M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy.
M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite de voir inscrite à notre ordre du jour cette proposition de loi, qui vise à pérenniser une habilitation votée dans la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Introduite sous le quinquennat précédent, celle-ci permettait aux experts forestiers d’accéder aux données cadastrales afin de mener à bien leur mission.
Aujourd’hui, nous avons l’opportunité de solidifier dans notre droit cette expérimentation qui, depuis lors, a été unanimement reconnue comme positive, tandis qu’en parallèle, les experts forestiers en ont demandé la prolongation.
Leur demande est légitime, car ils participent à la protection et à la mise en valeur des bois et des forêts ainsi qu’au reboisement, dans le cadre d’une gestion durable de nos forêts.
En effet, ils doivent faire face à un fort morcellement de la forêt privée française, qui se caractérise par un nombre très important de propriétaires, trop souvent peu, voire mal identifiés. Notre pays, doté de la quatrième surface forestière d’Europe, compte ainsi près de 4 millions de propriétaires qui se partagent 76 % de la surface forestière privée.
Ce morcellement est un frein à la mobilisation de la matière première en France, dans un contexte où la demande est tendue, ainsi qu’au bon entretien de nos forêts. Il rend de fait plus compliqué l’exercice de leur mission par les experts forestiers, qui doivent avoir accès à certaines données pour la mener à bien.
Je salue donc le choix de Mme la rapporteure et du Gouvernement de s’en tenir à la rédaction de 2014, c’est-à-dire d’ouvrir aux experts forestiers, sans limitation du nombre de demandes, l’accès aux données cadastrales des propriétés forestières, dans le périmètre géographique dans lequel ils sont habilités à exercer leur mission d’information.
De fait, les garde-fous qui avaient été mis en place ont été conservés. Le rôle du maire est ainsi préservé, ce dernier devant être notifié lorsqu’une demande a lieu dans sa commune. Quant aux données, elles ne peuvent par la suite être cédées à des tiers. En nous en tenant à la rédaction initiale, nous restons conformes à l’avis rendu par la CNIL à l’occasion du vote du projet de loi d’avenir pour l’agriculture.
Ce texte, en prévoyant l’intervention des experts forestiers tout en maintenant le cadre juridique existant, permet d’apporter une aide aux petits propriétaires dans la lutte contre les conséquences du morcellement de nos forêts. Il évite toutefois de tomber dans une logique privilégiant la seule rentabilité, même si certains grands industriels l’appellent de leurs vœux.
Il s’agit avant tout de protéger nos forêts de prédateurs qui ne voient en elles qu’une opportunité d’exploitation économique, certes nécessaire, mais qui ne doit pas se faire à n’importe quel prix.
Il faudra réfléchir aux solutions que nous pourrons proposer à l’avenir aux territoires dépourvus de grands massifs forestiers, mais qui comptent de nombreuses microparcelles ne faisant, bien souvent, l’objet d’aucun document de gestion.
Les associations de propriétaires qui se créent dans ces territoires, accomplissent très souvent, en collaboration avec des structures locales telles que les parcs naturels régionaux (PNR) ou les pays, un excellent travail pédagogique opérationnel de gestion et d’exploitation de ces espaces. Elles auront sans doute besoin d’être écoutées à l’avenir.
Au cours des décennies écoulées, la forêt a trop souvent été envisagée sous le seul angle du modèle économique ou du patrimoine familial.
De nouveaux usages et de nouvelles utilités sont apparus comme le tourisme, la biodiversité, l’aménagement du territoire ou le changement climatique. Cela entraîne inévitablement l’arrivée de nouveaux acteurs qui peuvent, eux aussi, avoir besoin, pour intervenir utilement, d’accéder à certaines données dont ils ne disposent pas pour l’instant.
Nous devrons sans doute réfléchir à la manière de les intégrer et prévoir d’améliorer le partage des informations, à condition toutefois que celles-ci ne soient pas systématiquement utilisées à des fins commerciales.
À ce stade, restons-en aux dispositions du présent texte. Pour toutes les raisons que j’ai exposées et au nom de la protection de nos forêts, constitutives du patrimoine naturel de la Nation, les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront pour cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Marie Evrard.
Mme Marie Evrard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la forêt a toujours nourri l’imaginaire des rapports de l’homme à la nature. Selon les sociétés, elle occupe une place plus ou moins importante dans les représentations sociales des paysages, que ces derniers soient considérés comme bucoliques, pittoresques ou romantiques.
La culture impressionniste de la fin du XIXe siècle l’a d’ailleurs sublimée. La forêt médiévale resurgit et prend une dimension mythique, sombre et ténébreuse, en double sémantique de l’architecture gothique.
Je pense ainsi à la forêt d’Othe, qui s’étend de Joigny, dans l’Yonne, à Troyes, dans l’Aube, sur 28 000 hectares et qui est encadrée par les vallées de la Vanne, de l’Yonne et de l’Armançon. On l’associe à un pays, le pays d’Othe. Ce site – je vous invite à le découvrir – abrite des sources d’eaux auxquelles on accorde des vertus guérisseuses, voire rédemptrices. Je pense en particulier aux étangs de Saint-Ange à Bussy-en-Othe, une commune de mon canton.
C’est cette représentation enchantée de nos espaces forestiers que nous devons conserver, notamment pour nous y promener, mais pas uniquement.
Outre la beauté de ces paysages si particuliers, la forêt constitue aussi un potentiel économique sous-exploité. Dans ce domaine, notre déficit commercial ne cesse de croître, alors même que la France dispose de la troisième surface forestière d’Europe et de la première place pour ce qui est de la production de chênes. Cela s’explique en partie par la spécialisation de la filière.
La forêt est aussi un enjeu environnemental : par sa fonction de stockage du carbone, elle participe à la lutte contre le réchauffement climatique. En effet, les surfaces boisées stockent le dioxyde de carbone et rafraîchissent l’air. Sous l’effet du soleil, l’eau absorbée par les arbres s’évapore et se transforme en vapeur d’eau. Ainsi des nuages se forment, engendrant de nouvelles précipitations qui freinent l’ardeur du soleil.
Toutefois, cette forêt française que nous chérissons tous pour son potentiel paysager, économique et environnemental se heurte au morcellement extrême de ses parcelles. La grande majorité de la surface forestière française est en effet morcelée entre de nombreux propriétaires privés.
Nous avons souligné, sous le prisme de l’engrillagement à outrance, cette parcellisation à l’extrême de nos forêts et ses conséquences néfastes sur l’environnement, dans la proposition de loi déposée par Jean-Noël Cardoux visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée. Nous espérons, à ce propos, que la navette parlementaire se poursuivra dans un avenir proche.
Plus largement, l’extrême parcellisation du foncier forestier est à la source d’un mauvais entretien des forêts privées et d’une sous-valorisation des bois et forêts. Elle empêche la forêt, en définitive, de remplir pleinement sa vocation environnementale et économique.
Ce texte ne mettra pas fin à la parcellisation et ce n’est pas son objet. Les Assises de la forêt et du bois, dont les conclusions sont attendues prochainement, devraient répondre à ce défi parmi d’autres, à partir d’une vision partagée par l’ensemble des acteurs de la filière forêt-bois.
Cependant, la présente proposition de loi pose une pierre fondatrice pour le renouveau de nos espaces forestiers, en particulier les forêts privées.
Un certain nombre de ces parcelles appartiennent à des propriétaires qui s’ignorent, souvent parce qu’ils ont hérité d’un terrain de quelques ares, désormais laissé à l’abandon.
Concrètement, de nombreux espaces non entretenus sont inexploitables – et je parle aussi bien de la gestion économique du bois que du simple loisir de la promenade – en raison, par exemple, de l’accumulation de chablis.
L’idée du texte qui nous est proposé est de prolonger une expérimentation prévue dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt et qui permet aux experts forestiers d’accéder aux informations cadastrales numériques relatives aux propriétés forestières. Il s’agit d’identifier un ensemble de propriétaires sur un massif forestier, de leur permettre de gérer en commun leurs arbres et de coordonner leurs actions pour aboutir à une gestion plus harmonieuse des forêts.
Nous soutiendrons pleinement cette initiative de bon sens porteuse d’espoir pour nos massifs forestiers. Beaucoup reste à faire pour que notre forêt française soit une force motrice de notre environnement et de notre économie.
Les constats ont été posés, les solutions sont en train d’être mises en œuvre. Relevons ces défis ! En attendant, nous soutiendrons cette proposition de loi. (Mme la rapporteure applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, pérenniser une expérimentation revient à reconnaître l’effet positif que le mécanisme apporte à la vie quotidienne des personnes concernées. C’est une réussite collective que l’on décide d’inscrire dans le long terme.
En l’espèce, il s’agit de faciliter le travail des professionnels forestiers en leur donnant accès aux données nécessaires à l’exercice de leur mission. Plus largement, le dispositif qui nous est proposé permettra aux acteurs de la forêt française de développer une gestion durable de celle-ci.
Le groupe Les Indépendants est mobilisé depuis plusieurs années sur la question de la forêt. Il a d’ailleurs organisé, en novembre 2020, un débat dans cet hémicycle, intitulé : « La forêt française face aux défis climatiques, économiques et sociétaux. »
Les principaux atouts dont nous disposons grâce à un domaine forestier important ont pu être mis en lumière. Les obstacles auxquels nous devons, et devrons, faire face pour régler les nombreuses problématiques forestières ont aussi été évoqués, aux premiers rangs desquels se trouvent le nombre considérable de propriétaires et l’immense diversité des parcelles.
C’est précisément ce point qui est traité dans la proposition de loi que nous examinons. Je souhaite saluer nos collègues de l’Assemblée nationale et du Sénat qui se sont mobilisés depuis plusieurs années sur ce sujet, ainsi que la rapporteure Anne-Catherine Loisier, dont je connais l’engagement sur les dossiers consacrés à la forêt française et à la filière bois.
Les diverses étapes historiques de ce texte ayant été rappelées, je ne m’attarderai pas à les retracer une nouvelle fois. Elles traduisent le travail de conviction mené par les élus en faveur de nos territoires.
Le dispositif prévu par la proposition de loi a lui aussi été clairement détaillé précédemment ; je me bornerai simplement à évoquer deux sujets majeurs qui me paraissent importants.
Le premier concerne l’avis de la CNIL qui fait dorénavant partie du processus d’adoption du décret. Ce point a été ajouté à l’Assemblée nationale. En plus de mettre en application le dispositif contenu dans la loi, le décret traitera de la liste des données qui seront communiquées aux experts forestiers. Les données sont toujours un sujet sensible, et la CNIL a toute sa place pour faire les recommandations qui s’imposent et pour effectuer un contrôle.
Le second se réfère à l’encadrement très strict, et nécessaire, du périmètre de l’exception au principe du secret professionnel en matière fiscale que constitue l’accès aux données cadastrales.
Cela étant dit, je ferai un point rapide sur la mission des experts forestiers pour lesquels nous demandons la pérennisation de l’expérimentation. En effet, leur travail n’est pas des moindres : il consiste à gérer le domaine forestier français et plus précisément à construire une gestion durable de la forêt.
Cela suppose évidemment de proposer des solutions communes aux multiples propriétés qui dessinent un plus grand ensemble, et donc d’identifier ces dernières. C’est aussi et surtout faire cohabiter des considérations environnementales et économiques : fort heureusement, elles ne sont pas incompatibles, loin de là.
Gérer et entretenir durablement une forêt, c’est par ailleurs créer une filière bois ; c’est aussi développer une exploitation intelligente des ressources en bois qui réponde aux objectifs français en matière de matériaux ; c’est enfin participer à la construction d’une forêt capable de s’adapter et de lutter contre le dérèglement climatique. C’est pourquoi je partage la nécessité de créer un code de bonne conduite de la filière bois et forêt.
Le présent texte est le fruit d’un long travail parlementaire de compromis et d’une expérimentation réussie. Nous soutenons donc la demande d’adoption conforme qui a été proposée. Le groupe Les Indépendants votera en faveur de cette proposition de loi. (Mme la rapporteure applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cultiver notre forêt est effectivement un élément essentiel. J’ai eu la chance d’être le rapporteur de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi ASAP, dans laquelle figurait ce dispositif sur lequel nous avions obtenu un accord. Je voudrais remercier notre rapporteure Anne-Catherine Loisier du travail qu’elle a réalisé dans un temps record. On ne peut pas encore mesurer l’impact du dispositif, mais il sera significatif pour nos territoires forestiers.
La forêt a besoin de femmes et d’hommes sur le terrain : leur donner, au travers de ce texte, des moyens supplémentaires pour être efficaces sur nos territoires, c’est permettre des améliorations quant au renouvellement, qu’il s’agisse de régénération naturelle ou de replantation, quant à l’observation – nous en avons besoin –, quant à la protection et à l’équilibre sylvo-cynégétique, quant aux aspects sanitaires – je souhaiterais, monsieur le ministre, que l’on embrasse cette question de manière plus volontariste sur certains territoires expérimentaux –, quant à la biodiversité et surtout à la valorisation.
Combien de propriétaires sont capables de dire où est leur parcelle forestière ? Combien de personnes ne savent absolument pas qu’elles sont détentrices de surfaces forestières, et ce dans tous nos massifs ? On sait qu’un gisement important de ressources forestières existe dans les territoires français. Comme l’a indiqué la rapporteure, ce gisement se trouve dans les parcelles de forêt privée.
Anne-Catherine Loisier l’a dit, lorsque j’étais – dans une autre vie ! –, président de la chambre d’agriculture des Vosges, nous avions eu l’audace d’investir dans le cadastre numérisé, peu de temps avant la tempête de 1999. Le département des Vosges a été celui qui a perdu le moins de bois, car nous avons été capables de démêler les arbres enchevêtrés et de retrouver les différents propriétaires. J’insiste sur cet élément, car ce qui est arrivé se reproduira – c’est la vie !
Nous avons aujourd’hui des besoins en matière de construction, d’ameublement, d’isolation, de chimie verte et de biomasse ; or un gisement naturel existe dans nos territoires, et il constitue de plus un véritable poumon d’oxygène. Ce texte, qui pourrait donner l’impression d’être peu important, est absolument significatif car il permet de prendre en compte tous ces enjeux.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué les Assises de la forêt et du bois dont vous allez bientôt présenter les conclusions. J’ai eu la chance de coanimer les assises régionales sur la forêt du Grand Est qui ont permis une appropriation territoriale du sujet. Les experts forestiers étaient présents lors de ces assises ; ce sont des acteurs significatifs de l’action forestière qui sont au service non seulement des propriétaires, mais aussi de l’intérêt général.
Je voudrais dire à notre rapporteure que je partage complètement son avis : il serait nécessaire que nous ayons un code de bonnes pratiques. Monsieur le ministre, cette demande est essentielle pour ne pas assister à des dérives. Un tel code permettra, au contraire, de renforcer le poids, la présence et le rôle, important, des experts forestiers dans la valorisation de notre patrimoine.
Un autre point a été abordé par la commission des affaires économiques, sur lequel nous ne nous attarderons pas car nous souhaitons voter le texte conforme : il s’agit du droit de préférence, sur lequel il vous faudra évoluer, monsieur le ministre. Le voisin d’un propriétaire qui vend une parcelle est prioritaire pour l’acquérir, mais les grands propriétaires sont voisins d’un peu tout le monde, de sorte que les petits propriétaires, voire certaines communes, se trouvent parfois privés de leur capacité d’agrandir leur parcelle ou de mieux l’organiser : il faut leur prêter attention. Je le répète, c’est un sujet sur lequel nous devrons revenir.
On dit souvent que l’arbre cache la forêt. Je conclurai en affirmant que grâce au texte que nous allons voter, c’est notre forêt et toute l’ambition que nous avons pour elle que nous mettrons au grand jour ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’extrême morcellement de la forêt privée, qui représente trois quarts de la surface boisée en France, est un frein important et dommageable à une gestion durable de ces forêts et à la mobilisation d’une ressource en bois respectueuse des écosystèmes.
En ce sens, l’accès des gestionnaires forestiers aux données du cadastre est un des outils pour améliorer l’information des propriétaires forestiers sur les potentialités de leur parcelle.
Les objectifs de recours accru au bois, induit notamment par la réglementation environnementale pour les bâtiments neufs, la RE2020, ne seront pas atteints sans la contribution de nombreux propriétaires forestiers, dans le cadre d’une gestion durable.
Nous voulons cependant faire entendre une voix quelque peu critique s’agissant de la disposition contenue dans ce texte : si accéder à une information forestière permettant de gérer en commun des surfaces plus grandes qu’elles ne le sont aujourd’hui a du sens, la gestion des forêts privées ne doit pas conduire à une gestion exclusivement comptable et à une exploitation intensive, à rebours des objectifs climatiques et de biodiversité et d’une nécessaire conduite résiliente des forêts face aux menaces sanitaires et au réchauffement climatique.
Contrairement à ce qu’indique son intitulé, ce texte permet d’ouvrir l’accès aux données non seulement aux experts forestiers, dont nous ne remettons pas en cause le travail de gestion de la forêt, mais aussi aux coopératives forestières, qui sont souvent porteuses d’un modèle d’industrialisation de la gestion des forêts. Nous avons donc là un point d’alerte.
Comme en agriculture, les coopératives ont connu un phénomène de concentration, ces dernières années, et ont acquis une situation de quasi-monopole pour la gestion et l’exploitation des forêts privées.
Production de plants, conseil et conduite de travaux, commercialisation du bois : les coopératives forestières ont intérêt à préconiser aux propriétaires des coupes rases pour mieux vendre ensuite des travaux de plantation sur lesquels elles se financent.
C’est pourquoi nous craignons qu’en ouvrant à ces acteurs l’accès aux données, on ne favorise une gestion plus industrielle de la forêt. Monsieur le ministre, vous le savez, la forêt est bien plus qu’une simple culture. Nous rejoignons donc les demandes de la rapporteure sur le code de bonnes pratiques commun aux trois familles de gestionnaires concernées. Néanmoins, ce format ne paraît pas assez contraignant.
Pour pouvoir voter ce texte, nous souhaiterions que l’accès aux données du cadastre soit conditionné à des pratiques sylvicoles réellement durables, notamment via une exclusion des coupes rases sur de grandes surfaces, ainsi que celle des replantations monospécifiques qui ont un effet très néfaste sur la biodiversité, les sols, la filtration d’eau et le puits de carbone forestier.
Les coupes rases sur de grandes parcelles doivent être une exception dans la gestion des forêts, en cas d’impasse sanitaire avérée, et non une pratique courante. Il faut encadrer ces procédés, de plus en plus contestés par la société civile et certains élus locaux.
Par ailleurs, le petit foncier forestier ne dispose pas de documents de gestion agréés dont les prescriptions pourraient limiter l’intensité des coupes. Le nouveau droit accordé par cette proposition de loi devrait ainsi avoir pour contrepartie le respect d’un code de bonne gestion, prenant en compte la multifonctionnalité des forêts et conçu avec le concours des professionnels, des élus et de l’ingénierie étatique de l’ONF, comme l’avait souligné le député Dominique Potier.
En conclusion, il est crucial de respecter la multifonctionnalité de la forêt : la production de bois, la forêt loisir, les services écosystémiques, dont le stockage du carbone qui est un enjeu de ce siècle, la régulation du climat par l’évapotranspiration et la préservation de la biodiversité.
Malheureusement, la forêt est aujourd’hui parfois davantage perçue comme un capital, dont on souhaite assurer la capacité à fructifier, que comme un écosystème vivant à préserver.
Oui à une gestion responsable, durable, précautionneuse des forêts, soucieuse des intérêts économiques et aussi de la biodiversité, une gestion s’appuyant sur des pratiques de futaie irrégulière et de régénération naturelle, quand c’est possible !
Comptez sur nous pour continuer de défendre un modèle forestier pratiquant une sylviculture douce, plus résiliente face au changement climatique, et également plus rentable à terme pour les propriétaires que l’exploitation intensive, dont les travaux sont souvent extrêmement coûteux.
« Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent », aurait écrit Chateaubriand. Nous devons chérir nos forêts, pourvoyeuses de richesses et d’aménités : elles produisent l’humus, et donc l’humanité, et elles fertilisent également notre imaginaire. La forêt, c’est l’essence de nos cultures. Il faut absolument la préserver et ne pas la cultiver uniquement dans un esprit de rentabilité.
Nous conditionnerons notre vote aux garanties que le Gouvernement pourra nous apporter sur la question des coupes rases et des plantations monospécifiques, et sur la nécessaire évolution des pratiques forestières.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’un des objectifs de la proposition de loi dont nous débattons est une meilleure connaissance de la propriété forestière privée.
Nous partageons cet objectif. En effet, les trois quarts de la forêt française métropolitaine, soit près de 12,6 millions d’hectares, appartiennent à 3,5 millions de propriétaires. Cela signifie que ce sont des particuliers, des associations ou encore des coopératives qui gèrent eux-mêmes leur forêt, mais cela constitue rarement leur activité principale : 60 % d’entre eux possèdent au moins un hectare de bois et n’en tirent aucun revenu. Les parcelles de moins de 25 hectares, pour lesquelles un plan de gestion n’est pas obligatoire, sont globalement peu gérées, voire pas du tout.
De plus, de nombreux propriétaires forestiers ignorent jusqu’à l’existence de certaines de leurs parcelles. Ainsi, l’éloignement géographique des familles et le manque de connaissances sur le milieu forestier conduisent au délaissement de ces petites forêts.
Si ce morcellement contribue à la diversité de la forêt et la protège des dangers de l’uniformité, notamment des peuplements monoespèces, l’extrême parcellisation du foncier forestier est responsable d’un mauvais entretien des forêts privées et constitue un frein à une gestion raisonnée des espaces forestiers et à la mobilisation du bois.
Or le propriétaire est un acteur fondamental dans la production de l’espace forestier. La connaissance de la forêt privée passe donc par une meilleure connaissance de ses propriétaires.
Cette amélioration de l’identification permettrait, d’une part, une application du droit plus satisfaisante, de préférence au profit des propriétaires forestiers voisins en cas de vente d’une petite parcelle boisée.
D’autre part, elle favoriserait – et c’est l’objet de cette proposition de loi – la mise en gestion, l’entretien et l’exploitation durables des ressources forestières, lesquelles sont caractérisées par le morcellement. Cela contribuerait aussi à développer la production de bois.
Toutefois, cette meilleure connaissance, donc cet accès facilité aux cadastres pour les gestionnaires forestiers privés, doit être soumise non seulement à des critères économiques, mais aussi à des impératifs de bonne gestion, tels que ceux mis en œuvre par l’ONF dans le domaine public.
C’est pourquoi nous partageons pleinement la nécessité rappelée par Mme la rapporteure de mettre en place un code de bonne conduite permettant une protection des données personnelles des propriétaires forestiers et la protection contre le démarchage commercial abusif.
Il nous semble aussi important de rappeler que cette extension d’accès à certaines données fiscales ne doit pas avoir pour conséquence d’affaiblir la biodiversité et la capacité de régénération des forêts. En ce sens, cette connaissance ne doit pas devenir un outil permettant de faciliter les coupes rases et la mal-forestation.
Cet accès ne doit pas non plus entraîner la conversion d’un peuplement de feuillus en une plantation monospécifique, comme on a pu le constater avec la multiplication de la monoculture intensive de sapins de Douglas un peu partout sur le territoire.
En bref, « la forêt qui dort » ne doit pas devenir une usine à bois. Dans le contexte que nous connaissons, où les ressources en bois se raréfient et où les pénuries s’accentuent, nous devons être particulièrement vigilants. On le sait, les arbres sont essentiels dans la lutte contre le changement climatique et ils ne peuvent déployer leurs capacités de stockage de CO2 et de réserve de biodiversité que lorsqu’ils sont partie intégrante d’une forêt en bonne santé, diversifiée et entretenue.
Malgré ces remarques, nous voterons pour cette proposition de loi, qui permet de pérenniser l’expérimentation.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Mme Marta de Cidrac, M. Emmanuel Capus et Mme la rapporteure applaudissent.)
M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant qu’ancien président de la commission spéciale du Sénat chargée de l’examen de la loi ASAP, je me réjouis de l’examen consensuel de la présente proposition de loi.
En effet, ce texte est de bon sens.
Sur la forme, il s’agissait de trouver un véhicule législatif adapté à la suite de la censure par le Conseil constitutionnel d’une disposition considérée comme un cavalier législatif.
Sur le fond, le texte traduit une volonté exprimée par le législateur de pérenniser une mesure ayant fait l’objet d’une expérimentation à la suite de la loi d’avenir pour l’agriculture de 2014.
En effet, l’ambition de valoriser nos bois et nos forêts est largement partagée au sein de cet hémicycle, et le Sénat peut se targuer d’être avant-gardiste et force de proposition en la matière. Je pense notamment aux travaux du groupe d’études, présidé par Anne-Catherine Loisier, « Forêt et filière bois » en 2019 ou à ceux de la commission des finances sur ladite filière en 2015.
Face à une forêt publique dont l’exploitation est multifonctionnelle, la forêt privée, qui représente - vous le savez – 75 % de notre forêt française, reste quant à elle caractérisée par son extrême morcellement, qui conduit à sa sous-exploitation.
Aujourd’hui, plus de la moitié de la surface forestière privée est dormante. Ce constat n’est évidemment pas nouveau puisque le rapport Méo-Bétolaud de 1978 l’esquissait et aboutissait déjà à la conclusion que les marges de manœuvre de cette filière résidaient dans la forêt privée.
Toutefois, l’identification des 3,3 millions de propriétaires privés reste une difficulté de taille.
Aussi, le présent texte, en permettant aux experts forestiers agréés d’accéder aux informations cadastrales, relève du bon sens.
Une telle mesure permet de sensibiliser lesdits propriétaires et, in fine, de mieux répartir l’effort entre forêt privée et publique. La pérennisation de cette mesure, dont l’expérimentation a été concluante, permettra – j’en suis sûr – un meilleur dialogue entre propriétaires.
Or celui-ci est non seulement nécessaire, mais également salutaire pour préserver la multifonctionnalité forestière et faire face aux nombreux défis et injonctions diverses que connaît la forêt.
J’en citerai trois.
Premièrement, le défi économique est celui d’une plus grande adaptation de l’offre de bois de la forêt publique et des forestiers privés à la demande des marchés, avec un accroissement de la part des résineux, afin de réduire le déficit commercial de la filière.
Deuxièmement, le défi écologique passe par le maintien d’un niveau élevé de biodiversité via une importante variété des peuplements, de bois mort et d’îlots de vieillissement, et l’établissement, ou la poursuite, de pratiques de gestion forestière favorables à la biodiversité.
Troisièmement, le défi sanitaire est très criant dans mon département à la suite de l’épidémie de scolyte qui a causé le dépérissement de 30 000 hectares de peuplements forestiers en France. À cet égard, et symptomatiquement, je suis convaincu qu’une meilleure vision d’ensemble alliant le public et le privé et un meilleur dialogue entre les propriétaires de parcelles voisines, permis par une identification facilitée, pourraient ralentir la diffusion de ces parasites, de surcroît dans un contexte d’épisodes de sécheresse liés au changement climatique.
Aussi, pour toutes ces raisons, le groupe centriste soutiendra naturellement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme la rapporteure applaudit également.)