élus de nos territoires. Puisque les orateurs précédents ont fait état de leur liste, voici la mienne : dans les communes de Lapalud, Oppède, Caderousse, Vaugines, Castellet-en-Luberon et Sainte-Cécile-les-Vignes, des élus ont été récemment victimes d’agressions. Mais cette liste pourrait être plus longue si l’on y intégrait les affaires passées.
Aujourd’hui, les agressions sont d’une violence inouïe : injures, menaces de mort, agressions physiques. Elles sont de plus en plus fréquentes et touchent l’ensemble des communes, quelles que soient leur taille et celle du territoire où elles se trouvent. Il y a des agressions physiques, mais aussi – on n’y insistera jamais assez – celles que l’on subit sur les réseaux sociaux, où l’on se fait souvent agresser via de faux profils, lesquels viennent parfois de l’étranger. On peut véritablement parler de « cyberharcèlement des élus ».
Dans son rapport de 2019, Philippe Bas avait très bien mis en lumière cette situation. Les élus attendent donc que nous posions des actes forts et immédiats, surtout si nous souhaitons qu’il y ait encore des candidats lors des prochaines élections municipales…
Force est de constater que le dépôt de plainte à la suite d’une agression est loin d’être systématique, particulièrement dans les petites communes, ce qui traduit une véritable autocensure, le souci de ne pas envenimer les choses, la volonté de privilégier le dialogue et, de manière plus préoccupante, la peur de représailles ou le sentiment que le dépôt de plainte est trop rarement suivi d’effets.
Trop souvent encore, les maires et les élus se sentent seuls face à ces agressions. Ils préfèrent se taire et faire comme si cela n’était jamais arrivé, en espérant ainsi oublier le traumatisme.
Or nous sommes tous ici collectivement convaincus qu’il ne faut rien laisser passer et que le dépôt de plainte doit être systématique. Ces édiles, corvéables à merci dans leurs communes, méritent d’être davantage soutenus lors de l’engagement d’une procédure pénale, pour que justice leur soit rendue. Les associations d’élus, y compris celles des élus ruraux, semblent être les mieux placées pour leur apporter ce soutien.
Par conséquent, l’adoption de cette proposition de loi permettant aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile constituera un signe fort envoyé à tous les élus du territoire. Nous avançons, peu à peu.
Vous-même, monsieur le garde des sceaux, publiez des circulaires invitant notamment les parquets à mettre en œuvre une politique pénale ferme et diligente pour réprimer les actes commis à l’encontre des élus locaux, ainsi qu’un suivi judiciaire et un renforcement des procédures pénales. Il faudra aussi que les juges s’approprient et intériorisent tous ces textes et s’habituent à voir des élus dans les salles d’audience.
Je vous remercie, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, de prendre à bras-le-corps ce sujet. Nous serons à vos côtés pour défendre la République ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et RDPI. – M. Jérôme Durain applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, « à portée de baffe », tels sont les mots que répète souvent mon maire, Jean Leonetti, au sujet des élus. Si j’ai souhaité intervenir sur ce sujet, comme vous tous ici présents, c’est pour dire tout haut ce que certains avouent tout bas !
En cette année 2022, ce sont 956 élus qui ont été pris pour cible en France entre le 1er janvier et le 9 mai, soit en moins de six mois. Combien seront-ils à la fin de l’année ?
Ces chiffres sont en nette augmentation, puisqu’ils sont déjà aussi élevés que ceux de 2021, année où l’on enregistrait déjà une hausse de 40 % des violences envers les élus par rapport à 2020. À cette époque – faut-il le rappeler ? –, nos collectivités territoriales et nos élus locaux étaient plus que jamais mobilisés pour la gestion de la crise sanitaire. Pourtant, paradoxalement, pas moins de 80 % des victimes sont des élus municipaux. Ce pourcentage invite à la réflexion, puisque les maires restent les élus en qui les Français ont le plus confiance.
La proximité physique ne doit pas ouvrir un quelconque droit à la violence gratuite. Chaque intimidation vise, en tout état de cause, à ce que les élus ne se sentent plus libres d’agir en leur âme et conscience.
Ces chiffres doivent nous alerter collectivement : nous, parlementaires, ainsi que le Gouvernement et l’ensemble des Français.
La forte recrudescence de la violence envers les édiles est actée, obligeant l’AMF à créer, en octobre 2020, un observatoire des agressions envers les élus. Mais il y a plus alarmant : l’AMF a formé récemment 15 000 maires et adjoints, avec l’aide des formateurs du groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), à la gestion des menaces et des situations de crise. Quand un maire reçoit une formation du GIGN ou du Raid, cela veut dire que le pays ne va pas très bien !
L’excellent rapport d’information de notre collègue Philippe Bas…
M. Philippe Bas. Merci !
Mme Alexandra Borchio Fontimp. … mettait d’ores et déjà cette triste réalité en lumière : un faible niveau de plaintes, associé à un très faible niveau de condamnations.
Cette violence progresse, plus globalement, à l’encontre de l’ensemble des détenteurs de l’autorité en France. Ce dénigrement de l’autorité est au demeurant très inquiétant, l’abstention électorale étant à mon sens l’une des manifestations de cette crise civique des plus criantes.
Si cette violence est difficile à comprendre, elle est – c’est certain – impossible à tolérer.
Il y a pis encore : c’est souvent par pudeur, mais aussi par peur de voir les menaces s’intensifier, que certains élus préfèrent se taire sur le fait que leur permanence a une nouvelle fois été vandalisée, sur l’énième insulte reçue en pleine rue, sur la violence graduelle de ceux qu’ils servent au quotidien. Enfin, ils se taisent pour ne pas déranger, pour ne pas être pointés du doigt et stigmatisés.
Un drame est toujours possible, nous le savons. Aussi, ne banalisons pas ces incivilités qui peuvent conduire au pire ! C’est pourquoi je soutiens ce texte défendu par notre collègue Nathalie Delattre, qui vise à permettre aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour accompagner au pénal tout édile qui aurait donné préalablement son accord.
Enrichi par le travail de la commission des lois, cette proposition de loi répond aux attentes des élus victimes de harcèlement ou d’agression, qui méritent d’être mieux soutenus, pour que justice leur soit rendue ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE.)