M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 24 février, la Fédération de Russie a décidé, sur l’ordre de son président, Vladimir Poutine, l’invasion d’un autre pays souverain, l’Ukraine, en violation flagrante du droit international.
Une guerre se déroule sous les yeux du monde. Poutine a mis tout en œuvre pour cacher ses intentions, et désormais les morts et les blessés.
Mais le courage des Ukrainiens, notamment celui du président Zelensky, permet à la communauté internationale de prendre la mesure de la tyrannie de Poutine, qui résulte de trop nombreuses reculades – pour ne pas employer le mot de lâchetés.
Nous pensons à tous les Ukrainiens, ainsi qu’aux victimes de ce conflit qui n’a pas lieu d’être. Nous pensons à celles et ceux qui se sont établis en France et qui vivent dans la crainte pour leur famille et leurs amis restés là-bas. Nous pensons également à la communauté française résidant en Ukraine.
Comment ne pas y penser, nous qui pour beaucoup sommes liés par nos récits de vie à cette Europe de l’Est si souvent malmenée à travers l’Histoire ? Nos familles – ma famille – avaient trouvé refuge en France. Je pense aux familles d’Europe centrale, que celles-ci soient polonaises, tchèques, slovaques, roumaines, moldaves, bulgares, ukrainiennes, baltes, mais aussi russes. Toutes ont un jour trouvé un foyer dans notre pays. Alors, en m’exprimant à la tribune de la Haute Assemblée de la République, mes pensées sont imprégnées d’une émotion singulière.
Nous mesurons en ces instants que la guerre n’est pas le prolongement naturel de la politique, mais bel et bien la somme de la déraison et de la haine. Ici, dans ces travées, nombre d’entre nous sont nés et ont grandi dans un monde coupé en deux, dans lequel la menace du feu nucléaire planait de manière permanente. L’automne 1956 et le printemps 1968 avaient vu les cortèges d’espoirs décimés sous le poids des blindés et des bottes. Nous ne pouvons pas rester spectateurs de la répétition de l’Histoire et de ses pages le plus sombres.
Nous étions pourtant prévenus. Dans son discours d’adieu au Parlement européen, le 17 janvier 1995, le président François Mitterrand nous laissait un héritage à cultiver et nous disait : « Le nationalisme, c’est la guerre ! » Nous mesurons le poids de ses mots et notre engagement républicain doit être total au service de la construction de l’Europe.
Ces derniers temps, jusque dans notre propre pays, nous constatons la tentation d’opposer les Français entre eux, ou d’attiser les communautés entre elles. Nous combattrons cela avec la même énergie !
Le patriotisme ne se mesure pas aux harangues et aux coups de menton. Ceux qui crient à une prétendue identité surannée sont aux abonnés absents quand il s’agit de tenir le drapeau. En cela, ils ne sont que les héritiers de ce que la France a produit de pire à travers son histoire. Lorsque l’on se revendique français, enfant du pays des Lumières, il n’y a pas de place possible pour une parole politique dont le projet est justement la destruction méthodique de la liberté. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Je le dis clairement : face à Poutine, l’heure n’est pas au doute. Le président russe s’attaque à la liberté de conscience et à la liberté d’expression. Il s’attaque désormais au principe fondamental de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, qui ne peut être apprécié selon une géométrie variable et opportuniste, n’en déplaise à certains de ses anciens amis français.
Poutine réveille ainsi de vieux démons : ceux d’une Europe en guerre permanente et ceux d’un continent qui prenait les armes tous les trente ans. Nous le réaffirmons ici : le projet de renaissance des anciens empires sur la scène internationale est l’une des sources les plus inquiétantes pour la stabilité du monde et pour la paix.
La mémoire de deux guerres mondiales a conduit l’humanité à se doter d’organisations internationales, afin d’éviter que les attitudes expansionnistes et paranoïaques de quelques dirigeants ne débouchent sur de tels drames. Poutine omet volontairement ces souvenirs dans le récit révisionniste de l’Histoire qu’il souhaite imposer. Voilà où peut mener le roman national lorsque la falsification remplace le travail des historiens.
Poutine est un prédateur et l’Ukraine n’est que la première marche de son projet impérialiste. Sa décision marque la pire des situations permises par un régime dictatorial. Mais il n’y a pas de fatalité. Le meilleur de la Russie se trouve dans le cœur du peuple russe. Je veux saluer le courage de ces femmes et de ces hommes qui ont manifesté à Moscou, à Saint-Pétersbourg, jusqu’en Sibérie et à Minsk également, malgré le danger que représentait l’interdiction décidée par le pouvoir. (Applaudissements.)
Je salue également les mouvements sportifs et culturels, qui ont su prendre leurs responsabilités.
Nous disons au peuple russe, trop souvent manipulé, que la France, l’Union européenne et le monde se tiendront à leurs côtés pour reconstruire la paix le moment venu.
Oui, nous voulons la paix, la tempérance, la sérénité pour notre génération et les générations futures, ici et partout dans le monde ! Les opinions publiques nous y invitent. C’est grâce au soutien des opinions publiques que l’Union européenne progresse comme elle ne l’avait pas fait depuis si longtemps.
Nous savons aujourd’hui, à l’épreuve des faits, que l’Europe de la défense ne doit plus être un vœu pieux. Sans porter atteinte à la souveraineté des États membres, elle est la garantie d’une véritable diplomatie européenne. Elle en représente la crédibilité et l’indépendance.
Comme vient de le souligner Bruno Retailleau, le projet européen doit être réécrit, y compris à l’aune de la pensée de ses pères fondateurs, plus que jamais d’une terrible actualité.
La mobilisation des peuples libres en faveur de la paix est réelle, et celle du peuple ukrainien doit être prise en compte. Nous devons nous entendre rapidement sur sa demande d’adhésion à l’Union européenne et trouver ensemble les voies et les moyens appropriés pour y répondre. (Murmures désapprobateurs sur des travées du groupe Les Républicains.)
D’ores et déjà, je propose que nous accueillions les réfugiés ukrainiens dans les meilleures conditions possible en leur octroyant provisoirement les mêmes droits que ceux détenus par les citoyens européens, afin qu’ils puissent se reconstruire un avenir.
La France devra prendre toute sa part dans l’application de la directive de 2001 relative à la protection temporaire. Pas moins de 7 millions de personnes seraient concernées, selon l’Union européenne. Je pense à ces femmes, à ces enfants et à ces personnes âgées, et je dénonce l’ignominie des propos tenus hier matin par l’un des candidats d’extrême droite à l’élection présidentielle française. (Mme Sophie Primas opine.)
Face au déferlement militaire, les mesures prises doivent être implacables. La plupart de nos demandes ont été entendues : la Russie a été exclue du système Swift, l’Union européenne a suspendu la diffusion de Russia Today (RT) et de Sputnik, ainsi que des messages d’intoxication de l’information propagés par le Kremlin. Le Gouvernement s’est engagé à envoyer des équipements et du matériel afin d’aider la résistance ukrainienne.
À ce stade, les sanctions sont là. Certains en discutent l’efficacité réelle ; pour notre part, nous considérons qu’elles sont nécessaires.
Nous demandons également au Gouvernement de prendre l’engagement ici de ne pas reconnaître, s’il devait advenir, un pouvoir fantoche en Ukraine, marionnette de la Russie.
Ces sanctions sont nécessaires, même si elles demanderont des efforts en retour. Nous devons les anticiper dès aujourd’hui : toutes les inégalités sociales, qui sont déjà insupportables, pourraient s’accentuer si l’on ne s’y attaque pas avec détermination.
Pour compenser les conséquences économiques à venir des décisions que nous avons portées, il faut nous atteler dès maintenant à construire un bouclier de justice sociale qui protégera les Français, particulièrement les plus fragiles, éventuellement en demandant un effort exceptionnel aux ménages qui ont le plus profité de ce quinquennat.
Cette question sociale n’est pas que conjoncturelle, mes chers collègues. Il faut avoir conscience que les inégalités sont le creuset des crises à venir, comme le sont aussi les questions environnementales et énergétiques. Nous devons prendre dès aujourd’hui la mesure des défis qui sont devant nous et agir sans délai, comme nous presse de le faire le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), lequel nous alerte sur les conséquences déjà irréversibles du réchauffement climatique.
Je le disais, personne sur ces travées, comme nulle part ailleurs, ne veut la guerre : nous recherchons le retour à la paix. Les pays baltes, les Balkans et l’ensemble des pays à proximité géographique de la Russie doivent savoir que nous sommes à leurs côtés.
Cet engagement pour la paix va de pair avec la confiance dans nos armées. Mon groupe a toujours soutenu le renforcement de nos capacités afin qu’elles aient les moyens opérationnels de mener toutes leurs missions de protection. Vous pouvez compter sur nous, monsieur le Premier ministre, pour continuer dans cette voie.
Je salue d’ores et déjà l’engagement de nos militaires, prêts à toute éventualité, et je leur exprime notre profond respect. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes GEST, INDEP, UC et Les Républicains. – M. Pierre Laurent applaudit également.) Car tout démontre que c’est dans le rapport de force, y compris militaire, avec Poutine que la voie de la diplomatie pourra être retrouvée. Lui seul nous oblige à réagir ainsi. Ses crimes contre les civils en Ukraine relèveront aussi, un jour, de la Cour pénale internationale : je demande que la France prenne toute initiative en l’espèce. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Aucun traité ne saurait être arraché par la force ; c’est d’égal à égal, sous la protection de l’ensemble de la communauté internationale rassemblée au sein de l’Organisation des Nations unies (ONU), que l’Ukraine et la Fédération de Russie doivent définir les modalités de leur coexistence.
Je souhaite aussi attirer l’attention sur la nécessité du respect du Parlement, monsieur le Premier ministre. Nous sommes une démocratie – c’est aussi notre différence –, et l’exécutif a un devoir d’information du Parlement en cette période de crise sur la question des moyens à apporter à l’Ukraine, tant militaires qu’humanitaires, sur les modalités d’accueil des réfugiés en France, sur les positions prises dans les différentes organisations internationales.
De tout ce qui est mis en œuvre à chaque instant, le Parlement, je le répète, doit être informé. À cet égard, je vous remercie de l’initiative que vous avez prise de réunir voilà quelques jours les présidents des deux chambres et les présidents de groupe.
Plus que jamais, nous voulons souligner que le multilatéralisme est un outil de conquête de la paix et du progrès de l’ensemble des peuples du monde.
Mes chers collègues, je veux dire au nom de mon groupe, au nom du parti qui est le mien, comme sénateur socialiste et comme citoyen, qu’avant toute considération, à l’instar de tous les Français, nous sommes républicains : nous croyons à la force, à la sagesse, à la beauté de la République, ce projet de fraternité universelle que la Nation s’est choisi il y a plus de deux siècles et auquel elle a régulièrement démontré son attachement, notamment lors de la Seconde Guerre mondiale.
Plus que jamais, dans la tempête et devant les incertitudes, nous affirmons que nous défendrons cette flamme, car elle est un phare dans le monde. En ce sens, sans rien concéder ni de la richesse de nos différences ni de la puissance du débat démocratique, nous prenons l’engagement de travailler avec détermination et vigilance dans l’unité républicaine pour parvenir à passer tous ensemble cette terrible épreuve pour la France, pour l’Europe et pour le monde.
Mes chers collègues, l’Ukraine nous oblige, l’Ukraine martyre mène un combat à mort pour la liberté, non seulement la sienne mais aussi la nôtre. Permettez-moi de saluer ici l’extraordinaire bravoure et, peut-être, le sacrifice suprême du président Zelensky, qui, cette après-midi, dans un échange avec les parlementaires européens, a proclamé : « Ne nous lâchez pas, la lumière doit vaincre l’obscurité ! »
Gloire à l’Ukraine ! (Mmes et MM. les sénateurs du groupe SER se lèvent et applaudissent vivement. – Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, au sixième jour de ce terrible conflit, alors que les chars russes sont aux portes de Kiev, mes premières pensées vont au peuple ukrainien et à ses dirigeants, qui font preuve d’un courage et d’un héroïsme forçant l’admiration.
Mes pensées vont également à nos compatriotes, pris au piège de la guerre aux portes de l’Europe.
Après avoir annoncé, le 21 février, la reconnaissance de l’indépendance des territoires séparatistes du Donbass, Vladimir Poutine a commis l’irréparable en pénétrant en Ukraine à l’aube du 24 février, réduisant à néant les accords de Minsk, qui portaient l’espoir d’une solution diplomatique. Pis, il se justifiait en réaffirmant sa volonté de « démilitariser » et de « dénazifier » le pays, tout en le protégeant d’un « génocide » programmé…
Cette guerre est décidément celle de la désinformation et de l’image, une guerre de l’intox visant à déstabiliser une armée sur le plan psychologique.
Mais tout cela était sans compter sur la capacité de résistance de l’armée ukrainienne, sans compter sur la détermination du président Volodymyr Zelensky, sans compter sur la capacité de réaction unifiée de l’Europe.
Le délire paranoïaque de Vladimir Poutine l’a amené à justifier cette intervention militaire en invoquant l’article 51 de la Charte des Nations unies relative à la légitime défense.
« La sécurité absolue d’un acteur implique l’insécurité absolue de tous les autres », écrivait Henry Kissinger en parlant de l’URSS. Cette phrase est plus que jamais d’actualité et résume à elle seule la schizophrénie de Vladimir Poutine. Après l’Ukraine, quel sera le prochain pays à faire l’objet des velléités du dirigeant russe ? La Moldavie ? La Géorgie ?
Le maître du Kremlin, depuis son accession au pouvoir, n’a cessé de déclarer que le droit de sécession des quinze républiques de l’ex-URSS était une erreur historique et que la dislocation du bloc socialiste était la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle. Comment un homme seul peut-il décider du destin de tout un peuple ?
En bafouant les règles du droit international, Vladimir Poutine s’est isolé du reste du monde. Face à la résistance ukrainienne et à la détresse de toute une population, l’Occident a retrouvé l’unité qui lui a longtemps fait défaut. En quelques heures, l’Europe de la défense a pris forme afin de répondre à la plus abjecte des provocations, certains pays allant même jusqu’à sortir de leur neutralité en appliquant les propositions de sanctions ou en proposant la fourniture d’armes létales.
Alors oui, les sanctions économiques étaient nécessaires et amplement justifiées, et constituent un premier niveau de réponses.
Le deuxième volet de mesures de rétorsion décidées ce week-end paraît totalement adapté à la situation et à son aggravation : la fermeture de l’espace aérien de l’Union européenne à la Russie, l’interdiction de la diffusion des médias d’État russes ou encore l’isolement du réseau bancaire Swift des marchés internationaux.
Pour autant, cela suffira-t-il à dissuader Vladimir Poutine de mener une offensive destructrice sur l’ensemble du territoire ukrainien ? Nous n’en avons aucune certitude et il est permis d’en douter.
À l’issue des sommets européens, des réunions du G7 et de l’OTAN, le chemin du dialogue reste possible. Même si, au sixième jour de cette offensive, l’intensité des combats ne faiblit pas, nous devons conserver et privilégier la voie diplomatique pour résoudre le conflit.
Les évènements de ces derniers jours marquent un tournant historique et plongent l’ensemble du continent européen dans l’incertitude. Pour autant, monsieur le Premier ministre, ne laissons pas croire à l’Ukraine qu’elle pourrait demain adhérer à l’Union européenne par le biais d’une procédure simplifiée qui n’existe pas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Victoire Jasmin et M. Mickaël Vallet applaudissent également.)
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Olivier Cigolotti. Au-delà du drame humain qui se joue en ce moment, et sur lequel reviendra ma collègue Nadia Sollogoub, présidente du groupe d’amitié France-Ukraine, nous devons également nous préparer au risque et aux dommages collatéraux engendrés par cette crise majeure.
Un manque d’approvisionnement et une flambée des prix sont à craindre sur bon nombre de marchés internationaux de matières premières, tels que ceux du blé, du maïs, du gaz ou du pétrole. La volatilité des prix sur le marché de l’énergie sera particulièrement inquiétante.
La question des stocks actuels et les perspectives quant à nos approvisionnements en minerais et en métaux risquent d’être encore plus compliquées. Je pense notamment au palladium, au titane, indispensables à nos industries aéronautiques et de l’armement, ou encore au nickel, nécessaire à la fabrication de nos batteries.
Ces heures sombres démontrent que les vingt-sept pays de l’Union européenne sont en mesure de formuler des réponses communes, fortes et rapides, qui doivent nous amener également à renforcer plus encore nos partenariats européens et transatlantiques afin d’assurer la sécurité de nos territoires et de nos alliés.
Personnellement, je suis persuadé que la solution viendra du peuple russe, en contradiction avec la vision paranoïaque et velléitaire du dictateur du Kremlin.
Alors oui, monsieur le Premier ministre, l’heure est à l’unité et à la solidarité. Vive l’Ukraine et vive la France ! (Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, si le peuple ukrainien et son président suscitent autant d’émotion, autant d’admiration, c’est parce qu’aujourd’hui, par leur courage, par leur détermination sans limite, ils ne défendent pas seulement leur nation et leur territoire : ils incarnent la volonté farouche de résister à l’arbitraire, à la soumission, à l’agression.
Ils aspirent à la souveraineté, à la liberté, à la démocratie ; ils défendent ces valeurs qui sont aussi les nôtres au prix du sacrifice ultime.
La résistance de ce peuple et de ces soldats aguerris face aux offensives militaires russes nous inspire. À ce titre, nous leur devons un soutien sans faille, ferme et déterminé, par des actes qui leur permettront de résister et de garder espoir, comme vous l’avez très bien dit, monsieur le Premier ministre.
Je veux dire ici au président Zelensky tout notre respect, toute notre admiration. Il incarne le chef de guerre que tant de peuples rêvent d’avoir : héroïque, inflexible au milieu de ses hommes et prêt à périr pour son peuple et pour notre paix à tous.
Ce jeudi 24 février 2022, l’Europe s’est brutalement réveillée dans une ère de guerre. On le redoutait. Le Président de la République et le Chancelier allemand ont tout tenté, par la négociation, par la médiation, pour l’éviter.
Ce scénario du pire s’est finalement réalisé parce que le président russe, porté par son ivresse de puissance, a décidé de faire fi du droit international, des principes de souveraineté et d’intangibilité des frontières, pour agresser militairement un État souverain, pour envahir l’Ukraine, alors même que la Russie n’était ni agressée ni menacée.
Cette tragique bascule nous ramène à nos souvenirs les plus effroyables de la guerre froide. Aux quatre coins de l’Ukraine, ce sont désormais les sirènes d’alarme antiaérienne, les tirs, les explosions des bombes, les victimes civiles et militaires qui jalonnent les jours et les nuits.
Voilà deux heures à peine, une frappe russe a touché la tour de la télévision à Kiev. À elle seule, cette frappe a visé ce qui est de plus cher à nos yeux : la liberté d’expression et la liberté d’information.
À cette heure, j’ai aussi une pensée pour nos ressortissants sur place. Je remercie l’équipe de notre ambassadeur, Étienne de Poncins, qui poursuit l’accompagnement de nos concitoyens.
Mes chers collègues, on comprend, avec le recul, que l’allocution télévisée du président russe annonçant sa reconnaissance des républiques autoproclamées du Donbass, quatre jours avant le début de cette guerre, constituait les prémices de sa réelle intention. Cinquante longues minutes durant lesquelles nous avons assisté à une réécriture surréaliste de l’Histoire, un discours composé de fausses accusations contre l’Ukraine.
Les mots étaient minutieusement choisis pour poser les premières pierres de son mensonge. En l’espace de quelques jours à peine, les masques sont tombés, d’hallucinants motifs sont venus justifier son passage à l’acte. Qui peut croire qu’un « génocide » est en cours en Ukraine et qu’une « dénazification » est nécessaire pour la survie de la Russie ?
Dimanche, la pression a atteint son paroxysme lorsque, face à des résultats militaires limités et à la multiplication des gestes de soutien envers Kiev, Vladimir Poutine, dans une démonstration désinhibée de puissance, a déclaré mettre les forces de dissuasion de l’armée russe en régime spécial d’alerte au combat. Comment la Biélorussie peut-elle continuer à être complice d’une telle escalade mortifère ?
Vladimir Poutine voulait recréer l’URSS ; il a fait l’unanimité contre lui, il a réveillé l’Europe, il a redonné tout son sens à l’OTAN.
Ensemble, nous avons déconnecté notre ciel européen.
Nous faisons le choix d’accélérer la lutte contre la désinformation russe, au point d’aboutir à l’interdiction totale de deux outils de propagande du Kremlin, RT et Sputnik, sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne. J’appelle les réseaux sociaux à se battre à nos côtés.
À l’unisson des autres pays occidentaux, nous avons déployé d’innombrables sanctions économiques, d’une force de frappe sans précédent : sanctions contre les réserves en devises de la banque centrale de Russie ; exclusion de plusieurs banques russes du réseau interbancaire Swift. Et bien d’autres encore.
La démarche est sans équivoque : provoquer une véritable onde de choc dans la société russe pour pousser les citoyens à remettre en question la propagande du Kremlin. Les premiers résultats sont là.
Ensemble, faisons le choix de l’unité et de la solidarité face à l’impact humanitaire et à la crise migratoire que cette guerre entraîne aujourd’hui. Pour la première fois, nous avons enclenché le dispositif de protection temporaire automatique, avec des mesures pour répartir l’accueil des réfugiés entre les pays membres.
Je saisis cette occasion pour remercier nos communes, nos intercommunalités, nos villes, nos régions, mobilisées pour accueillir des réfugiés ou pour contribuer à l’aide d’urgence en faveur du peuple ukrainien.
Je remercie les associations et je remercie nos concitoyens : leur élan de générosité fait l’honneur de la France.
Enfin, la nécessaire autonomie stratégique de l’Union européenne, évoquée par le Président de la République dès le discours de la Sorbonne en 2017 – vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre –, n’a jamais connu un écho aussi retentissant. Pour la première fois de son histoire, l’Union européenne a annoncé débloquer 450 millions d’euros pour acheter des armes létales destinées à être livrées aux forces armées ukrainiennes, ainsi que du carburant.
La Suède et l’Allemagne rompent avec leur doctrine selon laquelle elles ne livrent pas d’armes létales à un État en guerre.
L’Allemagne va plus loin encore : ce dimanche, devant le Bundestag, le chancelier Scholz a opéré un virage à 180 degrés dans la posture militaire du pays en annonçant une hausse des dépenses de défense, qui dépasseront 2 % de son PIB annuel, et la création d’un fonds spécial de 100 milliards d’euros pour renforcer ses capacités de défense.
C’est un tournant historique, c’est un tournant majeur. Même la Suisse sort de sa neutralité !
Nos actions, nos sanctions et notre détermination sont dictées par une unique raison : la paix.
Je veux saluer ici la démarche du Président de la République, qui a toujours cru à la diplomatie et qui poursuit un dialogue avec lucidité, fermeté et courage.
Monsieur le Premier ministre, nous sommes conscients de l’impact que nos sanctions pourraient aussi avoir sur notre quotidien. Nous y sommes prêts au nom de notre sécurité collective et de la paix, parce que nous savons pouvoir compter sur le soutien du Gouvernement pour établir un plan de résilience qui soit à la hauteur. Et vous pourrez compter sur nous pour identifier les mesures qui aideront au mieux nos concitoyens.
Nous affronterons ensemble les difficultés : il y va de la force de nos démocraties et de l’unité de l’Europe.
Reculer devant le coût des sanctions, c’est s’exposer à devoir payer un prix infiniment plus lourd si le président russe atteint son objectif. Car d’autres bruits de bottes, en d’autres points du monde, n’attendront plus que le moment opportun pour se faire entendre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, SER, INDEP et UC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, la guerre déclenchée par Vladimir Poutine contre l’Ukraine le 24 février est inacceptable (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), elle est irresponsable, elle plonge le peuple ukrainien dans un cauchemar insoutenable, elle menace la sécurité de l’Europe et du monde. Le risque d’une escalade incontrôlable augmente chaque jour. La situation est donc d’une extrême gravité.
Quelle que soit l’opinion que l’on ait sur les causes de cette entrée en guerre de la Russie – j’y reviendrai –, je veux redire ici la condamnation totale qui est la nôtre : cette guerre est un crime contre la souveraineté d’un État, l’Ukraine, un crime contre le droit international, un crime contre la paix.
Rien ne peut excuser le sort infligé à des millions d’Ukrainiens aujourd’hui sous les bombes ou sur les routes de l’exode, dont nous sommes solidaires.
Dans un monde si interdépendant, cette guerre est un échec pour tous et un échec pour la sécurité collective de l’Europe. Elle montre les limites dangereuses atteintes par la militarisation des relations internationales et son cortège de discours guerriers, de haine et de nationalisme.
Pour toutes ces raisons, parce que cette guerre est illégitime et illégale, parce qu’elle est inhumaine pour le peuple ukrainien, parce qu’elle menace la sécurité du monde, parce qu’elle risque de nous entraîner vers l’irréparable, la première des exigences que nous clamons haut et fort est celle d’un cessez-le-feu immédiat (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER – Mme Nadia Sollogoub et M. Pierre Louault applaudissent également.), un cessez-le-feu pour épargner les vies, pour mettre fin à l’exode, pour garantir la tenue de discussions de paix.
C’est pour atteindre ces objectifs, pour stopper la guerre, que la pression internationale la plus large possible doit s’exercer. Le vote de l’assemblée générale extraordinaire en cours à l’ONU sera un moment important.
Faisons entendre les mobilisations citoyennes qui exigent partout le cessez-le-feu et la paix. Saluons les manifestations courageuses en Russie en demandant la liberté des opposants à cette sale guerre. Nous ferons tout, en ce qui nous concerne, pour encourager les mobilisations populaires pour la paix.
Les sanctions internationales contre le régime de Poutine peuvent participer à cette pression, à condition qu’elles frappent juste. Il s’agit pour nous non pas de mettre à genoux un peuple, mais d’isoler un pouvoir oligarchique, autoritaire, fauteur de guerre.
Le risque est grand, en pareil cas, de punir les peuples, en Russie et ailleurs, alors que les sanctions doivent viser le cercle du pouvoir impliqué dans les décisions guerrières et les oligarques qui pillent leur pays sans vergogne, avec la complicité tacite – et depuis bien longtemps – du monde de la finance internationale. Les tergiversations sur Swift montrent d’ailleurs le degré d’intimité qui règne dans la haute finance et les paradis fiscaux. Retenons au passage qu’il est donc possible, quand on en a la volonté politique, de cibler les flux financiers au plus haut niveau. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Autre urgence : tout doit être fait pour renforcer l’aide humanitaire et sécuriser son accès aux zones de conflit, conformément au droit humanitaire international, avec la livraison de matériel de protection, l’accueil des réfugiés et, notamment, l’ouverture de couloirs humanitaires sécurisés, l’accueil dans tous les pays de l’Union et pas seulement dans les pays frontaliers.
Là aussi, je vois que bien des tabous sont levés, qu’il est possible d’accueillir des réfugiés en nombre, ce dont nous nous réjouissons, même si le tri ethnique que semblent vouloir organiser la Pologne et la Hongrie avec la complicité de l’Union européenne est parfaitement indécent. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.) L’Union africaine s’en est émue hier : on ne trie pas les victimes des guerres !
Les livraisons d’armes sont l’autre sujet brûlant. Face à l’agression russe caractérisée, qui oserait dénier à l’Ukraine le droit de se défendre ? La France parle d’aider à renforcer ses moyens de défense, mais on entend aussi parler d’avions de chasse, ce qui pourrait impliquer directement ou indirectement le système de l’OTAN.
Le Parlement doit être clairement informé et connaître avec précision ce qui a été livré et ce qui sera livré. Son contrôle sur ces évolutions rapides est essentiel.
J’entends des hourras saluer le soudain emballement militaire de l’Union européenne et l’annonce d’un réarmement de l’Allemagne à hauteur de 100 milliards d’euros, le double de notre budget militaire. La gravité des enjeux devrait nous inciter à plus de clairvoyance et de lucidité.
Il s’agit là de questions hautement inflammables. La frontière est fragile vers une escalade entraînant dans la guerre des pays européens membres de l’OTAN, une escalade aux conséquences alors incalculables. La mise en alerte de la force de dissuasion russe par Vladimir Poutine est, dans ce contexte, parfaitement irresponsable. Toutes les puissances nucléaires, parmi lesquelles figure la France, ont l’immense responsabilité de ne pas entraîner le monde dans cette folie.
À ce sujet, la déclaration de Bruno Le Maire, qui parle de « guerre totale à la Russie », jette dangereusement de l’huile sur un feu déjà brûlant. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains.)
Tout n’a pas été fait pour éviter la guerre. Des efforts pour une désescalade ont été engagés, mais tout n’a pas été fait dans ce sens, ou bien trop tardivement.
Aujourd’hui, la guerre ne doit pas éteindre les efforts de paix ; elle doit au contraire les renforcer. J’entends la voix des boutefeux nous dire qu’il faut oublier tout cela, que seul importe d’armer l’Ukraine. Mais la guerre, c’est le peuple ukrainien qui en est la première victime ! Le cessez-le-feu, l’arrêt des bombardements, la reprise de discussions de paix respectant la souveraineté de l’Ukraine doivent rester la colonne vertébrale de l’action de la France.
La paix est plus que jamais une affaire de sécurité globale et collective. La guerre en Ukraine nous dit combien la militarisation des relations internationales a atteint sa cote d’alerte.
Dès la décennie 1990, après la dissolution du Pacte de Varsovie, des opportunités historiques se présentaient pour construire un monde débarrassé de l’affrontement des blocs, ouvrant la voie à un désarmement massif. C’est le contraire qui a été fait ! Tandis que les oligarques pillaient la Russie sous le regard complice de multinationales à l’affût de leur part du gâteau, la seule logique à l’œuvre fut celle de l’extension de l’OTAN et de l’hégémonie mondiale.
Après l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir, les États-Unis ont poussé les feux de cette confrontation et les Européens n’ont jamais trouvé les voies d’une parole unie et indépendante pour ouvrir le chemin du dialogue avec la Russie sur ce qu’Emmanuel Macron appelait en 2018 « une nouvelle architecture de sécurité européenne », ou sur ce que nous appelons, pour notre part, « une initiative multilatérale pour un nouveau traité paneuropéen de paix et de sécurité ».
La Russie s’est enfoncée dans cette logique guerrière de confrontation, singulièrement depuis 2014 et l’annexion de la Crimée jusqu’à cette guerre dramatique en Ukraine. Durant toutes ces longues années, il faut le dire, jamais l’occasion ne fut saisie pour ouvrir sérieusement de réelles voies de négociations, laissant la confrontation et la force seules s’exprimer.
Vingt ans d’obsession otanienne pour le surarmement, vingt ans de réarmement russe, vingt ans d’exacerbation des nationalismes : le bilan est désastreux. Que de temps perdu, qu’il faudra maintenant regagner en faveur de la paix ! (Mme Éliane Assassi applaudit.)
Alors oui, même au cœur de ce terrible orage de bombardements, la paix doit rester notre projet politique. La paix, et non pas l’équilibre de la terreur ou la confrontation des puissances. La paix pour l’Ukraine, avec le cessez-le-feu immédiat et le départ des troupes russes. La paix pour la Russie, qui doit trouver avec l’Europe les conditions d’une sécurité sans l’OTAN à ses portes.
Même quand il paraît si étroit, un chemin existe toujours pour le dialogue. La France doit aider les belligérants à l’emprunter en usant de la voix forte qui est la sienne à l’ONU comme au sein de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
La paix aussi pour la Géorgie, la Moldavie, l’Arménie, dont l’intégrité doit être préservée. La paix pour tous les Européens, qui doivent assurer leur sécurité souverainement, dans le respect mutuel des États, sans la tutelle américaine otanienne. La paix par le désarmement nucléaire et conventionnel multilatéral. La paix partout dans le monde, en Afrique, au Moyen-Orient, avec la fin des opérations militaires extérieures.
Oui, mes chers collègues, comme l’a déclaré le secrétaire général des Nations unies, le 18 décembre dernier, en recevant la Lampe de la paix de saint François : « Dans un monde où nous pouvons tout choisir, choisissons la paix. » (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et RDSE.)