PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
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Quelle réglementation pour les produits issus du chanvre ?
Débat organisé à la demande du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, sur le thème : « Quelle réglementation pour les produits issus du chanvre ? »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande disposera d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe auteur de la demande.
M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je suis heureux de vous parler cet après-midi d’une plante exceptionnelle, une plante cultivée et utilisée depuis l’Antiquité sur tous les continents, une plante qui permet de nourrir l’homme et le bétail, une plante qui permet de s’habiller, une plante qui permet de se loger grâce à un béton aux propriétés isolantes remarquables, une plante qui permet de faire du papier sans abattre d’arbres, une plante qui permet de produire des bioplastiques solides et compostables, une plante qui permet de produire des cosmétiques en limitant les intrants chimiques, une plante aux vertus thérapeutiques, qui soulage des douleurs que rien d’autre ne soulage, une plante qui apaise, qui aide certains à trouver la quiétude ou le sommeil, une plante qui pousse vite, toute seule, sans intrants chimiques, sans arrosage et, souvent, sans désherbage, une plante qui restructure les sols et favorise la rotation des cultures sur un même terrain, une plante qui stocke le carbone plus que toute autre culture, plus même que la forêt, une plante qui a inspiré les poètes, Baudelaire et Rimbaud pour ne citer qu’eux.
Cette plante extraordinaire devrait être un outil majeur de la transition écologique, et bien plus encore. Pourtant, on n’en cultive que quelques centaines de milliers d’hectares dans le monde, 20 000 en France, leader européen, pour le moment…
Depuis l’Antiquité, le chanvre a pourtant continuellement habillé, nourri, soigné les hommes et recueilli leurs écrits. Il a également permis de confectionner les voiles et les cordes des bateaux qui ont relié tous les continents du XVIe au XVIIIe siècle. Ma commune du Percy conserve dans ses archives une requête de Louis XVI réquisitionnant le chanvre des agriculteurs pour les besoins de la Marine royale.
Mais, depuis le XIXe siècle, cette plante extraordinaire a été vouée aux gémonies, car certaines de ses variétés produisent une fleur aux effets psychotropes bien connus : le cannabis.
La guerre disproportionnée menée contre le cannabis a entraîné l’interdiction presque totale du chanvre. Il faut attendre le développement de variétés de chanvre avec un taux extrêmement faible de 0,2 % de tétrahydrocannabinol (THC), le principe actif psychotrope du cannabis, pour voir sa culture se redévelopper timidement à partir des années 1990. Sa culture, ses débouchés, sa filière professionnelle sont aujourd’hui largement anonymes, et je le déplore.
Au-delà des effets psychotropes de la plante, on commence à découvrir ses autres principes actifs, notamment le cannabidiol (CBD), molécule non psychotrope aux propriétés apaisantes.
N’étant pas un produit stupéfiant, le CBD issu des fleurs du chanvre industriel ne tombe pas sous le coup de la législation européenne. Il commence alors à être utilisé sous forme brute ou dans des préparations d’huiles essentielles, d’aliments, de liquides pour cigarettes électroniques, de cosmétiques.
Un marché se développe partout en Europe. En France, les premiers détaillants ouvrent en 2018, certains étant fermés manu militari par la police. L’affaire fait grand bruit.
Il apparaît que la réglementation française, qui repose sur un arrêté de 1990, est difficilement compréhensible et pour le moins inadaptée. La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) tente de la préciser par une circulaire de juin 2011, dont il ressort que, si le CBD est une molécule autorisée, ce qui permet de le produire, à savoir les fleurs et les feuilles, est en revanche interdit.
Cette réglementation ne respecte pas le droit communautaire, comme l’a confirmé la Cour de justice de l’Union européenne en novembre 2020. Le Gouvernement prend alors un nouvel arrêté, qui légalise une bonne fois pour toutes le CBD, cependant que reste interdite la commercialisation de la fleur de chanvre à l’état brut.
Pour illustrer votre réglementation, c’est un peu comme si l’on autorisait la culture de tomates, tout en interdisant la vente de tomates fraîches et en limitant leur utilisation aux industriels pour faire du concentré ! Aberrant !
Notre débat s’inscrit dans l’actualité récente de la suspension partielle par le Conseil d’État de l’arrêté du 30 décembre. Ce feuilleton juridique, qui n’a que trop duré, insécurise les acteurs de la filière – agriculteurs, industriels, laboratoires, détaillants – et nous fait prendre un retard considérable sur nos voisins européens et sur les pays d’Amérique du Nord.
Les prévisions de retombées économiques et en matière d’emploi associées au développement d’une filière de valorisation des produits à haute valeur ajoutée du chanvre sont considérables. En France, on estime qu’un essor rapide du marché pourrait permettre, d’ici à cinq ans, d’atteindre un chiffre d’affaires évalué entre 1,5 et 2,5 milliards d’euros et de créer entre 18 000 et 20 000 emplois directs et indirects. Les recettes sociales et fiscales supplémentaires sont, quant à elles, estimées entre 0,7 et 1,1 milliard d’euros par an.
Il faut dire que la demande explose. On compte aujourd’hui près de 7 millions de consommateurs et près de 2 000 détaillants vendant des produits qui ne sont pas français. Un comble pour le premier producteur européen de chanvre !
Alors, oui, le CBD peut se fumer, et c’est notamment un substitut très utilisé par nombre de personnes qui souhaitent se sevrer du cannabis, voire du tabac. Le Gouvernement justifie ainsi l’interdiction de la fleur sous toutes ses formes brutes, et le ministre nous a expliqué qu’il craignait que les gens ne « fument de la tisane ».
Au risque de plonger M. Véran dans l’angoisse, il doit savoir que beaucoup d’herbes se fument : la marjolaine, la sauge, les feuilles de framboisier, et je doute que leur commercialisation ne soit interdite pour ce motif…
Alors, madame la ministre, le Gouvernement compte-t-il revoir sa copie après ce nouveau camouflet juridique, ou s’obstinera-t-il, pour faire plaisir aux syndicats de policiers ?
Rassurons ces derniers : des tests existent pour mesurer le taux de THC des fleurs de cannabis et déterminer ainsi leur caractère légal. Ils font la taille d’une pièce de monnaie et livrent leur verdict en moins d’une minute. La police suisse les utilise avec succès.
Au-delà de l’imbroglio autour de la fleur, votre arrêté laisse en suspens de nombreuses demandes de clarification émanant notamment des acteurs de la filière. C’est d’autant plus dommageable que l’excellent rapport de nos collègues députés de la majorité présidentielle avait préconisé toutes les solutions nécessaires. Reprenons-les !
S’agissant du volet agricole, allez-vous permettre l’usage de techniques agricoles de base : la sélection variétale, le bouturage ou la capacité à replanter ces graines ?
Allez-vous permettre d’élargir le catalogue des cultivars aux variétés contenant moins de 1 % de THC, comme en Suisse, au Canada et, bientôt, aux États-Unis ou encore en République tchèque ?
Allez-vous permettre l’obtention du label bio pour les produits du chanvre, qui devrait couler de source ?
Allez-vous cartographier la production française, comme vous le demandent tous les acteurs de la filière, afin de faciliter les contrôles ? L’État, notamment via FranceAgriMer, doit pouvoir connaître l’ensemble des plantations de France pour fluidifier le travail avec les forces de l’ordre, mais également planifier le développement de la filière en évitant les effets d’aubaine.
S’agissant de la sécurisation des produits, allez-vous déterminer un seuil maximum de CBD au-delà duquel un produit basculerait sous le régime de la pharmacopée, seuil qui doit naturellement être distinct entre les produits alimentaires et les autres ? Allez-vous permettre enfin l’inscription des produits alimentaires à base de CBD au catalogue des produits régis par le règlement européen Novel Food ?
Allez-vous fixer les normes d’étiquetage et fixer un seuil de résidus de THC dans les produits finis ?
S’agissant de l’extraction, véritable angle mort de l’arrêté, allez-vous préciser les choses ? Tout laboratoire peut-il se lancer ? Avec quel contrôle de l’élimination des résidus du THC ? Ou maintient-on le régime en vigueur des produits stupéfiants, avec demande d’habilitation par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), ce qui serait un frein majeur au développement de la filière ?
Le marché français du CBD a besoin d’un cadre réglementaire clair et sécurisé pour se développer et rattraper son retard sur ses voisins européens. Il est encore temps de prendre un arrêté digne de ce nom avant le terme du quinquennat.
Dernière question s’agissant du chanvre industriel : allez-vous enfin fixer un cadre réglementaire clair et stable pour la certification des bétons de chanvre ? Les exigences des cabinets de contrôle changent tous les ans et insécurisent grandement les producteurs.
Madame la ministre, j’aimerais vous parler bien sûr plus longuement de cette filière d’avenir qui peut révolutionner notre agriculture et notre industrie, à condition que les pouvoirs publics lui permettent de se développer en assouplissant et en stabilisant le cadre légal et en appuyant son développement économique. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE. – M. Pierre Louault applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le chanvre et les produits qui en sont issus constituent un sujet très important pour le Gouvernement, tant dans les domaines industriel et commercial, la France étant le premier producteur européen de chanvre industriel avec six chanvrières, 1 414 producteurs et plus de 16 400 hectares de surface cultivée, que dans le domaine thérapeutique, où des avancées significatives ont vu le jour ces dernières semaines.
La mobilisation du Gouvernement a d’abord permis la mise en œuvre de l’expérimentation relative au cannabis à usage médical, qui ne faisait jusqu’alors pas partie de l’arsenal thérapeutique en France.
Cette expérimentation, qui a démarré le 26 mars 2021, pour une durée de deux ans, est destinée à inclure 3 000 patients dans cinq indications dans les champs de la douleur, de l’oncologie et de l’épilepsie. Elle doit permettre de déterminer le cadre qui pourrait être mis en place pour la création d’un circuit de prescription et de dispensation de tels médicaments en France.
C’est seulement à son issue que nous pourrons nous positionner pour savoir s’il est souhaitable d’introduire ces médicaments pour un usage en droit commun.
L’expérimentation suit aujourd’hui son cours. Au 1er février, 1 281 patients étaient inclus dans les diverses indications prévues dans l’expérimentation, notamment les douleurs neuropathiques et la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques, l’épilepsie ou encore l’oncologie.
Sont impliquées 243 structures de référence hospitalières volontaires, tandis que 1 148 professionnels de santé sont formés et 68 centres régionaux de pharmacovigilance et d’addictovigilance sont mobilisés. Il s’agit donc d’une expérimentation de très grande ampleur et nous serons très attentifs à ses résultats.
S’investir dans la culture en France de cannabis à usage médical fait également partie de cette mobilisation. En modifiant la réglementation pour permettre la culture de plants de cannabis réservés à la fabrication de médicaments, le Gouvernement souhaite ancrer dans les territoires une dynamique de production et s’assurer d’une souveraineté nationale en la matière, comme pour le chanvre industriel.
Les textes autorisant cette culture, qui garantiront la qualité de la production et la sécurité des opérations, seront prochainement publiés afin de permettre aux acteurs de terrain de se positionner.
La question du cannabidiol est également un sujet de préoccupation pour le Gouvernement. Depuis plusieurs années, le marché français a en effet vu émerger la commercialisation de produits dérivés de la plante de chanvre comprenant une teneur significative en cannabidiol et avec des teneurs variables en THC, substance stupéfiante.
En réponse à l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 19 novembre 2020 en raison de l’absence d’une réglementation adaptée à celle-ci en France, le Gouvernement a mis en place un nouveau cadre réglementaire global. Celui-ci vise à permettre le développement sécurisé en France de la filière agricole du chanvre, ainsi que des activités économiques liées à la production d’extraits de chanvre, à la commercialisation de produits qui les intègrent, tout en garantissant la protection des consommateurs et le maintien de la capacité opérationnelle des forces de sécurité intérieure dans la lutte contre les trafics de stupéfiants.
L’interdiction de la vente de sommités fleuries directement au consommateur – déjà en vigueur en Espagne en Italie –, qui figurait dans le nouvel arrêté publié, a fait l’objet de plusieurs référés, et l’ordonnance du Conseil d’État du 24 janvier 2022 en a suspendu l’application. Nous en prenons acte.
Pour autant, le Gouvernement reste attentif à la mise en œuvre d’une réglementation adaptée aux enjeux de santé publique.
Concernant l’usage du cannabis récréatif, je me permets de rappeler qu’il s’agit d’une drogue dont le caractère nocif pour la santé humaine est clairement établi par la littérature scientifique française et internationale. Sa dangerosité est accrue pour les adolescents et les jeunes adultes, car leur cerveau en maturation jusqu’à 25 ans peut être sérieusement affecté par la consommation de ce produit. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
La prévalence de consommation est élevée en France : en 2019, on comptait 5 millions de consommateurs sur l’ensemble de l’année, 1,5 million de consommateurs réguliers, dont 900 000 consommateurs quotidiens.
Face à cet enjeu de santé publique, mais également d’ordre éducatif et lié à l’insertion sociale et professionnelle, nous avons tous le même objectif : réduire les risques (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) – peut-être pas vous ! – et prévenir le plus tôt possible l’entrée dans l’usage, car nous assumons vouloir que ce produit soit moins consommé en France et que son image soit débanalisée.
Il s’agit également de lutter contre les trafics en s’attaquant aux réseaux criminels qui se cachent derrière le petit trafic…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Pour quelle efficacité ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. C’est un enjeu à part entière qui est indissociable de la politique de prévention.
Le Gouvernement s’est saisi de ce sujet. Il nous faut agir sur l’offre et sur la demande, dans un même effort. Le plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 comporte des mesures fortes en ce sens.
Le Gouvernement fait le choix, ferme et constant, de la prévention des usages, de la restauration de la crédibilité de l’interdit pénal protecteur et de la lutte contre les trafics.
Notre objectif, c’est la prévention, c’est-à-dire empêcher l’installation d’une personne dans des usages répétés et problématiques, mais également repérer précocement ces usages pour les orienter efficacement vers une prise en charge adaptée.
Le plan national Priorité prévention et le plan de mobilisation contre les addictions portent des actions en ce sens…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce n’est pas le sujet !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Vous permettez ?…
Pour soutenir cette priorité donnée à la prévention, la France s’est dotée d’un outil puissant pour financer la prévention des addictions. Le fonds de lutte contre le tabac a évolué en 2019 vers le fonds de lutte contre les addictions, doté d’un budget annuel de près de 120 millions d’euros.
Ces actions de prévention passent en priorité par l’école, par les universités, par les acteurs en proximité des jeunes. Une stratégie de déploiement à grande échelle des programmes de renforcement des compétences psychosociales est en cours d’élaboration, en lien avec le ministère de l’éducation nationale. Ces programmes, évalués, permettent d’obtenir des résultats majeurs sur les consommations, le climat scolaire, la réussite éducative des élèves.
Vous l’avez vu, nous avons aussi au second trimestre de 2021 engagé une grande campagne de communication en trois volets pour informer sur les risques. Nous sensibilisons les professionnels de santé de première ligne pour qu’ils apportent des réponses efficaces à leurs patients.
Ainsi, il nous faut mieux connaître les dispositifs d’aide mis à disposition des jeunes, de leur entourage et du public en général pour toute question ou difficulté liée à la consommation de produits ou de drogues.
Ce débat me permet de le rappeler.
Par ailleurs, même si j’y répondrai certainement au cours de celui-ci, vous m’avez posé de nombreuses questions.
S’agissant de la sécurisation des produits, l’inscription de ceux d’entre eux qui sont régis par le règlement européen Novel Food requiert au préalable une évaluation et une autorisation par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Elle est en cours.
Sur les normes d’étiquetage, notamment les précautions d’emploi, elles sont en cours de définition au niveau européen. Une teneur devrait être fixée dans le cadre de la réglementation, mais elle n’est pas encore arrêtée. Elle s’appuiera sur les données scientifiques disponibles et, en outre, l’inscription comme aliment autorisé sera accompagnée de spécifications applicables en matière d’extraction, précisant notamment les critères de pureté.
Enfin, la Commission européenne a confirmé l’impossibilité de commercialiser sous label bio les produits enrichis en CBD tant que l’autorisation préalable comme aliment n’est pas entérinée.
Ces questions me semblaient précises et spécifiques ; aussi, je souhaitais y répondre avant l’ouverture du débat.
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Alain Duffourg. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. Alain Duffourg. Madame la ministre, vous avez rappelé le rôle du chanvre et l’utilisation qui peut en être faite. Ce produit existe depuis des millénaires et est cultivé pour des usages agricoles, thérapeutiques et alimentaires, sans visée stupéfiante.
Aujourd’hui, en Midi-Pyrénées, notamment dans le Gers, département que je représente, le chanvre apparaît comme une culture alternative. Les producteurs ont trouvé des débouchés novateurs : huile, graines, farine, pâte à tartiner. Il s’agit là d’un superaliment qui intéresse à la fois les restaurateurs et les commerçants.
Or se pose un problème de réglementation, laquelle est, à ce jour, assez confuse, me semble-t-il : autorisée par l’Europe, la commercialisation a été suspendue par un arrêté du 30 décembre 2021, lequel a été invalidé par le Conseil d’État le 24 janvier 2022. La Cour de cassation, quant à elle, a légalisé la commercialisation de ce produit.
Madame la ministre, même si vous y avez déjà répondu partiellement, je voudrais connaître les dispositions que vous entendez prendre pour la culture et la commercialisation du chanvre à titre alimentaire ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Monsieur le sénateur Alain Duffourg, vous m’interrogez sur l’emploi alimentaire des produits issus du chanvre. D’ores et déjà, certains produits alimentaires à base de graines issues de certaines variétés de chanvre peuvent être mis sur le marché s’ils ne dépassent pas un seuil de concentration en THC.
Je pense en particulier aux variétés de cannabis sativa L. qui sont inscrites au catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles ou au catalogue officiel des espèces et variétés cultivées en France.
Il peut s’agir de graines de chanvre, mais également de leurs dérivés : huile de graines de chanvre, farine de graines de chanvre. Les extraits de chanvre contenant des cannabinoïdes n’ayant pas d’historique de consommation avant 1997 sont considérés comme de nouveaux aliments ou ingrédients. À ce titre, ils doivent faire l’objet, préalablement à leur mise sur le marché à des fins d’alimentation de la population, d’un examen par l’Autorité européenne de sécurité des aliments pour garantir l’absence de risques liés à leur consommation.
Il en est de même pour le cannabidiol purifié, ou CBD, qu’il soit extrait de la plante ou qu’il soit synthétisé chimiquement en laboratoire ou dans l’une des industries en cours de développement très rapide dans notre pays.
Dès que l’Autorité européenne de la sécurité des aliments aura finalisé son analyse scientifique, des conditions précises permettant la mise sur le marché de ces produits pourront être fixées. C’est une piste de développement que nous étudions avec sérieux, mais, comme toujours, nous tenons à nous assurer que le développement de cette industrie dans le champ de l’alimentation, qui ouvre bien des perspectives, ne se fera en aucun cas au détriment de la santé des Français. C’est une priorité absolue.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, vive le chanvre ! Car, oui, le chanvre est une chance pour notre économie. Bien trop souvent associées à celle du cannabis, ses propriétés, ainsi que celles du CDB, sont en réalité très intéressantes à plusieurs égards.
Madame la ministre, l’arrêté du 30 décembre dernier interdisant la vente de fleurs et des feuilles de CBD est encore une fois un exemple flagrant de cet amalgame entre chanvre et cannabis : il est démontré qu’un faible taux de THC ne présente aucun risque pour la santé.
C’est pour cette raison que je salue la récente décision du Conseil d’État et en appelle à la prise en compte et à la valorisation de la filière du chanvre en France.
Cette filière a été abandonnée depuis les années 1990, alors que sa culture est bénéfique tant pour l’écologie que pour notre économie. En effet, le chanvre possède des vertus écologiques uniques, sa croissance ne nécessite pas d’eau et sa culture est considérée comme une excellente tête d’assolement.
Il permet également de créer des tissus, comme ceux qu’utilise la famille Tuffery, qui produit en Occitanie – en Lozère, précisément – des jeans 100 % made in France de grande qualité.
Après avoir été à la base des cordages de la marine à voile, il sert aujourd’hui à produire du papier, des isolants thermiques, des compléments alimentaires, de l’huile, et j’en passe.
Relancer la filière du chanvre pour en faire une culture d’avenir permettra à la France d’asseoir sa place de leader européen – elle représente déjà 40 % de la production. Cela participerait ainsi à la réindustrialisation du pays.
Aussi, madame la ministre, pourquoi vouloir entraver le développement de la filière du chanvre et la mettre en péril, alors qu’elle constitue une culture d’avenir tant pour l’écologie que pour notre dynamisme économique ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Monsieur le sénateur Christian Bilhac, vous m’interrogez sur la revalorisation et le développement de la filière textile dépendant du chanvre.
Les occasions à saisir aujourd’hui pour la relocalisation de la filière textile de fibres naturelles en France sont nombreuses. Le chanvre, en particulier, est une matière locale sur laquelle la France est très bien positionnée comme premier producteur européen et troisième producteur mondial.
La demande est forte et le chanvre peut constituer une solution de rechange au coton avec un bilan écologique très appréciable, puisque sa culture ne nécessite ni irrigation ni pesticides, de même qu’elle régénère les sols.
La filière textile du chanvre a pu être encouragée et confortée par l’appel à projets « résilience » de France Relance, qui a retenu, au titre des secteurs stratégiques, les textiles biosourcés issus de la production française de fibres naturelles. Ainsi, 9 millions d’euros d’aides sont investis sur le territoire national pour les différents maillons : le teillage, le peignage, la filature, le tricotage, la confection, l’équipement en machines.
Des débouchés ont été présentés aux industriels dans le cadre de Paris 2024 pour une forte présence du chanvre aux jeux Olympiques : textiles, drapeaux, bâtiments.
Certaines étapes de la chaîne de valeur du chanvre textile demeurent fragiles. Ainsi, l’étape du teillage-défibrage n’est pas optimisée, tandis que le peignage est résiduel en France – sa réimplantation est stratégique. De même, le tissage-tricotage est, de manière générale, trop peu présent dans notre pays. La confection est également une opération qui, pour l’essentiel, a été délocalisée.
Nous voulons consolider ces différents maillons et mener un travail de structuration de la filière. À cette fin, nous avons mis en place un groupe de travail dédié au lin et au chanvre textile avec les ministères de l’économie, de l’agriculture et de la transition écologique, l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, dite Agence de la transition écologique) et FranceAgriMer.
Nous travaillons donc activement sur différents axes stratégiques, tels que le soutien aux projets industriels, l’aide aux efforts de recherche et développement ou la formation, essentielle au renforcement de notre filière chanvre textile.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac, pour la réplique.