M. Laurent Lafon. Bravo !
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Ce que l’on apprend à l’université, c’est l’esprit critique.
Monsieur le sénateur, nous luttons précisément contre les précarités, qui sont multiples. Nous avons ainsi mobilisé, depuis le début de ce quinquennat, 5 milliards d’euros pour l’université.
Quel est le gouvernement qui lutte contre les inégalités de destin ? Qui accompagne la précarité menstruelle des étudiantes ? Qui gèle les loyers des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous) ? Qui a rénové ces mêmes Crous ? C’est le nôtre, monsieur le sénateur ! (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. Pierre Ouzoulias. Assumez votre bilan !
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, je suis toute disposée à débattre de la question des précarités et du bilan gouvernemental sur l’accompagnement des étudiants – nous n’avons pas à en rougir ! –, mais, par respect pour la chambre haute, revenons-en au sujet qui nous anime : le wokisme.
Contre le wokisme, nous avons saisi le collège des déontologues. Nous renforçons le rôle des référents déontologues dans les territoires, car notre objectif est bien de protéger les libertés académiques et d’empêcher l’installation d’une pensée qui serait autorisée, alors qu’une autre ne le serait pas.
Pour y parvenir, deux enjeux se présentent devant nous. Le premier consiste naturellement à garantir l’environnement de nos universités. Nous devons faire en sorte que nos étudiants étudient dans de bonnes conditions, en bonne santé, dans des logements dignes, que les enseignants soient protégés et n’aient pas peur qu’on les lynche ou qu’on les jette au pilori.
Monsieur le sénateur, les étudiants de notre pays rêvent d’une université qui rayonne, qui brille par sa recherche. C’est le deuxième enjeu et nous agissons en ce sens, par des recrutements au sein du CNRS ou par la réforme de Parcoursup, qui ne doit plus laisser la place au hasard.
Voilà la réalité : il y a quelques années, le choix des parcours était laissé au hasard. Ce n’est pas notre conception de la promesse républicaine. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC. – MM. Max Brisson et Gérard Longuet applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel, pour la réplique.
M. Yan Chantrel. Madame la secrétaire d’État, veuillez m’excuser, mais votre réponse me laisse pantois. Elle témoigne de votre niveau de déconnexion. (Exclamations sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe Les Républicains.)
C’est un enfant de l’université et de la banlieue française qui vous parle. J’ai étudié à l’université de Villetaneuse et, quand je vous entends, je suis tenté de vous inviter à visiter nos universités. Vous seriez effarée.
Pour ma part, je suis allé voir si des progrès avaient été réalisés. Ce n’est pas le cas du tout. Malheureusement, certains enseignants n’ont même pas de quoi se chauffer, les locaux sont vétustes, la situation est catastrophique !
À un moment donné, je vous en conjure : allez sur le terrain et constatez par vous-même ! Sans cela, vous ne pourrez pas percevoir à quel point il est violent, pour les étudiants, étudiantes et chercheurs qui nous écoutent d’entendre dire, au regard de ce qu’ils vivent au quotidien, que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes…
Eux savent ce qu’est la précarité et quelles sont les conditions de recherche dans notre pays. Le sénateur des Français établis hors de France que je suis pourrait d’ailleurs témoigner que de nombreux talents quittent le territoire précisément parce que vous ne mettez pas les moyens suffisants dans la recherche.
Ces talents sont sous-payés et sous-considérés. Pis, parfois, vous les combattez en diligentant contre eux des enquêtes !
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes unanimes : la vocation du politique est de débattre de tout. Rien de ce qui se rapporte à la vie de la cité – la polis au sens grec du terme – ne saurait donc lui être étranger. En politique, tout peut et, d’une certaine manière, tout doit être débattu.
Je remercie donc l’initiateur du présent débat et je me félicite de ce format, même s’il est dommage que seuls des parlementaires y participent. Il eût été intéressant, en effet, d’y associer des universitaires et des chercheurs.
De même, une proposition de loi aurait d’emblée posé la question très délicate de la définition des concepts et, surtout, de la mise en normes précises des mesures publiques qui auraient pu être avancées.
Si je m’exprime ainsi, c’est que je suis de ceux d’entre nous – nombreux – qui ont toujours manifesté une grande prudence à l’égard des « lois mémorielles ». Quand le politique réécrit l’histoire ou choisit des moments d’histoire plutôt que d’autres, c’est toujours un problème. En matière universitaire, le choix des contenus ne relève pas, me semble-t-il, de la discussion politique mais du corps de la recherche universitaire, dans son pluralisme.
Il est vrai que l’intitulé du débat met en scène une notion que je connais bien, celle des libertés académiques. Il sera sans doute question de ce concept ce soir, lors du débat organisé à la demande de la mission d’information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences. Il a également été développé dans la proposition de résolution européenne sur un nécessaire soutien à la liberté académique en Europe que nous avons adoptée, en décembre dernier, au sein de la commission des affaires européennes.
Mais ce concept souffre encore de l’absence d’une définition précise, invariable, et d’un cadre normatif unanimement admis, et surtout précisément inscrit dans la loi. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », écrivait Albert Camus. En ces temps de division, bien nommer les choses doit être une hygiène démocratique.
Le problème de l’absence de définition communément admise est encore plus vif lorsque nous parlons de woke et de wokisme.
Par de simples recherches, tout un chacun peut constater que le terme « woke » est issu de l’anglais, qu’il signifie « éveillé », mais qu’il ne fait l’objet d’aucune définition académique.
Il n’a rien à voir, en tout cas, avec cet ustensile de cuisine – le wok –, sorte de poêle bimillénaire venue d’Asie, qui en cantonais signifie « chaudron » et qui permet de cuire toutes sortes d’aliments en limitant la quantité de matières grasses. Encore que : en l’absence de définition académique sérieuse, ce que nous qualifions de « woke » ressemble quelque peu à ce mélange de légumes divers, graines et viande que l’on cuisine ensemble, sans trop y ajouter de matière grise… (Sourires.)
Cela étant posé, il est indispensable de distinguer ce qui relève du champ scientifique et ce qui relève du débat d’idées.
M. Julien Bargeton. Tout à fait !
M. André Gattolin. Le champ scientifique est un lieu structuré de production, de validation et de circulation des savoirs, dans le respect du pluralisme. Il peut – et il doit – exister des controverses dans le monde académique. Elles s’expriment selon les règles précises du débat contradictoire et argumenté.
Dans tous les domaines de la science, y compris naturellement dans le domaine des sciences humaines et sociales, la liberté académique est consubstantielle à la liberté de recherche.
Elle est aussi consubstantielle à la liberté d’enseigner, pour peu que cet enseignement respecte les règles de l’art, c’est-à-dire admette l’existence et l’expression des thèses opposées à celles développées par l’enseignant ou par le chercheur. Cela signifie que la liberté académique s’accompagne d’une nécessaire responsabilité académique, dont le fondement d’ailleurs le plus connu est, pour le chercheur, « l’intégrité scientifique » et, pour l’établissement universitaire, la mise en œuvre du principe de respect du pluralisme des idées et des enseignements.
L’existence d’une pensée critique, c’est-à-dire d’une pensée divergente et étayée face à la pensée majoritaire ou dominante, est tout sauf incompatible avec une culture académique démocratique. Sans elle, pas de controverse de Valladolid et des générations de Galilée forcées de se défausser !
Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas un thuriféraire de Pierre Bourdieu, mais je dois admettre qu’il disait juste lorsqu’il écrivait qu’« un champ scientifique authentique est un espace où les chercheurs s’accordent sur des terrains de désaccord et sur les instruments avec lesquels ils sont en mesure de résoudre ces désaccords, et sur rien d’autre ».
Le problème se pose lorsque, à côté – ou parfois au-delà – des écoles de pensée critique se développe une « pensée dénonciatrice », agressive, menaçante, qui ne respecte pas les règles académiques exprimées précédemment.
Cette pensée dénonciatrice, qu’elle nous plaise ou non, relève du débat d’idées ou du débat public et de rien d’autre. Elle doit cependant respecter la loi et les principes posés par l’État de droit.
S’il fait vivre la démocratie, le débat d’idées n’est pas régi par les règles académiques. C’est pour cela qu’il peut parfois provoquer l’hystérie et les passions tristes ; c’est pour cela, aussi, que nous avons besoin de la rigueur de la recherche académique.
Le wokisme jouit-il aujourd’hui d’une véritable résonance dans les travaux de recherche qui sont menés en France ? Moi-même enseignant, je me suis renseigné à ce sujet et j’ai trouvé peu d’éléments de réponse.
Madame la secrétaire d’État, au-delà du terme fourre-tout, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche pourrait-il tenter, par l’analyse des travaux de thèse ou de doctorat engagés, de dresser un véritable état des lieux de l’existence de tel ou tel courant, les phénomènes de mode touchant également le monde universitaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Monsieur le sénateur Gattolin, dans vos propos nuancés, vous soulignez le glissement qui est à l’œuvre, en sciences humaines et sociales, d’un débat descriptif, fondé sur des éléments de recherche à vocation plurielle – je le redis, cette pluralité fait l’honneur et la qualité de nos grandes universités françaises – vers un comportement prescriptif, qui viendrait imposer une pensée unique, autorisée ou dominante et des auteurs que l’on aurait le droit ou non de convoquer.
Dans ce contexte et sur l’initiative de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, nous consolidons des outils qui nous permettront de veiller à cette pluralité. Nous devrions pouvoir les porter prochainement à votre connaissance.
D’une manière certaine, le renforcement du CNRS, l’augmentation de plus de 10 % des moyens des laboratoires – elle sera de 15 % en 2022 –, la hausse du taux de succès des projets déposés, aussi divers soient-ils, ou encore la création de plus de 360 congés spécifiques à la recherche ont vocation à garantir cette pluralité.
Dans les sciences humaines en particulier, ce sont autant d’éléments favorisant les recherches les plus descriptives et non pas celles qui conduisent à des comportements prescriptifs, lesquels viendraient ternir ce joyau qu’est l’université française. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin, pour la réplique.
M. André Gattolin. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de ces précisions. Il est effectivement important de veiller à la pluralité des recherches.
Il y a deux ans, j’ai lancé avec mes étudiants un débat dans le cadre des politiques culturelles de la France, sur la question du langage et de l’écriture inclusive. Les trois quarts d’entre eux s’y disaient favorables. Lorsque je leur ai proposé d’écrire un mémoire ou de réaliser des travaux sur ces questions, aucun d’entre eux n’a pu approfondir ses recherches, faute d’argumentation scientifique organisée dans l’état de l’art du travail universitaire.
Par ailleurs, parmi les travaux qui m’ont été remis, aucun n’a été rédigé en écriture inclusive ; je n’avais pourtant pas fermé la porte à cette possibilité.
Il ne faut pas confondre le débat qui traverse une jeunesse étudiante et intellectuelle, friande de nouveaux courants de pensée, et la réalité de la production universitaire par les docteurs et les chercheurs. C’est la raison pour laquelle il convient, pour se faire une idée juste de l’état de la recherche, de se fonder sur les grandes publications scientifiques et sur les travaux de doctorat.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi en guise de propos liminaire de remercier Max Brisson, à qui nous devons l’organisation de ce débat.
Stay woke, le titre du documentaire réalisé en 2016 par Laurens Grant sur le mouvement Black Lives Matter est devenu un mot d’ordre aux États-Unis pour tous ceux qui considèrent les sociétés occidentales comme structurellement racistes mais aussi sexistes, islamophobes ou homophobes.
Stay woke signifie donc : restez éveillés, restez vigilants, soyez sur vos gardes, car les discriminations sont partout, nous les pratiquons sans le savoir, nous sommes coupables à notre insu. Tel est le mot d’ordre du wokisme, qui nous renvoie à une faute que nous commettons sans même en avoir conscience.
Littéralement, le wokisme renvoie d’abord à une faute d’orthographe. Dans la langue de Shakespeare, il aurait fallu dire awoken et non woke. Au commencement était l’erreur, déjà !
On pourrait considérer l’étymologie du signifiant comme anecdotique, tant le signifié est problématique. J’en doute car, au fond, se cache l’idée que la langue en soi est un mécanisme d’oppression et de discrimination.
On court aujourd’hui le risque de ne pouvoir s’exprimer sans blesser quelqu’un. En France, nous subissons déjà les assauts de cette exégèse moralisatrice. Elle revêt de multiples visages et réprime toute forme d’expression. La censure frappe autant la langue du quotidien que le langage artistique.
Concernant la langue du quotidien, cette censure s’appelle « écriture inclusive ». Ses promoteurs soutiennent que les règles de grammaire française constituent des mécanismes d’oppression à l’encontre de la gent féminine. À la vérité, l’écriture inclusive exclut et discrimine. Elle oppose sans cesse les genres, sans jamais les accorder.
Madame la secrétaire d’État, nous le constatons tous les jours, l’écriture inclusive se propage partout. Elle gagne même l’université, ses professeurs, ses élèves et son administration. Le ministre de l’éducation nationale avait pourtant été clair à ce sujet : cette déformation du français n’a pas sa place dans notre administration. Elle ne l’a pas non plus, a fortiori, dans les lieux où se transmet le savoir.
Nous avions débattu de cette question, sur mon initiative, en mai dernier et je me réjouis que ces travaux se poursuivent, au travers notamment de la proposition de loi déposée par ma collègue Pascale Gruny, que je salue.
Nos discussions s’inscrivent donc dans une forme de continuité. Wokisme, écriture inclusive, ces dérives prospèrent à l’université. Elles y remettent en cause le véhicule du savoir, c’est-à-dire le langage en tant que tel.
Je l’ai dit, le wokisme n’applique pas sa censure qu’à la langue du quotidien, mais aussi au langage artistique. Comme dans les campus américains, de plus en plus d’étudiants s’opposent, en France, à ce que certaines manifestations culturelles aient lieu, au prétexte qu’elles perpétuent des stéréotypes sexistes ou racistes.
Ainsi, en mars 2019, des groupuscules soi-disant antiracistes manifestaient contre une représentation de la pièce d’Eschyle Les Suppliantes, donnée dans l’amphithéâtre Richelieu en Sorbonne. La raison invoquée par ces agitateurs était que le metteur en scène avait couvert les visages de masques, dont certains étaient noirs. Ils ignoraient qu’il s’agissait là de renouer avec la pratique classique du théâtre antique.
Je ne crois pas utile d’entrer dans un débat propre aux études théâtrales. Ce qui choque dans cet événement, comme dans bien d’autres survenus depuis, c’est que des groupuscules s’attribuent un rôle de censeur que personne ne leur a confié.
Il faut le dire tout net : la culture doit rester libre de ces censures. Nous ne pouvons pas baisser la garde. Nous devons au contraire explorer les voies d’action, qu’elles soient d’ordre législatif, réglementaire ou même culturel, pour y mettre un terme.
Nous devons également mener la bataille sur le plan des idées. Il faut expliquer pourquoi on ne combat pas le racisme en interdisant des pièces de théâtre. Il faut expliquer pourquoi on ne lutte pas pour l’égalité entre les hommes et les femmes lorsque l’on exclut des hommes de certaines réunions. Il faut expliquer enfin pourquoi on dégrade le débat intellectuel lorsque l’on interdit à certaines personnes de s’exprimer, au motif qu’elles ne pensent pas comme il faut.
L’université est, par définition, le lieu où s’ouvrent les esprits et se transmettent les savoirs. Le wokisme n’y a pas sa place.
L’enjeu est d’autant plus grave que, pour les générations actuelles et futures, l’université pourrait donner à cette idéologie l’apparence d’une validation éthique et scientifique. Il y va de la préservation de notre langue et de notre culture ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Monsieur le sénateur Decool, vous avez mis en lumière le sujet important de l’écriture inclusive et du point médian.
La position des ministres Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal a été – vous l’avez rappelé – extrêmement claire : l’écriture inclusive n’a sa place aujourd’hui ni dans nos universités ni au sein des établissements de l’éducation nationale. La raison en est simple ; ce n’est pas la grammaire française, ce n’est pas du français !
Vous avez aussi évoqué la pièce de théâtre Les Suppliantes. Nous sommes en parfait accord. Jamais dans notre pays nous ne devrions nous accommoder de censure, de censeurs ou d’une moralité qui nous imposerait de nous priver de la grandeur de la culture, française en particulier. C’est pourquoi, compte tenu de cet enjeu important et des débats qui ont eu lieu, cette pièce a été rejouée en présence de Frédérique Vidal et de Franck Riester, alors ministre de la culture.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Decool. Madame la secrétaire d’État, vous avez très justement rappelé la position de M. le ministre Blanquer au sujet de l’écriture inclusive.
La pédagogie est l’art de la répétition et vous en avez très justement fait preuve. Je vous en remercie.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la science et la connaissance doivent être respectées dans leur autonomie et leur indépendance. Indispensables à la transmission, elles n’admettent aucune pénétration idéologique. Le savoir n’est pas une opinion, la vérité scientifique n’est ni une croyance ni une conviction politique.
L’université est aujourd’hui – pas partout – le théâtre d’affrontements idéologiques, menés par les tenants d’une déconstruction assumée contre l’institution elle-même.
Ceux qui me connaissent savent que mes propos ne relèvent ni d’un fantasme ni d’une obsession. Ils reflètent une réalité vécue dont les exemples abondent, un phénomène que dénoncent une majorité d’enseignants-chercheurs, lesquels constatent une confusion croissante entre la liberté académique et la liberté d’expression.
Ma préoccupation est laïque et républicaine. Je suis inquiet devant les dérives constatées. Il ne faut pas baisser la tête devant la bien-pensance moralisatrice, celle d’une gauche communautariste en panne d’idées, très éloignée dans la réalité de l’égalité et de l’émancipation.
Je pense à tous ces étudiants sérieux et travailleurs, qui aspirent à penser par eux-mêmes et auxquels on veut imposer un nouveau terrorisme intellectuel. Ils subissent une atmosphère pesante. Ils constatent une situation dans laquelle il n’est plus possible d’avancer l’idée que le voile est un symbole d’oppression de la femme par l’homme. Ils se font traiter d’islamophobes, de racistes, d’homophobes via un discours extrémiste qui sature l’espace universitaire, comme nous l’avons entendu ce jour.
Madame la secrétaire d’État, nous souhaitions en avoir fini avec la contamination de la recherche par le militantisme. Nous avions tort.
Certains de nos universitaires engagés tentent de nouveau de conquérir les amphithéâtres. Ils délaissent le cadre de la démocratie et du bulletin de vote, certainement pas assez chic pour eux. Obnubilés par leur ego et ne sachant pas où se tourner, ils ont jeté un coup d’œil outre-Atlantique et ont décidé que la race, le genre et les discours de domination leur permettraient d’exister à peu de frais, en leurrant leurs étudiants.
Ils recherchent une revanche à tout prix, mais sur quoi ? Dans la confusion et la provocation, le militantisme académique veut le beurre et l’argent du beurre. Peu lui importent l’affaiblissement de tous et le devenir de ces étudiants.
Nous n’acceptons pas le monde social que certains chercheurs militants mettent en avant, en appauvrissant d’autant les ressources conceptuelles de l’université. Ils tentent, sans prendre de risques excessifs statutairement, de cumuler la posture du chercheur et celle de l’acteur. Personne n’est dupe de leurs techniques de déconstruction, même si l’intimidation empêche parfois de les dénoncer.
Car les menaces sont bien là. Devant toutes les discriminations, l’état d’éveil ou wokisme permanent sait utiliser à plein la légitimité potentielle des causes défendues, grâce à la sensibilité des consciences au principe de l’égalité des droits. La confusion entre recherche et militantisme s’ajoute alors à la cancel culture pour imposer une conception égalitariste comme seul critère de production académique.
Devant les attaques dont la liberté académique est victime, l’État doit apporter de nouvelles garanties. Il faut mettre un terme à la confusion qui s’est installée. Les menaces, internes et externes, sont incontestables. Nous attendons encore, d’ailleurs, les conclusions de l’enquête portant sur la recherche universitaire.
Les services de l’État disposent de moyens d’action. De nombreux articles du code de l’éducation le disent clairement : l’activité d’enseignement et de recherche doit s’exercer dans des conditions de totale indépendance et dans la sérénité indispensable à la réflexion et à la création intellectuelle.
Le service public de l’enseignement supérieur est laïque, indépendant de toute emprise politique ou idéologique. Les principes d’objectivité et de tolérance ne sont pas négociables. Les possibilités de rappeler efficacement le code de l’éducation et de procéder aux contrôles qui s’imposent ne manquent pas, pour autant que la volonté politique s’exprime.
Encore faut-il que les textes eux-mêmes ne soient pas modifiés par l’État. Une modification du code de l’éducation en date du 24 décembre 2020 interroge, par exemple, quand elle conduit à affirmer que « le service public d’enseignement supérieur contribue à la lutte contre les discriminations, à la réduction des inégalités culturelles ou sociales ». Comment pourrions-nous ne pas être d’accord ? (M. Thomas Dossus s’exclame.)
Un autre article du même code de l’éducation a été modifié, pour affirmer que l’enseignement supérieur mène une action contre les stéréotypes sexués. Il y a parfois une forme d’inconscience des enjeux de l’autonomie scientifique et de la liberté académique, quand le ministère utilise lui-même un vocabulaire militant au sujet des luttes et des actions à mener.
Les aberrations administratives et humaines qui découlent de l’évolution de tels textes sont innombrables. Chacun doit prendre conscience de l’emprise croissante de ce militantisme dévoyé par certains, afin de ne pas transformer les salles de cours en lieux d’endoctrinement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Monsieur le sénateur Grosperrin, vous avez évoqué des questions absolument essentielles. L’égalité des chances, l’égalité réelle, l’émancipation par l’université sont évidemment au cœur du projet républicain. La promotion de la valeur travail et la méritocratie font la grandeur de nos universités et de notre système scolaire et d’enseignement supérieur.
Vous avez rappelé les modifications du code de l’éducation. Elles sont le fruit de travaux parlementaires ayant nécessité le vote des deux chambres. C’est bien dans le cadre des débats parlementaires sur l’égalité et l’accompagnement des étudiants boursiers que, finalement, ces évolutions ont été décidées.
C’est aussi ce qui fait la grandeur de notre pays que de lutter contre toutes les discriminations, que de faire se lever une Nation tout entière lorsqu’un acte raciste, homophobe ou antisémite est commis.
Finalement, monsieur le sénateur, la différence est peut-être là. La France universaliste n’accepte pas que s’installent ces discriminations, pas plus que les théories selon lesquelles le combat contre les discriminations serait exclusivement réservé à une communauté désignée.
C’est bien la grande différence entre l’universalisme et l’essentialisme dans le débat politique, et non pas universitaire.
En réalité, les seules limites à la liberté académique et à la liberté d’enseignement au sein de nos universités sont celles que le législateur a posées. Je pense évidemment au négationnisme ou aux appels à la haine.
Si nous cultivons la qualité de nos débats, alors nous trouverons demain des citoyens éclairés dans leur expression et dans leurs fondamentaux, et nous ne regarderons plus de l’autre côté de l’Atlantique.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour la réplique.
M. Jacques Grosperrin. Je vous remercie pour votre réponse, madame la secrétaire d’État. Comme Max Brisson, je connais votre engagement sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui.
Même si la Conférence des présidents d’université souhaite que la protection des libertés académiques soit inscrite dans la Constitution, je tiens à dire que toutes les universités ne fonctionnent pas de la même manière et il en est également ainsi pour les enseignants-chercheurs.
Notre discussion permet d’évoquer un problème qui est grave. Je sais les difficultés qu’a connues la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, lorsqu’elle a rejoint Jean-Michel Blanquer dans son combat – je profite d’ailleurs de cet instant pour avoir une pensée pour elle.
J’aurais aimé entendre le Président de la République s’exprimer sur ce sujet si important pour le rayonnement de notre pays, pour son avenir et pour celui de nos étudiants.