compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Marie Mercier,

M. Jean-Claude Tissot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Hommage à d’anciens sénateurs

M. le président. Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 13 mai dernier, nous apprenions avec une profonde tristesse le décès de notre ancien collègue Jean Faure. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la Première ministre et Mmes et MM. les ministres, se lèvent.)

Profondément enraciné dans son Vercors qu’il aimait tant, il fut maire d’Autrans pendant un quart de siècle, vice-président du conseil général, conseiller régional et, en 1983, il fut élu sénateur de l’Isère, mandat qu’il exerça avec exemplarité et conviction jusqu’en 2011.

Pour lui, notre assemblée était – je le cite – « une école de la vie ». Il fut un grand sénateur.

En témoigne l’affection que tous ses collègues, quelle que soit leur appartenance politique, lui portaient. Il siégea à son arrivée au sein du groupe de l’Union centriste des démocrates de progrès, puis au groupe de l’Union Centriste et, enfin, au groupe UMP.

En témoignent également les éminentes fonctions qui lui furent confiées au Sénat : secrétaire du bureau, vice-président du Sénat, questeur. Il présida à lui seul plus de 2 000 heures de séance.

En témoignent enfin ses combats, tout d’abord au sein de la commission des affaires économiques, puis au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Dans le livre retraçant sa vie, Le Renard du Vercors, il écrit : « Cet attachement viscéral au village d’Autrans, à ce Vercors, m’a souvent conduit à m’en éloigner pour pouvoir mieux y revenir. Le renard du Vercors regagne toujours sa tanière. »

Toute sa vie, Jean Faure puisa dans cette sagesse son humanisme, dont nous garderons le souvenir.

J’ai eu l’occasion de lui rendre hommage le 18 mai dernier à Autrans, au milieu de ses montagnes, en présence de ses proches, des élus et de sa famille.

Je voudrais associer au moment de recueillement que nous allons observer trois autres anciens collègues qui, malheureusement, nous ont quittés depuis la suspension de nos travaux en mars : Michel Delebarre, qui nous a profondément marqués, Dominique Mortemousque, qui incarnait si bien la Dordogne et la ruralité, et Ivan Renar, homme de musique et de culture, dont nous gardons un vif souvenir et qui fut, lui aussi, secrétaire du Sénat.

Ainsi va la vie, mais il est important que nous inscrivions nos travaux dans la continuité de l’action – et de la diversité politique – de ces collègues.

Je vous propose d’observer un instant de recueillement. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la Première ministre et Mmes et MM. les ministres, observent un moment de recueillement.)

3

Questions d’actualité au gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Dans la tradition du Sénat, et au nom du bureau, j’appelle chacun de vous à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles pour nous au Sénat : le respect.

Il s’agit aussi bien du respect des uns et des autres que, plus prosaïquement, du respect du temps de parole – seule Mme la Première ministre a des droits inaliénables sur le temps de parole, qu’elle peut exercer avec mesure ! (Sourires.)

politique énergétique

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Valérie Létard et Françoise Gatel applaudissent également.)

Mme Sophie Primas. Madame la Première ministre, les Français ont chaud aujourd’hui, mais ils ont peur d’avoir froid cet hiver, et ils ont raison : crise énergétique sans précédent, fin du gaz russe, production nationale d’électricité historiquement faible, prix élevés, etc. C’est inquiétant pour les ménages et pour notre économie de production.

Cette situation était pourtant prévisible. En février, nous vous alertions sur le probable blackout et nous avions formulé douze recommandations. Pas de réponse, évidemment.

Surtout, nous avons perdu dix ans : dix ans d’une politique énergétique qui s’est acharnée, comme nous l’avons entendu ce matin, à détruire le monde d’hier avant de construire l’énergie décarbonée de demain. Un exemple emblématique en est la fermeture de la centrale de Fessenheim, d’une capacité de deux gigawatts. Et dire que nous rouvrons des centrales à charbon… Quel échec !

Pour le nucléaire, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit toujours l’arrêt de douze autres réacteurs. C’est contraire au discours du Président de la République à Belfort. Quand passerez-vous donc des annonces aux actes ? Même question pour la construction des nouveaux EPR (European Pressurized Reactor).

Pour garantir la sécurité d’approvisionnement à court terme, il nous faut un grand plan d’action. Depuis des années, le Sénat demande la consolidation et la simplification de MaPrimeRénov’, des certificats d’économie d’énergie (C2E), l’accélération de la production de biogaz, la conversion au biocarburant, le retour en grâce de l’hydroélectricité, la simplification des projets d’énergie renouvelable (EnR) avec les collectivités territoriales.

Madame la Première ministre, quelle est votre feuille de route énergétique ? Nous sommes un peu perdus devant tant de revirements… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition énergétique. (M. François Patriat applaudit.)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la présidente Primas, nous sommes aujourd’hui confrontés à l’une des pires crises énergétiques depuis le choc pétrolier des années 1970.

En conséquence, nous devons agir à la fois à court terme pour garantir nos approvisionnements en gaz et en électricité et maintenir une forte capacité de production électrique, ainsi que pour construire l’électricité et le monde décarboné de demain : la canicule nous rappelle à quel point il est urgent de s’y investir.

Nous agissons, d’abord en mobilisant tous les moyens pour anticiper une possible interruption de la livraison du gaz naturel russe, notamment en accroissant nos stocks stratégiques de gaz naturel ou en nous préparant à réactiver la centrale à charbon de Saint-Avold. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Certes, cette réactivation n’est pas une bonne nouvelle, mais elle ne correspond qu’à moins de 1 % de notre production d’électricité… Nous aurons peut-être besoin de cette centrale au pic de l’hiver, même si notre préférence serait de ne pas y avoir recours.

Nous lançons un plan de sobriété qui prévoit une réduction de 10 % de notre consommation d’énergie, par exemple en modulant le chauffage dans les bâtiments publics. J’ai mobilisé les entreprises et, avec mes collègues ministres, chacun dans leur domaine, les administrations, pour faire cette économie de 10 % qui est absolument nécessaire pour nous décarboner et nous passer des énergies fossiles, et qui nous permettra de passer plus facilement ces moments de crise énergétique.

Enfin, nous n’avons rien perdu de notre ambition énergétique et de notre volonté de prévenir le réchauffement climatique. Sur ce point, le discours de Belfort, qui énonce quatre piliers, est parfaitement clair. Pour la sobriété énergétique, nous prévoyons une réduction de 40 % ; pour l’efficacité énergétique, nous rendrons encore plus efficaces les dispositifs de conversion des véhicules et MaPrimeRénov’ – nous allons y travailler avec Christophe Béchu et Olivier Klein – ; pour l’accélération du développement des énergies renouvelables, nous allons multiplier par dix notre parc photovoltaïque, avec un objectif de 50 parcs éoliens marins et une loi prochaine sur l’accélération de la transition énergétique ; sur le nucléaire, enfin, nous serons prêts. (Marques dimpatience sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Il faut conclure.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Tout cela sera repris dans la PPE qui nous attend dans les mois à venir : nous aurons l’occasion d’en parler tout à l’heure lors de notre rendez-vous. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour la réplique.

Mme Sophie Primas. Nous voudrions vous croire, mais cela fait dix ans que le Sénat lutte contre des trajectoires qui sont de fausses trajectoires, puisque nous n’atteignons jamais l’objectif. La fermeture de Fessenheim, la réouverture des centrales à charbon sont des exemples de ce manque d’anticipation et de cette fausse route sur l’énergie.

Nous voulons des énergies renouvelables, nous voulons des énergies décarbonées, nous voulons la sobriété, mais maintenant, nous voulons des actes ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Françoise Férat et Amel Gacquerre applaudissent également.)

décrets d’application de l’objectif zéro artificialisation nette

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Françoise Gatel. Monsieur le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, les élus locaux sont accoutumés aux crises de migraine provoquées par la complexité des sujets qui font leur quotidien. Toutefois, l’art de la complexité a atteint un sommet avec la mise en œuvre du zéro artificialisation nette (ZAN).

La sobriété foncière est une nécessité que personne ne discute. Justement, parce qu’elle s’impose à nous tous, il faut s’assurer d’atteindre l’objectif. Or, monsieur le ministre, en l’absence de définition de la chose appelée ZAN, les décrets d’application quasi kafkaïens, qui déforment l’esprit de la loi, nous conduisent collectivement dans une impasse.

Ma question est très simple, monsieur le ministre : accepterez-vous la proposition du Sénat de réviser les conditions de mise en œuvre du ZAN ? Après l’hommage de Mme la Première ministre à la sagesse inspirante du Sénat, une réponse elle aussi empreinte de sobriété – comme la consommation foncière – sous la forme d’un « oui » serait un très bon début ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Mesdames, messieurs les sénateurs, madame la présidente Gatel, vous me permettrez de commencer par vous exprimer la joie que je ressens de me retrouver de nouveau dans cette enceinte – même si cette joie n’est peut-être pas partagée par tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. François Patriat applaudit également.)

La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a été adoptée après douze heures de commission mixte paritaire. Ce travail a abouti à la définition d’objectifs communs, dont je me réjouis que personne ne les remette en cause.

Vous pointez des décrets pris le 29 avril et un manque d’accompagnement et de pédagogie vis-à-vis des élus locaux… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Paccaud. Ils ne sont pas bêtes !

M. Christophe Béchu, ministre. Vous soulignez un risque de disparités dans l’application territoriale.

Aujourd’hui, beaucoup d’élus s’interrogent, mesurant leur manque d’information et d’outils pour être capables d’atteindre l’objectif. Personne, cela dit, ne remet en cause la nécessité de stopper l’artificialisation annuelle de 20 000 hectares, ainsi que nous le constatons depuis quelques années.

La Première ministre, ici même, à l’occasion de sa déclaration de politique générale, a pris à témoin cette assemblée de sa volonté de vous associer chaque fois que cela sera nécessaire. Peu de sujets sont aussi propices, je pense, pour inaugurer cette coopération fructueuse entre nous. (Mme Sophie Primas sexclame.)

Dans la continuité des échanges que j’ai eus avant même votre question avec le président Longeot, avec le sénateur Blanc, avec le président Malhuret et avec vous-même, madame la présidente Gatel, dont chacun connaît le niveau de « câblage » avec les associations d’élus partout sur le territoire, je vous invite très officiellement à ce que nous nous retrouvions…

M. Jean-François Husson. Mais certainement !

M. Christophe Béchu, ministre. … afin, dans le respect de l’objectif fixé, de réfléchir aux modalités de sa mise en œuvre et, peut-être, à la réécriture d’une partie des décrets – pour éviter que, visant un objectif, on en atteigne un autre ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour la réplique.

Mme Françoise Gatel. C’est un bon début, monsieur le ministre, mais, pour ma part, je propose que, collectivement, nous tirions des enseignements de la manière dont nous fabriquons la loi. Aucun texte ne devrait être présenté au Parlement sans une étude d’impact complète et systémique, pour que la cohérence des politiques du Gouvernement soit respectée.

Nous pourrions également tomber d’accord, monsieur le ministre, sur le fait qu’il est nécessaire de contrôler l’imagination parfois débordante de ceux qui écrivent les décrets d’application, et qui se prennent parfois pour le législateur. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et INDEP. – M. Thierry Cozic et Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudissent également.)

Enfin, nous devons prendre la peine d’écrire ensemble les textes, en amont si possible. Cela nous évitera de passer du temps à les corriger avec les associations d’élus, mais aussi avec les sénateurs. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)

révélations des « uber files »

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Ah ! sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Savoldelli. Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, l’affaire des Uber files a mis au grand jour les conflits d’intérêts entre le Gouvernement et les multinationales en dévoilant les relations entre Emmanuel Macron ministre de l’économie et l’entreprise Uber, qui n’est est pas une entreprise banale : tout le monde sait ici qu’elle fraude et applique un modèle prédateur.

Tout cela dépasse le cadre normal des relations entre la puissance publique et les intérêts particuliers de cette entreprise. Si un ministre de l’économie rencontre et échange avec les représentants d’intérêts privés, il n’en oublie jamais le sens de l’intérêt général.

Après la privatisation des décisions publiques par les cabinets de conseil McKinsey, après qu’on a confié à BlackRock, premier gestionnaire d’actifs du monde, l’épargne des Français, voilà qu’Uber aurait eu l’oreille du pouvoir pour guider la casse du code du travail dans notre pays ?

Ma question est simple – j’ignore encore qui va me répondre – : pouvez-vous nous donner des garanties sur l’indépendance des choix publics de l’État vis-à-vis des géants de la finance, de leurs influenceurs et lobbyistes ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Savoldelli, je voudrais d’abord vous demander d’excuser Bruno Le Maire, qui n’a pu être parmi nous aujourd’hui. (Exclamations ironiques sur de nombreuses travées.)

M. Jean-François Husson. Comme d’habitude !

Mme Cathy Apourceau-Poly. Ne vous donnez pas cette peine…

Mme Cécile Cukierman. Il ne vient jamais ici !

M. Roland Lescure, ministre délégué. Je suis heureux que la première question au Gouvernement à laquelle j’ai l’honneur de répondre soit posée au Sénat, et juste après que la présidente Sophie Primas eut pris la parole : j’ai eu l’occasion de travailler avec elle au cours de mon mandat précédent, et elle m’a montré qu’on peut travailler ensemble avec le souci du compromis. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Cécile Cukierman. Répondez à la question !

M. Roland Lescure, ministre délégué. Un ministre de l’économie rencontre des agents économiques ; un ministre de l’industrie rencontre des agents de l’industrie, et je le ferai.

Certes, Uber n’est pas une entreprise comme les autres. Elle a d’abord une part de lumière. Vous le savez, monsieur le sénateur, car, dans le Val-de-Marne, elle a mis le pied à l’étrier à de nombreux jeunes, à qui elle a offert un premier pas vers un emploi pérenne. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas un emploi !

M. Roland Lescure, ministre délégué. Mais cette entreprise a une part d’ombre, comme vous l’avez dit : la fiscalité, la précarité, la difficulté à obtenir de l’information sur la manière dont elle conserve les données.

Mais je peux vous dire une chose, monsieur le sénateur : le ministre de l’économie de 2016 et le ministre de l’économie qui lui a succédé depuis 2017 n’ont jamais déroulé le tapis rouge à cette entreprise. (Protestations à droite.)

Qui a poussé la régulation des géants du numérique, monsieur le sénateur ? C’est la France ! Qui a convaincu le monde de mettre en place une fiscalité pour les géants du numérique, sous l’impulsion du Président de la République et de Bruno Le Maire ? C’est la France ! (Marques de dénégation sur les travées du groupe CRCE.)

Nous continuerons donc à discuter avec toutes les entreprises dont nous souhaitons qu’elles s’installent en France et qu’elles y créent de l’emploi.

M. Fabien Gay. Uber n’a jamais créé d’emplois !

Mme Cécile Cukierman. Taxez les entreprises pour financer le pouvoir d’achat !

M. Roland Lescure, ministre délégué. Sans concession, dans la transparence, mais avec volonté ! (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.

M. Pascal Savoldelli. La question est grave. Je le redis avec solennité, monsieur le président : notre groupe vous a écrit pour demander la mise en place d’une commission d’enquête ou d’une commission interparlementaire.

Entre la réponse apportée hier par le Président de la République, qui n’en était pas une et qui s’est distinguée par son arrogance et sa vulgarité, et ce que nous venons d’entendre à l’instant, vous comprendrez, monsieur le président, que nous voulions des éléments de vérité, et davantage d’humilité !

Les Gafam réalisent 243 milliards d’euros de bénéfices. Et vous prétendez – cocorico ! – que votre bilan est bon et avoir fait ce qu’il fallait. J’ai regardé les chiffres : après l’accord sur la taxation, Uber a payé en France 2,3 millions d’euros. Capital, ma source – j’ai de bonnes références ! –, qualifie cette somme d’impôt « lilliputien » ! Et vous osez prétendre que votre méthode nous place sur la bonne trajectoire !

S’agissant des jeunes de mon département, je vois que vous les connaissez mieux que moi ! Quel est votre message pour eux, entre ce que vous venez de dire et les propos tenus hier par le Président de la République ? C’est de mon milieu d’origine que nous parlons, et je suis choqué.

M. Roland Lescure, ministre délégué. J’en viens aussi !

M. Pascal Savoldelli. Vous dites à un jeune de banlieue, qui vit dans les quartiers populaires, que s’il reste dans son quartier, il n’aura rien – sauf à être engagé dans des activités répréhensibles –, ou alors, c’est Uber. Mais qu’est-ce à dire ? De quel espoir s’agit-il ? La boîte noire, le contrôle permanent par un algorithme ? (Marques de dénégation au banc du Gouvernement.)

M. le président. Il faut conclure.

M. Pascal Savoldelli. Franchement, ce n’est pas sérieux. Ayez un peu plus de respect pour les jeunes des quartiers populaires, comme pour les jeunes des zones rurales ! Du respect ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

souveraineté industrielle

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, mes chers collègues, je vais tenter par cette question de sortir du pessimisme ambiant…

Certes, la situation internationale est difficile, et les conséquences sur le pouvoir d’achat des Françaises et des Français sont notables. Les deux projets de loi que nous allons examiner ces prochains jours sont des réponses concrètes et immédiates aux défis que nous devrons surmonter. Pour autant, si les nuages sont bien là, ils ne recouvrent pas totalement notre ciel, bien au contraire !

Il y a de bonnes nouvelles, il faut aussi le dire, sur le front de l’emploi et de l’apprentissage, mais aussi dans notre industrie. Pour la troisième année consécutive, la France est le pays le plus attractif d’Europe. Nous creusons même l’écart avec nos rivaux historiques, comme l’Allemagne et le Royaume-Uni.

Concrètement, cela veut dire que notre industrie a un avenir international, technologique, écologique et numérique, ce qui offre une bouffée d’air à nos emplois.

La cinquième édition du sommet Choose France ne fait que confirmer cette reconquête industrielle. C’est ainsi que quatorze entreprises se sont engagées pour un montant global de 6,7 milliards d’euros et la création de 4 000 emplois pérennes dans le pays. Je pense notamment à l’usine de semi-conducteurs à Crolles, en Isère, qui va créer 1 000 emplois, et que le Président de la République a visitée hier.

Cela permettra aussi de réduire notre indépendance vis-à-vis de l’Asie pour la fabrication de composants électroniques. Bref, c’est un investissement inédit pour notre industrie.

La reconquête industrielle doit en effet être une priorité de ce gouvernement pour renforcer notre souveraineté économique. Nous l’avons vu avec la crise sanitaire, les défaillances de nos chaînes de production aboutissent à des pénuries de produits essentiels comme les médicaments, les masques ou les respirateurs. Nous avons bien vu qu’il était urgent de relocaliser un certain nombre de chaînes de valeur.

Ces faiblesses doivent être derrière nous. Avec l’innovation, la régulation et la décarbonation, nous pouvons continuer à transformer notre industrie. Pour ce faire, nous comptons sur votre détermination et votre compétence, monsieur le ministre. Pourriez-vous nous décrire votre feuille de route pour faire de l’industrie un nouvel eldorado économique ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Merci pour votre question, monsieur le sénateur. (Marques dironie à droite.)

Les vingt-cinq dernières années ont conduit à un déclin industriel qu’on pensait inéluctable, et que les cinq dernières années ont permis d’enrayer. Je salue à cet égard l’action de ma prédécesseure, Mme Agnès Pannier-Runacher, qui a contribué, avec le Président de la République, avec le ministre de l’économie et des finances, mais surtout avec les industriels de tous les territoires, à enrayer le déclin industriel français, qui n’est pas une fatalité.

Oui, le sommet Choose France a été un succès. En cinq ans, plus de 12 milliards d’euros d’investissements ont ainsi été attirés en France, créant plus de 20 000 emplois dans les territoires, et permettant d’en maintenir quelque 200 000 autres, y compris dans les territoires défavorisés et les quartiers populaires, dont je suis moi aussi issu, monsieur le sénateur Savoldelli.

La feuille de route tient en un mot très simple : nous devons accélérer, accélérer, accélérer. Pour cela, il faut à la fois surmonter les difficultés – et il y en a – et saisir les opportunités.

Il y a aujourd’hui 70 000 emplois non pourvus dans l’industrie. Nous devons donc former, requalifier, nous assurer que les jeunes exclus de l’emploi puissent y avoir accès.

Nous devons aussi régler les problèmes de foncier : il est parfois difficile d’installer une usine. L’an dernier, on a implanté en France plus d’usines que jamais – et on en installe plus qu’on n’en détruit. Soyons-en fiers !

Nous devons aussi accompagner les entreprises en difficulté. Il y aura des situations difficiles. Sur ce point, je m’engage devant vous à tenir un langage de vérité. J’ai déjà échangé avec certains d’entre vous, qui connaissent sur leurs territoires des entreprises en difficulté. Nous travaillerons pour que les solutions soient trouvées. Nous n’y arriverons pas à tout coup, mais, sur les moyens, nous serons sans concession, et sur la vérité aussi.

Nous avons aussi des opportunités à saisir, sur la transition écologique, sur la création d’emplois, sur l’exportation : nous devons aussi aller conquérir de nouveaux marchés à l’international.

Les cinq derniers sommets Choose France ont été des succès exceptionnels.

M. le président. Il faut conclure.

M. Roland Lescure, ministre délégué. Gageons que les cinq qui viennent seront encore plus réussis ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

pouvoir d’achat

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Madame la Première ministre, au cours du quinquennat qui vient de s’achever, vous n’avez pas voulu augmenter les revenus du travail de manière significative pour les classes populaires et les classes moyennes.

Plusieurs fois, mon groupe a regretté sur ces travées des mesures prises sans cohérence, toujours trop tard, toujours sous la contrainte, toujours le dos au mur.

Plusieurs fois, sur ces travées, nous vous avons demandé un rééquilibrage de la fiscalité entre le travail et le capital, alors que vous l’avez sciemment déstabilisée par un hyperbouclier fiscal que même Nicolas Sarkozy, votre nouvel ami politique, n’aurait osé imaginer.

C’est au moins un sujet sur lequel on peut vous reconnaître une forme de constance, tant votre politique sur ce point a toujours favorisé les mêmes, par un miracle physique : le ruissellement vers le haut, vers les plus aisés !

Aujourd’hui, vous entamez un nouveau quinquennat, marqué par une situation économique inquiétante. Le mécanisme de revalorisation automatique du SMIC n’est plus suffisant pour compenser l’inflation.

C’est le moment de changer de méthode : renoncez à cette politique de fuite en avant, celle des chèques qui n’ouvrent aucun droit, à laquelle personne ne comprend plus rien !

Vous vous présentez comme un gouvernement qui est dans l’action et non dans l’incantation. Je vous le dis, madame la Première ministre : les Français demandent non pas l’aumône, mais une juste reconnaissance de leur travail.

Pour répondre à cette attente, je vous soumets de nouveau deux solutions justes et efficaces : la revalorisation du SMIC à 1 500 euros et une grande conférence sociale pour augmenter les salaires. Pouvez-vous, madame Borne, expliquer clairement aux Français pourquoi vous vous opposez à ces deux propositions ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)