M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’histoire du XXe siècle fut celle de la lutte à mort entre les démocraties et les totalitarismes. Parfois très près de la perdre, nous l’avons gagnée par deux fois : la première lors de la chute du mur de l’Atlantique, la seconde lors de la chute du mur de Berlin. Nous avions cru cette victoire définitive. Le XXIe siècle nous apprend que nous nous trompions et le 24 février 2022 ne marque une rupture que pour ceux qui ne l’avaient pas encore compris.
L’invasion russe n’est qu’un épisode particulièrement sanguinaire illustrant le retour de cette lutte mortelle, retour qui a commencé à Grozny et qui s’est poursuivi en Ossétie, en Abkhazie, en Transnistrie, en Syrie, en Libye, qui a lieu aujourd’hui en Ukraine et en Afrique, et demain, en mer de Chine.
Ne nous y trompons pas : ce n’est pas la Russie, au PIB égal à celui de l’Espagne, qui va changer la donne, malgré ses rodomontades nucléaires. C’est la Chine, bientôt première puissance mondiale, qui scrute attentivement l’issue du conflit en Europe pour déterminer sa stratégie à l’égard de Taïwan et du monde démocratique. Les Américains le savent au moins depuis Obama. Les Européens auraient aimé conserver leurs illusions. Ils pensaient, certains par mercantilisme, d’autres par anti-américanisme, d’autres enfin par lâcheté ou naïveté, que le bourreau leur accorderait encore un instant.
La sale guerre de Poutine, c’est atroce à dire, nous a ouvert les yeux. Victime du piège de Thucydide, le tueur du Kremlin est allé trop loin, trop tôt. Il pensait diviser l’Europe, il la cimente ; ridiculiser l’OTAN, il la retrempe ; humilier les États-Unis, il ressuscite Biden après le revers de Kaboul ; rallier les dictatures sous sa bannière, la Chine s’inquiète de cette erreur stratégique, la Turquie montre les dents, le Kazakhstan refuse l’envoi de ses soldats.
L’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN est un symbole majeur indiquant que nos yeux sont enfin ouverts, tout comme le sont les sanctions enfin efficaces, l’aide militaire importante accordée à l’Ukraine et la mobilisation unanime des démocraties.
La prise de conscience est – hélas ! – tardive ; c’est toujours le point faible des démocraties. Croire, en 2008, après la guerre en Géorgie, qu’on pouvait continuer d’être des partenaires de la Russie, renoncer à répondre aux attaques chimiques dans la Ghouta en 2013, se borner à quelques sanctions lors de l’annexion de la Crimée en 2014, c’était laisser la porte ouverte aux rêves de conquête du petit caïd de Saint-Pétersbourg, devenu colonel du KGB, puis dictateur, puis boucher.
Ne recommençons pas ces erreurs. À ceux qui espèrent le lâche soulagement d’une négociation conduite par-dessus la tête des Ukrainiens, il faut répondre que c’est aux Ukrainiens de décider, et qu’ils ont décidé de défendre jusqu’au bout leur liberté et la nôtre. À ceux qui craignent d’humilier Poutine, il faut rappeler que, pendant des décennies, ce sont les peuples d’Europe de l’Est qui ont été humiliés, occupés, colonisés par l’Union soviétique ; que c’est l’Ukraine qui est aujourd’hui humiliée, massacrée et détruite ; que toute autre solution que celle du retour aux frontières de l’Ukraine antérieures à 2014 serait la défaite de ce pays, celle des démocraties et du droit international. Elle préfigurerait d’autres agressions, d’autres conflits et d’autres défaites. Elle signifierait, pour les alliés de l’Occident, la certitude que d’autres abandons surviendraient, à Taïwan, au Moyen-Orient, en Afrique ou ailleurs. Et pour les pays qui hésitent, elle représenterait une tentation irrésistible – regardez déjà les votes à l’ONU ! –, celle de tomber du côté des dictatures. Notre objectif doit être la défaite de Poutine.
Le deuxième point faible des démocraties est celui du long terme face à une guerre qui affecte l’économie, qui aggrave l’inflation, qui augmente les dépenses d’énergie. Il faudra tenir quand la mauvaise petite musique de la cinquième colonne des extrémistes de droite et de gauche, munichois hier, poutiniens aujourd’hui, renforcée par tous les trolls, les bots et les trash media, viendra susurrer à nos oreilles que la guerre coûte trop cher, que tout n’est pas noir ou blanc, que nous sommes les agresseurs, que ce n’est pas notre guerre, alors que bien sûr elle l’est, n’en déplaise à ceux qui, ici ou à l’Assemblée nationale, s’apprêtent – honte à eux ! – à voter contre ce texte de ratification.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Très bien !
M. Claude Malhuret. Troisième défi : la guerre a convaincu les Européens d’accepter enfin la boussole stratégique proposée par Emmanuel Macron, qui jusqu’à présent prêchait dans le désert. Parviendrons-nous à réaliser ce réarmement et combien de temps mettrons-nous ? Et comprendrons-nous enfin que c’est un siècle d’affrontement des dictatures et des démocraties qui s’ouvre de nouveau, que les dictatures et les totalitarismes – aujourd’hui la Russie, demain la Chine – portent en eux la guerre comme la nuée l’orage et qu’il faut choisir son camp ?
Prétendre échapper à ce cadre géostratégique ou y occuper une position de neutralité, tout en comptant sur la protection du parapluie américain, serait une incompréhension des rapports de force. L’Europe puissance ne se conçoit que dans l’existence d’une alliance toujours plus étroite avec les autres démocraties, alliance qui assure notre sécurité depuis 1945, et dans l’appartenance renforcée à l’institution qui incarne cette alliance depuis 1949 : l’OTAN. Bienvenue à nos frères finlandais et suédois ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a quelques mois, je recevais à votre demande, monsieur le président, le président finlandais Sauli Niinistö.
À ma grande surprise, alors que des notes et des rapports soulignaient que la Finlande ne voulait pas changer de position et cherchait à s’arranger, ou à trouver un terrain d’entente, avec la Russie, le président finlandais, conservateur élu en 2012, m’annonçait avoir conclu un accord avec sa Première ministre sociale-démocrate, en poste depuis 2019, et souhaiter adhérer à l’OTAN, contrairement aux déclarations de la classe politique finlandaise ou suédoise depuis des années. J’ai immédiatement transmis cette information au président du Sénat, en lien avec le Quai d’Orsay.
Mes chers collègues, je tiens à vous rassurer – je vous sentais inquiets –, le groupe Les Républicains, votera ce projet de loi.
M. Rachid Temal. Ah !
M. Roger Karoutchi. Il est exact de dire que c’est un énorme succès pour l’OTAN. C’est un énorme succès de compter parmi ses membres ces deux États européens puissants, dotés de fortes armées, de consciences politiques et d’un passé. Le président Cambon l’a rappelé : la Suède est neutre depuis deux siècles, depuis Bernadotte, et la Finlande, malheureusement pour elle, a été « finlandisée », contre son propre avis, après la Deuxième Guerre mondiale et l’invasion soviétique de 1940 en Carélie.
Néanmoins, c’est aussi le résultat d’un échec. C’est le résultat de l’agression russe en Ukraine, qui a suscité en Europe de l’Est, sinon de la terreur, au moins de très fortes inquiétudes.
Si les pays baltes et la Pologne ont adhéré, dans le passé, à l’OTAN, c’était effectivement pour y participer et être protégés du géant russe voisin. Aujourd’hui, la Finlande et la Suède se disent qu’il n’est plus possible de discuter, de négocier ou de trouver des accords avec la Russie, et qu’elles ont besoin du bouclier de l’OTAN.
Le président Cambon rappelait que l’OTAN était qualifiée, il y a deux ou trois ans, de « machin quasi mort » dont on se demandait s’il fallait y mettre un terme et créer une autre organisation. On parlait alors davantage du bouclier européen, du modèle européen ou d’une armée européenne, de la capacité de l’Europe à se défendre par elle-même.
Cependant, aujourd’hui, le réalisme l’a emporté. Toute l’Europe se réjouit d’avoir la protection des Américains et des États, comme la Finlande et la Suède, s’empressent de revenir vers l’Alliance. Alors qu’ils auraient pu se contenter de la solidarité des États membres de l’Union européenne en cas d’agression armée, définie par l’article 42, paragraphe 7, du traité sur l’Union européenne, ils préfèrent bénéficier, en plus, de la protection de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord.
Effectivement, un premier résultat de l’agression sauvage de Poutine en Ukraine est la résurrection de la volonté européenne de participer à l’OTAN et, en France, de l’accord des opinions publiques, qui étaient très divisées sur le sujet et qui maintenant font bloc au regard de ce qui se passe en Ukraine.
Je ne veux pas être trop long, puisque les choses sont claires pour nous : cette adhésion apporte une force supplémentaire. La Finlande a 1 300 kilomètres de frontières avec la Russie ; elle l’a durement payé dans le passé – et Poutine est un peu imprévisible, il faut le dire. En effet, en France ou ailleurs, madame la ministre, au début de cette année, on affirmait qu’il n’y aurait pas d’invasion russe de l’Ukraine. Puis l’invasion a eu lieu et, à partir de ce moment, les gens ont réagi avec émotion, avec toutes les tensions que cela implique, et nous sommes évidemment partie prenante.
Cette adhésion, on l’a dit, entraîne un nouveau chantage du maître d’Ankara : chantage au sujet du PKK, chantage au sujet des mouvements avec lesquels nous avions des accords dans le cadre de la lutte contre Daech.
Jusqu’où l’OTAN et ses États membres doivent-ils aller pour satisfaire la Turquie et l’empêcher de bloquer l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN ? C’est un réel enjeu. J’ose espérer, madame la ministre, comme vous l’avez dit, que ce mémorandum n’était pas un engagement de l’ensemble de l’Europe et de l’OTAN, mais seulement de la Suède. Mais enfin, quelle est l’étape suivante ?
Pour le moment, la Turquie n’a pas donné son accord à l’adhésion de ces pays. N’allons-nous pas avoir dans les jours qui viennent de nouvelles demandes, de nouveaux chantages ? Hier, le gouvernement turc s’exprimait de nouveau, à travers deux voix : d’un côté, celle des « durs », qui soutenaient ne pas avoir obtenu assez pour accepter l’adhésion ; de l’autre, celle des diplomates qui essayaient d’enrober le propos.
Cela souligne néanmoins que, si nous sommes contents que la Finlande et la Suède adhèrent à l’OTAN, ce n’est pas facile tous les jours de gérer l’OTAN avec la Turquie.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. C’est vrai !
M. Roger Karoutchi. Il existe donc un problème permanent ayant trait à la vie, à l’avenir de l’OTAN.
Et puis, les orateurs précédents l’ont dit, on ne sait pas ce qui va se passer avec la Chine. Hier, des annonces ont été faites par des organismes chinois, certes non gouvernementaux, semblant indiquer que le règlement de la question de Taïwan n’était plus qu’une question de semaines. On pourrait en déduire qu’ils estiment que l’affaire ukrainienne montre qu’ils peuvent avancer. Bien sûr, les États-Unis et leur flotte sont présents et la protection de Taïwan assurée.
J’ajouterai, madame la ministre, que Poutine a ressuscité non seulement Biden, mais aussi la volonté d’hégémonie américaine. Les États-Unis sont ainsi les champions en Europe, les champions en Ukraine, dotés d’une industrie militaire capable de répondre aux demandes de tous les États qui, par inquiétude, augmentent leurs crédits et leurs budgets militaires et vont passer des commandes. L’industrie militaire américaine va très bien s’en porter.
En Asie, les États-Unis nous demandent, alors que nous avons toujours soutenu avoir un modèle indo-pacifique, que nous avons la Nouvelle-Calédonie, que nous voulons négocier avec l’Australie – plus ou moins bien – et avec les uns les autres, si finalement nous n’allons pas être obligés de nous aligner sur leur position à l’égard de la Chine, puisque tout est lié dans un ensemble mondial. Ainsi, Poutine se rapproche de la Chine, donc les États-Unis soutiennent Taïwan et l’Europe, et ils nous poussent à participer à l’OTAN.
Attention, madame la ministre : oui, nous sommes évidemment tous d’accord en France pour soutenir l’Ukraine ; oui, nous sommes évidemment tous d’accord pour condamner la Russie ; oui, évidemment, nous sommes tous d’accord – peut-être pas tous d’ailleurs – pour dire que l’adhésion de la Finlande et de la Suède est une bonne idée pour protéger des nations européennes qui peuvent avoir besoin d’un bouclier et ont intérêt à en avoir un.
En même temps, madame la ministre, j’ai entendu le Président de la République parler de la boussole stratégique européenne, de la souveraineté de l’Europe. Il faut faire attention à ce que la crainte et la peur suscitées par l’invasion de l’Ukraine, la crainte de ce qui peut se passer à Taïwan, ne fassent pas des États-Unis le seul pays capable de fédérer les États afin de faire face aux craintes, aux tyrans, aux dictatures et pour défendre les démocraties.
L’Europe doit exister davantage. L’Europe doit imposer, dans certains cas, sa vision. Je pense – et vous l’aviez dit d’ailleurs, madame la ministre, à plusieurs reprises – que la force de l’Europe doit se manifester. Oui à l’adhésion de la Suède et de la Finlande, mais oui aussi à une Europe qui conserve sa puissance, sa force et ne soit pas uniquement à la traîne des autres. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDPI et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons dans des conditions relevant d’une extraordinaire urgence, justifiées par un bouleversement géopolitique tout aussi extraordinaire, la demande d’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord.
Cela a été dit et redit, jamais, au regard de la neutralité historique – imposée ou pas – de ces deux pays, nous n’aurions imaginé la tenue d’un tel débat, il y a encore quelques mois. Cette volonté de la Suède et de la Finlande de rejoindre l’Alliance atlantique, mettant fin à des siècles pour l’une, des décennies pour l’autre, de neutralité militaire, illustre avec force le bouleversement extraordinaire de l’ordre mondial et des équilibres géopolitiques européens provoqué par l’invasion russe de l’Ukraine.
Trente et un ans après la chute de l’URSS, l’OTAN a brusquement, et malheureusement, retrouvé sa raison d’être. Ce retour de la puissance américaine aux affaires européennes, quelque peu délaissées depuis le début de la présidence Obama, est également un fait nouveau qui n’est pas sans soulever des interrogations.
Elle illustre en tout cas la faiblesse, réelle ou ressentie, de l’Union européenne lorsqu’il s’agit d’assurer sa sécurité collective. Le souhait de la Finlande et de la Suède de rejoindre l’OTAN témoigne de la confiance, toute relative, que ces deux pays accordent à l’article 42 du traité sur l’Union européenne, qui garantit l’entraide militaire mutuelle entre ses membres.
Nous ne pouvons par conséquent que nous interroger sur l’efficacité de l’action diplomatique de la France ou, plus accessoirement, sur l’influence politique des écologistes dans la recherche d’une défense européenne collective. Je ne ferai pas mystère des positions historiques de ma famille politique, qui a toujours milité pour le développement d’une défense européenne capable de renforcer l’autonomie diplomatique et stratégique du continent à l’égard du partenaire états-unien.
Je n’aurais pas imaginé me retrouver un jour dans la position de plaider avec force pour un élargissement de l’OTAN. Mais comment pourrait-il en être autrement ? Comment, alors que la Russie agresse l’Ukraine et menace la Suède et la Finlande, ne pas répondre favorablement à leur demande souveraine et démocratiquement concertée d’adhésion à l’Alliance ? Comment pourrions-nous envoyer à la Russie et au monde un tel message de désunion et de faiblesse ? Il n’est pas acceptable de briser la solidarité des pays occidentaux, qui est la seule voie possible pour que l’Ukraine sorte victorieuse de ce conflit et que la paix soit ainsi rétablie sur le continent.
En cohérence avec le soutien sans faille apporté au peuple ukrainien par les écologistes européens, c’est tout naturellement que nous soutiendrons la demande de la Suède et de la Finlande de bénéficier de la sécurité collective qu’apporte l’OTAN aux pays européens.
C’est le prix de la défense de la démocratie, de la liberté et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, menacés aux frontières orientales du continent.
Comme l’a excellemment montré le rapport de la commission, commis dans la plus grande urgence – qu’il me soit permis de saluer ici le professionnalisme de notre administration –, il n’y a aucune difficulté juridique, économique ou militaire à intégrer ces deux pays qui réunissent tous les critères fixés par le traité fondateur de l’Alliance.
Fidèle à nos positions historiques, je forme le vœu – car j’y crois sincèrement – que l’intégration de nouveaux pays, jusque-là profondément isolés, à l’effort collectif européen soit une pierre supplémentaire apportée à la construction d’une défense collective. Elle s’inscrit d’ailleurs dans un épisode historique de réarmement et de renforcement des capacités de défense des pays de l’Union européenne, au premier rang desquels figure l’Allemagne.
En effet, et c’est le paradoxe de la période, le regain d’intérêt que suscite l’OTAN n’est peut-être que conjoncturel. En tout cas, le renforcement de l’Alliance ne peut passer que par le renforcement des capacités propres des pays européens, objectif compatible avec celui d’une Europe de la défense.
C’est l’objectif de la France, rappelé avec force lors du sommet de l’Alliance des 28, 29 et 30 juin dernier, que de renforcer la relation Union européenne-OTAN et d’insister sur le renforcement du « pilier européen » au sein de l’Alliance. Les écologistes soutiennent cette position française.
Je conclurai mon propos en évoquant deux préoccupations, rappelées par plusieurs autres intervenants.
Le protocole d’adhésion ne le prévoit pas, mais rappelons clairement que cet élargissement, qui ajoutera désormais 1 250 kilomètres de frontières avec la Russie, ne saurait se traduire par le déploiement de forces de l’Alliance en Finlande et en Suède. La situation est suffisamment conflictuelle avec le belligérant russe, pour ne pas ajouter inutilement de l’huile sur le feu.
Un dernier mot pour dénoncer le chantage inacceptable de la Turquie, qui demande à la Suède l’extradition de trente-trois membres du PKK en échange de la ratification du présent traité. Nous faisons confiance au Royaume de Suède, au regard des positions déjà exprimées, pour ne céder en aucun cas au chantage. Les Kurdes, qui n’ont de cesse de nous protéger contre la menace du terrorisme islamiste, n’ont pas à être les victimes collatérales de la guerre en Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, nous engageons donc, au pas de charge, la discussion destinée à valider l’adhésion de la République de Finlande et du Royaume de Suède à l’OTAN.
Le Gouvernement a ajouté ce projet de loi à l’ordre du jour le 16 juillet, nous le votons cinq jours plus tard. Une procédure exceptionnelle, expéditive, dans un hémicycle peu garni, pour une décision de portée majeure dans le contexte de guerre actuel : ce n’est ni sérieux ni responsable.
On nous demande de ratifier les adhésions de ces deux pays, déjà validées au nom de la France au sommet de l’OTAN le 28 juin, sans aucun débat approfondi ni évaluation parlementaire préalable portant sur la nouvelle doctrine de l’OTAN adoptée à Madrid, dans laquelle ces adhésions s’inscrivent.
De fait, l’agression inacceptable de la Russie contre l’Ukraine, et les crimes qu’elle entraîne depuis, a ouvert une nouvelle page de l’histoire des relations internationales. Parmi toutes ces conséquences dangereuses pour la paix du monde, elle provoque aujourd’hui le basculement historique de deux pays, ancrés de longue date dans la neutralité, vers le ralliement à la logique du bloc militaire atlantiste, au moment même où celui-ci durcit sa logique agressive. Qui peut sérieusement y voir une bonne nouvelle pour la sécurité internationale ? (M. Claude Malhuret s’exclame.)
Comme membres de l’Union européenne, la Suède et la Finlande pouvaient déjà faire appel aux clauses d’assistance mutuelle prévues par les traités européens. Leurs armées sont déjà interopérables avec celles de l’OTAN, dans le cadre du partenariat euro-atlantique. Plus que sécuritaire, la décision est donc politique et géostratégique. Ce qui change, c’est l’intégration systémique de leurs forces dans un dispositif sous commandement otanien, autrement dit sous commandement américain.
Seront-ils mieux protégés ou sommes-nous en train de les transformer en une potentielle première ligne de front entre l’OTAN et la Russie, donnant ainsi, comme il est dit, « de la profondeur stratégique à l’OTAN » ? Nous prétendons les protéger, quand nous les exposons encore plus au danger. D’autant que, si l’installation de bases militaires sur leur sol est aujourd’hui écartée, elle pourrait advenir à tout moment à l’avenir. (M. Claude Malhuret proteste.)
Ces questions mériteraient un débat approfondi, car la politique d’extension de l’OTAN, loin d’être un facteur de paix, a déjà, par deux fois au moins, directement contrecarré la possibilité de travailler à de nouvelles architectures de sécurité collective paneuropéenne : après la chute du mur de Berlin et la fin du pacte de Varsovie, où un autre chemin était alors possible, et après la première guerre de 2014, quand les accords de Minsk ont ouvert une voie laissée en jachère. Aujourd’hui, l’escalade continue du côté de la Russie, comme du côté de l’OTAN. Jusqu’où ?
Sous l’impulsion américaine, la doctrine révisée par l’OTAN à Madrid assume un tournant particulièrement inquiétant. Elle va pousser au surarmement massif dans toute l’Europe, et renforcer la logique mondiale d’affrontement de blocs militaires.
Quand les grands défis de sécurité mondiale sont alimentaires, énergétiques, climatiques et sociaux, des centaines de milliards d’euros supplémentaires vont être engloutis par les pays européens membres de l’OTAN dans les dépenses militaires, alors que l’OTAN représente déjà plus de la moitié des dépenses d’armement du monde, trois fois plus que la Russie et la Chine réunies ! Ces dépenses profiteront, pour au moins les deux tiers, aux industries d’armement américaines.
Élargir l’OTAN, c’est accroître encore la tutelle américaine sur l’Europe, et perdre un peu plus la bataille de l’autonomie stratégique européenne. La doctrine stratégique de l’OTAN endosse d’ailleurs pour la première fois l’élargissement de ses objectifs à la Chine, progressant vers l’objectif américain d’une alliance militaire à vocation mondiale, tournée à la fois vers l’Europe, l’Asie et l’Afrique.
Enfin, comment ne pas manifester notre indignation devant le mémorandum signé avec le dictateur et maître chanteur Recep Tayyip Erdogan afin de marchander son appui à cette double adhésion !
La manière dont l’Alliance et notre gouvernement minimisent l’importance ce mémorandum de la honte est scandaleuse. Les faits sont là : nous troquons contre le feu vert turc l’extradition de démocrates kurdes pour les livrer à Erdogan, qui, après une parodie de justice, les laissera pourrir dans les prisons turques. Est-ce ainsi que nous remercions les Kurdes qui ont versé leur sang pour combattre Daech ? L’hypocrisie qui consiste à prétendre que ce mémorandum trilatéral n’engage ni l’Alliance ni la France ne fait qu’ajouter à l’indécence de la validation de facto par la France de ce deal indigne avec un dirigeant turc qui tenait un sommet, il y a deux jours, avec Poutine et l’iranien Ebrahim Raïssi.
À propos de la Turquie, je vous repose la question, madame la ministre, à laquelle vous n’avez pas répondu en commission. Tout le monde craint une nouvelle offensive contre les forces kurdes dans le nord-est de la Syrie et des frappes ciblées ont déjà eu lieu ces derniers jours. Qu’attend la France pour réagir et dénoncer ce nouveau coup de force ? Le chantage otanien a-t-il pour prix ce silence coupable ?
Pour toutes ces raisons, vous le comprendrez, nous allons nous opposer à ce nouvel élargissement de l’OTAN. Tout semble se résumer dans votre esprit à préparer la guerre…
M. Claude Malhuret. Elle est déjà là !
M. Pierre Laurent. Nous attendons, pour notre part, l’ouverture d’un débat urgent sur la relance de voies nouvelles vers la paix : celle de l’indépendance et de l’autonomie stratégique, celle de nouvelles architectures de sécurité collective, incluant la solution politique des conflits intra-européens toujours non résolus – je pense à Chypre et aux Balkans –, celle de la relance du désarmement multilatéral.
Ces voies nouvelles pour une sécurité humaine globale sont attendues dans le monde entier, par une majorité de pays du monde qui refusent l’alignement sur la logique des blocs.
Pour son avenir, madame la ministre, la France devrait écouter la voix du monde, pas seulement celle du bloc atlantiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Folliot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des moments où les peuples ont rendez-vous avec l’Histoire, avec leur histoire ; et il est des moments particulièrement importants pour les démocraties, notamment quand il s’agit d’assurer leur défense.
La scandaleuse agression de l’Ukraine par la Russie, à laquelle nous avons assisté au mois de février dernier – pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, sur le continent européen, un État attaquait un autre État –, a eu un certain nombre de conséquences.
Nous avons mesuré la fragilité de la sécurité collective, telle que nous l’avions imaginée, que nous pensions quasiment éternelle en Europe. C’est cette prise de conscience qui explique, de la part de nos amis finlandais et suédois, la volonté de rejoindre l’OTAN.
Malgré lui, M. Poutine a sorti de sa léthargie une alliance qui affichait jusqu’alors un « encéphalogramme plat ». Il lui a redonné une forme d’attractivité et nous ne pouvons que nous en réjouir.
Au regard de cette situation, les élus du groupe Union Centriste apporteront bien entendu leur soutien à ce projet de loi. Toutefois, il est important et même essentiel de rappeler un certain nombre de points.
Je ne reviendrai pas sur les propos des précédents orateurs, qu’il s’agisse de l’intérêt de cette double adhésion pour l’Alliance ou de ses conséquences. Je pense en particulier à l’importance de l’outil militaro-industriel suédois et à celle de l’armée finlandaise, forte de ses 870 000 réservistes : un tel chiffre nous rend nécessairement un peu envieux.
Au-delà, nous devons saisir cette occasion pour réfléchir ensemble à un certain nombre de questions.
Tout d’abord, force est de constater que nos amis et alliés suédois et finlandais ont préféré la protection de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord à celle de l’article 42, paragraphe 7, du traité sur l’Union européenne (TUE).
Cette situation doit nous interpeller. Au regard de tout ce que nous avons dit, depuis bien longtemps, de la sécurité collective en Europe et de l’autonomie d’une forme de défense européenne, il s’agit d’un cruel constat d’échec, qui nous impose de poursuivre notre réflexion.
Quelque temps après l’OTAN, fondée le 4 avril 1949 à Washington, est apparue l’Assemblée parlementaire de l’OTAN : c’est l’une des spécificités de cette alliance. Pour la première fois, l’on créait à côté d’une organisation internationale militaire une organisation démocratique réunissant des parlementaires de tous les États membres et d’un certain nombre de pays partenaires. Nos collègues parlementaires suédois et finlandais y siègent du reste à nos côtés. Ils s’associent aux réflexions menées par l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, dont j’ai l’honneur d’être membre.
Nous devons aussi saisir cette occasion pour réfléchir aux enjeux que soulèvent les trois nouvelles candidatures à l’OTAN actuellement formalisées, à savoir celles de la Bosnie-Herzégovine, de la Géorgie et de l’Ukraine, laquelle se trouve bien sûr dans une situation particulière. Il est clair que nous devons scinder ces demandes d’adhésion pour les examiner selon les critères d’opportunité, les difficultés et les problématiques qui leur sont propres.
Ensuite, si l’Alliance est aujourd’hui obnubilée par le conflit russo-ukrainien, nous ne devons pas pour autant oublier les autres défis stratégiques qui s’imposent à elle.
Je pense aux difficultés relatives aux Balkans occidentaux, qui ne sont toujours pas résolues…