Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Au mois de juillet 2017, le Gouvernement s’est fixé pour objectif la notification d’une décision définitive dans un délai moyen de six mois, soit trois jours pour le traitement en préfecture, deux mois pour l’examen à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et quatre mois pour celui à la CNDA. La loi du 10 septembre 2018 répond à cet objectif, de même, d’ailleurs, que les 200 équivalents temps plein supplémentaires alloués à l’Ofpra, que déjà évoqués.
Le délai moyen sur le segment du traitement en préfecture est maîtrisé. À la fin de l’année 2020, il s’établit à moins de trois jours, grâce au travail de renforcement des guichets uniques de l’asile en préfecture, regroupant des effectifs de préfecture et des effectifs de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).
Si la crise sanitaire a conduit, en 2020, à un allongement conjoncturel des délais de traitement des demandes, la situation a connu une amélioration sensible depuis la fin de l’année. Je n’insiste pas sur ce point, mais le niveau d’activité a progressé d’environ 25 % et l’Ofpra a pu prendre plus de 130 000 décisions.
Pour répondre au point particulier que vous soulevez s’agissant de la CNDA, monsieur le sénateur, le délai moyen de traitement devant la cour est actuellement de l’ordre de cinq mois. Comme vous le savez, la CNDA, est une juridiction. À ce titre, elle est indépendante du Gouvernement. Cela vaut notamment pour les procédés qu’elle décide de mettre en place.
Dans ces conditions, le Gouvernement estime que les cibles qu’il a fixées pourraient être atteintes dans le courant de l’année 2022, en particulier au niveau des guichets uniques pour demandeur d’asile (GUDA) et de l’Ofpra, ceux-ci relevant, contrairement à ceux de la CNDA, d’un pilotage du ministère de l’intérieur.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Sueur. Réduire les délais, évidemment !
Permettre aux personnes de s’exprimer, évidemment !
Mme le président. La parole est à M. Sébastien Meurant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Sébastien Meurant. Voilà trois ans, nous débattions de la loi Asile et immigration et le gouvernement claironnait qu’elle serait, à la fois, humaine et efficace. Trois ans après, où en sommes-nous ?
Nous qui sommes au contact de la réalité constatons chaque jour les ravages de l’ensauvagement, notamment lié à l’immigration.
Il est vrai qu’en ce domaine M. Darmanin avait de prestigieux prédécesseurs… Je me souviens, ici même, de M. Manuel Valls défendant solennellement que l’on trie parmi les réfugiés. Les morts du Bataclan ont payé cet angélisme !
Au terme de ce quinquennat, je souhaite savoir comment le ministre de l’intérieur juge la situation actuelle de la politique migratoire, de la lutte contre l’immigration clandestine, de l’immigration légale et de l’intégration.
Je constate que l’immigration clandestine n’a jamais autant prospéré. Le ministre lui-même parle de 600 000 à 700 000 clandestins présents sur notre sol. Pourtant, M. Emmanuel Macron, au début de son quinquennat, promettait d’expulser 100 % des clandestins. Paroles, paroles…
Quant à l’immigration légale, elle est largement liée au regroupement familial, donc non choisie. Or le regroupement familial a été adopté sous réserve que l’immigré ait les moyens de faire vivre sa famille. Quand on sait que le taux de chômage des immigrés extra-européens atteint 24 %, on peut douter que cette immigration légale soit conforme à l’intention du législateur !
De plus, combien d’immigrés légaux viennent grossir les rangs de l’immigration clandestine après l’expiration de leur visa ? Nous délivrons 3,5 millions de visas à l’année !
En d’autres termes, que fait-on pour que l’immigration légale soit réellement une immigration choisie ?
En cinq ans, nous avons entendu beaucoup de discours, mais les problèmes ont empiré. Je ne rappellerai pas ici les propos du ministre de l’intérieur de l’époque… Quand saurons-nous enfin ne serait-ce que le coût de l’immigration ? Trouvez-vous raisonnable, madame la ministre, alors que les Français ont des difficultés à se loger et à se soigner, d’accueillir près de 450 000 personnes tous les ans ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Meurant, vous me pardonnerez d’indiquer que vous n’êtes ni plus ni moins au contact de la réalité que moi ou n’importe quel autre ministre, y compris le ministre de l’intérieur. (M. Sébastien Meurant s’exclame.) C’est un fait !
L’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) est en augmentation. Vous faites mention de propos tenus par d’anciens ministres de précédents quinquennats. On peut échanger des citations, mais on peut aussi partager les chiffres, notamment indiquer qu’entre 2007 et 2011 le nombre d’éloignements avoisinait 12 000, alors que nous en comptabilisons 19 000 simplement sur l’année 2019, avant le début de la crise sanitaire.
Vous avez tenu un certain nombre de propos qui, pardon de le dire, me semblent assez caricaturaux.
M. Stéphane Ravier. Ce sont les chiffres !
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le ministre de l’intérieur et moi-même signons très régulièrement des retraits ou des refus de titres de séjour de personnes ayant causé de troubles à l’ordre public, ne respectant pas les valeurs de la République ou ayant été condamnées pour des violences, notamment des violences sexistes et sexuelles. C’est une avancée que j’avais obtenue auprès du Premier ministre Édouard Philippe lors de notre avant-dernier comité interministériel sur l’immigration et l’intégration.
Des actions très concrètes sont donc menées par le ministère de l’intérieur.
Comme je l’ai indiqué précédemment, nous ne considérons pas que tout comportement d’une personne en provenance de l’étranger serait, par nature, mauvais, mais nous ne considérons pas non plus qu’il serait, par nature, bon. Nous regardons ce que font les gens, ce qu’ils veulent faire en France, non pas ce qu’ils sont ni d’où ils viennent.
Si, parmi eux, se trouvent des personnes demandant l’asile et ayant le droit d’obtenir le statut de réfugié, c’est bien évidemment l’honneur de la France que de le leur accorder. Si, parmi eux, se trouvent des personnes relevant de l’immigration dite économique au titre des passeports talents que nous avons mis en place pour attirer des étudiants de haut niveau, des chercheurs, des professionnels de métiers de pointe et d’innovation, nous sommes très heureux de les accueillir.
De la même manière, nous prenons nos responsabilités pour expulser les personnes qui n’ont rien à faire sur le sol français, quelles qu’en soient les raisons.
Mme le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Arnaud de Belenet. Une loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie… Comme c’est souvent le cas, l’intitulé de la loi du 10 septembre 2018 pourrait donner l’impression que, ça y est, le Parlement a adopté la réforme permettant de régler les questions liées tant à l’immigration qu’à l’intégration. À tort…
Trois ans après, ce texte n’a pas atteint ses objectifs – disons, pas encore.
Sans trop vouloir réduire le champ de notre débat, un sujet que nous avons à traiter en la matière est, bien évidemment, l’éloignement de tous les étrangers sans droit ni titre présents sur le territoire national.
Le texte de 2018 visait à raccourcir les délais de traitement des demandes, notamment d’asile, objectif que nous avons naturellement toujours partagé. Néanmoins, s’assurer de l’exécution des obligations de quitter le territoire français, les fameuses OQTF, c’est mieux !
Après s’être élevé jusqu’à 22 % en 2012, le taux d’exécution des OQTF a connu une forte baisse, ne dépassant plus 15 % depuis 2016 et se situant même en dessous de 13 % en 2018, comme en 2019.
Son niveau a atteint des planchers très bas avec la crise du covid. Ce n’est pas un reproche fait à la ministre présente dans cet hémicycle, mais cela interroge néanmoins sur la crédibilité du discours de la France.
Au-delà des améliorations techniques prévues par le texte de 2018, le cœur du problème reste aujourd’hui celui-là. C’est d’ailleurs une question au moins autant de volonté politique que d’innovation législative.
Éloigner les étrangers sans droit ni titre, notamment les déboutés du droit d’asile, cela coûte cher et, dans les faits, c’est compliqué. Je fais référence, bien sûr, à l’épineuse question des laissez-passer.
Madame la ministre, en ce début d’année, pouvez-vous nous communiquer le taux d’exécution des OQTF pour 2021 ? Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour l’avenir ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. L’efficacité des services en matière d’éloignement peut s’exprimer en taux, certes, mais elle peut aussi s’exprimer en chiffre brut !
La politique d’éloignement a vu son efficacité croître depuis 2017, notamment grâce aux effets de la loi du 10 septembre 2018. Cette dernière a notamment permis de porter la durée de rétention à quatre-vingt-dix jours. Elle a autorisé les préfets à prononcer des mesures d’assignation à résidence. Les éloignements contraints atteignent ainsi un niveau inédit en 2019, avec 20 994 mesures exécutées, soit une augmentation de 34 % par rapport au niveau de l’année 2016, pour ne prendre que cet exemple.
Cette dynamique, chacun le sait, a été interrompue par la crise sanitaire et la fermeture des frontières, ayant entraîné une baisse considérable des éloignements en 2020. Elle reste affectée, en 2021, par les mesures sanitaires et, comme je l’ai déjà souligné, par la posture diplomatique de certains pays d’origine.
Les éloignements ciblés se sont poursuivis depuis le mois de juillet 2020 sur les profils d’étrangers à l’origine de troubles à l’ordre public, c’est-à-dire essentiellement sortant de prison, radicalisés, représentant une menace.
Les moyens de notre dispositif d’éloignement ont été accrus. Le nombre de places de rétention sera porté en métropole à 2 200 à l’horizon de 2024, notamment grâce à l’ouverture de trois nouveaux centres de rétention administrative (CRA) à Lyon, Olivet et Bordeaux. C’est une augmentation de 50 % des places en locaux de rétention administrative.
Par ailleurs, le développement des retours volontaires d’étrangers en situation irrégulière s’appuiera sur la création de 1 100 places de dispositifs de préparation au retour (DPAR), sur les années 2021 et 2022. Ces places seront financées dans le cadre du plan France Relance.
Enfin, la fermeté du ministre de l’intérieur, qui a sensiblement réduit la délivrance des visas au profit des pays les plus récalcitrants à délivrer des laissez-passer consulaires, est une preuve supplémentaire de l’engagement ferme et concret du Gouvernement pour obtenir une meilleure exécution des OQTF. (M. François Patriat applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Je tiens d’abord à remercier le groupe Les Républicains d’avoir retenu un tel thème pour le débat de ce jour.
Au cours des dernières semaines, le débat public a permis de rappeler que la France était un pays plutôt dans la norme s’agissant de l’accueil d’étrangers. Voilà quelques dizaines d’années, elle accueillait bien plus que les pays comparables en Europe ; c’est moins le cas depuis plusieurs années.
Ainsi, d’après Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’augmentation moyenne de la proportion des personnes nées à l’étranger est passée de 11,6 % en 2010 à 13,1 % en 2020, soit 1,5 point d’augmentation. Au sein de l’OCDE, la moyenne s’est établie à 2,2 points sur la décennie. La plupart des voisins de la France ont ainsi connu une hausse supérieure à la sienne. Parmi eux, citons le Royaume-Uni – 2,9 points –, l’Allemagne – 3,3 points – ou encore la Belgique – 4 points.
On peut alors imaginer que c’est le taux d’exécution des OQTF qui préoccupe certains d’entre vous, mes chers collègues. Cela n’est d’ailleurs pas la première fois que l’on se focalise plus que de raison sur ce sujet, qui se révèle souvent périlleux. M. Macron, lui-même, a dans Valeurs actuelles, au mois d’octobre 2019, affirmé son engagement de faire procéder à 100 % des OQTF d’ici à la fin de son mandat.
Il est évidemment difficile d’accepter que des décisions de l’administration française ne soient pas appliquées. On connaît un obstacle évident à cette bonne application : la France est tributaire des laissez-passer délivrés par les pays tiers. Il y a cependant un autre obstacle, qui se situe sur notre territoire : il se trouve que l’on délivre des OQTF à des personnes n’ayant pas lieu d’être éloignées !
C’est le cas de nombreux jeunes majeurs étrangers passés pas l’aide sociale à l’enfance, formés par la France, intégrés et à qui on délivre des OQTF sans raison valable et sous des prétextes fallacieux. Il en découle que l’on gonfle artificiellement le nombre des OQTF.
Par conséquent, avant de débattre de taux, de chiffres, de statistiques, regardons déjà ceux à qui l’on impose ces OQTF. Certains, parce qu’ils causent des troubles à l’ordre public, doivent être éloignés, mais ils n’ont rien à voir avec ces étrangers intégrés, notamment les jeunes majeurs, que l’on s’acharne à vouloir éloigner sans raison légitime.
Plutôt que de se fixer pour objectif 100 % d’OQTF exécutées, il faudrait se fixer pour objectif 100 % d’OQTF justifiées. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, je viens d’apporter un certain nombre d’éléments chiffrés sur les OQTF. Permettez-moi de ne pas les reprendre.
Sur la question particulière des jeunes, en particulier l’enjeu que constitue la sécurisation du droit au séjour des mineurs non accompagnés (MNA) et l’action menée par le ministère de l’intérieur dans ce domaine – qui concourt à cette finalité –, le dispositif normatif actuel prévoit plusieurs voies d’admission au séjour pour les MNA devenus majeurs.
Il y a, d’abord, la voie de plein droit pour les mineurs isolés pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, au plus tard à l’âge de 16 ans. Cette voie a fait ses preuves.
Il y a, ensuite, une voie d’admission exceptionnelle au séjour pour ceux qui sont pris en charge entre 16 et 18 ans, et qui justifient d’au moins six mois de formation professionnelle sous certaines conditions. C’est exactement la situation que vous avez décrite, monsieur le sénateur.
La circulaire du 28 novembre 2012, dite circulaire Valls, sur l’admission exceptionnelle au séjour permet par ailleurs de traiter certaines situations particulières n’entrant pas dans ce cadre, notamment le cas des mineurs isolés qui poursuivent des études avec assiduité et sérieux.
Une autre circulaire du 21 septembre 2020 prévoit un examen anticipé du droit au séjour, justement pour éviter les ruptures brutales de droit pour les mineurs isolés placés à l’aide sociale à l’enfance au moment de leur majorité.
Toutefois, lors de l’examen du droit au séjour, des difficultés se concentrent parfois sur l’authentification de l’identité et de la nationalité. En 2019, les services de la police aux frontières ont ainsi détecté 1 139 documents présumés faux dans ce cadre. (M. François Patriat applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. Henri Leroy. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Henri Leroy. En 2018, la loi Asile et immigration était présentée devant notre hémicycle comme une loi de fermeté. Trois ans après, mes chers collègues, le bilan que nous pouvons en faire est accablant.
Madame la ministre, je tiens à partager avec vous trois constats, montrant à quel point la situation est grave.
D’abord, vous avez délivré plus de 275 000 titres de séjour en 2019. C’est 20 % de plus en trois ans.
Je rappellerai que vous avez même étendu la réunification familiale aux frères et sœurs des réfugiés mineurs.
Par ailleurs, 31 188 admissions exceptionnelles au séjour ont été enregistrées en 2019, soit 63 % de plus que sous le mandat de Nicolas Sarkozy.
Enfin, sur les trois dernières années, près de 10 % à peine des obligations de quitter le territoire français prononcées ont été appliquées.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, la loi Asile et immigration est passée à côté de ses promesses. Non seulement la situation ne s’est pas améliorée, mais elle s’est fortement détériorée.
Mon collègue Sébastien Meurant propose depuis de longs mois la création d’une mission d’information sur le coût de l’immigration. Ma question est simple, madame la ministre : à combien estimez-vous le coût global réel de l’immigration pour la France ? Allez-vous enfin lever ce tabou ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Guy Benarroche s’exclame.)
Mme Valérie Boyer. Bravo !
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. En matière de politique d’immigration et d’intégration, le budget de l’État fait l’objet chaque année d’un document de politique transversale, qui est adossé au projet de loi de finances. Ce sont dix-neuf programmes, répartis au sein de treize missions du budget général de l’État, qui participent à cette politique, pour un montant global d’environ 6,6 milliards d’euros pour l’année 2021.
Cette somme englobe, à la fois, des dépenses engagées directement au titre de la politique publique d’immigration, d’asile et d’intégration des primo-arrivants, les coûts engagés par les forces de sécurité pour lutter contre l’immigration irrégulière, mais aussi les dépenses supportées par les ministères de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche ou des solidarités et de la santé, par exemple au titre de l’aide médicale d’État (AME) – c’est bien normal !
Une approche plus globale suppose de mettre en rapport les coûts et les contributions de l’immigration pour les finances publiques. La dernière étude de l’OCDE, publiée au mois de novembre 2021, indique qu’en moyenne, dans les vingt-cinq pays pour lesquels des données sont disponibles, la contribution des personnes immigrées au cours de la période allant de 2006 à 2018, notamment sous la forme d’impôts ou de cotisations, a été bien supérieure aux dépenses publiques consacrées à leur protection sociale, leur santé ou leur éducation.
M. Stéphane Ravier. On peut en faire venir 10 millions de plus, alors !
Mme le président. La parole est à M. Henri Leroy, pour la réplique.
M. Henri Leroy. Madame la ministre, à quatre mois de la fin de ce quinquennat, il n’y a plus rien à attendre de votre gouvernement. Ce que vous n’avez pas fait en cinq ans, vous ne le ferez jamais, car vous êtes complaisants et laxistes vis-à-vis d’une immigration que vous voyez, à tort, comme une chance pour la France.
Sachez, madame la ministre, que l’immigration illégale et incontrôlée est vécue comme un fardeau de plus en plus pesant par nombre de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Belrhiti. La réalité des chiffres de l’immigration est sujette à de nombreux fantasmes, et pour cause : il semble très difficile au Gouvernement de communiquer des statistiques fiables à la population.
Je tiens donc à vous interroger, madame la ministre, sur le chiffrage du nombre d’immigrés en situation irrégulière en France.
Si le caractère irrégulier du séjour de ces personnes rend complexe l’établissement d’une estimation précise, l’État dispose pourtant d’indices pour y parvenir : recoupement des fichiers des titres de séjour, de l’aide médicale d’État ou de la caisse d’allocations familiales.
Pourtant, tout se passe comme si personne ne voulait savoir, de peur que cette réalité ne soit gênante pour les pouvoirs publics.
Mme Valérie Boyer. Bravo !
Mme Catherine Belrhiti. En 2018, le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur l’évaluation de l’action de l’État dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis mettait en exergue l’impossibilité pour les administrations d’estimer correctement le nombre d’habitants dans ce département. Celui-ci pourrait ainsi compter 150 000 à 400 000 étrangers en situation irrégulière, en plus des 1,6 million d’habitants officiels.
Dans son livre publié en 2020, Patrick Stefanini, ancien secrétaire général du ministère de l’immigration, estimait à 900 000 le nombre d’étrangers qui séjournaient illégalement sur le territoire.
Malgré l’aveuglement de certains démographes sur cette question, ce chiffre est objectivement inquiétant : la France accueille de plus en plus de ressortissants étrangers en dehors de tout canal officiel, alors que nos capacités d’accueil sont de plus en plus saturées et que nos dépenses sociales explosent.
Madame la ministre, le Gouvernement doit disposer de données fiables pour bien gouverner et maîtriser l’immigration. Que les Français y aient accès est aussi une exigence démocratique.
Pouvez-vous nous dire si l’État a fait des progrès dans ce domaine et, surtout, quelle est l’ampleur réelle de l’immigration irrégulière ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Il n’existe pas actuellement d’outil fiable de comptabilisation des personnes se maintenant indûment sur le territoire sans droit au séjour.
Le nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’État permet une première approche, puisque ce dispositif offre à certains étrangers en situation irrégulière un accès aux soins sous condition de résidence stable, c’est-à-dire avec trois mois de résidence ininterrompue en France. Au 30 septembre 2020, d’après les derniers chiffres dont nous disposons, il y aurait environ 368 890 personnes bénéficiaires de l’AME.
À compter de 2022, la mise en place du système européen d’entrée et de sortie devrait permettre d’enregistrer des données relatives aux entrées et aux sorties des ressortissants de pays tiers qui franchissent les frontières extérieures à l’Union européenne. En l’état, l’activité d’interpellations aux frontières nous donne seulement une indication de la pression migratoire à nos frontières.
Mme le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.
Mme Catherine Belrhiti. Madame la ministre, nous comprenons de votre réponse que, sur ce point précis, l’État est toujours dans le flou.
Lors d’une séance de question d’actualité au Gouvernement en date du 6 octobre dernier, je vous suggérais la mise en place d’un système européen de hot spots, afin de gérer les demandes d’asile directement dans les pays de départ. Ce système permettrait justement de limiter le nombre d’illégaux et de mesurer plus précisément la réalité de l’immigration. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Édouard Courtial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Édouard Courtial. L’article 51 de la loi du 10 septembre 2018 permet la création d’un fichier national biométrique des personnes se déclarant mineurs étrangers isolés ou non accompagnés. Cette disposition, introduite par le Sénat, était très attendue, notamment par les conseils départementaux, qui assurent la prise en charge de ces publics, tant les fraudes et les difficultés sont nombreuses.
En tant qu’ancien président du conseil départemental de l’Oise, avec, à mes côtés, Jérôme Bascher comme vice-président, j’ai pu prendre toute la mesure de ces difficultés et de la responsabilité qui en découle, notamment lorsque l’on se retrouve avec un mineur de l’Oise à accueillir et que toutes les places d’accueil sont prises.
Or, trois ans plus tard, force est de constater que les problèmes demeurent, voire s’aggravent. Je n’ai d’ailleurs pas manqué d’interroger le Gouvernement à plusieurs reprises à ce sujet, en particulier après des actes de violences répétées commises par ces personnes autour des gares de mon département. Voilà quelques jours, une bagarre au couteau a éclaté entre deux MNA devant le foyer qui les hébergeait à Beauvais.
Je rappelle que la politique migratoire relève de l’État, et non des collectivités territoriales. Pourtant, celles-ci continuent d’en assumer les conséquences, y compris financières, avec un impact lourd sur leur budget.
Des ajustements législatifs inscrits dans le projet de loi relatif à la protection des enfants sont en cours d’adoption, prévoyant notamment une répartition plus juste des mineurs non accompagnés sur le territoire et la généralisation du recours au fichier national d’appui à l’évaluation de la minorité.
Nous pouvons regretter le temps perdu, mais aussi l’impossibilité d’aller plus loin. Nous aurions pu, par exemple, renverser la présomption de majorité ou encore interdire le regroupement familial d’un MNA pour ne pas créer un appel d’air. Ce sont autant de propositions que j’ai regroupées dans un texte déposé sur le bureau du Sénat. Je vous invite, une nouvelle fois, à vous en saisir, sans ignorer les objections juridiques qu’elles soulèvent.
Madame la ministre, allez-vous faire de la gestion des MNA une priorité au sein de votre politique migratoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Le traitement biométrique dénommé « appui à l’évaluation de la minorité » (AEM) a été mis en place à la fois pour mieux garantir la protection de l’enfance et pour lutter contre l’entrée et le séjour irrégulier d’étrangers en France, dans un contexte d’augmentation du nombre de mineurs non accompagnés.
Ce fichier national permettra non seulement de lutter contre le nomadisme entre départements, mais aussi d’éviter les détournements du dispositif de protection de l’enfance par des majeurs.
Au 1er septembre 2021, quatre-vingt-trois collectivités, quatre-vingt-deux départements et la métropole de Lyon ont signé une convention avec le préfet territorialement compétent pour l’utilisation de ce fichier, ce qui a permis d’introduire plus de 20 000 dossiers dans cet outil.
Treize départements ont décidé de ne pas recourir à ce traitement malgré la création d’un mécanisme d’incitation financière opérationnel depuis le 1er janvier 2021. Or la pleine efficacité du dispositif est conditionnée à sa mise en œuvre sur l’ensemble du territoire métropolitain.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a proposé de rendre obligatoire l’utilisation du fichier AEM sur tout le territoire, disposition insérée dans le projet de loi relatif à la protection des enfants, adopté au Sénat le 15 décembre dernier.