Mme le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Madame la présidente, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, au vu du calendrier électoral rappelé par Mme la rapporteure, ce n’est pas un hasard si nous examinons aujourd’hui cette proposition de loi visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet !
Ce texte nous donne néanmoins l’occasion de débattre de cet enjeu central qu’est l’exposition des mineurs à des contenus inadaptés et de réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour prémunir nos jeunes des risques encourus.
Il s’agit également de tenir l’équilibre entre la neutralité du net, principe fondamental qui garantit la libre circulation des données sur internet, et la préservation des enfants du flot de données, certaines d’entre elles véhiculant des contenus qui ne sont pas appropriés.
Car internet a été pensé comme une architecture décentralisée au sein de laquelle les opérateurs ne sont que des transmetteurs d’informations. N’ayant pas la possibilité de les ralentir ou de les altérer, ils laissent à l’utilisateur le choix des contenus. Cette neutralité est fondamentale : y renoncer ou l’amoindrir ouvrirait la voie aux pires manipulations et mettrait à mal l’information des populations. Il ne saurait donc en être question.
Toutefois, il faut également tenir compte du fait que les enfants ne sont pas des utilisateurs comme les autres. Ils ne sont pas en mesure d’opérer un choix éclairé ni de faire le tri dans le flot des informations et des contenus.
Il est donc essentiel que ces contenus, conçus par des adultes et pour des adultes, ne viennent pas les percuter de plein fouet. Car internet contient le pire comme le meilleur, et les algorithmes qui proposent les contenus ne sont, eux, pas neutres.
Ce texte nous place donc au cœur d’un débat extrêmement important, mais également très complexe à plusieurs niveaux.
D’une part, la terminologie « mineur », « enfant » et « adolescent » homogénéise une diversité d’âges, de maturités et de développements cognitifs. Ils couvrent dix-huit années de vie qui sont diverses et fondamentales dans le développement d’un individu.
D’autre part, les données qui ne sont pas adaptées peuvent varier et recouvrent également toute une gamme de contenus, allant de l’incitation à la haine jusqu’à la pornographie, en passant par la fiction. Loin de nous, bien évidemment, l’idée de censurer les œuvres de fiction, mais certaines d’entre elles ne peuvent être visionnées par des enfants ou des adolescents, car ces derniers n’ont pas le recul nécessaire pour les regarder sans dommage.
N’oublions pas, non plus, un problème croissant dans nos sociétés hyperconnectées, celui des fake news, qui touchent avec internet un plus grand nombre de personnes et de manière plus rapide. Les adolescents, notamment, peuvent se trouver particulièrement exposés à ce phénomène.
Nous sommes donc face à des types de contenus très divers, dont certains sont pénalement répréhensibles et d’autres ne sont tout simplement pas adaptés à tous les âges.
Or, si les enfants doivent pouvoir apprendre et se forger un esprit critique, encore faut-il qu’ils soient en mesure de le faire et d’être accompagnés.
En somme, ce texte a le mérite de constituer un premier pas. Il vise à proposer une législation sur un sujet très complexe. Certes, il nous semble aller dans le bon sens, mais comme tous les premiers pas il en appelle d’autres.
Certains acteurs économiques dominants du marché proposent déjà gratuitement des outils de contrôle parental. Deux protocoles d’engagement ont été signés pour lutter contre l’exposition des mineurs aux contenus pornographiques. Cependant, l’exposition aux contenus pornographiques, cela a été souligné, n’est pas le seul enjeu et ne constitue pas le seul risque.
La présence d’un contrôle parental sur les équipements et services proposant un accès à internet est donc nécessaire, à charge à l’utilisateur de l’activer ou non.
Il ne suffit cependant pas de le proposer. Encore faut-il en expliquer et en démontrer la nécessité aux utilisateurs, d’autant que, on le sait, 57 % des parents déclarent ne pas l’utiliser.
De plus, le contrôle parental, complexe à appliquer pleinement dans les faits, car il est contraignant pour les parents, ne doit pas masquer une problématique bien plus vaste. En effet, il ne constitue qu’une partie de la réponse à un problème plus profond.
L’un des enjeux fondamentaux reste l’éducation à internet, à la vérification des informations, à l’image et aux manipulations qu’elle peut subir ; de cette éducation, les parents d’aujourd’hui n’ont d’ailleurs pas nécessairement bénéficié.
Il faut également avoir conscience que l’enfant se développe peu à peu. Pour prendre un exemple, la distinction, évidente pour nous, entre la fiction et la réalité, n’est pas une donnée pour lui.
Enfin, les luttes contre les contenus haineux et contre les fake news ne doivent pas non plus être oubliées.
Pour conclure, mes chers collègues, nous ne pouvons que voter ce texte, tout en soulignant qu’il est insuffisant, et en espérant qu’il ouvre la voie à une réflexion et une législation plus approfondie, plus pertinente et plus applicable en la matière. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme le président. La parole est à Mme Amel Gacquerre.
Il s’agit, ma chère collègue, de votre première intervention en discussion générale. Nous vous encourageons donc tous et, pour ma part, je serai particulièrement bienveillante. (Applaudissements.)
Mme Amel Gacquerre. Madame la présidente, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, nous discutons aujourd’hui d’un texte à l’enjeu très ciblé, peut-être trop ciblé, d’ailleurs, ce qui le rend incomplet, mais qui a le mérite de rappeler à tous que l’usage du numérique fait partie intégrante du quotidien de nos enfants, et qu’ils sont confrontés de plus en plus jeunes à ses dangers.
L’enjeu est crucial, car il s’agit de la protection des mineurs face au développement exponentiel du numérique et de notre rôle de législateur dans le cadre de la révolution numérique que nous connaissons.
Si internet est un outil formidable d’éveil sur le monde et d’épanouissement, il peut a contrario, sans cadrage, être dangereux et exposer les plus jeunes à des contenus inappropriés qu’ils ne sont pas à même de gérer. À l’âge de 12 ans, près d’un enfant sur trois a déjà été exposé à un contenu pornographique. À cela s’ajoutent les effets néfastes de la surexposition aux écrans, problème que ma collègue Catherine Morin-Desailly développera.
Nous ne pouvons non plus ignorer l’impact de la pandémie sur l’usage d’internet, qui a provoqué une hausse sans précédent de l’exposition aux écrans.
Si l’on estimait à trois heures par jour le temps moyen d’utilisation chez les enfants de 3 à 17 ans, nous avons assisté, je le répète, à une hausse sans précédent, puisque, de mars à mai 2020, le taux d’exposition quotidien des 6-12 ans était d’environ sept heures. Malgré l’installation d’un contrôle parental, les risques restent réels, que ce soit sur l’ordinateur familial, le téléphone ou la tablette d’un camarade.
Autre chiffre à noter : 44 % des parents ne se sentent pas assez accompagnés dans l’encadrement de la pratique numérique de leurs enfants. Le rapport du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) de janvier 2020 relève leurs attentes et rappelle qu’il est essentiel d’être à leurs côtés.
Le législateur doit accompagner les parents dans l’éducation numérique, certes, mais il reste difficile d’agir efficacement et directement auprès de ces derniers.
Nous n’ignorons pas les outils mis à leur disposition dernièrement sur internet, comme le site d’informations « jeprotegemonenfant.gouv.fr ». Cependant, la majorité des parents ne font pas spontanément la démarche de s’informer. Ces outils sont donc, de toute évidence, insuffisants.
Nous, parlementaires, devons élargir les moyens d’action. Un accompagnement pédagogique doit être mis en place parallèlement, pour encourager le dialogue avec l’enfant et développer son sens critique. Aussi, l’école reste le lieu idéal pour agir.
L’école à l’ère du numérique, au-delà du déploiement matériel, suppose la formation continue des enseignants aux nouvelles technologies. Eux aussi peuvent se sentir parfois dépourvus pour accompagner la révolution numérique.
Des progrès doivent encore être accomplis par l’éducation nationale, particulièrement dès l’école primaire. En effet, des études montrent que 95 % des enfants peuvent réussir lorsque des méthodes d’enseignement appropriées sont déployées très tôt.
Notre conviction est que l’école primaire doit être la priorité absolue du numérique éducatif. Toute initiative est donc à encourager pour agir auprès des enfants dès le primaire. Je citerai l’expérimentation du « permis internet », mise en place en 2013 pour les enfants des classes de CM2, qui a produit des effets positifs, comme j’ai pu le constater sur mon territoire.
Une revisite de ce dispositif est à envisager. Sans doute le « permis internet », dans sa version originale, devrait-il être de nouveau évalué et adapté aux besoins actuels des enfants et des enseignants. Pourquoi ne pas le rendre obligatoire pour tous les élèves des classes de CM2 ?
Enfin, cette loi, une fois votée, va s’appliquer dans un cadre donné et ciblé.
Les mêmes questions et les mêmes enjeux vont se poser avec les nouvelles technologies extrêmement évolutives, telles que les robots et l’intelligence artificielle, qui ont un impact croissant sur notre société. Il me semble essentiel d’aider les enfants à comprendre de quoi il s’agit, de leur donner des repères et de trier le vrai du faux.
Les robots et l’intelligence artificielle sont très présents dans les médias, mais finalement mal connus. Est-ce du fait de craintes excessives ou, à l’inverse, d’une confiance aveugle ? Il n’est pas facile, surtout pour les enfants, de comprendre de quoi l’on parle et pourquoi l’on en parle autant. Je lisais, encore récemment, un article sur l’influence des robots sur les enfants et la tendance de ces derniers à suivre leurs ordres.
Ces questions doivent être posées pour accompagner et protéger les enfants de l’usage du numérique,…
Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Amel Gacquerre. Ces questions méritent d’être traitées urgemment par les législateurs que nous sommes. J’en appelle à une réflexion approfondie sur le sujet, réflexion qui pourrait se nourrir d’expérimentations mises en œuvre à l’école.
Aujourd’hui, avec mes collègues du groupe Union Centriste, je voterai ce texte, tout en faisant appel à votre vigilance, messieurs les secrétaires d’État, ainsi qu’à celle de M. le ministre de l’éducation nationale.
Poursuivons nos travaux pour améliorer la formation des jeunes et pour leur permettre de devenir des citoyens numériques responsables ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, selon une étude Ipsos, 43 % des enfants de 0 à 2 ans utiliseraient internet. Ce chiffre, qui progresse avec l’âge, s’explique, dans 83 % des cas, par la facilité qu’apportent les écrans pour calmer et occuper les enfants, malgré les recommandations incitant à une interdiction d’exposition avant 3 ans.
Par ailleurs, comment expliquer une forte présence des 11-14 ans sur internet, alors que les débats que nous avons eus lors de l’examen de la loi relative à la protection des données personnelles, qui découle du règlement général sur la protection des données (RGPD), avaient permis de limiter l’accès aux réseaux sociaux des mineurs de moins de 15 ans ?
La raison en est, tout d’abord, qu’aux termes de ladite loi, les mêmes mineurs peuvent utiliser les réseaux sociaux avec l’accord des parents. Or nous avons peu de moyens pour contrôler cet accord. En réalité, beaucoup de parents sont dépassés et l’écart générationnel permet de contourner les barrières ou les avertissements les plus simples.
Ensuite, et il ne faut pas le négliger, nombreux sont les parents qui ne se doutent pas des enjeux et des dangers des réseaux sociaux. Souvent, ils ne savent simplement pas que leurs enfants sont inscrits à plusieurs d’entre eux.
Parmi les dangers, je pense notamment à la pornographie. À l’âge de 12 ans, un tiers des enfants ont été en contact avec des images à caractère pornographique, sans avoir le recul nécessaire, ce qui peut devenir dangereux à un âge où l’on construit son rapport aux autres.
Cela peut parfois conduire à des dérives plus graves. Selon l’association Agir contre la prostitution des enfants, 6 000 à 10 000 enfants se prostitueraient dans notre pays. Le passage à l’acte est souvent favorisé par des réseaux sociaux sur lesquels on assiste à une ubérisation de la prostitution, et où des jeunes filles vendent leurs corps pour 15 000 euros par mois, le tout sous la coupe de proxénètes qui empochent la moitié de la somme.
Il y a là de quoi alerter, forcément, mais aussi de quoi relativiser l’efficacité et l’effectivité de la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui.
L’article 1er de ce texte instaure une obligation pour les fabricants d’installer un système de contrôle parental et de proposer son installation dès la première mise en service de l’appareil. Nous y sommes favorables.
Je tiens à saluer les différents apports de nos collègues, qui ont permis d’améliorer les dispositifs de prévention des fabricants à destination des usagers.
Cet article 1er a également été enrichi par le Sénat, qui a prévu l’élargissement du périmètre des contenus et services pouvant faire l’objet d’un contrôle parental et amélioré l’accessibilité de ce dernier.
C’est de cette accessibilité que dépend la réussite de ce dispositif. Aussi, la gratuité prévue à l’article 3 va dans le bon sens. Elle ne réglera pas tout, mais elle permet de garantir à tous ceux qui le souhaitent d’en bénéficier.
Ce renfort du contrôle parental est une bonne avancée, mais il nous faut garder à l’esprit deux points : d’une part, et cela a été rappelé, seulement 46 % des parents le mettent en place ; d’autre part, renforcer le contrôle parental est une chose, s’assurer de son effectivité en est une autre.
La loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a certes mis en place une obligation pour les utilisateurs de sites à caractère pornographique de prouver leur majorité. Mais, aujourd’hui, à l’exception d’une mise en demeure, aucune sanction n’a été prévue pour les contrevenants.
Tout juste née de la fusion du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) aura fort à faire pour protéger les utilisateurs contre les contenus haineux, et plus spécialement les mineurs face au harcèlement, aux fake news et à la pornographie en ligne.
Les membres du RDSE voteront favorablement cette proposition de loi, conscients que la réponse ne peut pas être seulement juridique ou législative, et qu’il reste un énorme travail de sensibilisation, d’éducation et d’accompagnement à effectuer auprès des plus jeunes, afin qu’ils comprennent que l’usage de réseaux est loin d’être sans risque. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme le président. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Franck Montaugé. Madame la présidente, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, Christian Redon-Sarrazy devait initialement prendre la parole lors de cette discussion générale ; puisqu’il est empêché, je vais m’exprimer en son nom et en celui de notre groupe.
Notre rapport au numérique doit être à la fois pragmatique et méticuleux lorsque les enfants sont en cause.
Pour situer l’enjeu de fond, je rappelle que, selon le code de l’éducation, « le droit de l’enfant à l’instruction a pour objet de lui garantir, d’une part, l’acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale […] et, d’autre part, l’éducation lui permettant de développer sa personnalité, son sens moral et son esprit critique, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, de partager les valeurs de la République et d’exercer sa citoyenneté. »
On touche là à ce qui fait véritablement la République, depuis Condorcet jusqu’à nos jours, en passant par Jules Ferry. On comprend tout de suite que le numérique n’est pas neutre au regard de ces enjeux. Il permet une insertion du futur adulte dans ce qui peut être le meilleur comme le pire.
Le numérique est un outil pour l’éducation. Il peut être au service des parents ou des responsables de l’enfant.
C’est d’ailleurs l’un des apports de la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, dite loi Peillon, que notre groupe avait défendue.
Cette loi instaure un service public du numérique éducatif complétant ce qui existait en matière d’enseignement à distance. Il s’agit bien d’assurer la continuité du service public de l’éducation, de rendre plus effectif le droit à l’éducation, de soutenir les familles placées dans des situations très particulières, comme lors des confinements liés à la crise sanitaire.
Philippe Meirieu, professeur en sciences de l’éducation, dit de l’école qu’elle représente une ouverture positive au monde. On y découvre que le monde ne se réduit pas à sa famille, son quartier, sa région, son pays. On peut dire la même chose d’internet. En cela, ses contenus doivent participer de l’éducation dans sa conception républicaine. L’accès du mineur à internet est donc nécessaire ; celui-ci doit être préparé à s’en servir à son avantage.
Mais internet et les réseaux sociaux constituent aussi une menace qui peut être très grave et qu’il faut regarder en face.
D’ailleurs, dans le code pénal, la mise en relation par un réseau de communication électronique est une circonstance aggravante que l’on retrouve dans de nombreuses infractions, et pas seulement à l’égard des mineurs. Cela montre que les adultes eux-mêmes peuvent être victimes d’internet, et donc a fortiori les enfants.
Il s’agit d’une circonstance aggravante en matière de corruption de mineur. Même sans être suivie d’effet, l’utilisation de moyens de communication électronique par un adulte, par exemple pour faire des propositions de nature sexuelle à un mineur de moins de 15 ans, est une infraction.
Depuis 2021, hors les cas de viol ou d’agression sexuelle, le fait pour un majeur d’inciter un mineur par un moyen de communication électronique à commettre tout acte de nature sexuelle est puni de sept ans d’emprisonnement. Cette peine est portée à dix ans s’il s’agit d’un mineur de 15 ans ou si les faits sont commis en bande organisée.
À la gravité de ces incriminations doit correspondre un volet préventif. Nous comprenons ainsi l’objectif de cette proposition de loi. Pour autant, les modalités de sa mise en œuvre nécessitent de faire preuve de discernement à plusieurs égards.
C’est un fait, nos enfants sont confrontés régulièrement à de nombreux contenus à caractère choquant, violent et même sexuel sur internet. D’année en année, ce phénomène tend à s’aggraver, avec un taux d’équipement en smartphones toujours plus élevé, et toujours plus tôt dans la vie de ce jeune public. Si, auparavant, le collège marquait le saut vers l’accès à ces terminaux, aujourd’hui, celui-ci s’est décalé vers le CM1 ou le CM2 : l’âge moyen de possession du premier smartphone est de moins de 10 ans. La première inscription à un réseau social, quant à elle, semble intervenir en moyenne vers l’âge de 8 ans et demi.
La dernière consultation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), en date de janvier 2021 et relative aux droits numériques des mineurs, confirmait que les pratiques numériques des jeunes étaient massives de plus en plus précocement.
Il en ressort que 82 % des enfants âgés de 10 à 14 ans vont régulièrement sur internet sans leurs parents, et que 66 % des enfants de cette même tranche d’âge regardent seuls des vidéos en ligne. Dans le même temps, les parents interrogés minimisent ces chiffres. Ils sous-estiment en effet l’utilisation d’internet par leurs enfants, et ne sont souvent pas informés de leur présence sur les réseaux sociaux.
La présente proposition de loi, qui reprend en partie les recommandations de la CNIL de juin 2021, va dans le bon sens un obligeant la pré-installation d’un dispositif de contrôle parental, dont l’activation sera proposée à l’utilisateur dès la mise en service de l’équipement. Une majorité de parents ne recourent pas aujourd’hui à de tels dispositifs, notamment parce qu’ils considèrent trop complexes, difficiles d’accès ou encore insuffisamment efficaces ceux qui existent.
À nos yeux le contrôle parental est nécessaire tant qu’il se limite à filtrer des contenus inappropriés et à encadrer les pratiques de l’enfant, en limitant par exemple son temps d’écran, ainsi que ses interactions avec des inconnus sur internet.
Cependant, nous avons identifié un point de vigilance sur les possibilités de surveillance directe de son enfant introduites par ce dispositif, quand elles se caractérisent par l’accès à l’historique de navigation, aux conversations, aux contenus échangés, ainsi qu’à la géolocalisation permanente. La collecte de données personnelles concernant le mineur, si elle est trop importante, devient injustifiée, voire excessive, et fait courir plusieurs risques, déjà identifiés par la CNIL et que nous tenons à rappeler.
Une dérive de l’utilisation du contrôle parental risque autant d’altérer la relation de confiance entre les parents et le mineur que d’entraver le processus d’autonomisation du mineur, qui aurait dès lors l’impression d’être surveillé en permanence, peut-être même de s’y habituer. Nous ne doutons pas que la CNIL se montrera très attentive à ces sujets lorsqu’elle rendra son avis au Conseil d’État pour déterminer les modalités d’application du texte. Elle aura à cœur, n’en doutons pas, de contribuer à la mise en place d’un outil de contrôle parental à la fois protecteur et respectueux de la vie privée de l’enfant, toujours dans son intérêt.
Quant aux amendements déposés par la rapporteure Sylviane Noël, dont je salue le travail, nous les avons votés, considérant qu’ils vont justement dans le sens de l’intérêt de l’enfant.
Nous avons déposé nos propres amendements dans le but de sécuriser le logiciel libre en France. En effet, la rédaction actuelle du texte fait craindre une possible interdiction, par effet de bord, des équipements informatiques dits « nus », c’est-à-dire ceux commercialisés sans système d’exploitation, pour lesquels la pré-installation de logiciels est par définition impossible ; c’est pourquoi nous voulons les exclure de ce texte.
Aussi, afin de garantir aux utilisateurs la liberté de ne pas se voir imposer une couche logicielle dont ils ne voudraient pas ou dont ils n’auraient pas besoin, il est nécessaire de permettre la désactivation et la désinstallation de ce contrôle parental au moment même où son activation est proposée, lors du premier démarrage. Je pense ici aux utilisateurs dont les usages sont professionnels ou à ceux qui n’ont pas d’enfant.
Pour l’essentiel et compte tenu des raisons que j’ai évoquées, au nom de l’intérêt et de la protection de l’enfant, les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme le président. La parole est à M. Ludovic Haye. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Ludovic Haye. Madame la présidente, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, nous sommes souvent stupéfaits face à l’agilité et la réactivité de nos enfants devant un ordinateur, une tablette connectée, un smartphone… Je précise que la tablette est aujourd’hui l’objet connecté le plus vendu auprès des plus jeunes.
Les plus jeunes générations, véritables fers de lance de la révolution numérique, sont nées avec le numérique et l’apprentissage de l’usage des équipements terminaux est probablement aussi naturel pour elles que l’acquisition de la parole et de la marche.
Nous sommes face à une génération du multimédia, un environnement technologique qui bouleverse les rapports de la jeunesse au divertissement, à l’information et à l’enseignement. Alors oui, nous pouvons nous dire que c’est une chance pour la jeunesse, qui a notamment entraîné une libération de la parole évidente. L’outil multimédia est un catalyseur de compétences indubitable, un vecteur culturel extraordinaire. Il a ainsi un intérêt pédagogique certain, participant à la formation de la pensée des jeunes et à leur insertion sociale.
Nonobstant ce constat, dès lors que l’on reconnaît une influence à l’image et aux médias, il faut aussi admettre que cela peut nuire à l’équilibre des utilisateurs, notamment les plus jeunes.
Je pense notamment au rétrécissement de la sphère de l’intime, aux menaces d’addictions, à l’omniprésence de la publicité et à l’incitation permanente à la consommation qui en découle, sans oublier l’impact de la diffusion de contenus violents, la multiplication des cas de cyberharcèlement ou encore les atteintes à la e-réputation.
Comme vous pouvez le voir, nous faisons donc face, mes chers collègues, à un mouvement qui semble irréversible et, sur certains aspects, quelque peu inquiétant.
Dans un rapport datant de 2013, l’Académie des sciences faisait état d’une révolution numérique. Elle pointait des effets certes positifs pour nos enfants, mais avertissait déjà, à l’époque, qu’une utilisation précoce et une surexposition aux écrans pourraient avoir « des conséquences délétères durables sur la santé, l’équilibre et les activités intellectuelles ».
Parents, nous sommes pris entre deux feux : d’un côté, nous comprenons qu’un usage modéré des écrans peut être facteur d’apprentissage, d’intégration sociale et d’aisance numérique pour nos enfants ; de l’autre, nous voulons tous rester vigilants, même si cette vigilance peut parfois rester « passive ». Ainsi, entre la règle familiale et la réalité de la consommation des enfants, il y a le plus souvent une différence de taille.
Selon une étude publiée ce lundi par Ipsos pour l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN) et l’Union nationale des associations familiales (UNAF), trop de parents sous-estiment les risques encourus par leurs enfants lors de l’utilisation des écrans.
Les enfants âgés de 7 à 10 ans passent quasiment trois fois plus de temps devant un écran que ce qu’imaginent leurs parents. Autre exemple inquiétant – sans vouloir vous abreuver de chiffres –, selon les parents, 9 % des 7-10 ans se rendent sur les réseaux sociaux, alors que, selon les enfants eux-mêmes, ils seraient près de 30 % à le faire. Concrètement, de très jeunes enfants se font connaître sur Facebook ou Instagram, avec tous les dangers qu’implique une telle immersion, et bien évidemment sans le consentement des parents.
Outre les réseaux sociaux, vous le savez tous, d’autres dangers guettent facilement un enfant sur internet.
Comme l’a rappelé à l’Assemblée nationale mon collègue député Bruno Studer, qui est à l’initiative de cette proposition de loi, un enfant seul dans sa chambre qui mène innocemment des recherches sur internet peut facilement tomber sur des contenus qui n’ont rien à faire dans les moteurs de recherche. Pornographie, ultraviolence, harcèlement, endoctrinement, contacts avec des inconnus potentiellement malveillants, la liste des cybermenaces potentielles est longue.
Les parents sont souvent en proie à un sentiment d’impuissance face à des technologies bien souvent mieux maîtrisées par leurs enfants que par eux-mêmes. Ils se sentent fréquemment incapables de les protéger.
Trop peu nombreux sont les parents qui ont recours de façon effective aux outils mis à leur disposition. En 2019, seuls 44 % des parents avaient paramétré l’appareil de leur enfant, et 38 % seulement recouraient à des dispositifs dits « de contrôle parental ».
De ce fait, toute solution technologique qui permettrait de mieux gérer le contrôle parental est bonne à prendre. C’est l’objet du texte qui nous réunit aujourd’hui.
Ce texte émane de la volonté du Président de la République, qui, lors de son discours à l’occasion du trentième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, en novembre 2019, a évoqué son engagement pour la protection des enfants dans l’espace numérique. Il a notamment marqué sa volonté de permettre aux parents de reprendre davantage la main sur l’utilisation du numérique par leurs enfants, via la mise en place d’un contrôle parental par défaut, qui garantira simplement son application. Deux ans plus tard, il annonçait une réforme législative visant à améliorer le contrôle parental en faisant en sorte que celui-ci soit installé par défaut sur tous les téléphones, ordinateurs et tablettes.
Bruno Studer, auteur de cette proposition de loi, a donc poursuivi dans cette voie avec beaucoup de rigueur, de volontarisme, et une ardente conviction : la nécessité de faire adopter cette loi avant la fin de la législature.
Le texte qui nous est proposé comprend ainsi trois orientations majeures.
Premièrement, il rend obligatoire la pré-installation d’un dispositif de contrôle parental sur les appareils connectés vendus en France.
Deuxièmement, il prévoit que les fabricants devront, de leur côté, certifier que leurs appareils incluent un tel logiciel.
Troisièmement, il dispose que ces nouvelles obligations faites aux constructeurs et aux distributeurs seront contrôlées par l’Agence nationale des fréquences (ANFR), qui pourra le cas échéant prononcer des sanctions.
L’adoption à l’unanimité de ce texte à l’Assemblée nationale témoigne du large consensus existant autour des enjeux de la protection de l’enfance.
Cette proposition de loi ne va pas tout régler. Il faut encore combattre les problèmes de contenus ultraviolents ou pornographiques en libre accès, de cyberharcèlement et d’atteinte à la réputation. Il reste encore beaucoup à faire, mais, pour reprendre une citation désormais célèbre, « les consciences s’éveillent et les solutions sont juste à portée de main ».
Mes chers collègues, le texte qui nous est soumis ce soir est l’une de ces solutions. Il s’agit d’une proposition de loi concrète, contraignante pour les fabricants, ce qui est un gage d’efficacité. Elle permettra, si elle est votée, de tranquilliser le quotidien de nombreux parents et, in fine, de protéger de nombreux jeunes des contenus dangereux.