M. Bernard Jomier. C’est vrai !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Cela ne vous fait pas plaisir, mais c’est la réalité !
Aujourd’hui, le sujet fait l’unanimité. Face à l’urgence sociale, les familles ne peuvent pas attendre le 31 octobre 2023.
Il faut arrêter l’hémorragie à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), qui connaît une réduction de son budget de 5 % par an et qui a vu 2 000 emplois disparaître. Il est urgent de remettre des moyens humains en face des besoins.
Les dispositions concernant la souveraineté énergétique, la sécurité d’approvisionnement en électricité ou le transport routier de marchandises semblent bien éloignées du pouvoir d’achat et ne vont pas réduire les factures des familles.
Il nous faut des mesures structurelles fortes, comme l’augmentation des salaires et pensions, celle du SMIC à 1 500 euros, ou la revalorisation de 10 % du point d’indice des fonctionnaires.
Nous avions de nombreuses propositions alternatives, toutes tombées sous le coup de l’article 40 de la Constitution. Elles mettaient à contribution les profiteurs de crise pour une société plus juste. Ces profiteurs, vous les connaissez, monsieur le ministre : ce sont les entreprises du CAC 40, qui ont dégagé des profits records de près de 160 milliards d’euros en 2021 ; ce sont ceux à qui vous avez déjà fait le cadeau de supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF).
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste refuse de soutenir des revalorisations inférieures à l’inflation financées exclusivement sur le dos de la sécurité sociale sans mise à contribution des entreprises et des revenus financiers.
Monsieur le ministre, comme la période des vacances est souvent propice à la lecture, je vais vous remettre nos 50 mesures pour un véritable bouclier social. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – L’oratrice remet à M. le ministre le document mentionné en descendant de la tribune.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, monsieur le ministre – je salue au passage votre présence constante en ces lieux depuis des années –, mes chers collègues, l’inflation galopante de ces derniers mois, due pour une bonne part à la flambée des secteurs énergétiques et alimentaires, nous ramène brutalement en arrière, dans les années 1970 et 1980, que j’ai malheureusement bien connues. Seulement, à cette époque, nos concitoyens vivaient avec le plein emploi des Trente Glorieuses. Aujourd’hui, beaucoup trop de nos compatriotes ont connu l’épreuve du chômage, la « galère », pourrait-on dire, et les plus fragiles d’entre nous ont besoin de solidarité.
Je me félicite donc de l’ambition affichée dans l’intitulé du projet de loi : protéger le pouvoir d’achat des Français. D’aucuns pourraient regretter qu’il ne l’améliore pas. Je regrette pour ma part que nous ne parlions pas plus volontiers de « pouvoir de vivre ». En cet instant, permettez-moi d’avoir une pensée émue pour Frédéric Sève, secrétaire national de la CFDT, qui vient de nous quitter brutalement. Nous sommes plusieurs ici à l’avoir bien connu au Conseil d’orientation des retraites (COR), et nous le regretterons. Il manquera au dialogue social, notamment sur les retraites.
Au groupe Union Centriste, nous considérons que le projet de loi va dans le bon sens, et nous le soutiendrons. J’en profite pour saluer le travail de nos rapporteurs, qui ont éclairé nos débats tout en sécurisant le texte.
Évidemment, les moyens dont dispose le Gouvernement ne sauraient contraindre les employeurs à une augmentation des salaires hors SMIC. Il s’agit là de les aider, en luttant contre l’inflation économique, mais également démagogique…
L’article 1er vient donc tripler le plafond de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat.
Par principe, nous ne souhaitons pas que les dispositions exceptionnelles soient pérennisées. En pratique, nous pensons que l’intéressement comme la participation en entreprise doivent être encouragés, voire facilités. Si l’accord d’intéressement reste une condition pour accorder cette prime dans les entreprises de moins de 50 salariés, les contrôles allégés et la capacité de l’employeur à prendre un accord unilatéral sont bienvenus. Il serait préjudiciable de s’en passer.
L’article 2 n’appelle pas d’observations particulières. Nous accueillons favorablement la baisse des cotisations sociales pour les travailleurs indépendants.
Sur l’article 3, qui tend à favoriser l’intéressement, notre commission a permis d’assimiler les périodes de congé paternité à une présence en entreprise pour son calcul. Elle a également limité à quatre mois la durée de la procédure d’agrément des accords de branche relatifs à l’intéressement, à la participation et à l’épargne salariale. Ces deux points méritent d’être soutenus, et nous y serons vigilants en commission mixte paritaire.
Notre rapporteur a fait adopter en commission un amendement de suppression de l’article 4, que le Gouvernement propose de réintroduire. J’entends bien l’argument de notre rapporteur, selon lequel l’article serait peu opérant. Mais j’entends aussi ce que dit Gouvernement : dix-sept branches seraient concernées depuis le 1er octobre après la revalorisation du SMIC. Nous attendons beaucoup des échanges qui auront lieu pour nous positionner à cet égard.
L’article 5 prévoit la revalorisation par anticipation des retraites et des prestations sociales. Nous soutiendrons évidemment ces dispositions, mais je veux dire ici notre opposition à toute tentative d’une revalorisation au rabais, notamment pour le RSA. Précisons que le droit prévoyait ces revalorisations. Le Gouvernement permet de le faire par anticipation sans dépasser ce qui aurait été dû. C’est bien l’esprit du texte.
Je termine par l’article 5 bis. Il s’agit là de mettre fin à une injustice sociale en déconjugalisant l’AAH. Je salue tous ceux qui, à l’instar de Philippe Mouiller, des sénateurs communistes ou de certains députés, se sont battus pour obtenir cette avancée. Il serait tentant de railler la volte-face ou la défaite du Gouvernement. Pour ma part, j’y vois plutôt le signe d’une bonne santé démocratique. Nous sommes bien toujours dans un régime parlementaire. J’y vois aussi l’espoir, monsieur le ministre, que l’écoute, la concertation et la négociation avec le Parlement deviendront désormais la règle.
Sous les réserves, le groupe Union Centriste soutiendra le projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, madame la présidente de la commission des affaires sociales, les Français sont dans le rouge : +5,8 % d’augmentation des prix en juin, et ce n’est pas terminé. Pour faire face à un tel niveau d’inflation, le plus haut jamais atteint depuis le mois de novembre 1985, il fallait réagir, et vite !
C’est ce qui est proposé dans le paquet législatif « pouvoir d’achat et PLFR ». Les enjeux sont clairs : protéger le niveau de vie, soit le reste à vivre ; relancer la consommation ; faire face à une crise énergétique, également sans précédent, le tout dans un contexte géopolitique dramatique, avec la guerre en Ukraine.
Mon groupe, le RDSE, souhaite d’abord souligner les points positifs du texte présenté par le Gouvernement, comme la revalorisation de 4 % des pensions de retraite et d’invalidité, des prestations familiales, des minima sociaux et des bourses étudiantes, ou encore la revalorisation du point d’indice de la fonction publique de 3,5 % par décret. Tout cela constitue un coup de pouce notable et immédiat.
Nous devons aussi souligner l’adoption de l’amendement au PLFR qui a permis de compenser la hausse du RSA par une dotation de 120 millions d’euros aux départements. Nous espérons en adopter un autre pour apporter de l’aide à certaines communes.
Nous sommes plus réservés sur l’article 1er. Une prime, c’est bien ; une augmentation de salaire, c’est mieux !
En effet, si 20 % des salariés en ont bénéficié, le versement moyen est de 546 euros, au lieu des 1 000 euros possibles jusqu’à maintenant. Alors, à quoi sert d’augmenter le seuil, sinon à se faire plaisir avec des effets d’annonce ?
Sur le modèle de l’article 2, qui prévoit une exonération de charges pour les travailleurs indépendants, il aurait été préférable de pousser plus loin les exonérations de charges sociales ou de la contribution sociale généralisée (CSG) pour les bas salaires. Une telle mesure constituerait un véritable bol d’oxygène pour les ménages et revaloriserait la valeur travail, chère au groupe RDSE (M. Bernard Fialaire applaudit.), mais aussi – j’en suis sûr – à d’autres.
Sceptiques, nous le sommes aussi concernant les loyers. En effet, d’un côté, on accroît de 3,5 % les APL, et, de l’autre, on bloque à 3,5 % l’augmentation des loyers. Certes, on bloque, mais cela n’évite pas l’effet pervers mathématique… Si le plus ancien groupe du Sénat ne peut pas se permettre d’emprunter l’expression « d’enfumage », chère à certains députés, il n’en pense pas moins !
Nous constatons que les 8 euros en moyenne gagnés grâce à la hausse des APL ne compenseront jamais l’augmentation des loyers. Par exemple, pour un loyer de 600 euros, l’augmentation pourra être de 21 euros. Je ne crois pas que l’effort profite à tous de la même façon.
De plus, quid des locataires qui ne touchent pas d’APL et qui ne sont pas pour autant des nantis ?
Nous aurions préféré subordonner cette augmentation aux travaux de rénovation énergétique. Nous proposerons d’ailleurs plusieurs amendements en ce sens. Le « bouclier loyer », tel qu’il est qualifié par le Gouvernement, n’apparaît en fait que comme un tout petit pare-feu.
Que dire enfin des propositions du titre III, dont l’intitulé fait référence à la « souveraineté énergétique » ?
Comment en sommes-nous arrivés à prévoir la prolongation du fonctionnement des centrales à charbon alors qu’elles devaient fermer en totalité avant le 31 décembre 2022 ? Quel retour en arrière ! Exit les enjeux de changement climatique ! En 2020, les quatre centrales à charbon produisaient 1,3 % de l’électricité nationale et 30 % des gaz à effet de serre du secteur électrique … Sans commentaire !
Tout cela est envisagé sous couvert d’une urgence liée à la crise énergétique.
L’Union européenne importe actuellement plus de 60 % de son énergie, contre 44 % en 1990.
Pourquoi n’avons-nous pas vu venir les conséquences de cette dépendance ? Bien sûr, le gouvernement actuel n’est pas le seul responsable. Aucune stratégie de crise n’a été collectivement prévue. Rien n’a été anticipé, y compris, et c’est plus grave, pour l’existant : 30 réacteurs nucléaires sur 56 sont à l’arrêt. Sachant que la production d’électricité en France dépend très largement du nucléaire, il est permis de s’interroger sur notre organisation et notre gestion.
Aujourd’hui, nous demandons aux Français de faire des efforts d’économie d’énergie, avant, peut-être, d’en arriver demain à des coupures quotidiennes … Ce n’est pas sérieux ! Tout est pensé dans la précipitation !
J’en viens aux aménagements au droit de l’environnement pour le terminal flottant au large du Havre. Même si nous sommes conscients de l’urgence, les élus locaux qui voient leurs projets photovoltaïques sur d’anciennes décharges refusés apprécieront la dispense d’évaluation environnementale.
Bref, la crise et l’urgence ne peuvent pas toujours justifier un blanc-seing donné aux autorités publiques.
Côté pouvoir d’achat, nous attendons que le PLFR aille plus loin.
Si la note du caddie est salée pour les consommateurs, les produits agricoles ne doivent pas être la variable d’ajustement. Entre crise sanitaire, crise géopolitique, crise énergétique, les Français payent le prix fort. De nos débats et de nos votes dépend leur quotidien. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement, ayant confiné tout l’été, se trouva fort dépourvu quand l’inflation fut venue !
Pas un seul petit morceau de regain dans les hôpitaux. Il administre de la morphine au contribuable en famine.
Ce projet de loi sur le pouvoir d’achat annonce un saupoudrage ponctuel et coûteux dans un contexte d’inflation historique et durable. Il ne réglera donc rien !
Vous nous demandez d’arroser d’une goutte d’eau la plante dont vous avez asséché le terreau en ayant voulu jouer au mariole avec votre politique du « quoi qu’il en coûte ». Celle-ci a laissé sous-entendre, à tort, une forme de générosité de l’État, alors que, Margaret l’a dit avant moi : « L’argent public n’existe pas ; il n’y a que l’argent des contribuables. » À l’épisode de l’argent magique succède désormais celui de l’appauvrissement tragique.
Contrairement à ce que vous tentez de nous faire croire, la cause russo-ukrainienne est marginale dans l’explosion de l’inflation. Celle-ci a commencé début 2021, comme la conséquence directe des confinements, avec les dix-huit mois de restrictions et le recours massif à l’usage de la planche à billets par les banques centrales.
Depuis, nous avons eu la hausse des prix de l’énergie, du prix à la pompe, des denrées alimentaires.
Si vous ne voulez pas revoir les rues de France couvertes de « gilets jaunes » rouges de colère, il faut agir, et vite, monsieur le ministre !
Nous pourrions, par exemple, remplacer au moins 25 % du total de la prime de Noël et de l’allocation de rentrée scolaire par des bons d’achat fléchés exclusivement vers des produits fabriqués en France, soit 1,25 milliard d’euros pour l’emploi, sans aucune dépense publique supplémentaire. Le meilleur moyen de débloquer de l’argent pour nos compatriotes, c’est d’abord de ne pas leur prendre ce qu’ils ont gagné. Mettez un terme à votre racket fiscal envers ceux qui entreprennent, ceux qui travaillent et qui, donc, produisent de la richesse !
Monsieur le ministre, vous qui, par votre incurie énergétique, voulez rationner les Français en énergie, commencez par rationner l’État en impôts ! Sobriété bien ordonnée commence par soi-même, d’autant que l’année 2023 s’annonce annus horribilis. L’explosion de la dette va mécaniquement entraîner l’explosion des intérêts de la dette, qu’il nous faut payer chaque année. Ce sont plusieurs dizaines de milliards d’euros supplémentaires qu’il va vous falloir trouver.
En augmentant les impôts ? Impossible, les Français ne le supporteraient pas ! (M. Fabien Gay s’exclame.)
En rognant sur les budgets des ministères ? À l’exception des budgets dédiés à l’immigration, ils sont à l’os ! De l’argent, il y en a, et beaucoup. Je vous propose de prendre d’urgence les mesures pour lutter contre l’assistanat (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.), contre la fraude sociale, qui atteint 50 milliards d’euros, la fraude fiscale et ses 70 milliards d’euros, et, bien sûr, contre le gouffre de l’immigration, qui, sans parler du coût du sang, coûte plusieurs dizaines de milliards d’euros aux contribuables français !
Avec 600 milliards d’euros de dette sous le premier quinquennat et 10 millions de Français qui survivent sous le seuil de pauvreté, réussir à s’en sortir, et seulement à s’en sortir, dans la France du Mozart de la finance relève chaque jour un peu plus de l’exploit, ce qui devrait vous couvrir de honte, monsieur le ministre !
Les contribuables français demandent des comptes. C’est là leur moindre défaut. Que faisiez-vous au temps chaud ?, disent-ils au ministre des impôts. Nuit et jour à tout venant, je dépensais « quoi qu’il en coûte », ne vous déplaise. Vous dépensiez ? J’en suis fort aise. Eh bien, monsieur le ministre, renflouez maintenant ! (M. Sébastien Meurant applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut une réponse systémique à la nécessité de rendre aux travailleurs et aux citoyens cette puissance d’agir que constitue la possibilité d’assurer sa subsistance, de consommer, de construire son quotidien, ainsi que sa place dans la société et sa protection sociale.
Nous espérions donc dans ce projet de loi une valorisation du travail, une clarification de ce qu’est le travail et des droits qu’il apporte. Nous attendions des mesures permettant de consolider le salariat et notre système de protection sociale.
Rien de tel dans ce texte, qui ignore la question salariale, pourtant au cœur de celle du pouvoir d’achat ! Je dirais même que la réponse systémique du Gouvernement vire au cynisme. Vous jouez de diversion au moyen de multiples mesures, dont certaines dépassent formellement le champ des affaires sociales, pour finalement aggraver la prédation à l’encontre de la sécurité sociale.
Vous faites le choix délibéré d’un revenu désocialisé et défiscalisé. Et c’est sous la pression de la crise inflationniste que les travailleurs, pris à la gorge, se voient proposer la substitution de la prime au salaire, parallèlement à une modération du coût du travail, c’est-à-dire des salaires.
Avec la prime de partage de la valeur, l’exceptionnel devient donc la règle. Cette prime pérennise en effet un dispositif facultatif, temporaire et discrétionnaire.
Ainsi, le plafond de la « prime Macron » est augmenté pour atteindre 6 000 euros. Ce chiffre crée une diversion. Nous savons en effet que, malgré un plafond passé à 2 000 euros depuis sa mise en place en 2019, le montant moyen de cette prime n’a jamais dépassé 506 euros.
Par ailleurs, en 2019, selon l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), les 2 millions de salariés bénéficiaires de la prime représentaient seulement 10,7 % du total des salariés. D’où le cynisme…
Monsieur le ministre, les Français ne demandent pas l’aumône. Ils demandent des salaires justes, une protection sociale de qualité et des conditions de travail dignes.
Dans le même temps, et parce que cela va de pair, le Gouvernement continue à faire du dialogue social un simple décor en renvoyant les partenaires sociaux à un statut de figurants. En atteste son choix de faire mine d’inciter les branches à la négociation sur les salaires avec son article 4, qui ne constitue pas, à notre sens, un soutien suffisant aux revalorisations salariales.
Si les travailleurs pauvres et les « premiers de corvée » sont ignorés ici, l’enjeu n’est pas seulement la modération salariale. Il s’agit aussi de programmer l’obsolescence du salariat et des protections qu’il apporte.
L’intéressement croissant à l’épargne salariale voulue par le Gouvernement est de fait un dispositif d’évitement du salaire, ce qui participe de ce mouvement.
Il donne le pouvoir à l’employeur de décider unilatéralement de mettre en place ce dispositif dans les entreprises de moins de 50 salariés, en cas d’échec des négociations ou en l’absence d’institutions représentatives du personnel.
Le texte fragilise donc la sécurité sociale en la privant de ressources dans l’objectif, toujours, de relancer l’activité économique. Le patrimoine que constituent pour les Français les assurances sociales est en effet dilapidé par le Gouvernement depuis longtemps. Je pense au choix de faire porter sur la sécurité sociale la dette covid et au refus de compenser le trou creusé par les 2,8 milliards d’euros de mesures prises en réponse à la crise des gilets jaunes.
La revalorisation exceptionnelle de 4 %, qui est une bonne chose, n’est par ailleurs pas suffisante pour améliorer le tableau de votre texte.
M. Stéphane Piednoir. Il faut la mettre à 10 %… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Monique Lubin. Elle ne fait qu’anticiper les revalorisations de droit commun prévues d’octobre 2022 à avril 2023, et elle ne suffira pas à compenser la forte augmentation de l’inflation, évaluée par l’Insee de 6 % à 7 % cette année.
Au registre des déceptions, la majorité du Sénat emboîte d’ailleurs le pas à l’exécutif, puisque, peut-être inspirée par le choix de l’Assemblée nationale de mettre en place une monétisation des RTT menaçante pour les 35 heures, elle a décidé de baisser les cotisations patronales au titre des heures supplémentaires.
Cette logique de fragilisation de la sécurité sociale est aussi à l’œuvre avec la baisse pérenne des cotisations des indépendants. Pour un gain de 550 euros de revenus annuels, on sacrifie ainsi leur protection sociale. Cela confirme la marche vers l’ubérisation du travail, que nous dénonçons maintenant depuis plusieurs années.
Vous refusez l’idée d’une grande conférence sur les salaires, qui aurait pour objectif d’amener les employeurs à augmenter les salaires. Et, dans le même temps, vous leur donnez les outils pour contourner le salariat.
In fine, nous savons tous qui seront les perdants, et la grande idée de loi sur le pouvoir d’achat ne sera que le faux nez d’une stratégie de fragilisation du salariat. Cynisme toujours ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, mesdames, messieurs les présidents de commission, mesdames, messieurs les rapporteurs, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans les périodes de crise, l’inédit commande.
Depuis deux ans et demi, combien de fois nous sommes-nous retrouvés, Parlement et Gouvernement, pour prendre des mesures urgentes et protéger nos compatriotes, afin de les aider à tenir d’abord face à la crise sanitaire, puis face aux conséquences de la guerre en Ukraine ? Je crois que, tous ensemble, nous avons collectivement répondu présents : Président de la République, gouvernements successifs, Assemblée nationale, Sénat. Les Icaunais peuvent en témoigner, comme les habitants de tous les territoires. Plans de soutien, plans de relance : l’État a été là, l’État est là et l’État sera là.
L’État a été là. Dès l’automne dernier, sans délai, le bouclier tarifaire était mis en place pour limiter la hausse des coûts de l’énergie pour les ménages, les petites entreprises et les petites communes.
L’État est là. Avec ce texte, nous déployons de nombreuses protections nouvelles : un bouclier loyer, un bouclier revenus, un bouclier social, un bouclier énergie. Tout cela, les Français en ont besoin tout de suite. C’est ce qui justifie que nos travaux en commission aient été conduits à un rythme soutenu ; je salue nos rapporteurs et tous ceux parmi nous qui ont œuvré d’arrache-pied.
L’État sera là, demain et après-demain encore. En effet, au-delà de l’aspect défensif, au-delà de tous ces boucliers, nous avons aussi le devoir d’être offensifs pour favoriser le « pouvoir de vivre », expression qu’a également employée Jean-Marie Vanlerenberghe.
Dans l’immédiat, comme l’urgence est là, ce projet de loi est à nos yeux trois fois nécessaire ; c’est pourquoi le groupe RDPI lui dira donc trois fois oui !
Oui, pour juguler l’inflation ! Je note à ce propos que les Français sont mieux protégés que les autres Européens.
Oui, pour mieux protéger les consommateurs !
Oui, pour assurer notre approvisionnement énergétique !
Nous dirons trois fois oui, car ce texte porte en lui des mesures très concrètes.
Il s’agit d’abord de faire en sorte que le travail paye mieux. Je pense aux baisses de cotisations pour les travailleurs indépendants et leurs conjoints collaborateurs, ajout très utile de l’Assemblée nationale, ainsi qu’à la prime de partage de la valeur et à la prime d’activité revalorisée.
À cet égard, Xavier Iacovelli, Martin Lévrier et moi-même défendrons le rétablissement de l’article 4. En finir avec les minima de branche inférieurs au SMIC, à partir desquels les primes d’ancienneté sont parfois calculées, c’est redonner du pouvoir d’achat aux travailleurs. Il s’agit d’une mesure utile et pertinente. Nous en souhaitons donc la réintroduction.
En parlant de droit du travail, j’ai ce matin une pensée pour Nicole Bricq, qui, voilà presque cinq ans jour pour jour, défendait ici la réforme du code du travail.
Le présent projet de loi contient aussi des mesures très concrètes pour que la solidarité nationale soit toujours au rendez-vous.
Je pense aux revalorisations anticipées des prestations familiales, des pensions de retraite et d’invalidité et du RSA, ainsi qu’à la réforme ambitieuse de l’AAH, avec sa déconjugalisation en complément de sa revalorisation.
Le texte renforce également la solidarité nationale pour protéger ce qui est essentiel, par exemple le logement. À cet égard, la revalorisation de l’APL dès le 1er juillet, couplée à la limitation à 3,5 % de la variation de l’indice de référence des loyers (IRL), est un soutien clair apporté à nos compatriotes.
Il nous faut aussi regarder de près la situation des outre-mer, cher Thani Mohamed Soilihi, chère Marie-Laure Phinera-Horth. Notre groupe, sur la proposition de Dominique Théophile, souhaite limiter à 2,5 % la progression maximale de l’IRL outre-mer, car certaines diversités doivent être prises en compte.
Nous souhaitons aussi protéger ce qui est essentiel pour nos commerçants : leurs locaux. Nous voulons faire en sorte que, de la Côte-d’Or à l’Isère ou à l’Eure, la logique de plafonnement de la hausse des loyers s’applique aux locaux commerciaux. Je me réjouis qu’un large accord ait été atteint avec les parties prenantes. Il n’attend désormais plus que l’onction législative.
De nombreuses dispositions du texte vont par ailleurs permettre aux Français d’éviter les dépenses inutiles. Nos compatriotes connaissent en effet des injustices. Pourquoi ne faut-il que quelques secondes pour souscrire un abonnement en ligne, mais parfois plusieurs mois pour obtenir une résiliation ? Cet état de fait est incompréhensible. Nous saluons donc la mise en place du bouton résiliation, tout en formulant quelques propositions d’aménagement du dispositif, afin que des contraintes excessives ne pèsent pas sur les très petites entreprises. Celles-ci ne sont pas forcément équipées en matière numérique.
Toujours en matière de consommation, le texte s’attaque aussi aux engagements contractuels frauduleux, car les pratiques commerciales déloyales sont – hélas ! – en train d’exploser. Martin Lévrier, Frédérique Puissat ou encore Corinne Féret pourraient en parler savamment, et notamment témoigner de certaines dérives observées sur le compte personnel de formation (CPF).
Les pouvoirs de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) seront donc renforcés. C’est heureux. Il est bienvenu que de telles dispositions aient pu être inscrites en dur.
Le texte contient également des mesures très concrètes en matière énergétique, avec le bouclier tarifaire. Ces réponses pragmatiques et raisonnables seront compensées par des dispositifs permettant, en matière d’émissions de gaz à effet de serre, de rester dans une logique de développement durable. Je sais combien ce sujet est cher à Michel Dagbert comme à Frédéric Marchand.
Les aménagements relatifs à l’Arenh ouvrent forcément un débat, mais on ne peut nier qu’un tel mécanisme protège aujourd’hui les consommateurs et les entreprises ; il mérite donc d’être conforté.
Au-delà du pouvoir d’acheter, nous nous devons, pour reprendre le titre déjà évoqué d’un pacte établi par de nombreux acteurs de la société civile, de développer le pouvoir de vivre.
Il ne suffit pas de permettre à tous de boucler les fins de mois : ayons plus d’ambition ! Chaque Française, chaque Français doit avoir un revenu disponible décent, car c’est ce qui permet d’avoir de la liberté. Or c’est – hélas ! – désormais trop souvent un luxe pour bien des Français des classes modestes et moyennes. Pourtant, cette liberté n’est pas un luxe ; elle est essentielle !
Alors, que faire ? Il faut d’abord faire en sorte que chacun puisse avoir un travail : c’est le chantier du plein emploi, monsieur le ministre. Il faut pour ce faire mettre le paquet sur l’éducation, mais aussi faire en sorte que chacun puisse avoir un travail rémunérateur. La juste considération, c’est la juste rémunération, et non pas juste une rémunération.
Alors, monsieur le ministre, nous serons à vos côtés pour défendre le pouvoir d’achat. Nous le serons aussi, tout au long des prochains mois, pour mener d’autres transformations, afin que chacun ait le droit de vivre dans la dignité ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)