Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État. (M. Martin Lévrier applaudit.)
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, chère Catherine Deroche, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que vous vous apprêtez à examiner a pour objet de renforcer l’évaluation éthique de la recherche en santé et d’améliorer les conditions d’accès aux thérapies innovantes – autant d’objectifs que nous partageons pleinement.
Je tiens à saluer l’investissement de la commission sur ces sujets, ainsi que les travaux que vous avez menés ces dernières années et qui ont nourri cette initiative.
Le texte comporte trois volets : le premier a trait aux recherches impliquant la personne humaine, le deuxième à l’accès au marché des produits de santé innovants et le troisième à l’utilisation des données de santé.
Concernant tout d’abord les recherches impliquant la personne humaine, permettez-moi de rappeler que l’une des priorités du Gouvernement dans le cadre du plan Innovation Santé 2030 est précisément de renforcer l’attractivité de la France en matière de recherche.
Notre objectif est d’augmenter le nombre d’essais cliniques et le nombre de patients inclus, notamment par une réduction significative des délais d’autorisation, tout en conservant évidemment un haut niveau de qualité méthodologique et éthique.
Pour y parvenir, le Gouvernement a engagé de nombreuses actions en vue de réduire drastiquement les délais d’évaluation des projets de recherche et de préparer l’entrée en vigueur de règlements européens. Les moyens des comités de protection des personnes (CPP) ont ainsi été renforcés, grâce notamment à une hausse de 5 millions d’euros des budgets consacrés à l’évaluation éthique des produits de santé, au recrutement de renforts administratifs, à la revalorisation des indemnités des membres ou encore à la mise en place de nouveaux cycles de formation.
Le ministère a par ailleurs mis en place une plateforme de support et d’animation du réseau des comités pour harmoniser leurs pratiques. Un pôle a aussi été créé à la fin du mois de janvier dernier pour renforcer leur coordination.
Toutes ces réformes sont nécessaires au regard des évolutions réglementaires européennes, qui prévoient des délais d’évaluation plus courts, et du fait que le silence des comités vaut avis favorable, ce qui rend indispensable le respect des délais impartis.
Ces mesures portent leurs fruits : plus de 99 % des 351 projets de recherche relevant du champ du règlement sur les essais cliniques de médicaments et soumis entre septembre 2021 et la fin janvier 2022 respectent les délais d’évaluation éthique prévus.
Le renforcement des moyens des CPP ne leur permettra toutefois pas d’évaluer dans les délais réglementaires l’ensemble des projets de recherche impliquant la personne humaine soumis chaque année. Il y a trop de recherches déposées pour les 39 comités. Il faut donc créer d’autres structures et élargir le vivier de recrutement des personnes volontaires.
Cependant, nous estimons qu’une modification majeure du fonctionnement des CPP n’est pas opportune dans l’immédiat, car trois règlements européens viennent d’entrer en vigueur.
La proposition de loi prévoit de confier à d’autres structures la mission d’évaluation des recherches non interventionnelles. Une telle évolution semble à terme indispensable et doit être organisée de manière structurelle pour que ces recherches ne passent plus par les CPP.
En la matière, les évolutions proposées par le député Cyrille Isaac-Sibille dans le cadre du vote de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, qui avaient fait l’objet d’une concertation avec les acteurs du secteur, nous semblent constituer le bon équilibre. Elles visent à confier l’évaluation des recherches non interventionnelles à des comités d’éthiques locaux de la recherche, créés par des établissements de santé et coordonnés par une commission nationale.
Plusieurs autres dispositions figurant dans cette proposition de loi nous semblent intéressantes, notamment celles qui portent sur la recherche en ambulatoire, la pérennisation d’une procédure d’évaluation accélérée des recherches en cas d’urgence sanitaire ou la valorisation de l’activité de rapporteur de projets de recherche dans les carrières.
Nous sommes plus réservés sur la perspective de prévoir l’évaluation éthique systématique des projets de recherche impliquant la personne humaine ne poursuivant pas de finalité biologique ou médicale. Une telle réforme nécessite un travail préparatoire pour être mise en œuvre.
Le Gouvernement souhaite par ailleurs attirer votre attention sur l’importance de prioriser les évolutions juridiques qui concernent les CPP, étant donné les multiples changements survenus récemment, lesquels sont longs à absorber pour des personnes exerçant leur activité de membre en sus de leur carrière professionnelle.
Le deuxième volet de la proposition de loi a trait à l’accès à l’innovation dans le champ des produits de santé, sujet qui soulève des questions importantes en termes de santé publique. Comment garantir que les patients pourront être traités avec les produits les plus innovants, le plus tôt possible, et équitablement sur le territoire ? Comment anticiper l’arrivée de ces produits et assurer leur prise en charge, alors que les données, prometteuses, demeurent souvent précoces et ne permettent pas toujours une évaluation de droit commun ?
Ces questions sont essentielles, et le Gouvernement s’est résolument engagé en faveur de dispositifs concrets pour apporter des solutions.
La réforme de l’accès précoce relative aux médicaments, qui est entrée en vigueur en juillet dernier, a notamment permis de simplifier et d’accélérer les procédures dérogatoires, de systématiser la prise en charge immédiate des patients, de garantir un cadre d’éligibilité clair et d’assurer un maximum de prévisibilité aux entreprises sur le mode de financement.
Ces évolutions ont produit des résultats très concrets.
Ainsi, les patients français sont les premiers au monde à avoir bénéficié d’un traitement en prophylaxie, avec des anticorps monoclonaux actifs contre le variant omicron du virus SARS-CoV-2. Plus de 14 000 patients en profitent aujourd’hui, ce qui leur offre une meilleure protection, dans un cadre strict et sécurisé que nos autorités sanitaires ont fixé. Nous sommes, à date, le seul pays européen à proposer ce traitement.
Le deuxième exemple est celui du traitement du cancer du sein métastasique sous une forme dite « triple négative ». Les patientes françaises en bénéficient depuis novembre 2021, ce qui fait de notre pays le premier en Europe à y donner accès. Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, en matière d’innovation et d’accès anticipé, la France a su se réformer et répondre présent.
Nous menons d’autres actions dans le cadre du plan Innovation Santé 2030.
Je pense notamment à l’élargissement de l’accès à la liste en sus pour les médicaments et dispositifs médicaux avec une amélioration du service attendu (ASA) ou une amélioration du service médical rendu (ASMR) de niveau IV, qui est effectif depuis le 1er janvier 2022. Très concrètement, ces produits innovants mais onéreux sont remboursés à 100 % aux établissements de santé, ce qui en facilite l’utilisation et contribue à assurer une équité de traitement partout sur le territoire.
Je pense aussi au dispositif d’accès direct, qui permet à certains médicaments d’être pris en charge de manière anticipée dès la publication de l’avis de la Haute Autorité de santé, et ce pour une durée d’un an. Le lancement opérationnel de ce dispositif est prévu dans le courant de l’année 2022.
Enfin, pour accompagner cette dynamique d’innovation, le Premier ministre a annoncé la mise en place d’une Agence de l’innovation en santé au début de l’année 2022. Celle-ci aura notamment pour mission de doter la France d’une stratégie et d’objectifs à court et à long terme, en lien avec tous les acteurs de la recherche et de l’innovation. Elle proposera aussi un guichet unique aux porteurs d’innovation, ce qui permettra d’accélérer le délai de mise sur le marché des nouveaux produits, avec une approche personnalisée pour accompagner les entreprises.
Pour répondre à votre question, madame la présidente Deroche, sachez que le recrutement du directeur ou de la directrice de cette agence est en cours et que son nom devrait être annoncé dans les toutes prochaines semaines. L’agence devrait donc être opérationnelle au cours du premier semestre de 2022.
J’ajoute que le plan Innovation Santé 2030, doté de plus de 7,5 milliards d’euros, consacrera plus de 650 millions d’euros à la santé numérique.
Sur ce deuxième volet, le Gouvernement souhaite privilégier la mise en œuvre et l’appropriation des nombreuses mesures déjà prises avant d’envisager de nouvelles évolutions.
Permettez-moi enfin d’évoquer le troisième et dernier volet de cette proposition de loi portant sur le numérique en santé.
La santé numérique est entrée dans la vie de nombre de nos citoyens et permet de réelles avancées en termes de prise en charge des patients.
Dans ce domaine, la crise sanitaire a accéléré les pratiques dans des proportions historiques. À l’occasion de la première vague, nous sommes passés de 10 000 à plus de 1 million de téléconsultations par semaine ! En pleine tempête, le numérique en santé a montré qu’il était fondamentalement une solution efficace pour accéder aux soins et un allié de poids pour surmonter des contraintes inédites.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a lancé plusieurs plans d’investissement ambitieux, qui constituent un soutien tout à fait inédit des pouvoirs publics en la matière.
Le premier correspond au lancement au début du mois de février de « Mon espace santé », qui constitue un nouveau carnet de santé pour tous les Français, disponible dans leur smartphone ou leur ordinateur. Cet espace numérique stocke tous les examens de santé : chaque patient peut renseigner ses antécédents, ses allergies et y classer ses ordonnances. J’invite chacun, ici et en dehors de cet hémicycle, à utiliser ce nouvel outil, dont les données sont évidemment sécurisées et hébergées en France.
Le deuxième est la mise en œuvre du Ségur de la santé numérique, qui améliorera l’efficacité de notre système de santé par un échange sécurisé des données entre les professionnels de santé : plus de 2 milliards d’euros seront investis, dont 600 millions d’euros dans le seul secteur médico-social. Notre ambition est de moderniser, de sécuriser et de rendre interopérables les logiciels métiers dans les établissements et chez les professionnels de santé en ville, afin de fluidifier les échanges.
Le troisième repose sur le remboursement de la télésurveillance des patients. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 prévoit sa généralisation d’ici à l’été prochain, en définissant l’architecture d’un modèle de financement de droit commun de la télésurveillance par l’assurance maladie.
L’ambition du Gouvernement s’incarne également dans PariSanté Campus, lancé à la fin de 2020. Comme vous le savez, il s’agit d’un campus de recherche, de formation, d’innovation et d’entrepreneuriat dans le domaine du numérique pour la santé.
En parallèle, l’utilisation des données à des fins de recherche, d’études ou d’évaluation s’est très fortement développée ces dernières années, ce dont on ne peut que se féliciter. Le système national des données de santé (SNDS) couvre intégralement l’utilisation des données en vie réelle, comme le démontrent les nombreuses études réalisées, que ce soit par la recherche académique, les agences ou les industriels du médicament.
Nous comprenons que le développement du numérique en santé suscite des questions essentielles et fort légitimes en ce qui concerne la protection des données personnelles. Le Gouvernement partage évidemment les préoccupations des parlementaires concernant l’hébergement des données du SNDS dans des conditions garantissant leur bon usage et leur sécurité.
Nous travaillons à ce que des solutions respectant les critères posés par la circulaire du 5 juillet 2021 soient trouvées, puis utilisées par le Health Data Hub (HDH) le plus rapidement possible. Les projets actuellement traités sur la plateforme du HDH ont bien sûr été autorisés par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). La souveraineté en matière d’hébergement des données de santé est primordiale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, nous sommes parfaitement conscients de l’importance des sujets abordés dans le cadre de cette proposition de loi. Le Gouvernement a d’ailleurs déjà engagé de nombreuses actions, qui produisent des résultats positifs et concrets et dont la mise en œuvre doit se poursuivre.
Je tiens à saluer les évolutions apportées à la suite de l’examen du texte en commission, sur l’initiative de votre rapporteure. Elles ont permis des améliorations et une actualisation du texte initial, avec l’éclairage technique des services du ministère.
Nous pensons toutefois qu’il est important de stabiliser nos procédures et d’accompagner l’ensemble des structures pour qu’elles puissent assimiler les dernières réformes dans leur pratique, sans modifier substantiellement notre système. Dans l’immédiat, le Gouvernement n’envisage donc pas de changement majeur sur ces différents sujets.
Toutefois, cette proposition de loi nous permet de débattre de questions cruciales pour l’avenir de notre système de santé. De plus, certaines des mesures proposées dans ce texte pourront nourrir dans un second temps – j’en suis convaincu – de nouvelles évolutions en faveur de l’innovation en santé. (MM. Martin Lévrier et Bruno Belin applaudissent.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Roger Karoutchi.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quel est l’intérêt de ce texte ?
Il nous permet tout d’abord de dresser un constat : la France est effectivement en train de régresser pour ce qui concerne le développement et la production de thérapies innovantes. Les groupes industriels, comme Sanofi, et nos instituts publics de recherche, qui, eux, manquent cruellement de moyens, n’ont pas réussi à développer des solutions vaccinales aussi rapidement que d’autres pays.
Je ne vous refais pas l’histoire, car elle est connue et nourrit une petite musique décliniste qui devient, hélas, trop familière ; la course au vaccin n’est que la partie émergée de l’iceberg.
En matière de biotechnologies et de biotechs, c’est vrai, la France n’est plus à la pointe de l’innovation, mais l’un des effets positifs de cette pandémie est que l’État français prend enfin la recherche médicale au sérieux. Il était temps ! Le Gouvernement a ainsi investi plus de 7 milliards d’euros du plan de relance dans les biotechnologies dans le cadre du plan Innovation Santé 2030. C’est une bonne chose.
Cependant, on entend désormais un autre refrain tout aussi problématique : l’innovation médicale deviendrait un enjeu de compétition économique entre puissances scientifiques, bien plus qu’un enjeu de santé.
L’amélioration du bien-être des individus, que ce soit en France ou à l’échelon mondial, serait un objectif qu’il faudrait certes toujours atteindre, mais qui ne serait plus qu’un parmi tant d’autres. Je crains que ce soit la logique qui sous-tende cette proposition de loi.
Ce modèle conduit à des évolutions intrinsèques. Le patient devient l’agent de sa propre santé, et le médecin devient de plus en plus un technicien dans un cadre institutionnel toujours plus guidé par les impératifs d’efficacité économique et de performance administrative. La logique de soins s’éloigne.
Cela étant, la médecine personnalisée et les biotechnologies recèlent des promesses de progrès médicaux majeurs pour nos concitoyens. Ainsi, en prenant en compte les caractéristiques biogénétiques, génétiques et épigénétiques dans le traitement de chaque individu, la médecine pourrait réaliser des progrès décisifs pour lutter contre le diabète, certains cancers ou maladies génétiques rares.
Dans ce contexte, comment faire advenir des avancées médicales vertueuses pour toutes et tous ?
Tout d’abord, j’attire votre attention sur un point : acheter des résultats rapides, en investissant massivement dans quelques superstars, est un leurre. La recherche – tel est son b.a.-ba – fonctionne sur le temps long. Elle repose sur un travail de fond et l’exploration de voies originales qui ne paraissent pas immédiatement fructueuses commercialement.
Or la recherche est aujourd’hui chroniquement sous-financée dans notre pays. Nous ne sortirons pas de l’ornière tant que 2,2 % de notre PIB seulement lui sera consacré. À titre de comparaison, cet effort s’élève à 3,1 % en Allemagne et à 2,8 % aux États-Unis.
La recherche est une affaire de coopération, une affaire globale. De plus en plus, les enjeux liés à la recherche doivent se penser et être coordonnés au niveau européen, pour que celle-ci soit réellement efficace. La prochaine étape est donc, nous semble-t-il, de parvenir à concilier nos plans d’actions et d’investissement avec ceux de nos voisins européens.
Je tiens à affirmer dès maintenant l’importance d’une notion clé, sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir lors de la discussion des amendements du groupe écologiste : la démocratie sanitaire.
Il s’agit, d’une part, de permettre aux citoyens et à la société civile d’être impliqués dans les prises de décision, et, d’autre part, de faire en sorte que les décisions relatives aux soins, aux médicaments et aux traitements soient prises avec un maximum de transparence.
Le risque est que les citoyens perdent confiance dans les mécanismes et le bien-fondé des décisions prises à cause de la technicisation et de la complexification croissante des enjeux liés à la santé. Nous avons, hélas, pu le constater ces derniers mois. C’est en tout cas sous ce prisme que nous abordons ce texte.
La présente proposition de loi, essentiellement technique, comporte toutefois des avancées indéniables. Je tiens notamment à saluer le travail de nos collègues sur les articles encadrant le Health Data Hub voulu par le Gouvernement.
La sécurisation des données de santé de nos concitoyens est essentielle. En effet, réserver l’hébergement et la gestion de ces données à des acteurs européens permet de s’assurer que ce sont bien les législations nationale et européenne relatives à la protection des données individuelles qui s’appliquent.
Malgré des différences de fond avec le texte de la commission, force est de constater que cette proposition de loi est un motif d’espoir pour nos concitoyens, qui veulent accéder plus rapidement à des traitements innovants.
C’est pourquoi le groupe écologiste votera en faveur de ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé en juin dernier, lors de la réunion du Conseil stratégique des industries de santé, un plan Innovation Santé 2030.
Ce sont 7 milliards d’euros qui seront investis d’ici à cinq ans en faveur de la recherche, des industries, des entrepreneurs et des patients. Sur ces 7 milliards d’euros, 1 milliard d’euros sera financé par nos cotisations sociales sur le budget de l’assurance maladie.
Ce plan d’investissement intervient après que la pandémie a mis en lumière les faiblesses de l’industrie pharmaceutique française, qui a été incapable de trouver un vaccin contre la covid-19 ou encore d’éviter les ruptures de stocks de médicaments après avoir délocalisé la production de ces derniers en Asie.
C’est notamment le cas de l’entreprise Sanofi, qui, en janvier dernier, a encore supprimé 364 postes dans sa branche recherche et développement, tout en versant des sommes faramineuses à ses actionnaires, alors qu’elle est toujours incapable de produire son propre vaccin. Pourtant, c’est son président, Olivier Bogillot, que le Premier ministre Jean Castex a chargé de diriger le comité de suivi du plan Innovation Santé 2030. Il serait intéressant de connaître les critères qui ont présidé à un tel choix…
On voit pourtant une nouvelle fois que la logique de rentabilité de l’industrie pharmaceutique va à contresens de la santé, alors même que les grands laboratoires pharmaceutiques sont en très grande partie redevables des aides financières publiques, directes et indirectes.
La proposition de loi du groupe Les Républicains compile des recommandations formulées par la commission des affaires sociales du Sénat dans ses rapports de juin 2018 sur l’accès précoce aux médicaments innovants et de juin 2021 sur l’innovation en santé.
Elle relaie ainsi les exigences du LEEM (Les Entreprises du médicament), syndicat des entreprises du médicament, qui souhaite réduire les délais et les contrôles et maximiser les profits au nom du renforcement de « l’évaluation éthique de la recherche en santé » et de « l’amélioration des conditions d’accès aux thérapies innovantes. »
Je veux rappeler ici que l’innovation en santé n’existe pas. L’Agence européenne des médicaments l’indique clairement : « Innovant ne veut rien dire de plus que nouveau ». En réalité, on a recours à cette terminologie en l’absence de nouveauté, pour imposer des prix toujours plus élevés.
Face à l’augmentation considérable des prix des nouveaux médicaments, notamment contre le cancer, l’hépatite C et certaines maladies rares, la société civile française se mobilise. Elle dénonce l’opacité des prix, le manque de transparence des négociations entre l’État et les industriels, leurs répercussions budgétaires et financières sur l’assurance maladie, ainsi que les conséquences des pénuries de médicaments.
Elle se mobilise aussi pour améliorer l’accès de toutes et tous aux progrès thérapeutiques, d’autant que de nombreuses personnes malades, notamment celles qui sont atteintes de pathologies orphelines ou en situation d’échec de traitement, témoignent chaque jour de l’existence de besoins thérapeutiques encore insatisfaits et survivent dans l’attente de médicaments efficaces et bien tolérés.
Si les avancées thérapeutiques sont réelles dans certains domaines, les médicaments apportant une véritable amélioration sont beaucoup moins nombreux que les nouveaux médicaments.
Une étude américaine a ainsi démontré que les médicaments les plus récents parmi les 58 médicaments anticancéreux sortis entre 1995 et 2013 n’avaient pas permis d’augmenter la durée de survie des patients ; à l’inverse, elle a conclu que, par rapport aux médicaments plus anciens, leur prix avait fortement augmenté – +12 % par an – et dépassait les 200 000 dollars.
Au nom de l’innovation, mais surtout au détriment de la lutte contre les conflits d’intérêts et parfois même de la sécurité des patients, les industriels veulent réduire toujours davantage les délais d’évaluation des médicaments. À ce propos, il nous semble que la dérogation au principe du tirage au sort, prévue à l’article 3, peut remettre en cause l’indépendance des comités, en créant un risque de conflit d’intérêts.
Par ailleurs, les critiques sur les délais d’évaluation des traitements masquent mal la partie la plus longue du processus, à savoir les négociations tarifaires entre les industriels et le comité économique des produits de santé. En réalité, notre système de santé offre déjà des délais rapides de mise sur le marché des médicaments innovants, en ayant recours, par exemple, aux autorisations temporaires d’utilisation, qui existent depuis 1994.
Cette proposition de loi prévoit également de modifier les critères de fixation des prix en se fondant sur le critère de la valeur thérapeutique relative. Ce mécanisme existe déjà sous l’appellation de « contrat de performances », dont la Cour des comptes dressait un bilan accablant en 2017.
Plutôt que de permettre aux start-up et aux laboratoires de renforcer leurs marges financières, comme les y incite cette proposition de loi, il conviendrait d’agir en urgence pour retrouver une maîtrise publique de la politique du médicament et socialiser tout ou partie des Big Pharma, ce qui permettrait de créer un pôle public industriel en France et en Europe.
C’est le sens de la proposition de loi portant création d’un pôle public du médicament et des produits médicaux, qui a été déposée par notre groupe et malheureusement rejetée par le Sénat en décembre 2020. Nous n’avons, hélas, pas pu reprendre les dispositions qu’elle comportait sous forme d’amendements dans le cadre de l’examen de ce texte du fait de l’article 40 de la Constitution.
Pour l’ensemble de ces raisons, les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste voteront contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub.
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne suis ni médecin, ni chercheuse, ni biochimiste, aussi ai-je fait un atterrissage un peu brutal en abordant la proposition de loi déposée par Catherine Deroche et Annie Delmont-Koropoulis.
Au fil des lectures et des auditions, je me suis sentie perdue au milieu d’un tas d’acronymes nouveaux, moi qui maîtrise surtout ceux de la sphère des collectivités territoriales. Cette phrase de Barjavel m’est même revenue en mémoire : « Tant qu’on a essayé de combattre la peste avec des mots latins, elle a tranquillement dévoré l’humanité ». (Sourires.)
Néanmoins, j’ai vite saisi l’essentiel : pour retrouver les premières places au niveau mondial en matière de développement et de production de thérapies innovantes, la France a besoin de fluidifier, de simplifier et de rendre plus opérationnel l’ensemble de l’écosystème de la recherche en santé.
Désormais, ces préoccupations ne sont plus l’apanage des experts, car la pandémie a mis les sciences biologiques et de santé au centre des préoccupations de tous les Français.
La crise sanitaire a été non seulement un puissant accélérateur en termes d’innovation, mais aussi, selon un rapport de l’Académie nationale de médecine, « un révélateur de l’état inquiétant de la dispersion des moyens et de la complexité de l’organisation, du fonctionnement et du financement de la recherche en général, mais plus particulièrement de celle en biologie-santé. »
L’article 1er vise à autoriser le déploiement d’essais cliniques au domicile des patients. Il suffit de penser aux difficultés logistiques que rencontrent les malades atteints de pathologies rares, en particulier les enfants, pour se rendre dans les centres spécialisés pour mesurer l’intérêt majeur d’une telle avancée.
L’évaluation de l’éthique des recherches, sans alourdir pour autant les procédures, est au cœur de ce texte. L’article 2 vise ainsi à renommer les comités de protection des personnes en « comités d’éthique de la recherche et de protection des personnes ».
Il est proposé une importante refonte des CPP : leur nom, leur composition, leur rattachement systématique à un CHU ou à tout autre établissement de santé d’intérêt collectif, de sorte à rétablir une continuité de la recherche fondamentale jusqu’à la recherche clinique, la création d’un référentiel d’évaluation, l’établissement d’un cadre convergent qui permette à la fois de les rendre plus opérationnels et de valoriser les missions des universitaires et praticiens hospitaliers qui s’y investissent.
Selon les données de la direction générale de la santé, le délai médian global d’autorisation des essais cliniques de médicaments, tous domaines confondus, s’établissait à 77 jours sur les trois premiers mois de l’année 2021.
Les CPP, au nombre de 39 sur le territoire, ne disposent pas des moyens humains, financiers et techniques suffisants pour absorber cette charge de travail. Ils sont « embolisés ».
Cette proposition de loi esquisse des pistes pour remédier à ces problèmes, ce qui me paraît essentiel. La béotienne que je suis fera trois constats à cet égard.
Le premier, c’est que, pour certains patients, une attente de 77 jours peut être vitale. Je pense ici à Camille, qui a tant espéré accéder à la thérapie expérimentale de la dernière chance…
Le deuxième, c’est que nous traversons une crise sanitaire majeure, laquelle nous a fait collectivement mesurer toute l’importance de chaque jour qui passe.
Le troisième, c’est que les groupes pharmaceutiques privilégieront, pour leurs essais cliniques, les pays où les délais seront les meilleurs.
Le chapitre II tend à favoriser le développement de la recherche dans le domaine de la médecine dite « personnalisée », celle des cinq P : préventive, prédictive, personnalisée, participative et de preuve.
Je laisserai ma collègue Jocelyne Guidez traiter des titres II et III.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris : les élus du groupe Union Centriste soutiennent ces dispositions, qui doivent permettre d’améliorer tant la souveraineté et la sécurité sanitaires que la qualité de vie des patients. Avant tout, nous devons sortir d’un carcan administratif qui ne cesse de se resserrer et faire sauter tout ce qui encombre les tuyauteries.
Comme disait Camus avec un peu d’amertume, « la seule façon de mettre les gens ensemble, c’est encore de leur envoyer la peste ». (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)