M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le président Longeot, je souhaiterais tout d’abord rappeler, s’agissant du recours aux ordonnances, que, durant ce quinquennat, sauf cas exceptionnel, les demandes d’habilitation du Gouvernement ont systématiquement donné lieu à la publication d’une ordonnance : le taux s’élève à 95 % durant ce quinquennat, contre 87 % sous le précédent quinquennat et 79 % sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Je tenais simplement à rappeler ces chiffres pour mettre notre débat en perspective.
Vous m’interrogez sur l’ordonnance prévue à l’article 83 de la LOM, qui vise à définir les conditions de prise en charge par l’employeur de certains frais de transport, laquelle n’a pas été encore publiée.
Je précise tout d’abord que cette habilitation expire le 23 avril 2022, puisque, comme vous le savez, le délai de vingt-quatre mois a été prolongé de quatre mois en vertu de l’article 14 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.
Sur le fond, le plafond d’exonération de cotisations et de charges sociales du forfait mobilités durables avait déjà été relevé à 500 euros par la loi de finances pour 2021. Lors des débats sur la loi Climat et résilience, les parlementaires l’ont de nouveau rehaussé à 600 euros en cas de cumul avec le remboursement des transports publics.
Conformément à l’esprit de la LOM, il s’agit d’un dispositif facultatif, dont la décision et les modalités de versement sont laissées au dialogue social.
La mise en place du forfait mobilités durables est récente, puisqu’elle date de mai 2020. Les retours d’expérience sont encore insuffisants : c’est la raison pour laquelle le Gouvernement considère que, à ce stade, il ne dispose pas d’assez de recul pour décider ou non de rendre le dispositif obligatoire dans le secteur privé. La voie privilégiée pour ce forfait reste donc la discussion au sein de l’entreprise ou de la branche.
Le 15 février 2021, le Gouvernement a lancé un baromètre « forfait mobilités durables », afin de dresser un premier état des lieux du déploiement de ce nouveau dispositif. Les premiers résultats publiés en avril 2021 sont encourageants et soulignent l’importance d’améliorer la connaissance du dispositif.
Le Gouvernement a aussi mis en œuvre un plan incluant notamment des actions de communication pour une plus large diffusion du forfait mobilités durables. Un second baromètre a d’ailleurs été lancé.
Enfin, une évaluation des accords collectifs portant sur la thématique des mobilités domicile-travail, issue des négociations annuelles obligatoires, est prévue par l’article 83 de la LOM. Cette mission d’évaluation a été confiée à l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, dite Agence de la transition écologique), qui la pilote sur les plans qualitatif et quantitatif, pour une livraison de l’évaluation finale prévue au printemps de 2022.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les ordonnances sont devenues un vecteur privilégié de transposition des directives européennes et de mise en œuvre des mesures d’application imposées par les règlements européens.
Se sont ainsi succédé des textes de portée générale faisant une large part aux directives, comme la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, ou la LOM, ou encore des textes destinés à permettre la transposition de textes européens sectoriels, dits Ddadue.
Le recours à des ordonnances en la matière n’est pas nécessairement condamnable dans son principe, en particulier lorsqu’il s’agit de refondre des codes existants pour les mettre en cohérence avec les textes européens. Encore faudrait-il que l’objet et les limites de l’habilitation soient clairement définis.
Ainsi, lorsque le texte européen comporte des options, le législateur est en droit d’être informé des intentions précises du Gouvernement à cet égard avant de l’autoriser à prendre des ordonnances.
Or, si l’étude d’impact du projet de loi signale et expose parfois les motifs d’une surtransposition proposée, les habilitations sollicitées restent quant à elle très imprécises et ne permettent pas de connaître l’usage que le Gouvernement envisage de faire des options ou des marges de manœuvre offertes par la directive ou le règlement concerné.
Depuis le mois de janvier 2018, la commission des affaires européennes du Sénat assure une mission de veille sur les surtranspositions de textes européens dans le droit interne, avec le souci de ne pas surcharger les acteurs économiques d’obligations qui ne seraient pas imposées à leurs concurrents par le droit européen.
Les observations qu’elle formule sont fondées sur une analyse de textes européens, notamment des options et des marges de manœuvre qu’ils autorisent et des justifications présentées par le Gouvernement, en particulier dans l’étude d’impact à l’appui des transpositions qu’il propose.
Si tel n’est pas le cas, le rapporteur de la commission des affaires européennes attire l’attention de la commission saisie au fond sur l’existence d’options et l’imprécision de l’habilitation sollicitée. Dès lors, seul un suivi des ordonnances de transposition permet de s’assurer que toute surtransposition est effectivement justifiée au regard de l’intérêt général, dans le respect du cadre européen.
Or ce suivi est d’autant plus malaisé que la transposition se fait souvent de manière morcelée et échelonnée. Il serait donc de bonne méthode que les demandes d’habilitation soient très précisément documentées sur les intentions de surtransposition et que le Parlement puisse disposer, pour toute habilitation à transposer le droit européen, de la liste des ordonnances envisagées, de leur périmètre et de leur date de publication.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le président Rapin, je tiens tout d’abord à souligner la qualité du travail réalisé par la commission des affaires européennes du Sénat, notamment en ce qui concerne la veille sur les transpositions de textes européens dans le droit interne.
Pour parvenir à maintenir un taux de transposition le plus élevé possible, le Gouvernement a recours à des projets de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne, textes qui sont plus communément connus sous l’acronyme de « Ddadue ».
Ces textes comportent un certain nombre de demandes d’habilitation à légiférer par ordonnances, qui permettent de traiter efficacement des questions souvent très techniques, tout en laissant aux parlementaires le soin d’apprécier la portée qu’ils donnent à l’habilitation et, s’ils le souhaitent, de davantage les circonscrire pour exclure certaines surtranspositions qu’ils jugeraient indésirables, faculté que vous avez vous-même rappelée, monsieur le président.
En effet, si le Parlement ne peut étendre le champ d’une habilitation, il peut toujours en réduire la portée. Et dans ce domaine, nous convenons assez volontiers qu’il faut rester vigilant.
Je voudrais également souligner que le Gouvernement partage votre préoccupation et a pris le parti d’éviter, autant que faire se peut, les surtranspositions, comme en atteste la circulaire du Premier ministre du 26 juillet 2017 relative à la maîtrise du flux des textes réglementaires et de leurs impacts, lequel précise notamment qu’« une vigilance particulière sera portée à la transposition des directives européennes » et que « toute mesure allant au-delà des exigences minimales de la directive est en principe proscrite. Les dérogations à ce principe, qui peuvent résulter de choix politiques, supposent la présentation d’un dossier explicitant et justifiant la mesure qui sera soumise à l’arbitrage ».
Par ailleurs, il est requis, dès lors qu’un projet de loi comporte une disposition prise pour la transposition d’une directive européenne, de joindre un tableau de transposition au dossier de saisine du Conseil d’État, afin que ce dernier puisse apprécier, non seulement l’exactitude de la transposition ponctuelle qui lui est soumise, mais aussi sa complétude.
Ces informations se retrouvent dans les études d’impact, ce qui doit permettre au Parlement d’apprécier, à l’appui du premier acte de transposition, l’ensemble des textes qui seront nécessaires pour assurer la complète transposition de la directive.
Enfin, monsieur le président, j’ai bien noté votre demande de disposer d’une vue globale de l’ensemble des dispositions, afin de mieux exercer les prérogatives qui sont les vôtres et, en particulier, d’étudier avec un souci vigilant et constant le risque de surtranspositions inutiles.
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des finances.
M. Vincent Éblé, vice-président de la commission des finances, en remplacement de M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais formuler deux observations et interroger le Gouvernement sur une ordonnance.
Ma première observation concerne l’unification du recouvrement des taxes et impositions par la direction générale des finances publiques, la DGFiP, et la refonte des impositions et amendes. Le Sénat s’était en effet largement opposé à une habilitation à légiférer par ordonnance dans un champ considéré comme très large et aux objectifs peu clairs.
Nous observons tout d’abord que plusieurs prolongations de l’habilitation ont été nécessaires et que l’ordonnance vient seulement d’être publiée en décembre.
Par ailleurs, la codification ne s’est pas faite à droit constant. Il revient ainsi au seul Gouvernement de rendre son arbitrage sur la codification de certaines interprétations de la doctrine fiscale ou sur les corrections à apporter ou non aux dispositions pouvant méconnaître le droit de l’Union européenne, ce qui n’est pas satisfaisant.
On peut noter que la loi de finances pour 2022 contient une nouvelle habilitation, pour un délai cette fois-ci allongé de vingt-quatre mois, afin de prendre des mesures complémentaires. Il sera absolument nécessaire qu’un bilan de cette réforme soit présenté au Parlement, plutôt que celui-ci en soit totalement dessaisi.
Ma seconde observation a trait à la généralisation de la facturation électronique pour les entreprises. Le Gouvernement a été habilité à légiférer par ordonnance par la loi de finances pour 2021. Cette ordonnance a été publiée le 15 septembre dernier, dans les délais prévus.
Toutefois, contrairement à ce qui était indiqué dans l’étude préalable, les délais de mise en œuvre ont été décalés à 2024 pour les grandes entreprises, à 2025 pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et à 2026 pour les PME. Compte tenu de ces délais, il convient de s’interroger sur le choix de ne pas passer directement par le législateur.
Enfin, je voudrais vous questionner, monsieur le ministre, sur la réforme du régime de responsabilité pécuniaire des comptables publics et la refonte des juridictions financières.
Il a été proposé de recourir à une ordonnance dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022. Il s’agit en effet d’une réforme d’ampleur, qui, devant trouver son application au 1er janvier 2023, et ayant fait l’objet d’intenses et longues discussions entre le Gouvernement, la DGFiP et la Cour des comptes, aurait mérité d’y associer pleinement les parlementaires.
Pourriez-vous justifier cette démarche et nous donner des indications sur les échéances de publication de cette ordonnance, à laquelle nous serons bien sûr très attentifs ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur Éblé, vous m’interrogez sur un certain nombre de points au travers de vos deux observations et de votre question.
Vous m’interrogez sur le choix du Gouvernement de demander au Parlement une habilitation à légiférer par voie d’ordonnance pour la généralisation de la facturation électronique pour les entreprises. Il s’agit d’un chantier de très grande ampleur, qui nécessite des travaux exploratoires de longue haleine.
Le Gouvernement a jugé qu’il était nécessaire de ne pas attendre la loi de finances pour 2022 et de donner aux entreprises et à tous les acteurs concernés la plus grande visibilité possible dès 2021, pour leur permettre d’assimiler et d’anticiper très en amont ce mécanisme et de s’y préparer techniquement, quand bien même celui-ci n’entrerait que progressivement en vigueur, en fonction de leur taille, entre le 1er juillet 2024 et le 1er juillet 2026.
Vous avez formulé une seconde observation sur l’unification du recouvrement des taxes et impositions par la DGFiP et la refonte des impositions et amendes par voie d’ordonnance, étant donné l’ampleur du chantier qui sera mis en œuvre par étapes dans un calendrier s’achevant en 2024.
Cette habilitation permet la codification de la fiscalité sectorielle. L’ordonnance n° 2021-1843 du 22 décembre 2021 satisfait ces deux objectifs, mais j’ai bien entendu votre demande d’un bilan de ce qui sera fait dans le cadre de cette ordonnance.
Enfin, concernant l’habilitation pour la réforme du régime de responsabilité pécuniaire des comptables publics et la refonte des juridictions financières, le Gouvernement a pris soin de préciser, dès l’habilitation, les grandes lignes de la réforme, notamment la suppression de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables, le champ des justiciables, les infractions, les sanctions et l’organisation juridictionnelle.
Comme le Conseil d’État l’a noté dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2022, cet article d’habilitation particulièrement long et détaillé répondait à une intention claire de permettre au débat parlementaire de s’engager sur les points structurants de cette réforme d’une grande complexité et d’une grande technicité.
Compte tenu du nombre de textes à modifier, le recours à une ordonnance semblait justifié. Le processus consultatif va maintenant être lancé par le Gouvernement, et le texte devrait être publié au cours du mois de mars prochain, après délibération du conseil des ministres.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Pour ce qui concerne la commission des lois, monsieur le ministre, trois types d’usage de l’article 38 de la Constitution paraissent, sinon critiquables, du moins discutables.
Le premier est le cas où le Gouvernement n’utilise pas l’habilitation qu’il a demandée. C’est juridiquement son droit le plus strict, mais cela révèle une pratique qui doit être dénoncée : celle de la demande d’habilitation dite « filet de sécurité », que le Gouvernement se réserve d’utiliser en cas de besoin.
C’est oublier que, constitutionnellement, le Parlement ne peut alors plus se saisir lui-même des matières qu’il a déléguées et que le Gouvernement, en multipliant ces habilitations, bloque en réalité l’action du législateur pendant de longues périodes, parfois jusqu’à deux ans.
Pour en donner un exemple récent, le Gouvernement a fait voter dans la loi Engagement et proximité une habilitation sur le régime des débits de boissons. Le délai a expiré en avril 2021 sans que l’ordonnance ait été prise. Le Gouvernement va-t-il solliciter de nouveau le Parlement ? Et, dans l’affirmative, utilisera-t-il cette habilitation ?
Deuxième utilisation critiquable : dans le projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante, le ministre délégué aux petites et moyennes entreprises de l’époque sollicitait une habilitation – je n’ose pas la qualifier ici –, parce qu’il lui fallait du temps pour mener une concertation avec les professionnels et décider quoi écrire dans l’ordonnance destinée à modifier les structures d’exercice professionnel libéral.
C’est un peu étonnant… Cela revient en quelque sorte à donner un blanc-seing à l’exécutif, ce qui n’est évidemment pas dans l’esprit de la Constitution.
Troisième et dernier exemple de dévoiement : l’absence de ratification d’ordonnances importantes, que le Gouvernement juge parfois trop « techniques » pour justifier une ratification en bonne et due forme.
Sur ce point, je voudrais vous interroger sur l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce, qui concerne les procédures collectives.
Ce texte apporte des inflexions particulièrement importantes au droit des faillites et exerce, ou n’exerce pas, selon le cas, des options ouvertes par les textes européens. Il y a matière à discuter de ces choix. Le Gouvernement entend-il engager la ratification expresse de ce texte pour laquelle nos collègues François Bonhomme et Thani Mohamed Soilihi ont d’ailleurs déposé une proposition de loi de ratification ? (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le président Buffet, vous m’interrogez sur trois points.
Tout d’abord, vous me questionnez sur l’habilitation visant à réformer les débits de boissons, prévue par la loi Engagement et proximité, qui n’a effectivement pas été prise et pour laquelle le délai d’habilitation a en effet expiré le 26 avril 2021.
Je veux rappeler au préalable que le Gouvernement a peu recours à ce que vous appelez – cela peut s’y apparenter en effet parfois ! – des « habilitations filets de sécurité », puisque, comme je le rappelais, seuls 5 % des habilitations ne donnent pas lieu à un texte.
Cette ordonnance visait à rénover le régime du droit des débits de boissons. Elle s’inscrivait ainsi dans le prolongement des travaux interministériels entamés au début de 2019 sous l’égide des ministères de la santé, de l’intérieur et de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), en application du plan national de mobilisation contre les addictions.
Il s’agissait de simplifier cette réglementation complexe, issue d’une succession de réformes, mais également d’encadrer la vente d’alcool pour protéger les mineurs et limiter les consommations à risque.
Toutefois dans le contexte de crise, au regard de la situation très particulière dans laquelle elle a placé, reconnaissons-le, les débits de boissons, il ne nous a pas paru opportun d’intervenir sur les conditions de vente des boissons alcoolisées et leur dosage en alcool. C’est ce qui a conduit le Gouvernement à ne pas recourir à cette habilitation, mais, je le répète, cette situation est exceptionnelle, puisque seuls 5 % des habilitations ne donnent pas lieu à une ordonnance.
Vous m’interrogez également sur la ratification expresse de l’ordonnance du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce, qui concerne les procédures collectives.
Selon l’article 196 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, le Gouvernement disposait de quatre mois, soit jusqu’au 14 janvier 2022, pour déposer un projet de loi de ratification, lequel a bien été déposé sur le bureau du Sénat le 5 janvier dernier.
Deux sénateurs ont également déposé le 16 novembre 2021 une proposition de loi ratifiant, modifiant et complétant cette ordonnance, manifestant ainsi leur volonté de se prononcer sur cette importante réforme de notre droit des entreprises en difficulté.
Force est de constater que ce texte n’a pas encore trouvé sa place dans l’ordre du jour du Sénat en ces derniers mois du quinquennat, tant dans le cadre des semaines réservées à votre assemblée que dans celles qui sont réservées au Gouvernement. Force est de constater que ce sujet est donc devant nous.
Enfin, monsieur le président, je dois avouer que je n’ai pas la réponse à votre troisième question, mais je m’engage à vous la fournir dans les délais les plus rapides.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Je vous remercie, monsieur le ministre !
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission de la culture.
M. Stéphane Piednoir, vice-président de la commission de la culture, en remplacement de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le cadre de la loi du 29 juillet 2019 pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, le Gouvernement avait obtenu une habilitation extrêmement large, lui permettant de déroger, par voie d’ordonnances, aux règles en matière de voirie, d’environnement, d’urbanisme et de construction, afin de faciliter la réalisation des travaux de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Le Sénat s’y était toujours opposé, estimant que ces dérogations, d’une part, n’apparaissaient pas vraiment utiles, et, d’autre part, risquaient de faire peser des doutes sur l’exemplarité du chantier de Notre-Dame de Paris et de mettre à mal la crédibilité de notre législation en matière de protection du patrimoine.
Alors même que cette habilitation fut la cause de l’échec de la commission mixte paritaire sur ce texte, le Gouvernement n’a finalement jamais pris aucune ordonnance !
Bien sûr, le fait qu’il n’ait été donné aucune suite à cette habilitation donne raison a posteriori au Sénat. Mais quel dommage, dans ces conditions, que le Gouvernement et les députés soient restés arc-boutés au point de passer à côté du consensus et de l’unité nationale que ce drame aurait pourtant dû susciter.
Comment comprendre que le Gouvernement n’ait finalement pas fait usage de cette habilitation ? Peut-on espérer que, à l’avenir – sait-on jamais –, des efforts soient entrepris pour que les habilitations ne soient sollicitées qu’en cas de réelle nécessité, et avec le champ le plus circonscrit possible ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur Piednoir, vous m’interrogez sur l’habilitation permettant au Gouvernement de déroger par voie d’ordonnances aux règles en matière de voirie, d’environnement, d’urbanisme et de construction, prise dans le cadre de la loi du 29 juillet 2019 pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Cette habilitation avait vocation à faciliter la réalisation, dans les meilleurs délais et dans des conditions de sécurité satisfaisantes, des opérations de travaux de la cathédrale. En effet, en l’absence d’une définition précise du projet de restauration de cette dernière, ainsi que des opérations connexes à ces travaux, au moment de la discussion du projet de loi au Parlement, et compte tenu du calendrier fixé, il est apparu nécessaire de prendre cette précaution – cette demande d’habilitation entrait sans doute dans la catégorie de ce que le président Buffet a appelé les « filets de sécurité ».
Par définition, nous avions en effet besoin d’anticiper les difficultés que nous pouvions éventuellement rencontrer. Personne ne savait à l’époque, monsieur le sénateur – il y avait consensus sur ce point à ce moment-là, et je crois que tel est toujours le cas –, quelles pouvaient être les difficultés ou les contraintes pesant sur cette rénovation, compte tenu notamment de la volonté de tous d’avancer assez rapidement.
Cette habilitation a été circonscrite à certains domaines bien identifiés et aux besoins qui pouvaient être anticipés. Le délai expirait le 28 juillet 2020. Il a été prolongé de quatre mois, soit jusqu’au 28 novembre 2020, période s’inscrivant dans le contexte particulier de crise sanitaire que chacun connaît.
Une seule dérogation a été introduite en application de cette habilitation : il s’agit de l’ordonnance du 18 novembre 2020 dispensant d’obligation de compatibilité avec les schémas régionaux des carrières les décisions d’exploitation de carrières justifiées par les besoins de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Cette possibilité de dérogation n’a toutefois pas été utilisée, l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration venant de passer avec un carrier un marché de fournitures de pierres compatibles d’un point de vue esthétique, physico-mécanique et chimique avec les pierres d’origine encore en place sur le monument.
Voilà, monsieur le sénateur, les réponses que je voulais vous apporter.
Je le répète, il n’était pas possible dans ce cadre précis de savoir exactement si nous aurions besoin de ces dérogations, d’où le recours à une ordonnance. Vous vous félicitez d’avoir eu raison trop tôt. Mais on peut aussi se féliciter parfois de prendre les précautions nécessaires, surtout lorsque les projets sont très complexes, vous le savez aussi bien que moi.
M. le président. La parole est désormais aux représentants des groupes, selon les mêmes règles que pour les représentants des commissions.
La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Ce débat est naturellement bienvenu. Il s’inscrit en réalité dans la suite de débats que nous tenions dans un cercle moins large, au titre de l’application des lois, mais c’est un progrès.
Je souhaiterais nuancer quelque peu les observations de Mme Pascale Gruny quant à la masse des ordonnances prises.
Notre collègue a bien sûr souhaité écarter les ordonnances prises en 2020 dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire. Mais, au moment d’établir la comparaison entre quinquennats, elle les a réintégrées. Or, si on les retire, on observe que le nombre d’ordonnances durant ce quinquennat aura été inférieur à celui du quinquennat précédent. Il me semble donc que l’on peut apporter quelques nuances à ce sujet.
Je souligne aussi – je l’ai déjà fait, sans aucun succès – que, à l’heure actuelle, un dispositif permet de compter les textes, non pas un pour un, mais en fonction de leur longueur. Légifrance tient effectivement un compteur au mot près des différents textes. Si l’on voulait établir une comparaison du poids réel des ordonnances, il faudrait le faire en fonction de leur contenu en droit ainsi mesuré.
Par ailleurs, la comparaison quant à la durée entre la loi et l’ordonnance doit être revue. Pour les lois, on fait commencer le délai au moment où le projet de loi est déposé devant le Parlement, mais, bien évidemment, des travaux préparatoires ont été réalisés en masse auparavant ; en général, ils durent plus d’un semestre, fréquemment une année. Les concertations sont nombreuses avant un projet de loi, comme avant un projet d’ordonnance, mais elles ne sont pas prises en compte également pour évaluer la vraie durée d’un projet de loi et d’une ordonnance.
J’en profite d’ailleurs pour souligner que, pour une fois, monsieur le ministre, une concertation parlementaire a eu lieu pendant la préparation d’une ordonnance, précisément dans le cas que vous avez cité précédemment concernant le code minier. Ce serait une habitude à prendre – ce n’est pas faute de vous l’avoir déjà demandé !
Enfin, si des améliorations sont nécessaires en matière de ratification, nous savons tous que, pour 80 % à 90 % des ordonnances, la ratification se ferait sans débat.
Nous devons donc être sélectifs et, de mon point de vue, ce travail doit être celui de nos commissions : chaque bureau pourrait ainsi débattre sur les ordonnances relevant du champ de la commission dont la ratification est demandée, et on se mettrait d’accord avec le Gouvernement pour le faire par le biais d’une procédure de législation en commission. (M. Julien Bargeton applaudit.)