Mme la présidente. La parole est à M. Teva Rohfritsch.
M. Teva Rohfritsch. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’y a pas si longtemps, nous nous étions habitués à considérer un taux de chômage dépassant les 10 % comme une fatalité. Comble de l’injustice, le taux de chômage des femmes a même parfois dépassé les 12 %.
Il n’y a pas si longtemps, nous nous étions résignés. Le secteur secondaire s’effondrait et notre puissance industrielle semblait destinée à n’être plus qu’un lointain souvenir.
Il n’y a pas si longtemps, nous pensions qu’une trajectoire de retour à l’équilibre ne pourrait être présentée et qu’il nous serait impossible de repasser en dessous des 3 % de déficit public.
Il n’y a pas si longtemps, nous pensions que l’état de nos finances pudiques et la croissance atone nous rendraient impuissants à affronter les crises qui pourraient nous frapper.
Et pourtant…
Pourtant, mes chers collègues, le chômage continue de baisser comme jamais auparavant.
Pourtant, l’emploi industriel repart et connaît un regain de dynamisme, grâce au plan de relance et aux réformes fiscales et réglementaires entamées depuis 2017.
Pourtant, nous avions réussi à faire repasser le déficit public en dessous des 3 % pour la première fois depuis le début des années 2000, avant, bien entendu, qu’une crise mondiale d’une ampleur sans précédent ne vienne bouleverser nos efforts et ceux du Gouvernement.
Pourtant, nous avons su faire face à la crise mondiale la plus grave depuis la dernière guerre mondiale, main dans la main avec nos partenaires européens, grâce à un plan de relance inédit, qui a non seulement sauvé notre économie du désastre et le pouvoir d’achat des Français, lequel a même progressé sur la période, mais également remis notre industrie sur les rails de la compétitivité et permis de préparer l’avenir.
Mais la question que j’entends monter du côté droit de l’hémicycle, c’est : pouvons-nous sacrifier au présent notre avenir et celui de nos enfants ? Du côté gauche, j’entends dire au contraire que nous n’en faisons jamais assez et qu’il ne faut pas laisser la rigueur imposer ses contraintes.
Aux uns comme aux autres, je répondrai que la trajectoire proposée par le Gouvernement porte une vision pour la France qui répond à la double exigence qui vous anime, en dépit de nos désaccords. Elle répondra aux inquiétudes en préservant le soutien nécessaire de l’État dans bon nombre de domaines, tout en présentant une normalisation de nos finances publiques qui permette de préserver les générations à venir. Il tiendra à notre vigilance de parlementaires que nous respections cet engagement. Nous comptons sur vous tous, mes chers collègues, comme vous pouvez compter sur nous.
Même tardif, ce débat sur le programme de stabilité est toujours un moment de clarté, qui nous permet de nous positionner sur ces questions essentielles et sur la direction que nous prendrons. Mais ce débat redoublera d’importance au moment de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques. Ce sera pour nous, parlementaires, le véritable moment de nous saisir de ce sujet. Le groupe RDPI sera au rendez-vous !
En attendant, nous continuons d’agir dans cette direction pour soutenir l’emploi et l’activité économique, tout en faisant face aux impondérables. Nous avons voté hier l’augmentation du plafond des heures supplémentaires défiscalisées.
Encourager l’emploi et la croissance, rétablir nos finances publiques, soutenir les plus fragiles : telle est la volonté qui nous anime depuis 2017 et c’est l’équation délicate que nous aurons à résoudre au cours des années qui viennent.
Monsieur le ministre, vous l’avez rappelé, la dynamique est lancée pour 2022 : le taux de croissance s’établirait à 2,5 % et le déficit continuerait de se résorber, de 1,4 %.
Nous faisons néanmoins encore face à des tensions comme celles sur le pouvoir d’achat, sujet qui nous a occupés jusqu’à tard cette nuit, ou plutôt tôt ce matin. Nous nous attaquons à chacun de ces sujets à bras-le-corps, collectivement. Nous y faisons face, mais nous devons aussi poursuivre avec raison et détermination nos efforts. La tâche n’est pas facile, mais nous y arriverons. Nous le devons à nos concitoyens et aux générations futures, pour qui nous devons bâtir un avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, on a beaucoup reproché au Gouvernement d’avoir tardé à publier son programme de stabilité.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Eh oui !
Mme Vanina Paoli-Gagin. C’est une réalité à laquelle il semble difficile de s’opposer, bien qu’on en comprenne facilement les causes. Mais là n’est pas l’essentiel, et ce pour au moins deux raisons.
La première, c’est que le calendrier électoral a percuté la procédure européenne. Certes, le Gouvernement a bénéficié d’une certaine forme de stabilité, notamment à Bercy, ce qui aurait pu lui permettre d’être dans les temps, mais on aurait tort d’ignorer ce qui s’est passé depuis le mois d’avril dernier.
La majorité présidentielle est désormais prise en tenaille entre deux mâchoires populistes, l’une à l’extrême droite, l’autre à l’extrême gauche. Cette configuration commande la prudence.
La seconde raison, mes chers collègues, c’est qu’au fond nous connaissions déjà la teneur de ce programme de stabilité. C’est une question de mathématiques : deux points ne peuvent être reliés que par une seule droite. Autrement dit, connaissant la situation actuelle de nos comptes, soit le point de départ, et le point d’arrivée fixé par le Gouvernement – un déficit inférieur à 3 % du PIB en 2027 –, il n’y a guère qu’une seule trajectoire possible pour nos finances publiques.
À mes yeux, les débats se cristallisent autour d’un seul mot : la dette. Mais ce mot peut être qualifié par plusieurs épithètes. Je vous en propose quatre : il y a notre dette publique, notre dette européenne, notre dette privée, notre dette climatique.
J’évoquerai d’abord notre dette publique. C’est l’indicateur majeur et incontournable, celui qui résume le mieux, non pas simplement la gestion actuelle des comptes, mais aussi, et pour beaucoup, la gestion passée. C’est aussi celui qui nous annonce la quantité d’efforts à fournir dans le futur, que ce soit par la réduction des dépenses ou par la hausse des impôts. Car il faudra bien ramener les dépenses en deçà des recettes, si nous voulons éviter la banqueroute.
C’est là non pas une obsession « austéritaire », mais une question de bon sens. L’histoire a montré que les pays qui ne tiennent pas leurs comptes sont rarement ceux qui financent les politiques sociales ou environnementales les plus ambitieuses.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. En effet !
Mme Vanina Paoli-Gagin. Le problème n’est pas nouveau, tant s’en faut. Sur ce point, le rapporteur général a raison de nous rappeler, avec une constance irréprochable, la comparaison avec l’Allemagne : plus de quarante points de PIB séparent nos taux d’endettement.
Ce décrochage s’explique notamment par une succession d’erreurs politiques et stratégiques passées. Par une funeste inspiration, la France a décidé de sacrifier son industrie sur l’autel des services. Elle a laissé filer ses usines à l’étranger et, avec elles, les emplois qualifiés qu’elles offraient.
Résultat : notre balance commerciale, comme notre solde budgétaire, est devenue structurellement déficitaire. Nous avons réuni les conditions d’un endettement fatidique.
Avec la pandémie, notre dette publique a explosé. Le « quoi qu’il en coûte », choix tactique rationnel en période de taux bas, risque aujourd’hui de créer un précédent. Il faut vite tourner la page. Il faut, bien sûr, réduire les mesures de soutien temporaire, mais aussi s’attaquer au déficit structurel.
Or, à cet égard, monsieur le ministre, je suis au regret de constater que la trajectoire présentée dans le programme de stabilité n’a rien de rassurant. Si le déficit public doit être ramené sous la barre des 3 % du PIB d’ici à 2027, le taux d’endettement, lui, se stabiliserait autour de 113 % du PIB. Il est peu probable que la réalité soit finalement plus favorable que ce qui est prévu dans le programme.
Mais cet indicateur, qui sert bien souvent de boussole pour le pilotage des finances publiques, masque deux autres types d’endettement, qui n’apparaissent pas dans le ratio de la dette publique.
À la faveur de la crise sanitaire, si l’on peut parler ainsi, et grâce à l’engagement de la France, l’Union européenne s’est, pour la première fois, endettée en son nom propre. Cet endettement supra-étatique constitue une avancée majeure pour la construction européenne. Or le Premier Président de la Cour des comptes l’a affirmé devant la commission des finances : le remboursement des sommes versées à notre pays dans ce cadre, qui s’élèvent à 75 milliards d’euros, n’entre pas dans le calcul du ratio de dette publique. Autrement dit, notre dette publique nationale serait encore plus élevée, si nous y intégrions tous les crédits avec lesquels nous avons financé notre plan de relance.
Mais il est une autre dette qui n’apparaît pas dans nos comptes publics, et qui a de quoi nous inquiéter. C’est la dette privée, qui concerne à la fois les entreprises et les ménages. Elle avoisine les 150 % du PIB, bien au-delà de la dette publique – c’est colossal !
En la matière, la France a le taux d’endettement privé le plus élevé des grands pays européens. Le diagnostic est évident : nous sommes plus proches de la Grèce que de l’Allemagne, bien malheureusement.
Ce ratio d’endettement privé a ses fondements. Les dispositifs d’urgence mis en œuvre pendant la crise, ainsi que le contexte de taux négatifs ont encouragé les entreprises à s’endetter massivement pour recruter et investir. Les effets positifs sont donc nombreux. Mais le risque existe que nous ayons massivement financé des entreprises, notamment dans les secteurs des nouvelles technologies, dont les valorisations ont été artificiellement gonflées.
Pour parachever ce panorama peu réjouissant, j’évoquerai la dernière facette de notre endettement, la dette climatique. C’est la plus grande urgence, celle qui menace non seulement notre pays, mais la planète entière.
Cette dette n’apparaît pas plus dans nos comptes, mais elle ravage nos forêts et tarit nos ressources, en eau notamment. Or, monsieur le ministre, mes chers collègues, un pays ravagé par les flammes et en stress hydrique n’est pas gouvernable. Ce défi suppose donc des investissements massifs, dans un contexte très contraint.
L’immense défi de la transition écologique nous impose de changer non pas de logiciel, mais de système d’exploitation pour engager une stratégie ambitieuse de désendettement. Au nom du groupe Les Indépendants – République et Territoires, je vous proposerai aujourd’hui deux leviers d’action, qui s’appuient sur deux atouts français et européens.
Le premier levier, le plus opérationnel, c’est la mobilisation de l’épargne privée, qui n’a jamais été si élevée, même si on la laisse peu à peu se faire ronger par l’inflation. En mars dernier, je le rappelle, la Banque de France estimait le montant de cette épargne à 175 milliards d’euros. Ce montant est à mettre en perspective avec les 100 milliards consacrés au plan de relance, financés par la dette publique.
C’est ce levier que notre groupe avait proposé d’activer, en inscrivant, dans une proposition de loi, la création d’un livret d’épargne garantie afin de drainer cette épargne privée vers les territoires. L’objectif était de réaliser des investissements ambitieux au profit de la transition écologique et des infrastructures locales.
Le second levier, plus structurant, mais moins immédiat, c’est une meilleure valorisation des externalités positives et négatives pour mieux orienter les décisions des acteurs économiques, sous la contrainte du changement climatique.
À cet égard, j’évoquerai un sujet, dont l’actualité s’est tristement imposée dans le débat public. Il s’agit, mes chers collègues, de nos forêts. Aujourd’hui, la valeur économique et sociale de nos forêts se résume à la production de bois, comme si l’arbre n’était utile qu’une fois abattu. Cela n’est absolument pas satisfaisant.
Quand la forêt brûle, cela ne constitue pas seulement un manque à gagner, c’est un atout en moins pour la transition écologique. Je vous proposerai prochainement un dispositif pour prendre en compte les externalités positives de la forêt – puits de carbone, agent de la biodiversité et filtre à eau – et engager ainsi le changement de mode de pensée que j’appelle de mes vœux.
En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est urgent de réduire notre dette, qu’elle soit publique, privée ou écologique. Le programme de stabilité va dans la bonne direction. Espérons que le rythme sera tenu. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis au cœur de l’été pour discuter d’un document stratégique qui va engager la responsabilité du Gouvernement sur sa gestion des finances publiques à moyen terme.
Le rapporteur général a parfaitement illustré le caractère parfois arbitraire, en tout cas optimiste, des hypothèses retenues sur l’inflation, la croissance ou encore le solde public. Nous aimerions être aussi optimistes !
Déjà, pour le projet de loi de finances rectificative (PLFR), le Haut Conseil des finances publiques faisait état d’une incertitude de 10 à 15 milliards d’euros sur les recettes…
Le programme de stabilité postule une croissance potentielle de 1,35 % à partir de 2022. Comme l’a dit le rapporteur général, la croissance potentielle est un paramètre déterminant pour la programmation des finances publiques. En effet, elle constitue la meilleure prévision de la croissance du PIB à moyen terme.
Mais pour être crédible, l’hypothèse de croissance potentielle doit correspondre à un régime de croissance équilibré. À cet égard, notre déficit public, celui de notre balance commerciale ou encore la désindustrialisation de notre économie limitent les perspectives.
Par ailleurs, un nouveau défi s’ouvre devant nous, qui n’est pour ainsi dire pas évoqué dans le projet de programme de stabilité. Il s’agit de la lutte contre le changement climatique, qui aura des conséquences sur notre économie. Une étude de Rexecode publiée en mai 2022, que je vous invite tous à lire, mesure la marche à franchir : les dépenses d’investissement devraient être supérieures de 10 % pour les entreprises et de 20 % pour les ménages par rapport aux tendances actuelles.
Les éléments d’analyse rassemblés par un membre du secrétariat permanent du Haut Conseil des finances publiques laissent d’ailleurs penser que, dans les cinq années qui viennent, la croissance potentielle de l’économie française sera plutôt proche de 1 %, ou légèrement inférieure ou supérieure à ce niveau selon le degré de mise en œuvre de la réforme des retraites.
Or le doute est permis sur cette réforme, puisque le président candidat a rétropédalé dès l’entre-deux-tours… Et le rendement de l’allongement de la durée de cotisation n’est pas le même que celui du report de l’âge de départ.
Notre absence de courage aujourd’hui aura des conséquences significatives pour nos enfants et nos petits-enfants. En effet, les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR) indiquent que le taux de remplacement, et donc le niveau de vie des retraités, passerait de 102,8 % du niveau de vie des actifs en 2020 à 82,5 % en 2070.
Comme pourraient le faire les stoïciens, je distingue ce qui ne dépend pas directement de l’action du Gouvernement – l’arrêt du conflit entre la Russie et l’Ukraine, la rudesse de l’hiver – et ce qui en dépend. Permettez-nous d’être inquiets, car le plan de stabilité repose uniquement sur ce qui ne dépend pas complètement de l’action du Gouvernement – la baisse de l’inflation, le maintien de la croissance – plutôt que sur la maîtrise des dépenses publiques, sur laquelle il a complètement la main. (Marques d’approbation à droite.)
Depuis plusieurs mois, j’interroge le Gouvernement sur la nature précise des économies qu’il envisage. La réponse est toujours aussi floue. Le ministre Le Maire cite toujours, comme vous l’avez fait aujourd’hui, monsieur le ministre, les mesures en faveur du plein emploi, qui doivent soutenir la croissance.
Prenons l’élargissement de l’apprentissage aux lycées professionnels, par exemple. Certes, le succès de cette politique ne m’a pas échappé : le taux d’emploi des jeunes s’est considérablement amélioré, mais au détriment de la productivité de notre économie et avec un coût important pour les finances publiques, comme l’a d’ailleurs souligné un rapport du Sénat. Je remarque aussi que, pour afficher un taux de croissance annuel moyen de la dépense, sur le quinquennat 2017-2022, inférieur à celui du quinquennat précédent, vous retraitez, dans le programme de stabilité, les charges liées à la création de France compétences – le graphique figurant en page 31 le montre bien. (Sourires.)
Autre exemple, la mise en place d’un service public de la petite enfance est bien une nécessité. Comme l’indique le programme de stabilité, les prestations familiales ont considérablement diminué, de 3,7 %, du fait de la faible natalité de ces dernières années. Mais atteindre l’objectif de création de 30 000 places d’accueil collectif était un engagement figurant dans la convention 2018-2022 liant la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) et l’État et cet engagement n’a aucunement été respecté, puisque 15 000 places seulement ont été créées.
Selon un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) de mars 2022, il n’existe pas de places d’accueil formel pour 40 % des enfants de moins de trois ans.
Nous assistons à une érosion de l’attractivité de ces métiers, un mouvement si fort qu’il conduit un nombre important de collectivités locales à « geler » des berceaux. Et ce n’est pas l’ordonnance du 19 mai 2021 sur les services aux familles ou le comité de filière que vous avez institué en 2021 qui apportent une réponse : il ne s’agit que d’un début de réponse.
D’ailleurs, l’avis du CESE de mars 2022 plaide pour la mise en place d’un droit opposable à la garde du jeune enfant, comme ce qui a été institué par l’Allemagne en 2004. C’est un objectif ambitieux, avec un coût significatif pour les finances publiques. Le coût de fonctionnement annuel d’une place de crèche dépasse les 15 000 euros et l’investissement correspondant est de l’ordre de 34 000 euros.
Au-delà de quelques exemples précis, que l’on peut compter sur les doigts d’une main, les propos relatifs à la maîtrise de la dépense sont très généraux dans ce document. Il y est question de « renforcement de la qualité des dépenses » et d’un « examen systématique de l’impact environnemental des dépenses ».
Les crédits budgétaires et les taxes affectées, neutres ou non cotées, représentent 92 % des dépenses intégrées à l’objectif total des dépenses de l’État. Dans ce même document, vous évoquez la plateforme de visualisation développée pour que le Parlement et les citoyens s’approprient les résultats de l’action publique. Je l’ai regardée : n’y figurent que des données quantitatives, rien de qualitatif !
Vous parlez de « maîtrise de la dépense dans tous les sous-secteurs, avec une hausse de 0,6 % en volume, hors urgence et relance, en moyenne pour la période 2023-2027 ». Il ne s’agit que d’une stabilisation du train de vie, et non de véritables économies.
Par ailleurs, plusieurs lois de programmation engagent déjà le Gouvernement : la loi relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense, qu’il est déjà question de réviser, en augmentant les crédits de 50 milliards d’euros ; la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales ; la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur ; récemment, le ministre de l’intérieur a annoncé un projet de loi d’orientation et de programmation de son ministère – quelque 16 milliards d’euros sont prévus. De plus, les états généraux de la justice doivent déboucher sur une augmentation des crédits accordés aux juridictions et à l’administration pénitentiaire.
Dans les perspectives économiques publiées en juillet 2022, l’OCDE appelle le Gouvernement à mettre en place une stratégie ciblée d’assainissement budgétaire à moyen terme, en fixant des priorités claires pour sauvegarder la viabilité des finances publiques et l’efficience de la dépense publique dans un contexte de hausse du service de la dette. Permettez-moi de vous dire que nous n’y sommes pas encore !
Dans votre stratégie, j’ai du mal à voir quel sera l’effort réellement demandé aux collectivités territoriales. Le programme de stabilité évoque une concertation, comme le ministre Béchu le disait lui-même il n’y a pas si longtemps dans cet hémicycle. Je lis toutefois, en page 38 de votre document, que « les dépenses de fonctionnement seraient maîtrisées en volume et ralentiraient en valeur, dans le sillage de l’inflation ». Cette maîtrise en volume est en réalité une baisse, de 0,5 %, comme l’a précisé le ministre de l’économie et des finances le 21 juillet.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Et voilà !
Mme Christine Lavarde. Or cette baisse devrait être très importante concernant les dépenses hors ressources humaines, qui représentent plus de 50 % du total, puisque les dépenses de personnel vont mécaniquement augmenter sous l’effet de la revalorisation du point d’indice et de la hausse du SMIC et du glissement vieillesse technicité (GVT). Si l’on ajoute les prix de l’énergie et de l’alimentation, il ne reste plus vraiment de marge de manœuvre…
En réalité, vous laissez simplement les collectivités codéterminer les modalités de modération de leurs dépenses, et l’effort demandé est beaucoup plus important que celui qui avait été demandé par les contrats de Cahors.
Vous persistez à dire que la politique des contrats de Cahors a été efficace. Je persiste pour ma part à n’y voir que la conséquence de la baisse de 13 milliards d’euros des dotations de l’État entre 2013 et 2017.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. Le rabot !
Mme Christine Lavarde. Les collectivités ne peuvent pas dépenser l’argent qu’elles n’ont pas, sauf à augmenter les impôts locaux, ce qu’elles vont avoir de moins en moins la capacité de faire avec la suppression de la taxe d’habitation et, demain, de la CVAE.
Je ne dis pas que nous sommes défavorables à la politique de réindustrialisation. Au contraire, nous pensons qu’il est nécessaire de réduire notre différentiel de compétitivité avec l’Allemagne. Mais nous pensons aussi qu’il est nécessaire de laisser de la liberté aux collectivités territoriales dans la gestion de leurs recettes et de récompenser leurs actions d’attractivité.
Notre pays va continuer de diverger avec les autres pays de la zone euro. L’analyse des programmes de stabilité des huit principaux pays de la zone euro menée par la Cour des comptes dans son dernier rapport sur l’état des finances publiques relève que la France serait, en 2025, l’un des rares pays qui n’aurait pas commencé à réduire la dette héritée de la crise sanitaire. L’Italie, l’Espagne prévoient de réduire leur endettement de 10 points de PIB sur la même période. Cette divergence vient du fait que la France aurait le déficit structurel le plus élevé des huit pays étudiés.
À l’automne, vous pourrez compter sur nous, et vous nous trouverez pour défendre une mesure simple et concrète pour redresser les comptes publics : la mise en place d’une règle d’or. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi en préambule, comme certains l’ont déjà fait, de souligner le fait que ce projet de programme de stabilité nous a été transmis bien tard. Plus de trois mois de retard, alors que notre pays assurait la présidence du conseil de l’Union européenne ! Ce document, censé dessiner la trajectoire de nos finances publiques, a été reçu in extremis, vendredi dernier, ce qui traduit une absence totale de respect pour notre travail.
Cela dit, il n’est pas besoin de plus de temps pour constater le manque de fiabilité et l’insincérité des hypothèses économiques, largement optimistes et surestimées, qui le sous-tendent. Vous piochez dans la fourchette haute des prévisions, certainement parce que celles de la Banque de France ou des conjoncturistes, plus réalistes, étaient trop embarrassantes. L’effet combiné de ces évaluations en trompe-l’œil est de surestimer la santé économique du pays et, hélas, de sous-estimer les difficultés des ménages dans les années à venir.
Malgré vos efforts de dissimulation, vous proposez bel et bien de réduire drastiquement le rythme de croissance des dépenses publiques, qui n’augmenteront plus que de 0,6 %. Vous actez donc, contrairement à ce que vous affirmez, le début d’une période d’austérité.
Il n’y a pas de surprises dans ce texte, tant il est pétri d’orientations néolibérales et de mesures antisociales basées sur des réformes structurelles, telles que l’aménagement des retraites et de l’assurance chômage, et prises pour faire des économies, alors même que l’effet que vous en espérez est loin d’être certain.
Faute d’agir sur les recettes, comme nous le préconisons, et d’appliquer une fiscalité plus exigeante sur les hauts revenus et les profits, vous continuerez à faire peser sur les classes moyennes et populaires les frais de cette politique, puisque les revenus de transfert et l’accès aux services publics diminueront, ce qui provoquera, à terme, un creusement des inégalités.
Ne nous leurrons pas, contrairement à ce qui a été affirmé, les collectivités ne seront pas épargnées par cette politique austère, alors que beaucoup d’entre elles sont déjà exsangues. Elles font face, elles aussi, à l’inflation pour leurs dépenses de fonctionnement. Pourtant, leurs dépenses devront baisser de 0,5 %, en sus de l’affaiblissement progressif de leur autonomie consécutif à la suppression, à partir de 2023, de la seconde moitié de la CVAE.
Les préconisations de votre programme de stabilité feront donc inévitablement pâtir la qualité du service public, auquel vous allez porter un coup fatal, alors qu’il garantit le dernier lien avec certains de nos concitoyens les plus précaires.
Surtout, l’austérité qui sous-tend ce programme de stabilité n’est pas compatible avec l’impératif de conversion écologique. En autorisant des hausses ciblées sur les secteurs prioritaires que sont les armées, l’intérieur, la recherche, la justice et l’aide publique au développement, ce document élude de facto le secteur de l’écologie, qui a pourtant cruellement besoin de financements publics. Malgré votre obstination à en faire un détail de l’histoire, il n’est pas acceptable, il est même dangereux de continuer à vous engluer dans l’inaction climatique, en ne prévoyant pas de mesures à la hauteur d’un des plus grands défis que nous ayons à affronter.
La programmation que vous nous présentez est climaticide. Il fallait un changement de paradigme clair. Vous en êtes incapables, comme les débats que nous avons eus il y a peu sur le PLFR l’ont, encore une fois, démontré. Vous auriez pourtant pu financer ces dépenses indispensables à notre avenir par les mesures fiscales justes que nous vous proposions, et que d’autres proposaient également : un ISF climatique ou une contribution des superprofits des multinationales.
Mes chers collègues, ce que ce document ne dit pas est plus important que ce qu’il dit : l’austérité est devant nous, alors que les besoins sociaux et environnementaux sont criants. Nous ne pouvons avec sincérité donner caution à ce programme insincère.
Monsieur le ministre, vous vous entêtez dans un système idéologique délétère, sans tirer les leçons du passé et en voulant obstinément respecter les impératifs budgétaires de Maastricht. Pourtant, le seuil de 3 %, dépourvu de fondement économique, avait été jugé dépassé par le Président de la République lui-même. Le présent programme en expose d’ailleurs à lui seul l’absurdité économique. Même à partir de chiffres excessivement optimistes, le Gouvernement arrive à peine à passer sous la barre des 3 % en 2027, et ce sans réussir pour autant à réduire le niveau d’endettement.
Il est grand temps, monsieur le ministre, d’être lucide sur l’incompatibilité structurelle entre les besoins d’investissement public immédiats et ambitieux que la transition écologique nous impose et les règles budgétaires européennes, qui entravent nos capacités de dépenses publiques.
Mener deux combats de manière simultanée condamne irrémédiablement à échouer dans les deux. Il est grand temps d’avoir le courage de mettre en place une politique de soutenabilité budgétaire fondée sur un principe de soutenabilité économique et environnementale, et non pas seulement sur des critères comptables.
Vous m’avez donc compris, mes chers collègues, nous refusons un programme de stabilité qui est obsolète avant même d’avoir été mis en œuvre, un programme dont l’optimisme est si farouche qu’il confine à la malhonnêteté et amorce des mesures dévastatrices face aux enjeux de taille qui se profilent. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)