Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est autre chose.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. … qui figure bien dans la notice officielle du médicament.
Le Gouvernement a souhaité encadrer la demande croissante de mises à disposition de produits de consommation contenant du CBD par l’arrêté du 30 décembre 2021. La mise sur le marché de produits alimentaires contenant du CBD n’est pas autorisée à ce jour : en effet, nous ne disposons pas de l’autorisation européenne pour cet ingrédient, qui, au sens de la réglementation, relève des novel foods, ou nouveaux ingrédients alimentaires.
Vous connaissez bien le droit communautaire : encourager la fabrication de telles marchandises, ce serait aller contre une réglementation européenne en vigueur. Autoriser la vente de fleurs directement aux consommateurs reviendrait notamment à permettre leur utilisation sous forme de plantes à fumer, ce qui est contraire à toute la politique de lutte contre le tabagisme déployée par le Gouvernement.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Eh bien, interdisez le tabac !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. L’arrêté ouvrant davantage le secteur de la culture du chanvre permet également de préserver la santé publique.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. Pierre Louault. Mes chers collègues, décidément, le cannabis provoque des débats presque aussi passionnés que les vaccins ! (Sourires.)
Cette plante ne date pas d’hier. George Washington, qui, comme chacun sait, fut le premier président des États-Unis, disait ainsi : « Tirez le meilleur parti des graines de chanvre indien et semez-en partout. » C’est ce que souhaitent faire certains d’entre nous. J’ajoute que, tout près de mon village, on trouve une vallée des chanvriers.
Cela étant, ce débat a lieu d’être. Depuis quelques années, les nouveaux produits dérivés du chanvre se développent de manière fulgurante. C’est tout particulièrement le cas des dérivés de la molécule de CBD.
Personnellement, ce que j’attends du Gouvernement dans le cadre de ce débat, c’est une analyse exhaustive. Si l’on fume un produit à base de CBD contenant du goudron, il aura – je le crains – des effets proches de ceux du tabac. En revanche, certains extraits de chanvre contenant du CBD, sous des formes consommables différemment, peuvent avoir des vertus thérapeutiques et apporter certains bienfaits.
Madame la ministre, nombre de nos voisins européens ont aujourd’hui trouvé des solutions adaptées et encadrées. C’est pourquoi je vous demande de clarifier ce que le Gouvernement compte mettre en œuvre pour favoriser le développement d’une filière française.
Le chanvre n’est pas un produit miraculeux. Cette plante pousse vite et bien, mais appauvrit énormément les sols. Quoi qu’il en soit, si elle doit se développer, il est normal que l’économie et l’agriculture françaises en soient les premières bénéficiaires.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Monsieur le sénateur Pierre Louault, le Gouvernement est attaché à défendre la compétitivité des filières agricoles et industrielles françaises, d’autant que ces dernières contribuent au rayonnement de notre pays.
La filière du chanvre est un véritable fleuron agricole français et la France est un leader européen du chanvre industriel : il n’y a pas d’ambiguïté sur ce point. Notre pays est même le premier producteur européen de chanvre industriel.
Après une chute de production à 5 400 hectares en 2011, le chanvre était récolté sur près de 18 000 hectares en 2020 : nous assistons bel et bien à son essor, grâce aux actions que nous avons pu mener.
Néanmoins, il faut renforcer la compétitivité de cette filière. Nous voulons consolider la réglementation et accroître la sécurité juridique de cette industrie, car la compétitivité dépend aussi des débouchés permettant de valoriser l’ensemble du produit.
La révision de l’arrêté de 1990 va dans ce sens. Elle étend l’autorisation de cette culture, l’importation, l’exportation des produits qui en sont issus, ainsi que l’utilisation industrielle et commerciale du chanvre à toutes les parties de la plante, tant que sa teneur en THC reste inférieure à 0,3 % et que les produits finis sont, eux aussi, en deçà de cette limite.
Pour permettre à nos agriculteurs de se projeter et d’assurer leurs investissements sur ce nouveau marché, ce que vous appelez de vos vœux, cette autorisation est assortie de certaines exigences. Elle est ouverte aux seuls agriculteurs actifs, utilisant des semences certifiées et inscrites au catalogue. Elle s’accompagne également d’une exigence de contractualisation entre l’agriculteur et le premier acheteur.
Le Gouvernement est donc pleinement mobilisé en faveur de la filière française du chanvre. Nous souhaitons qu’elle puisse valoriser son savoir-faire dans la production chanvrière pour approvisionner le marché des produits à base de CBD.
Je saisis cette question pour rappeler l’excellence de cette filière et ses nombreux débouchés dans d’autres industries : je pense à la papeterie, à l’isolation des bâtiments, au marché de l’automobile, au paillage, à la construction – avec les bétons de chanvre – et à l’oisellerie. Nous étudions également des débouchés qui pourraient être porteurs dans le domaine de l’alimentation humaine.
Vous le constatez, il existe énormément de débouchés et de développements économiques. Nous accompagnons cette filière, tout en respectant les recommandations qui nous sont imposées.
Mme la présidente. La parole est à Mme Angèle Préville.
Mme Angèle Préville. Madame la ministre, comme l’écrivait Antonin Artaud, « la loi sur les stupéfiants met entre les mains de l’inspecteur-usurpateur de la santé publique le droit de disposer de la douleur des hommes : c’est une prétention singulière de la médecine moderne que de vouloir dicter ses devoirs à la conscience de chacun ».
Un siècle plus tard, la France est le deuxième plus gros consommateur d’anxiolytiques et de somnifères en Europe, qui servent à répondre à des problèmes de stress, de sommeil et de douleur. La dépendance et l’accoutumance qui résulte de la prise de ces médicaments sont un problème majeur de notre société.
Pour le Gouvernement, aujourd’hui, le chanvre est une menace. Pourtant, il est cultivé en France de manière ancestrale, son utilisation est prometteuse et plus que jamais d’actualité. Dans mon département, le Lot, c’est toute une filière qui s’organise autour de jeunes coopératives, pour relocaliser sa production et répondre aux attentes environnementales. En effet, sa rusticité, sa résistance aux parasites et son faible besoin en eau en font une culture particulièrement intéressante.
Au-delà de son emploi comme isolant, cordage ou textile, le chanvre est aussi une plante médicinale. Le cannabidiol contenu dans ses fleurs et feuilles a des propriétés vertueuses agissant sur la régulation des systèmes immunitaire et nerveux, sur les troubles du sommeil ainsi que sur la douleur. Le chanvre n’est pas un psychotrope, et de nombreuses études font état de l’absence d’effets secondaires, ce qui n’est pas rien !
Il est reconnu pour son potentiel dans la lutte contre les addictions. Le chanvre est donc porteur d’espoir : il ouvre des perspectives d’effets bienfaisants pour la santé, de ressources complémentaires pour les agriculteurs et de réduction des coûts pour la sécurité sociale.
Alors que le chanvre présente toutes ces qualités, entendez-vous continuer à vouloir interdire la consommation de ses fleurs et de ses feuilles ? Et, plus largement – car c’est bien de plantes médicinales qu’il s’agit –, allez-vous prendre en compte cette attente sociétale forte et légitime et faire évoluer le cadre réglementaire pour la construction et la reconnaissance d’une herboristerie de qualité et de proximité ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la sénatrice, chacun peut être confronté à la douleur – je connais très bien la question.
La douleur peut parfois nous affecter durement dans notre parcours de vie ou dans notre entourage. Alors oui, nous sommes en train de chercher des solutions parce que nous sommes convaincus que tout ce qui permet de lutter contre la douleur est bénéfique. Vous ne m’entendrez jamais dire le contraire.
C’est pourquoi nous avons voulu avancer sur la question, et que nous avons prévu un projet d’expérimentation du cannabis à usage médical – j’insiste bien sur le mot « médical » – à l’article 43 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Il s’agit d’évaluer la sécurisation de la prescription et de la dispensation des médicaments à base de cannabis.
Cette expérimentation, qui a commencé le 26 mars 2021, doit durer deux ans et inclure 3 000 patients relevant d’une des cinq indications que j’ai déjà citées : douleurs, symptômes rebelles en oncologie, épilepsies – notamment certaines formes sévères résistantes aux médicaments –, douleurs neuropathiques réfractaires aux traitements qui existent déjà et situations palliatives.
Les professionnels de santé volontaires dans les structures sélectionnées intègrent les patients dans l’expérimentation, établissent des prescriptions de ces médicaments à base de cannabis et leur délivrent le traitement sous forme d’huile par voie orale ou de fleurs séchées.
Le renouvellement et la délivrance des traitements peuvent ensuite être réalisés par ces professionnels de santé, par des médecins généralistes et par des pharmaciens d’officine. L’ensemble des professionnels participent à cette expérimentation dont le cadre est défini par le ministère de la santé. La mise en œuvre et le pilotage opérationnel sont réalisés par l’ANSM. Cela permettra de juger de l’opportunité de généraliser l’usage des médicaments du cannabis.
Voilà où nous en sommes aujourd’hui. En ce qui concerne l’usage de ces produits, nous faisons preuve non pas de frilosité, mais d’une grande précaution.
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Madame la ministre, appelé communément CBD, le chanvre « bien-être » et à caractère thérapeutique doit être distingué du cannabis, dès lors qu’à la différence du THC, le CBD n’implique pas d’effet psychotrope ou de dépendance.
Nous avons la chance de disposer en France d’une véritable capacité de production en la matière. Nous sommes passés de 4 000 hectares en 1999 à 20 000 hectares en 2021. Cette production pâtit toutefois d’une approche excessivement passionnée qui empêche le développement d’une filière économique pourtant porteuse et prometteuse.
En effet, cette filière voit son développement fragilisé à la fois par des incertitudes juridiques et par une réglementation inadaptée. La décision du Gouvernement d’interdire la vente et la cession aux consommateurs de fleurs et feuilles brutes de cannabis sativa L., formalisée dans l’arrêté du 30 décembre 2021, qui a fait l’objet d’une suspension provisoire par le Conseil d’État, est l’illustration d’une lecture un peu trop rapide de la question.
En ce sens, le Conseil d’État a considéré « qu’il ne résulte pas de l’instruction que les fleurs et feuilles de chanvre dont la teneur en THC n’était pas supérieure à 0,3 % présenteraient un degré de nocivité pour la santé justifiant une mesure d’interdiction générale et absolue […] ». Je fais partie de ceux qui croient à la force des interdits et demeurent donc opposés à l’encouragement de la consommation de drogue au sein de notre pays.
Pour autant, certaines distinctions s’imposent : il y a, d’un côté, la plante de cannabis et ses applications potentielles et, de l’autre, le cannabis dont la représentation est principalement associée à un usage comme drogue psychoactive, avec des conséquences fâcheuses en termes de santé publique.
Nous devons envisager l’ensemble des aspects juridiques susceptibles de s’appliquer aux produits contenant du CBD. Je citerai à titre d’exemple la définition des doses journalières recommandées, et donc non contraignantes, de consommation de CBD et leur mention sur les emballages des produits à côté d’un avertissement sur les risques connus pour la santé ; l’exclusion des publics à risque des produits contenant du CBD ; enfin, la sensibilisation des acteurs de la cosmétovigilance et de la nutrivigilance à l’importance des éventuels effets indésirables des produits cosmétiques et des compléments alimentaires.
Ma question est donc la suivante : le Gouvernement entend-il enfin reconsidérer ce raisonnement dogmatique au profit de la prise en compte de l’ensemble des aspects juridiques susceptibles de s’appliquer aux produits transformés ou non qui contiennent du CBD ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Monsieur le sénateur, j’ai bien entendu votre question. J’ai déjà expliqué quel était l’apport du chanvre « bien-être » concernant la douleur et de quels espoirs il pouvait être porteur dans le domaine médical.
Je répondrai plus précisément sur le CBD. L’hôpital Necker a mené une étude sur l’utilisation du CBD synthétique en gélules chez des patients enfants et adultes. Le dernier retour d’expérience faisait état de 180 patients qui sont allés au terme de l’expérimentation, d’une durée de trois mois.
L’étude a permis de bien cerner les indications possibles du cannabidiol à visée médicale. Dans son avis, l’hôpital estime que le CBD constitue un apport majeur et fondamental à l’heure de la crise des opioïdes aux États-Unis, alors que nous manquons cruellement d’innovations en matière de thérapeutiques antalgiques. Le CBD pourrait servir de thérapeutique antalgique dans certaines maladies rares, notamment génétiques, pour lesquelles nous avons un rationnel entre la douleur induite par la mutation et la cascade de signalisation qu’elle déclenche, et où le CBD agirait sur une des molécules de la voie de signalisation.
L’effet du cannabis et de ses molécules est étudié dans le traitement et dans l’accompagnement de certaines pathologies. Nous sommes en train de mener cette expérimentation pour sécuriser leur emploi. En aucun cas, nous n’irons au-delà de ce qui est faisable. Tout sera cadré par les données scientifiques dont nous allons disposer et les expérimentations déjà menées.
Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Yan Chantrel. Madame la ministre, je crois que ce débat tourne un peu en rond. Je vais en « rajouter une couche », ce qui permettra peut-être de vous faire sortir de vos éléments de langage et de connaître quelle est réellement la position du Gouvernement.
À l’heure où de nombreux pays d’Europe et d’Amérique du Nord mettent en place des politiques d’accompagnement et d’encadrement de la vente de CBD, les décisions prises par le Gouvernement en la matière semblent vraiment aller à contre-courant.
D’ailleurs, je m’inscris totalement en faux contre votre réponse à Mme Lienemann sur les effets du CBD sur la santé. La question n’est pourtant pas très compliquée. Dans un rapport de 2018, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) précisait que « le CBD était dépourvu de propriétés psychoactives, qu’il ne pouvait donner lieu à des abus et que son potentiel dépendogène était inexistant ».
Pour mémoire, la Cour de justice de l’Union européenne a justement rappelé en 2019 à la France que le CBD « ne peut être considéré comme un stupéfiant, car cette molécule n’a pas, d’après l’état actuel des connaissances scientifiques, d’effets psychotropes ni d’effet nocif sur la santé humaine ».
En dépit de ces avis juridiques et sanitaires, qui confirment que le CBD peut être commercialisé sans danger, votre ministère a, comme l’ont rappelé plusieurs de mes collègues, pris en décembre dernier un arrêté interdisant la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes de chanvre. Cet arrêté a fort heureusement été suspendu à titre provisoire par le juge des référés il y a quelques jours.
En revanche, j’aimerais savoir, madame la ministre, pour quelle raison – car les choses ne sont pas vraiment claires ! – cet arrêté injustifié a été publié en pleine trêve des confiseurs ? Souhaitiez-vous qu’il passe inaperçu, comme c’est souvent le cas pour les décisions prises dans cette période ?
Et surtout, allez-vous récidiver en tentant de nouveau d’interdire d’une manière ou d’une autre la vente de CBD aux consommateurs sans prendre en compte les avis que je viens de vous citer ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Monsieur le sénateur Yan Chantrel, ne voyez aucune malice en la matière : l’arrêté est publié au Journal officiel, il n’y a ni trêve des confiseurs ni idéologie derrière tout cela…
Je rappellerai que, en matière de consommation et de production du CBD, les décisions sont interministérielles : elles ne dépendent pas d’un seul ministère. Comme vous l’avez entendu, il est aussi question de développement économique, d’agriculture… Le sujet n’est pas que sanitaire, et dépasse même le champ de compétence des ministères de la défense ou de l’intérieur.
Depuis plusieurs années, la commercialisation des produits dérivés du chanvre se développe. Ces produits comprennent une part significative de CBD avec une teneur variable de THC, qui est une substance stupéfiante. L’arrêté de décembre 2021 auquel nous avons déjà fait référence vise à concilier plusieurs objectifs : un développement sécurisé de la filière agricole et des activités économiques associées aux extraits de chanvre, la protection des consommateurs sur le plan sanitaire, le maintien de la capacité des forces de l’ordre à lutter de manière opérationnelle contre les stupéfiants.
La suspension provisoire des seules dispositions de l’arrêté relatives à l’interdiction de la vente directe de fleurs aux consommateurs ne remet donc en cause ni le reste de la réglementation ni le souci du Gouvernement de poursuivre et de concilier ces différents enjeux et objectifs qui s’imposent à nous.
J’ajoute que le ministère des solidarités et de la santé étudie avec intérêt les possibilités d’innovation médicale associées au CBD : plusieurs études et travaux sont en cours, que j’ai précisément rappelés en citant même les pathologies associées.
Comme je l’ai déjà indiqué, le Gouvernement soutient donc activement cette filière tout en prenant en compte les restrictions qui nous ont été imposées et dont vous connaissez les raisons.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la ministre, la promotion des matériaux de construction biosourcés tels que le chanvre est un enjeu majeur pour l’habitat de demain.
Peu consommateurs d’énergie, rapides à mettre en œuvre, créateurs d’emplois dans les territoires ruraux, ces matériaux concourent à la transition écologique.
Sénateur de l’Essonne, j’ai la fierté d’accueillir dans mon département l’unité de production de l’entreprise française Gâtichanvre, emblématique de l’ensemble de la filière, depuis la culture du chanvre jusqu’à la production de matériaux isolants pour la construction.
La région Île-de-France est de fait la seule à posséder deux chanvrières. Or, aujourd’hui, force est de constater que le béton de chanvre est cantonné au produit de démonstration. Les commandes restent anecdotiques et les débouchés sont rares. En pratique, le marché est quasiment au point mort.
La raison en est simple : la réglementation actuelle est défavorable aux matériaux biosourcés. Le bureau de contrôle Filiance qui statue sur l’évolution des règles professionnelles a récemment émis un nouvel avis défavorable sans véritable argumentaire technique, laissant davantage penser à une forme de verrouillage du marché, pour ne pas dire plus…
Or, sans cet agrément spécifique, ce matériau n’est pas utilisable pour les constructions en R+2 par exemple. La commande publique, en particulier les constructions de collèges et lycées, lui est fermée.
Le risque est aujourd’hui bien réel de voir les agriculteurs producteurs de chanvre se détourner des matériaux de construction destinés au bâtiment, pour se tourner vers d’autres filières de valorisation de la plante, sans doute plus rémunératrices et présentant, en tout cas, des perspectives de développement plus intéressantes à court terme.
Madame la ministre, ma question est simple : que comptez-vous faire pour remédier à ce problème ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Monsieur le sénateur Jean-Raymond Hugonet, l’emploi du béton en chanvre fait partie des perspectives de développement de toute cette filière.
Les réglementations actuelles ont été révisées pour favoriser l’utilisation du béton en chanvre. La réglementation environnementale 2020 (RE2020), qui fixe les nouvelles règles de construction de bâtiments neufs, a pour objectif de réussir à décarboner la production de matériaux de construction et à développer les matériaux biosourcés.
En ce sens, la RE2020 favorise précisément le béton de chanvre, car ce matériau permet le stockage temporaire du carbone. Demain, nous aurons donc de plus en plus de bâtiments composés de béton de chanvre.
Pour autant, pour développer celui-ci, la filière doit respecter des règles professionnelles. Actuellement, ces règles ne sont applicables qu’à des bâtiments dont le nombre d’étages est limité, comme vous venez de le rappeler. L’utilisation du béton de chanvre est donc aujourd’hui possible pour des bâtiments de plus petite taille, notamment des maisons individuelles.
La filière a souhaité faire évoluer les règles professionnelles pour pouvoir dépasser cette limite. Des travaux ont été engagés à la fin de 2020. Des échanges ont notamment lieu dans le cadre d’une commission technique, qui a demandé des éléments complémentaires afin de rendre son avis prochainement et arbitrer sa position sur ce sujet.
Par ailleurs, la filière spécifique du béton de chanvre a été soutenue par l’État depuis 2015, soit depuis plusieurs années déjà. Le Gouvernement a poursuivi cet effort, en réaffirmant l’utilité de cette filière d’avenir. Le ministère du logement travaille en lien étroit avec la filière afin de lever ces freins maintenant identifiés et d’accompagner son développement opérationnel dans le respect des règles et des normes de sécurité qui prévalent dans ce secteur sensible.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.
M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la ministre, je veux bien croire vos paroles, mais je n’oublie pas qu’en arrivant dans cette maison en 2017, je m’étais rendu avec Jacques Mézard sur le terrain pour visiter l’entreprise Gâtichanvre. On se hâte avec lenteur… (Mme Catherine Belrhiti applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Madame la ministre, le 24 janvier 2022, le Conseil d’État a provisoirement suspendu l’arrêté du Gouvernement qui interdisait la commercialisation de fleurs de chanvre. Que l’arrêté soit invalidé définitivement ou non lors de l’examen au fond de la requête, les pays voisins continueront de vendre le chanvre sous forme de fleurs. Nous devons prendre en compte cette réalité, et ajuster en conséquence notre propre réglementation.
Je pense en particulier à deux cas. Le premier concerne les différences entre chaque pays quant au taux de THC autorisé. En France, le taux maximal est de 0,3 %, contre 0,6 % en Italie ou encore 1 % en Suisse. Je tiens à préciser que ce taux de 0,3 % est plutôt arbitraire, il ne correspond pas à un taux au-dessus duquel la consommation a un effet psychoactif ; il avait à l’origine pour seule fonction de servir à la classification des différentes sous-variétés de cannabis.
Puisque certains pays vendent des produits contenant du CBD à des prix moins élevés, il n’est pas rare que des Français en achètent, en particulier dans les zones frontalières, comme cela peut être le cas pour les cigarettes. Il ne s’agit absolument pas d’une volonté de contourner la loi, mais uniquement de convenance et d’ignorance quant à la différence des taux légaux entre pays.
Bien sûr, nul n’est censé ignorer la loi, mais pouvons-nous honnêtement attendre de nos concitoyens de connaître cette particularité et de vérifier systématiquement qu’ils ont bien acheté un produit au bon taux ? S’ils ne le font pas, alors qu’ils sont dans la légalité d’un côté de la frontière, ils tombent dans l’illégalité s’ils consomment ces produits en France ou s’ils conduisent après en avoir consommé.
J’appelle donc à la recherche d’une solution sur ce sujet à l’échelle de l’Union européenne, en associant la Suisse. Chaque État resterait naturellement libre de fixer son propre taux pour la vente. En revanche, il serait souhaitable qu’il soit fixé un taux maximal en deçà duquel une personne ayant consommé du CBD dont la teneur est inférieure à ce taux ne soit pas considérée comme ayant consommé une substance psychoactive, et que cette consommation et la conduite après cette consommation ne soient pas pénalement répréhensibles.
Par ailleurs, dans l’attente de cette harmonisation, il me semble nécessaire de faire preuve d’une plus grande souplesse concernant les retraits de permis pour les personnes ayant consommé du CBD à un taux inférieur à 1 %, mais supérieur à 0,3 %. En effet, pour la conduite en état d’ivresse, lorsque le travail de la personne contrôlée dépend de la possibilité de conduire, la loi prévoit des aménagements tels qu’un sursis du retrait de permis.
Or cette possibilité d’aménagement n’existe pas lorsqu’une substance psychoactive a été consommée. Cela est bien évidemment normal lorsqu’il s’agit de drogues à proprement parler, mais il me semble injuste qu’une personne se fasse retirer son permis, alors même que son travail en dépend, car elle a consommé du CBD à un taux supérieur à 0,3 % mais inférieur à 1 %. Il faudrait créer un aménagement comparable pour ce cas de figure.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Monsieur le sénateur Cyril Pellevat, compte tenu des dispositions législatives en vigueur, la détection positive du THC dans un test salivaire permet de caractériser le délit de conduite en ayant fait usage de stupéfiants.
Si le CBD n’est pas recherché en tant que tel dans le dépistage des analyses, sa consommation peut néanmoins révéler une présence dans le sang de THC, nonobstant le taux maximal de 0,3 % autorisé pouvant conduire à un dépistage positif. Peu importe le taux de THC contenu dans le produit consommé : si celui-ci est détecté lors du dépistage, l’infraction est caractérisée.
La conduite sous l’emprise de stupéfiants peut être caractérisée quand bien même le conducteur ne se trouve pas sous l’influence de psychotropes. La loi opère bien une décorrélation entre deux comportements : celui de faire usage d’un produit et celui de conduire après avoir fait usage d’un produit. Les comportements ne sont pas liés, ce qui est parfaitement compréhensible.
Le caractère licite ou non de l’usage d’un produit est sans incidence sur la caractérisation de la conduite en ayant fait usage de ce produit. Dès lors, il importe peu de proposer une harmonisation des législations sur le taux de THC présent dans le CBD pour autoriser sa commercialisation, puisque la détection de THC lors d’un contrôle routier caractérise le délit. C’est d’ailleurs la position également adoptée par la Suisse dont vous évoquez la législation.
Par ailleurs, on ne peut pas revendiquer, d’un côté, les effets hautement relaxants du CBD et, de l’autre, soutenir que son usage n’est pas sans danger pour la conduite routière. Compte tenu des enjeux en termes de sécurité routière, il ne peut y avoir de tolérance à l’égard de ceux qui conduisent alors qu’ils ont consommé des produits contenant du THC.
Contrairement à ce que vous indiquez, la loi ne prévoit plus la possibilité d’un aménagement de la suspension du permis de conduire pour des raisons professionnelles, compte tenu de la dangerosité de ce comportement – il en va de même d’ailleurs pour l’alcool –, mais aussi des abus constatés dans les demandes d’aménagement en cas de conduite sous l’emprise d’un état alcoolique.