Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est plutôt la droite de la commission !
M. Loïc Hervé. Il y a eu un vote !
Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, l’histoire fourmille d’exemples de libertés et de droits fondamentaux, conquis au prix du sang et des larmes, que tous croyaient définitivement acquis et qui, dans la stupeur ou l’indifférence, ont été balayés comme des fétus de paille. C’est d’ailleurs l’histoire des femmes qui nous en offre les plus cruels exemples, car, oui, les premiers droits qui disparaissent sont souvent ceux des femmes.
C’est ce que nous rappelle la décision de la Cour suprême des États-Unis : le droit à l’avortement qu’on croyait acquis depuis cinquante ans ne l’était pas, en réalité. Désormais, dans cette grande démocratie, l’interruption volontaire de grossesse n’est plus un droit garanti par la Constitution fédérale et les États fédérés sont libres de l’interdire ou de la légaliser.
Cet exemple rend plus que jamais criants de vérité les célèbres mots de Simone de Beauvoir, rapportés par Claudine Monteil : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »
Parce que nous avons désormais la preuve que plus aucune démocratie, même la plus grande d’entre toutes, n’est à l’abri ; parce qu’il nous faudra toujours rester vigilants, les auteurs de la présente proposition de loi, la sénatrice Mélanie Vogel en tête, proposent d’inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse dans notre Constitution. Je veux les remercier chaleureusement pour cette initiative.
Le 13 juillet dernier, en accord avec la Première ministre, j’avais solennellement déclaré devant cette assemblée que je soutiendrais avec force, en tant que garde des sceaux, pour les voir aboutir, toutes les initiatives parlementaires qui viseraient à constitutionnaliser le droit à l’IVG. Me voici donc au rendez-vous, accompagné de ma collègue Isabelle Rome. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDPI et RDSE.)
J’ai déjà entendu s’élever des voix pour dire que le droit à l’IVG est suffisamment protégé en France et que l’exemple américain n’est pas transposable dans notre pays. Qui aurait pu penser qu’un jour le wokisme arriverait chez nous ?
M. Roger Karoutchi. Au moins, ce n’est pas dans la Constitution !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Nous pourrions multiplier les exemples. La liste est très longue. Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, nul ne peut nier que nos institutions fonctionnent différemment. Oui, cela est vrai, le Conseil constitutionnel français n’est pas la Cour suprême américaine. Oui, bien sûr, les juges constitutionnels français, passés et actuels, ont une conscience accrue de leur rôle et jugent régulièrement qu’il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur. Tels sont l’usage républicain et l’esprit de nos institutions.
Oui, il est vrai encore que le droit à l’IVG a été conforté au fil des ans, depuis qu’il a été consacré pour la première fois dans notre droit par la loi Veil du 17 janvier 1975. Je pense à la dernière loi, en date du 2 mars 2022, qui a allongé le délai légal pour recourir à l’IVG, en le portant de douze à quatorze semaines. Je pense aussi aux lois précédentes, comme la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui a supprimé le critère de la situation de détresse.
Pour autant, je persiste et je signe : accompagner les initiatives parlementaires pour graver dans le marbre de notre Constitution le droit fondamental à l’IVG me paraît aujourd’hui pertinent, en ces temps troublés où des projets politiques, qui n’ont certes pas cours dans cet hémicycle – ou si peu –, grandissent et rendent possible des reculs drastiques pour les droits des femmes.
Tout d’abord, cette inscription aurait la force du symbole ; ce n’est pas anodin lorsqu’on évoque la loi suprême de notre pays. Car oui, la Constitution est le texte fondateur de notre État de droit, le socle commun des valeurs de notre République et des libertés fondamentales de notre société. Dès lors, quel beau symbole pour la France, pays des droits de l’homme, que celui d’élever au plus haut rang de la hiérarchie de ses normes le droit de la femme à disposer de son propre corps ! (M. Stéphane Ravier ironise.)
En ces temps de division, de perte des repères, existe-t-il plus beau message, envoyé à plus de la moitié de la population française, pour lui dire que la Constitution lui garantit le droit à disposer de son corps, et donc le droit à l’émancipation ? Car oui, au-delà du symbole, les conséquences sont concrètes. Alors que le Conseil constitutionnel a rattaché l’IVG à « la liberté de la femme qui découle de l’article II de la Déclaration de 1789 », inscrire l’IVG dans la Constitution permettrait de le consacrer enfin comme un droit fondamental et non simplement comme une liberté-autonomie, comme disent les juristes constitutionnels.
Il existe une autre raison, plus pragmatique, sur laquelle, en tant que garde des sceaux, je veux insister quelques instants. Cette raison est évidente : changer la Constitution est beaucoup plus difficile que changer la loi. Aujourd’hui consacré par la loi, si le droit à l’IVG était demain protégé au niveau constitutionnel, il ne pourrait être remis en cause que par le pouvoir constituant.
Cela nécessiterait à tout le moins que les deux chambres – vous connaissez la règle – y consentent. Voilà une première difficulté, et pas des moindres ! Dans un second temps, il faudrait que le Parlement, réuni en Congrès, ou nos concitoyens, par référendum, valident ce qui serait une régression terrible pour la condition des femmes.
Je veux m’appesantir un instant pour vous dire le fond de ma pensée, du fond de mes tripes – je vous prie de me pardonner cette familiarité. Je veux vous montrer comment la « course des choses », comme disait Alain, justifie que nous soutenions l’inscription de l’IVG dans notre Constitution.
Alors que Simone Veil s’exprimait le 26 novembre 1974 devant l’Assemblée nationale pour présenter cette grande loi, elle inscrivait son projet sous le signe de l’espérance. Permettez-moi, humblement, de reprendre ici ses mots, alors qu’elle concluait son discours pour convaincre les députés encore hésitants : « Je ne suis pas de ceux et de celles qui craignent l’avenir. »
C’est simple, Simone Veil croyait profondément que la loi qu’elle défendait alors permettrait à la société française de progresser. L’avenir lui a, bien heureusement, donné raison ; mais, mesdames, messieurs les sénateurs, j’aimerais tant vous dire à cette tribune, un 19 octobre 2022, presque cinquante ans après la légalisation de l’avortement, que non, moi non plus, je ne redoute pas l’avenir. J’aimerais tant aujourd’hui ne pas être de ceux qui tremblent face à l’avenir et aux incertitudes qu’il charrie. J’aimerais tant être de ceux qui, tranquilles et d’un pas assuré, avancent insouciants sur le chemin de la vie, croyant que ce qui est acquis est acquis, et que ce qui est là le sera pour toujours. J’aimerais tant, enfin, être de ceux qui, d’un revers de main, balayent les exemples étrangers – en particulier l’exemple américain –, où le droit recule, et avec lui, souvent, la condition des femmes. Qui peut aujourd’hui dire que ce qui s’est produit aux États-Unis ne pourrait pas se produire en France ?
Soyons clairs ! Qu’est-ce qui a amené la décision de la Cour suprême américaine ? C’est l’élection d’un président populiste, certes légitimement élu, disposant d’une majorité au Sénat américain et qui a pu nommer au cours de son mandat quatre juges de la Cour suprême.
M. Loïc Hervé. Cela peut être ainsi, demain, au Conseil constitutionnel !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je ne pense pas que les membres du Conseil constitutionnel soient exclusivement nommés par un président de la République, fût-il populiste.
M. Philippe Bas. Justement…
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il y aurait là de quoi déstabiliser cette institution ; je ne pense pas que nos textes le permettent.
Le constat est donc simple : politiquement et juridiquement, un président – ou une présidente –, disposant presque naturellement d’une majorité, pourrait – je dis bien « pourrait » – revenir, en l’état actuel du droit, sur cette avancée historique et démocratique que représente le droit à l’interruption volontaire de grossesse. Tel est le cas chez certains de nos voisins européens.
C’est donc pour des raisons totalement opposées à celles de l’illustre Simone Veil, parce que précisément je redoute l’avenir, que je suis aujourd’hui favorable à ce que l’on élève sa grande loi, celle de 1975, telle qu’aujourd’hui modifiée, sa grande conquête, celle de toutes les Françaises, au sommet de la hiérarchie des normes.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux inscrire le droit à l’IVG dans notre Constitution, là précisément où il ne sera pas possible de l’en retirer sans l’accord du Sénat. Je sais que, là encore, il sera, comme toujours, le garant de nos droits les plus fondamentaux. Je le dis, sans aucune flagornerie : inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution, c’est aussi s’assurer que le Sénat, dans sa grande sagesse, soit assuré d’avoir le dernier mot, si d’aventure un président, une présidente, et sa majorité souhaitaient l’abroger. Je crois fermement au rôle presque informel, mais pourtant bien réel et durable, du Sénat en tant que garant de notre bien commun, de notre conscience collective.
On dit souvent que le président Mitterrand a été particulièrement courageux d’abolir en 1981 la peine de mort, alors que nos compatriotes y étaient majoritairement opposés. Ce que l’on ne dit jamais, c’est que le Sénat a lui aussi, tout aussi courageusement, adopté conforme, douze jours à peine après l’Assemblée nationale, la loi défendue par Robert Badinter.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ne vous trompez pas : inscrire aujourd’hui le droit à l’IVG dans notre Constitution n’est pas une mesure gadget, un artifice de communication ou un mouvement de panique face à un exemple étranger lointain. Inscrire le droit à l’IVG, cette liberté fondamentale et inaliénable de la femme, dans la Constitution, c’est une sécurité pour toutes les femmes de ce pays.
Mesdames, messieurs les sénateurs, faites en sorte que personne ne puisse abolir demain ce droit sans que vous soyez consultés. Les temps troublés et les remous ne sont jamais loin sur le frêle esquif de la démocratie, qui mérite toute notre attention.
En tant qu’ancien avocat, mais aussi en tant que citoyen, j’ai toujours essayé de faire en sorte que jamais l’on n’oublie que notre démocratie, notre état de droit et les libertés fondamentales qu’il consacre sont des biens précieux, nos joyaux communs, pour lesquels il est indispensable de se battre sans relâche. En tant que garde des sceaux, il est désormais de mon devoir de les préserver.
C’est pourquoi je dis aux sénatrices et sénateurs que vous êtes de ne pas prendre de risque. Protégeons autant que notre droit le permet cette liberté fondamentale des femmes qu’est le droit à l’IVG.
Que les choses soient claires, il ne s’agit pas là d’une entreprise aisée. Je le dis avec gravité : on ne doit toucher à la Constitution, selon la formule consacrée, que d’une main tremblante.
C’est pourquoi il nous faut avoir à l’esprit que le détail de la rédaction in fine retenue sera déterminant, tout comme le périmètre exact de la réforme. Une rédaction inadaptée pourrait en effet conduire à consacrer un accès sans condition à l’IVG.
M. Loïc Hervé. Bien sûr !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je pense, par exemple, à des IVG bien au-delà de la limite légale en vigueur, ce qui n’est pas souhaitable – nous en convenons.
Une écriture mal pesée pourrait également s’avérer trop rigide et empêcher une adaptation possible du dispositif actuel, si celle-ci s’avérait nécessaire, comme cela a été le cas en mars dernier. Il nous faudra, au cours des débats, ici et à l’Assemblée, rester très vigilants sur les possibles effets de bord.
Il nous faudra également rester vigilants sur le choix de la place à laquelle inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution, afin de donner tout son sens à cette reconnaissance et lui donner toute sa cohérence au regard des autres dispositions constitutionnelles.
Quoi qu’il en soit, ma crainte première – elle semble fondée –, est qu’il n’y ait justement pas de débat, car j’ai pris acte du rejet du texte par votre commission des lois. Laissez-moi vous dire, avec la liberté qui est la mienne, que je le regrette.
Je le regrette, pas tant pour le détail de l’écriture de la proposition de loi de la sénatrice Vogel, sur laquelle je rejoins d’ailleurs un certain nombre de craintes de la rapporteure Agnès Canayer, mais parce que cette décision souveraine de votre commission acte, au fond, un refus de principe de constitutionnaliser le droit à l’IVG.
M. Philippe Bas. Non !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il n’est même pas question pour la commission de travailler sur la meilleure rédaction possible ; non, il s’agit d’un refus pur et simple, qui condamne par anticipation toute initiative, d’où qu’elle vienne.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Je ne peux laisser dire cela !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Or vous le savez, sans vous, sans l’aval du Sénat, le verrou sacré de notre Constitution ne peut être levé.
Il faut pourtant que le débat vive. J’espère donc que l’hémicycle dira : « Non, nous ne fermons pas la porte d’emblée. Essayons d’avancer ensemble sur cette proposition ou sur celle de la présidente Bergé ou Panot. »
Essayons d’entendre les « pour », mais aussi les « contre ». Essayons d’entendre les craintes pour les apaiser, et surtout travaillons ensemble pour trouver la meilleure rédaction possible et ne pas manquer cette occasion, alors que les planètes s’alignent aujourd’hui en faveur de cette constitutionnalisation.
Je le dis et je le répète, si le Sénat est prêt à avancer sur cette question avec prudence et sans idéologie, le Gouvernement répondra présent. De fait, il répond déjà présent, aujourd’hui, devant vous. Car oui, le Gouvernement est favorable à la constitutionnalisation du droit à l’IVG. Il répondra présent pour soutenir chacune des nombreuses initiatives parlementaires en la matière.
Les rédactions proposées sont diverses et je suis persuadé que ces initiatives – je pense à celle de la présidente Aurore Bergé et de sa collègue Marie-Pierre Rixain, qui mènent toutes les deux avec constance ce combat – nous permettront d’atteindre la meilleure rédaction possible.
Avant de conclure mon propos, je veux dire à ceux qui nous regardent qu’il ne s’agit pas de livrer ici tel ou telle parlementaire à la vindicte des réseaux sociaux, comme cela a pu être le cas pour la présidente Annick Billon, lors de la présentation de sa proposition de loi.
J’ai éprouvé personnellement, depuis deux ans, et sur de nombreux textes, votre engagement sans faille, madame la sénatrice Canayer, pour la défense de notre État de droit et des droits de nos concitoyens.
Le débat politique est fait de désaccords, et tout le monde a le droit, dans cet hémicycle, d’exprimer librement ses opinions sans crainte d’être inquiété. Le débat politique est aussi fait d’accords et de convergences patiemment construits sur le chemin du compromis.
Avançons ensemble sur ce chemin, mesdames, messieurs les sénateurs, comme nous l’avons fait tant de fois, sans démagogie, sans idéologie, pour renforcer à nouveau les droits de l’homme qui sont, cet après-midi, ceux de la femme. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDPI et RDSE. – Mmes Daphné Ract-Madoux et Elsa Schalck applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je remercie le garde des sceaux pour son discours puissant et pour ses mots.
C’est la première proposition de loi qu’il me revient de soutenir aujourd’hui devant vous, comme ministre déléguée auprès de la Première ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Je suis fière qu’il s’agisse d’une proposition de loi visant à inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse dans notre Constitution ; à entourer d’un rempart ce droit conquis de haute lutte après des années de combats féministes et grâce à l’opiniâtreté et à la force de Simone Veil. Il faut préserver ce droit, le protéger contre les menaces de vent mauvais ou les courants réactionnaires. Ce rempart doit être à la hauteur de ce qui fonde notre République, une, libre, égale, fraternelle.
C’est pourquoi il est nécessaire d’inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution du 4 octobre 1958. Vous l’avez rappelé, monsieur le garde des sceaux, il est beaucoup plus difficile de modifier une Constitution que de changer la loi, qu’une autre majorité peut défaire en quelques mois.
Non, madame la rapporteure, malgré tout le respect que j’ai pour vos travaux, nous ne sommes à l’abri de rien. Quelle Américaine aurait imaginé, voilà encore deux ou trois ans, voir s’effondrer la protection de ce droit, soumis désormais aux aléas politiques des différents États membres des États-Unis ?
Aurait-on pensé, il y a moins de deux ans, au sein même de l’Union européenne, que des États reviennent sur le droit à l’IVG, en autorisant les femmes à avorter seulement en cas de viol ou de grave danger, ou en les contraignant à écouter le cœur du fœtus avant de prendre leur décision ?
Depuis 2017, le Gouvernement et la majorité n’ont, au contraire, cessé de renforcer la législation en matière de droits sexuels et reproductifs : en donnant un accès gratuit à la contraception pour toutes les femmes jusqu’à 25 ans ; en allongeant les délais d’accès à l’IVG de douze à quatorze semaines de grossesse ; en prévoyant le tiers payant intégral de l’IVG, afin, notamment, d’en assurer la confidentialité ; enfin, en soutenant résolument le planning familial, dont les financements seront augmentés pour le lancement de leur tchat visant à lutter contre la désinformation.
Ce combat, François Braun, ministre de la santé et de la prévention, et moi-même, nous le poursuivons en rendant dès l’an prochain la pilule du lendemain gratuite sans ordonnance, pour toutes les femmes.
Ce combat, Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, et moi-même, nous le menons cet après-midi avec la représentation nationale.
Je remercie Mme la sénatrice Mélanie Vogel de nous en donner l’occasion, par le biais de cette proposition de loi constitutionnelle, proposition que soutient également la majorité parlementaire emmenée par Aurore Bergé.
Je remercie, par ailleurs, l’ensemble des parlementaires engagés, particulièrement les membres de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, conduite par Annick Billon, avec laquelle j’échange de manière très régulière et très constructive.
Ce combat, la France le mène également hors de ses frontières. C’est dans ce sillon que le Président de la République a affirmé, le 19 janvier dernier, devant les eurodéputés, vouloir inscrire le droit à l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
C’est dans ce sillon que s’inscrit notre diplomatie féministe, dont le Forum Génération Égalité, organisé à Paris en juillet 2021, a constitué le point culminant.
La contribution de la France à la défense des droits sexuels et reproductifs à l’échelle internationale se hisse à hauteur de 400 millions d’euros sur cinq ans.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, les droits sexuels et reproductifs conditionnent tous les autres droits des femmes. Détricoter, écorner ou nier ces droits constitue assurément une forme de violence fondée sur le genre. Parce que les droits des femmes sont des droits humains, ils ne sont ni sécables ni hiérarchisables. Ce ne sont pas des droits à moitié, mais des droits fondamentaux, inaliénables, qu’il convient de protéger et de consolider.
Aucune femme, aucune de nos filles ne doit vivre, en France, dans la peur d’être un jour dénoncée, arrêtée, jugée pour avoir avorté, comme ce fut le cas de Marie-Claire en 1973, jugée au tribunal de Bobigny et remarquablement défendue par Gisèle Halimi. Notre République doit leur apporter cette garantie.
C’est pour toutes ces raisons que, comme l’a déjà exprimé la Première ministre, le Gouvernement est favorable à la constitutionnalisation de l’IVG.
N’en déplaise à l’extrême droite, qui, malgré le vernis qu’elle tente de nous montrer, n’a jamais été et ne sera jamais l’alliée des droits des femmes, nous devons être collectivement lucides : la menace d’un retour en arrière n’est pas une chimère. L’exemple américain, dans le pays d’Elizabeth Cady Stanton, est un avertissement.
S’attaquer à l’avortement, c’est s’attaquer à toutes les femmes, et c’est s’attaquer à la liberté. Le Gouvernement sera toujours du côté des femmes et de la liberté. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDPI et RDSE. – Mmes Daphné Ract-Madoux et Elsa Schalck applaudissent également.)
Mme le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme le président. Je suis saisie, par M. Ravier, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat s’oppose à l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception (n° 872, 2021-2022).
La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la motion.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, l’immigration jusqu’au remplacement, l’islamisme jusque dans nos écoles,… (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDPI et RDSE.)
M. Xavier Iacovelli. Toujours les mêmes caricatures !
M. Stéphane Ravier. … l’insécurité jusqu’à la barbarie, la fiscalité jusqu’au racket, la précarité jusqu’à la pauvreté de masse, les sujets graves ne manquent pas en France. Et nous voilà à perdre un temps précieux en discutant d’une problématique importée des États-Unis, sans aucun rapport avec la réalité de notre pays. C’est pourtant ce dont les auteurs de ce texte se réclament dans l’exposé des motifs.
Vous êtes hors sujet, je dirais même qu’il n’y a pas de sujet. C’est pourquoi je vous propose, mes chers collègues, d’enterrer ce texte avant même son examen. Un texte dangereux, inutile, qui permet à ses auteurs de faire de l’agit-prop, comme l’a lui-même analysé et dénoncé, dans Le Figaro du jour, l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, Jean-Éric Schoettl.
Vous avez voté le prolongement de l’avortement jusqu’à seize semaines d’aménorrhée dans un texte de loi du mois de mars dernier. Ces attaques envers la vie ne vous suffisent-elles pas ? Il est complètement anachronique de dire que l’avortement est menacé dans notre pays, quand il existe un délit d’entrave de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende pour quiconque tenterait d’y opposer un avis contraire.
En 2021, 223 000 avortements ont encore été réalisés, aggravant l’hiver démographique français. Cela ne vous suffit-il toujours pas ? Notre pays a affaire à des impératifs sanitaires dont ce texte nous détourne. L’avortement pour les cas d’urgence, invoqué dans la loi Veil, est devenu en 2022 un avortement banalisé, encouragé.
Pourtant, ce n’est pas un acte anodin. Je suis inquiet de la tournure que prennent les propositions actuelles. Je vous rappelle cet amendement sur l’avortement à neuf mois ! Neuf mois ! (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDPI et RDSE.)
Mme Laurence Rossignol. Quel menteur !
M. Stéphane Ravier. En invoquant une détresse psychosociale, vous considérez que cet infanticide légalisé est un progrès. Je considère que c’est une ignominie qui vous déshonore ! (Protestations redoublées sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDPI et RDSE.)
M. Xavier Iacovelli. Comment peut-on dire des choses pareilles ?
M. Stéphane Ravier. Souvent les femmes avortent sous la contrainte psychologique ou économique ; accompagnons-les, soutenons-les ! Elle est là, la mission du politique ; il est là, notre devoir !
De plus, sur le plan juridique, ce texte vient encombrer la Constitution, dans son titre VIII pourtant consacré au pouvoir judiciaire. La Constitution régit l’organisation des pouvoirs publics, elle n’est pas une charte de droits. (Marques de désapprobation de la ministre déléguée.)
J’ai entendu que les auteurs de la loi souhaitaient constitutionnaliser un droit pour empêcher des lois régressives. Je considère que l’adjectif régressif est tout à fait celui qui correspond aux infâmes lois bioéthiques que nous avons votées, que vous avez votées ces dernières années.
M. Stéphane Ravier. Et quelque chose me dit que le pire est encore devant nous ! Cette proposition de loi cosignée par cinq présidents de groupe – par les écologistes, les socialistes, les communistes, Renaissance et les radicaux – nous donne à voir un front commun : c’est une clarification de position, pour une plus grande clarification encore…
Mme le président. Merci, cher collègue.
M. Stéphane Ravier. Je vous propose donc…
Mme le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, je vous trouve bien à cheval, aujourd’hui, sur le temps de parole !
Mme le président. Je le suis toujours.
M. Stéphane Ravier. Ça dépend pour qui !
M. Xavier Iacovelli. Bravo, madame la présidente !
Mme le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, contre la motion.
Mme Mélanie Vogel. Merci, madame la présidente. Monsieur Ravier, j’aurais presque envie de vous remercier – bien évidemment, je ne vais pas le faire –, car vous démontrez exactement pourquoi nous sommes en train de faire ce que nous faisons ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDPI et RDSE. – Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)
Comme le dit si souvent – et souvent si bien – Laurence Rossignol, il n’y a pas d’exception française eu égard à l’extrême droite. L’extrême droite française est comme l’extrême droite partout ailleurs : elle s’oppose aux droits des femmes, elle s’oppose aux droits sexuels et reproductifs, elle déteste tous les acquis de la République, tous les progrès que les féministes ont acquis de haute lutte, elle déteste l’égalité des droits et la liberté. N’ayez aucun doute, chers collègues ! Sa détermination à les détruire, si par le pire des malheurs de l’histoire elle arrivait au pouvoir en France, est totale, évidente et parfaitement transparente.
Et de nous raconter que le droit à l’IVG n’est pas menacé en France, qu’aucun parti politique en France ne peut revenir sur le droit à l’avortement. Voilà que la force politique qui a recueilli 42 % des voix au second tour de l’élection présidentielle vient de vous prouver le contraire. Alors oui, une clarification a lieu : il y a celles et ceux qui, dans cet hémicycle, sont en faveur des droits et des libertés fondamentales, y compris des droits et libertés fondamentales des femmes, et celles et ceux qui ne le sont pas. Chers collègues, la question est : de quel côté êtes-vous ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé proteste également.)
Je le demande, encore une fois, surtout à celles et ceux qui, dans cet hémicycle, tiennent encore à tenir l’extrême droite et son projet à distance. Prenez la mesure du moment historique que nous vivons. Les fascismes progressent, et avec eux les attaques envers nos droits les plus fondamentaux. Personne ne sait qui gouvernera la France en 2027, quelle sera la prochaine majorité à l’Assemblée nationale… personne !
La majorité d’entre nous, au sein de cette assemblée, semble attachée au droit à l’IVG. Prouvons-le ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDPI et RDSE. – Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)