Mme le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mmes Brigitte Devésa et Christine Bonfanti-Dossat applaudissent également.)
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues : « Je caresse le doux rêve que d’autres enfants placés, comme moi, siègent un jour dans cet hémicycle. »
C’est avec cette phrase choc, reçue dans une Assemblée nationale debout, que notre collègue députée de la Nièvre Perrine Goulet s’est livrée avec courage, au cours d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement en novembre 2018. C’est une chance, pour eux comme pour nous, que quelques personnes résilientes, hélas trop rares, puissent porter au plus haut niveau de l’État la voix de ces jeunes êtres en souffrance.
En effet, 40 % des SDF de moins de 25 ans sont d’anciens enfants placés. Parmi ces derniers, 70 % sortent de l’ASE sans diplôme.
Ce constat humain est glaçant. À cet égard, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est bienvenu, même s’il aurait pu être plus ambitieux. Il risque de nous laisser, une fois de plus, dans une forme de frustration.
Il s’agit de travailler à la protection de l’enfance au sens large, de permettre aux enfants de connaître leurs droits, de leur donner de véritables moyens de se défendre, de leur offrir une chance partout sur le territoire national, quel que soit leur parcours.
Actuellement, la première inégalité est sans doute là : situations totalement hétérogènes, politiques et moyens disparates selon les territoires. Je crains que ce texte n’apporte aucune d’avancée en la matière.
Il faut ensuite donner aux enfants la possibilité de construire une relation affective structurante, que ce soit grâce aux tiers dignes de confiance, qui devraient pouvoir prendre toute leur place lorsque les parents sont défaillants, grâce à un dispositif de parrainage ou bien grâce aux frères et sœurs, si on veille impérativement à ne pas séparer les fratries. Votre texte ouvre, sur ces points, des possibilités très intéressantes.
Cependant, est-ce suffisant ? Une responsable associative me livrait cette métaphore : « une plante que l’on dépote et rempote sans arrêt ne peut pas s’enraciner. »
Il faut impérativement permettre aux enfants de l’ASE de prendre des racines affectives dans des foyers ou auprès d’adultes leur permettant de se construire. Nous connaissons encore tous des exemples d’enfants confiés à des tiers aimants, que l’administration décide de déplacer, dans d’épouvantables déchirements, afin, semble-t-il, d’éviter – on ne sait pourquoi ! – un attachement réciproque.
Face à ces situations, il faut veiller à renforcer la formation, tracer une ligne politique claire, permettre les recours, ouvrir aux fonctionnaires la possibilité d’être familles d’accueil. Tels sont les axes sur lesquels il faudra encore travailler et aller plus loin.
Il convient de donner à ceux de ces petits qui resteront de longues années en établissement tous les moyens de se protéger. Il faut éviter, peut-être grâce au texte relatif à l’adoption, de les laisser « vieillir » en institution, de les oublier en attendant le jour de leurs 18 ans, qu’ils atteindront avec des carences affectives irréparables.
Le Sénat intégrera des avancées dans ce projet de loi, qui ne doit être qu’une première étape. Hélas, l’espoir n’est pas là, puisqu’on constate que les précédents textes sur le sujet ne sont pas, globalement, opérationnels. Ainsi, les schémas départementaux de prévention et de protection de l’enfance n’ont pas été mis en place partout. Les 300 000 enfants dont l’avenir est en jeu ne doivent pas être broyés du fait de nos errements administratifs.
Notre devoir est d’agir pour prévenir la délinquance. C’est une question de dignité collective. Notre responsabilité en tant qu’adultes et en tant qu’élus est en cause.
La motivation des travailleurs sociaux et des assistants familiaux, inscrite en creux, est également en jeu. N’attendons pas qu’ils aient tous jeté l’éponge !
Aucun enfant ne doit plus jamais être « placé », comme sur une étagère. Chacun d’eux doit être « confié » et protégé à chaque instant, comme vous avez pris soin de le dire, monsieur le secrétaire d’État.
Comme le disait encore Perrine Goulet, « il nous faut lever les tabous qui traînent depuis si longtemps » et « permettre à chacun de ces oubliés de la République d’avoir un avenir ». (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui revêt une importance toute particulière.
Je rappelle que, dans notre pays, plus de 300 000 enfants bénéficient chaque année d’une mesure de protection : le législateur se doit de suivre, d’améliorer et d’actualiser les mesures visant à garantir un cadre de développement efficace et digne à chaque enfant.
Le groupe du RDSE est d’autant plus sensible à cette question que nous avions fait adopter par le Sénat en mai 2020, sur l’initiative de notre ancienne collègue Josiane Costes, une proposition de loi visant à apporter un cadre stable d’épanouissement et de développement aux mineurs vulnérables sur le territoire français.
C’est pourquoi je salue l’initiative de ce texte, qui soulève des enjeux primordiaux et introduit de nouveaux outils pertinents et humains, afin de renforcer l’édifice institutionnel relatif à la protection des enfants.
Ainsi, nous nous réjouissons des nombreux dispositifs prévus par le texte, tels que l’interdiction d’héberger les mineurs dans des hôtels.
Les dispositions relatives à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes majeurs issus de l’aide sociale à l’enfance constituent des avancées notables. Je pense à la création d’un parcours vers l’emploi ou à l’accès à une formation dans le cadre d’une mission locale, assortie d’une allocation de près de 500 euros par mois pour faciliter l’insertion.
Cette stratégie visant à atténuer les sorties sèches de l’aide sociale à l’enfance est positive, dans la mesure où elle permettra à ces enfants de disposer des moyens de se construire une vie stable. Je rappelle que, aujourd’hui, 70 % des jeunes de l’aide sociale à l’enfance n’ont pas de diplôme et qu’une personne sans domicile fixe sur quatre vient de la protection de l’enfance. Nous ne pouvons pas tolérer une telle situation.
La systématisation du contrôle du casier judiciaire de l’ensemble des professionnels intervenant auprès des enfants de l’ASE est une autre avancée significative. Il s’agit de s’assurer qu’aucun enfant n’est en contact avec un intervenant condamné pour infractions sexuelles. Cette mesure résonne particulièrement, puisqu’elle s’inscrit dans un contexte de mise en lumière des abus sexuels dont sont victimes les enfants, à l’occasion de la publication de l’indispensable rapport de Jean-Marc Sauvé.
Toutefois, ce projet de loi comprend des lacunes, sur lesquelles le législateur ne peut faire silence.
Je pense ainsi au suivi psychologique des enfants de l’ASE. La Haute Autorité de santé le rappelait déjà en 2017, ces enfants sont plus sujets aux souffrances, inhibitions et troubles psychiques que la population générale. Les situations complexes, inhérentes aux problématiques de placement, appellent notamment un renforcement des dispositifs de suivi et de soutien psychologique, afin de favoriser la construction et le bien-être des enfants. La politique globale de protection de l’enfance ne peut faire abstraction de cette problématique.
La situation demeure fragile, malgré la création entre 2018 et 2019 de dix postes d’assistants-chefs de clinique en pédopsychiatrie. Nous attendons un renforcement des actions proposées dans la feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie présentée en 2018 par Agnès Buzyn.
Je me pose également la question de l’applicabilité effective de la compétence en matière de protection de l’enfance des départements. Nous devons absolument veiller à leur juste association dans le processus d’exécution, au regard de l’aspect financier. Le Gouvernement a déjà débloqué 600 millions d’euros dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous assurer de la soutenabilité financière, pour les départements, des mesures que nous adoptons ?
Même si ce texte présente quelques failles, le groupe du RDSE le soutiendra, car il apporte des réponses à l’un des enjeux majeurs du XXIe siècle, à savoir la protection de l’intérêt de l’enfant.
Mme le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous entamons l’examen de ce projet de loi dans des conditions particulières.
J’évoquerai son calendrier : alors que le texte a été présenté au printemps, puis examiné au mois de juillet à l’Assemblée nationale, son examen par le Sénat, initialement prévu à la rentrée, a été repoussé en cette fin d’année. C’est tristement révélateur des priorités du Gouvernement, qui n’a pourtant pas été avare ni de déclarations ni de bonnes intentions.
Vous avez d’emblée corrigé votre projet de loi, monsieur le secrétaire d’État, pour interdire l’hébergement des mineurs à l’hôtel. Sur ce point, les socialistes proposeront une rédaction bien plus limpide – « aucun mineur à l’hôtel ou dans des gîtes » – et une application au plus vite de cette interdiction, d’ici à six mois.
J’en reviens aux circonstances de l’examen de ce texte. Nous étudions depuis juin un entrelacs de textes qui font doublons : sur le recours au fichage des mineurs non accompagnés, que mon groupe a déjà rejeté dans le texte 3DS ; sur les missions du Cnaop, le Conseil national d’accès aux origines personnelles, cadrées par la proposition de loi présentée par Mme Monique Limon visant à réformer l’adoption, et revues aussitôt. Qui s’y retrouve dans ce ping-pong législatif ?
Ce report aura toutefois eu le mérite de permettre l’inscription dans le texte de dispositions, essentielles à mes yeux, destinées à protéger les mineurs livrés à la prostitution, dans le droit fil des conclusions du groupe de travail mené par la magistrate Catherine Melet-Champrenault.
Sur la méthode, enfin, nous sommes un peu surpris par le dépôt d’un amendement du Gouvernement visant à développer les CPOM, les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, avec les établissements de l’ASE. Si l’objectif est à saluer, une concertation n’aurait pas nui.
Quels sont les enjeux d’un nouveau texte sur la protection de l’enfance ? In fine, c’est la seule question qui vaille. Avec ce texte, sommes-nous en mesure de mieux protéger les enfants ? Nous donnons-nous réellement les moyens d’améliorer leur prise en charge ?
Conséquence du report de l’examen du texte, nous l’examinons à l’issue des textes budgétaires, le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le Gouvernement a-t-il fait le choix de doter la politique de l’ASE de moyens humains et financiers à la hauteur ? La réponse est non ! Les traitements des personnels des établissements de la protection de l’enfance ne sont pas revalorisés ; ils demeurent écartés du Ségur. D’autres choix étaient possibles, cela a été fait dans le PLFSS pour le secteur du handicap, y compris dans les structures financées par les départements. Rien pour l’ASE ! Votre bilan, c’est une absence de revalorisation pour 90 000 professionnels.
Les mesures envisagées pour les assistants familiaux permettront-elles de reconnaître pleinement leur métier et d’enrayer sa perte d’attractivité ? Nous voulions amender le texte afin de prévoir de meilleures rémunérations et des contrats plus favorables, mais cela a été impossible, car de telles dispositions auraient pour conséquence l’aggravation d’une charge publique.
Une question demeure essentielle : était-il pertinent de remettre l’ouvrage sur le métier en matière législative ? Nous en sommes à la troisième réforme de la protection de l’enfance depuis quatorze ans. L’État gagnerait à intensifier l’application, l’évaluation et la mise en œuvre des lois votées, ma collègue Laurence Rossignol reviendra sur ce point.
Ce projet de loi tire son origine de la volonté de modifier la gouvernance du secteur, vieux mantra de la DGCS (direction générale de la cohésion sociale), afin de fusionner les missions de l’AFA (Agence française de l’adoption), du groupement d’intérêt public Enfance en Danger, du CNPE (Conseil national de la protection de l’enfance) et du Cnaop (Conseil national d’accès aux origines personnelles).
Ce très grand, trop grand peut-être, organe de pilotage de la protection de l’enfance rendra-t-il sa gouvernance moins complexe ? Cette complexité expliquerait, selon la Cour des comptes, les dysfonctionnements de cette politique. Le texte de la commission en rajoute. Mon groupe proposera en conséquence de supprimer la cotutelle du préfet et du président de département, introduite par M. le rapporteur. Renforçons plutôt l’approche partenariale au sein des observatoires départementaux de la protection de l’enfance.
Au fil de l’examen, nous présenterons notre vision de la protection de l’enfance : des établissements et services qui placent le bien-être et la santé globale des enfants protégés au cœur de leur projet et excluent, à l’instar des familles, tout recours aux violences éducatives ordinaires, et des services judiciaires qui prêtent attention à l’expression de tous les enfants.
En outre, nous pointerons les insuffisances de ce texte, que le Gouvernement devrait combler par des plans ambitieux, en faveur, d’une part, de la formation des professionnels, d’autre part, du développement de la recherche en sciences sociales.
Pour terminer, permettez-moi de saluer la mémoire d’Emmanuelle Ajon, décédée voilà un an jour pour jour. Vice-présidente du conseil départemental de la Gironde, elle portait, comme tous les vice-présidents et vice-présidentes des conseils départementaux, l’ambition de la politique de la protection de l’enfance. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si la commission des affaires sociales a adopté le projet de loi qui nous est présenté, elle l’a fait après l’avoir modifié par 54 amendements !
Dans notre hémicycle, nombreux sont ceux qui, comme moi, ont siégé au sein de leur conseil départemental. Nous le savons, en matière de protection de l’enfance, les inégalités territoriales sont criantes.
Ces inégalités sont d’autant plus inacceptables qu’elles concernent des enfants en réelles difficultés. Les gouvernements ne peuvent plus se satisfaire de belles annonces, qui, une fois les caméras éteintes, ne se traduisent pas concrètement sur le terrain.
La politique publique de protection des enfants, si elle est au cœur de nos valeurs républicaines, a un coût. Parce que ce coût est élevé, nous devons nous assurer de l’efficience de cette politique. Nous le constatons, ses acteurs sont insuffisamment coordonnés. Nous ne pouvons accepter de telles déperditions d’énergie et de moyens.
Notre commission a ainsi souhaité apporter des solutions utiles, sans ajouter de la complexité à la complexité.
Je tiens à remercier mon collègue Bernard Bonne d’avoir intégré dans le projet de loi certaines des propositions formulées dans le rapport d’information sur les mineurs non accompagnés que j’ai rédigé avec mes collègues Hussein Bourgi, Xavier Iacovelli et Henri Leroy.
Ma collègue Corinne Imbert ayant présenté nos apports dans ce texte, je m’attarderai surtout sur ceux qui concernent les mineurs non accompagnés.
Si le texte initial étendait les possibilités d’accompagnement en consacrant le parrainage par des personnes bénévoles, notre commission a souhaité favoriser spécifiquement ce dispositif pour les MNA, afin de faciliter leur intégration.
Nous avons également complété l’article 3 ter afin que le jeune mineur isolé soit informé, à quelques mois de sa majorité, de l’accompagnement par l’ASE dont il peut bénéficier pour effectuer ses démarches en vue d’obtenir ou non un titre de séjour ou le statut de réfugié. Il s’agit en effet d’établir rapidement sa situation, afin qu’il puisse, dans le meilleur des cas, entreprendre les démarches auxquelles il peut prétendre.
Enfin, rappelons-le, aujourd’hui, l’accueil de mineurs à l’hôtel ne fait l’objet d’aucun encadrement. Aucun ! L’article 3 de ce projet de loi limite strictement l’accueil dans les hôtels et dans les structures jeunesse et sport aux situations d’urgence, pour deux mois maximum et avec un suivi éducatif. Précisons-le tout de suite, afin que les départements puissent se préparer à cette évolution dans de bonnes conditions, la commission a rendu cette interdiction applicable au bout de deux ans.
Pourquoi avons-nous donné plus de temps aux départements ? Parce qu’ils manquent cruellement de moyens, monsieur le secrétaire d’État, alors même que l’arrivée en France de ce jeune public relève non pas de leurs compétences, mais bien de la politique migratoire nationale.
Comme nous le préconisions dans notre rapport, il conviendrait de transférer à l’État l’exercice et le financement de la compétence de mise à l’abri, mais aussi l’évaluation de la minorité des personnes se déclarant mineures.
L’article 14 prévoit, quant à lui, d’intégrer, dans la clef de répartition des MNA, le nombre de ces jeunes pris en charge par les départements après leurs 18 ans par un contrat jeune majeur, mais pas seulement. La clef de répartition intégrerait aussi les situations socioéconomiques des départements, ce qui donnerait une bouffée d’air aux plus modestes d’entre eux.
L’article 14 bis interdit enfin le réexamen de la minorité et de l’isolement des jeunes reconnus comme MNA et orientés dans un département dans le cadre de la péréquation. La commission a d’ailleurs prévu que cette interdiction concernerait également les jeunes confiés directement par le juge des enfants aux départements.
Autre sujet d’importance, l’obligation de transmission mensuelle, par le président du conseil départemental, au préfet des informations portant sur la situation des MNA évalués, ainsi que la généralisation du recours au fichier national d’appui à l’évaluation de la minorité.
La commission a approuvé ces obligations, qui permettront d’assurer une péréquation plus juste, en plus de mettre fin au nomadisme administratif, lequel entraîne un grand nombre de doublons.
Pour conclure sur le travail mené par la commission, nous avons tenu à préciser que les MNA confiés à des tiers dignes de confiance bénéficient du même régime d’obtention d’un titre de séjour que ceux qui sont confiés à l’ASE. Ainsi devraient être levées certaines réticences relatives à l’accueil de ces jeunes chez les personnes ayant pu les recueillir.
Après avoir abordé ces points évoqués dans notre rapport, je soulignerai à mon tour le déficit d’attractivité du métier d’assistant familial. Nous pouvons imaginer un ensemble de démarches afin de venir en aide à ces enfants, mais sans ces assistants familiaux, elles ne seront que des coquilles vides. Ce sont des personnes dévouées, qui exercent un métier loin d’être comme les autres. Elles méritent plus de reconnaissance, car c’est sur elles que repose votre politique, monsieur le secrétaire d’État.
Vous l’aurez compris, le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Brigitte Devésa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’en venir au fond, je tiens à saluer et à remercier notre collègue Bernard Bonne de la qualité de son rapport, qui éclaire nos travaux.
« Quand il s’agit des enfants, la loi ne doit plus être la loi ; elle doit être la mère », disait Victor Hugo, notre illustre prédécesseur. L’intérêt supérieur de l’enfant est la boussole républicaine que le droit pérenne et la loi passagère tentent de suivre. Telle est la règle : qu’il soit un enfant placé, un enfant non accompagné, un enfant isolé ou en danger, un enfant est avant tout un enfant tout court.
Ce projet de loi a le mérite de revenir sur les situations difficiles que vivent les mineurs français et étrangers sur notre sol. Il étend les droits des mineurs et permet de mieux les orienter au sein des dispositifs d’accompagnement de l’aide à l’enfance. Il favorise aussi une meilleure uniformisation de la gouvernance nationale au service des enfants et rappelle l’intérêt du recours au tiers digne de confiance.
Toutefois, ce projet de loi aurait pu être plus ambitieux. Il aurait pu mettre en œuvre les leviers juridiques nécessaires à une protection de l’enfance en général, fondée sur une vision plus intelligente et plus concrète de ce que devrait être la protection des mineurs au XXIe siècle.
À la lecture de ce texte, on s’aperçoit tantôt que, si les objectifs sont là, les moyens n’y sont pas, tantôt, l’inverse ! Et je ne parlerai pas des objectifs qui ne pourront pas être atteints, faute de moyens. Je pense par exemple au tiers digne de confiance.
Comment faire en sorte que le tiers digne de confiance constitue un premier choix pour la magistrature ? Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, la magistrature a une vision nucléariste de la famille : elle néglige systématiquement les grands-parents, les oncles, les tantes, les cousins, les frères et les sœurs. Cette vision de la famille et du lien familial arrange, car elle est peu coûteuse. Elle évite d’avoir à demander des moyens, à effectuer des enquêtes et à mettre en œuvre un suivi particulier.
Malgré leur bonne volonté, les juges des enfants manquent de temps. Un dossier fait en moyenne l’objet de quatre heures trente d’étude, le rapport des services sociaux étant parfois remis au juge le jour même !
L’objectif de l’instauration du tiers de confiance est en priorité de faire évoluer la procédure. Un tel objectif aurait pu constituer un axe prioritaire de ce projet de loi. Une simple réforme procédurale, associée à des engagements en termes de moyens pour la justice, permettrait de rétablir les déséquilibres et d’orienter davantage les placements vers les tiers dignes de confiance.
En ce qui concerne les mineurs non accompagnés, nous sommes tous d’accord : idéalement, le secteur hôtelier n’aurait pas dû être mobilisé pour les accueillir. Toutefois, force est de le constater, les départements, qui ne sont pas toujours à égalité, ont dû gérer l’urgence, tout en essayant de trouver une solution de sortie de ce dispositif. Je me réjouis que l’État trouve une voie de sortie en accord avec les départements.
Chaque mineur non accompagné doit pouvoir trouver une solution, adaptée à son âge et conforme à l’objectif de regroupement des fratries.
Je conclurai, monsieur le secrétaire d’État, en saluant le travail quotidien des familles d’accueil, des services sociaux à l’enfance, des éducateurs, des animateurs et de tous ceux qui œuvrent au bien-être de l’enfant.
Le gouvernement auquel vous appartenez aura eu le mérite d’apporter une pierre à l’édifice. C’est pourquoi le groupe Union Centriste, que je représente ce soir, votera ce projet de loi, tel qu’il a été modifié sur l’initiative de notre commission. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, s’il est indispensable de poursuivre notre travail sur les dysfonctionnements de la protection de l’enfance, si c’est une bonne chose que la protection de l’enfance ne soit plus une politique publique invisible, comme cela a trop longtemps été le cas, il faut rappeler en cet instant que cette politique sauve des dizaines de milliers d’enfants. Disons-le clairement, elle en sauve bien plus qu’elle n’en fait couler, ce qui n’amoindrit en rien la nécessité de les sauver tous. La protection de l’enfance, telle qu’elle fonctionne en France, est tout de même une fierté.
J’évoquerai rapidement trois sujets. Monsieur le secrétaire d’État, je me réjouis que vous nous présentiez un projet de loi. Un texte par législature sur la protection de l’enfance – et encore pas toujours ! –, cela me paraît être un bon rythme, mais on pourrait mieux faire. Cela étant, je suis frustrée par l’absence d’évaluation de ces lois.
Pour modifier les lois de 2007 et de 2016, il nous faut des évaluations. Qu’en est-il du pécule, combien d’argent dort dans les caisses de la Caisse des dépôts et consignations ? Qu’en est-il du projet pour l’enfant, de la pluridisciplinarité qui devait devenir la règle, du tiers de confiance ? Nous manquons cruellement d’évaluations, d’abord parce que la justice en fournit peu, disons-le clairement, ensuite parce que l’État est dans la situation de devoir collecter des informations que détiennent les départements.
Vous avez évoqué, monsieur le secrétaire d’État, l’office singulier du juge. À la veille d’une journée de mobilisation, je vous dirai que ce dernier est avant tout épuisé, débordé et démoralisé, qu’il s’agisse du juge des enfants ou du juge aux affaires familiales, qui sont les deux juges importants en matière de protection de l’enfance.
Nombre de mes collègues ont évoqué le manque de moyens. Manquer de moyens signifie pour les juges et les éducateurs ne pas avoir assez de temps à consacrer aux enfants, au travail pluridisciplinaire, individuel et collectif sur chaque dossier.
Enfin, je dirai un mot sur l’application de l’article 45 de la Constitution. Il n’est pas possible, mes chers collègues, que des dizaines d’amendements soient évincés, au motif qu’ils sont sans rapport avec l’aide sociale à l’enfance. Pourtant, le texte qui nous est soumis porte non pas sur l’aide sociale à l’enfance, mais sur la protection de l’enfance.
Plusieurs amendements ont été rejetés au titre de l’article 45 de la Constitution, alors qu’ils avaient toute leur place ici. Comme je le disais en préambule, alors qu’on n’examine qu’un seul texte sur la protection de l’enfance par législature – et encore pas toujours ! –, la moindre des choses aurait été d’examiner tous les amendements qui ont été déposés. Une telle application, de plus en plus fréquente, de l’article 45 me paraît très discutable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. - M. Xavier Iacovelli applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie pour vos propos. Nous aurons l’occasion de revenir sur les différents points qui ont été soulevés au cours de l’examen des amendements. Toutefois, je souhaite répondre globalement sur certains aspects.
La question du financement a été évoquée par un certain nombre d’entre vous. Je vous apporterai des éléments de réponse au gré des différents dispositifs dont nous débattrons.
M. Jean-Claude Requier l’a souligné, en contractualisant avec les départements, l’État a investi ces trois dernières années 600 millions d’euros dans la protection de l’enfance, dont 100 millions d’euros, je le disais dans mon propos liminaire, en faveur des centres de PMI. Pour l’heure, soixante-dix départements ont contractualisé et les trente derniers l’auront fait, comme prévu, d’ici à la fin de la mandature.
Dans son rapport, la députée Michèle Peyron estime que les départements ont réduit de 100 millions d’euros leurs investissements dans les centres de PMI au cours des dix dernières années. En trois ans, je me permets d’attirer votre attention sur ce point, l’État a rattrapé ce désinvestissement. Je l’ai toujours dit, l’État doit être au rendez-vous de ses responsabilités.
Depuis la rentrée 2020, l’État permet aux enfants sortant de l’aide sociale à l’enfance et poursuivant des études supérieures, lesquels sont trop peu nombreux – ils représentent 6 % des enfants de l’ASE – d’accéder à l’échelon 7 des bourses, en y consacrant 14 millions d’euros. C’est normal, nous exerçons simplement nos compétences et nous assumons nos responsabilités.
Nous les assumons également lorsque nous ouvrons de façon automatique, systématique, l’accès à la garantie jeunes – qui deviendra, demain, le contrat d’engagement jeune – aux 25 000 enfants qui atteignent leur majorité chaque année et sortent de ce fait de l’aide sociale à l’enfance.
Si la moitié d’entre eux avait accès à ce contrat, l’État y consacrerait 140 millions d’euros sur deux ans. Une fois encore, ce faisant, il prendrait simplement ses responsabilités et exercerait ses compétences propres.
J’en viens à un deuxième sujet que vous avez été nombreux à évoquer : la pédopsychiatrie. Je ne suis pas sûr que ce soit par la loi que l’on améliorera la situation de la pédopsychiatrie, qui est à l’abandon dans notre pays depuis vingt ou trente ans.
À cet égard, depuis la présentation en 2018 par Agnès Buzyn de la feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie, le Gouvernement a fait de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie une priorité de son action. Cela s’est traduit depuis trois ans par la création de dix postes d’assistants-chefs de clinique en pédopsychiatrie par an, ainsi que par la mobilisation de 30 millions d’euros par an, via deux fonds régionaux de 15 millions d’euros chacun, afin de financer des projets locaux de création d’équipes mobiles en pédopsychiatrie ou de places en hôpital de jour.
En outre, dans le cadre du Ségur de la santé, 160 postes de psychologues cliniciens ont été créés dans les centres médico-psychologiques (CMP). En effet, je n’ai pas fait un seul déplacement depuis trois ans dans les territoires sans que l’on me parle de pédopsychiatrie et du délai d’attente pour accéder aux CMP, qui est d’un à deux ans.
En outre, 600 postes supplémentaires ont été créés à l’issue des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie pour les centres médico-psychologiques de psychiatrie infanto-juvénile (CMP-IJ).
Ne me dites donc pas que nous ne faisons rien pour la pédopsychiatrie, car ce n’est pas vrai ! Il s’agit d’un problème compliqué ; des mesures d’urgence sont prises. Cela étant, je vous rejoins lorsque vous soulignez que les mesures structurelles prendront cinq, six, ou sept ans à produire leurs effets, car c’est le temps nécessaire pour former des pédopsychiatres.
Par ailleurs, vous le savez, nous avons intégré les consultations de psychologues et de psychologues cliniciens dans les parcours de soins et de santé de tous les enfants – pas seulement de ceux qui relèvent de l’aide sociale à l’enfance – en instaurant un forfait de dix consultations remboursées. La question de la santé mentale des enfants était en effet déjà un sujet de préoccupation avant la crise sanitaire et l’est encore davantage depuis lors.
Par ailleurs, comme l’a souligné le sénateur Requier, il est effectivement inadmissible que la santé des enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance soit moins bonne que celle des autres enfants de leur âge – en entrée de parcours, mais aussi en sortie de parcours, si vous me permettez cette expression.
Ces enfants ne sont pas sous les radars, ils sont là, sous nos yeux, nous en avons la responsabilité !
Le Sénat a voté, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, confortée par un décret pris en 2021, une tarification complexe des consultations des enfants relevant de l’aide sociale à l’enfance. Il s’agissait de faire en sorte que les médecins libéraux participent davantage aux parcours de soins de ces enfants. Cette mesure contribue à améliorer leur prise en charge, comme l’a relevé, entre autres, le sénateur Requier.
J’en termine avec les questions de financement. J’y reviendrai au cours de nos débats, notamment à l’occasion de nos discussions sur l’interdiction du placement des enfants à l’hôtel, sur la sortie de l’aide sociale à l’enfance et sur l’accompagnement vers l’autonomie.
À la demande du sénateur Bonne, le Gouvernement prendra un certain nombre de premiers engagements financiers à cet égard, qu’il vous proposera d’affiner au cours des semaines et des mois à venir. J’aurai l’occasion d’y revenir.
Monsieur le sénateur Iacovelli, merci d’avoir fait le lien entre prévention et protection, qui sont effectivement indissociables. De ce point de vue, nous essayons de mener une politique cohérente et globale. Comme j’ai coutume de le dire de façon totalement théorique, si nous arrivions à déceler précocement et à accompagner intensément les difficultés, nous n’en arriverions peut-être pas à devoir prendre des mesures radicales et à confier des enfants à l’aide sociale à l’enfance. Dans un monde idéal, où la prévention aurait la place qu’elle devrait occuper, la protection de l’enfance n’existerait peut-être pas. Cette affirmation est purement théorique, mais elle illustre l’approche qui est la vôtre et que je partage.
Merci également d’avoir souligné, comme beaucoup d’entre vous, l’engagement et le rôle majeurs des travailleurs sociaux.
Madame la sénatrice Mélot, ce texte ne comprend effectivement pas toutes les mesures que vous avez évoquées. Veuillez m’en excuser !
Madame Meunier, je commence à voir de la cohérence dans notre politique, mais je la voyais déjà il y a trois ans. Par ailleurs, je ne maîtrise pas seul l’agenda parlementaire ; vous en maîtrisez une partie !