M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a ce précieux mérite de poser une bonne question. Quid de nos concessions hydroélectriques ?
La France est le premier producteur hydroélectrique de l’Union européenne. Sur le continent européen, elle est seulement devancée par la Norvège. Le sujet est donc tout sauf accessoire, d’autant que cette énergie nous fascine, en particulier au Sénat. Je le rappelle, c’est le deuxième texte que nous examinons sur le sujet en l’espace de quelques mois. Je fais bien sûr allusion à la proposition de loi de Daniel Gremillet.
Cet attrait peut s’expliquer par le patrimoine parfois monumental de nos barrages. Les centrales hydroélectriques reflètent en effet l’intelligence et la haute maîtrise technique et architecturale de nos ingénieurs. En s’inspirant des influences internationales et en adoptant des matériaux modernes, ceux-ci ont réussi à conjuguer, avec esthétisme, la puissance motrice de nos rivières et la topographie complexe de nos territoires montagneux.
La gigantesque centrale hydroélectrique de Romanche Gavet, en Isère, inaugurée voilà un an quasiment jour pour jour, démontre que notre hydroélectricité a encore un rôle majeur à jouer.
Nous voulons donc préserver et conforter cette richesse, d’autant qu’il s’agit d’une énergie vertueuse pour la planète. Sur ce point, je comprends parfaitement les intentions des auteurs de ce texte.
Pour autant, ce texte peut-il tout résoudre ? Je ne le pense pas, la réalité étant bien plus complexe.
La production hydroélectrique en France est régie par la loi du 16 octobre 1919, selon laquelle « nul ne peut disposer de l’énergie des marées, des lacs et des cours d’eau, quel que soit leur classement, sans une concession ou une autorisation de l’État ».
Le parc hydroélectrique français s’est construit avec ces concessions, avant 1936, d’une part, après 1945, d’autre part. La durée de 75 ans fait qu’une première vague de concessions est arrivée à échéance avant 2015. La seconde vague, la plus importante, démarrera en 2025, dans un processus en perpétuelle reconduction.
Dans le même temps, le renouvellement des concessions est l’objet d’un contentieux avec la Commission européenne, qui a transmis deux lettres de mise en demeure à la France, en 2015 et 2019. En d’autres termes, Bruxelles souhaite que, à chaque renouvellement de concession, tous les opérateurs qui le souhaitent, français et étrangers, puissent concourir.
Pour autant, sans perspective durable, certaines concessions se prolongent. Je citerai la Compagnie nationale du Rhône, qui gère avec beaucoup d’efficacité plusieurs concessions hydroélectriques depuis 1948, tout en assumant d’importantes obligations de service public. Aussi, le mois dernier, la concession de la CNR a été prolongée jusqu’en 2041. Cette prolongation a été approuvée par la Commission européenne.
De fait, dans ce contexte incertain pour nos barrages, que prévoit le texte ? La création d’une quasi-régie pour l’ensemble des installations hydrauliques, une solution simple et radicale, mais contre-productive. Sans concertation avec la Commission européenne ou les acteurs concernés tels que les élus, les gestionnaires ou les salariés, le texte risque d’entraîner de lourds contentieux.
Par ailleurs, le prix à payer d’une telle planification serait lourd de conséquences. Quid de l’indemnisation des concessions non échues ? Quid du reclassement des salariés ? Tout cela a un coût, estimé à plusieurs milliards d’euros. Nous ne pouvons pas nous permettre une telle dépense.
Toutefois, sur le fond, nous considérons tous ici que, au vu de sa rareté, de ses enjeux stratégiques, économiques et climatiques, l’eau ne constitue pas un bien comme les autres. Le projet Hercule prévoyait d’ailleurs de mettre en quasi-régie l’ensemble des concessions détenues par EDF. Ce projet étant désormais caduc, tout reste à écrire.
M. Ronan Dantec. Exactement !
M. Bernard Buis. Reste que cette écriture doit dépasser les murs feutrés de la Haute Assemblée.
Aussi, le service public des énergies renouvelables que vise à créer l’article 2 représente un objectif louable, mais déjà satisfait par le droit existant. La direction générale du climat et l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, dite Agence de la transition écologique) sont pleinement compétentes sur ces sujets.
La concertation doit donc se poursuivre. Le texte présenté permet d’ouvrir le débat. Restons-en au débat pour l’instant !
Notre groupe ne votera donc pas en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Michel Savin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables.
La commission des affaires économiques a rejeté ce texte la semaine dernière, du fait de son mauvais calibrage et du manque de concertation concernant son dépôt. À titre personnel, ainsi qu’au nom de mon groupe, je soutiendrai évidemment cette position au moment du vote.
Je connais l’engagement de mes collègues sur l’avenir de nos concessions hydroélectriques et je tiens à saluer ici la mise en place d’un groupe de travail transpartisan chargé de suivre les réformes engagées par le Gouvernement sur le marché de l’électricité, confié à Daniel Gremillet, Patrick Chauvet et Jean-Claude Tissot.
Je tiens également à saluer les avancées d’ores et déjà permises par l’adoption de la proposition de loi tendant à inscrire l’hydroélectricité au cœur de la transition énergétique et de la relance économique, dont les dispositions ont été largement reprises dans le cadre de la loi Climat et résilience du 22 août 2021.
Le Parlement s’est saisi à plusieurs reprises du sujet qui nous réunit aujourd’hui. Ici même, au Sénat, le 11 décembre 2019, Mme la ministre de la transition écologique et solidaire, lors d’un débat intitulé : « Quelle politique énergétique pour la France ? Quelle place pour EDF ? », a affirmé que le Gouvernement était en train de négocier avec la Commission européenne concernant ce sujet, l’objectif étant de trouver une « voie de sortie », pour éviter la mise en concurrence.
Cette position a été réaffirmée le 12 janvier 2021 sur le risque de blackout énergétique, ainsi que le 13 janvier 2021 sur l’avenir de l’entreprise EDF et le projet Hercule.
De nombreux travaux de commissions, divers groupes ou missions ont également été réalisés.
Il convient aussi de rappeler que, dans un référé datant du 2 septembre 2013, la Cour des comptes a souligné qu’il était impossible d’en rester au statu quo, car la prolongation des concessions au-delà de leur durée n’entraîne pas un renouvellement des redevances. En d’autres termes, l’État perd de l’argent…
Ainsi, la problématique du statut de nos infrastructures hydroélectriques n’est malheureusement pas réglée à ce jour.
Je suis un sénateur alpin, issu d’un territoire dans lequel sont implantées dix centrales hydroélectriques de grande taille, parmi les plus grandes de France. J’entends au quotidien les inquiétudes des acteurs de cette filière de pointe, qui permet de produire de manière propre de l’électricité, mais également de réguler cette production.
Je souhaite rappeler ici que, en 2015, puis en 2019, la Commission européenne a mis en demeure la France pour faire en sorte que les marchés publics dans le secteur de l’énergie hydroélectrique soient attribués et renouvelés dans le respect du droit européen. Ces mises en demeure visaient le renouvellement ou la prolongation de concessions hydroélectriques sans recours à des procédures d’appel d’offres.
Ainsi, le « stock » des contrats échus devrait atteindre, en 2023, le chiffre de 150 concessions sur un total de 400.
Le Gouvernement réfléchissait à une réorganisation du groupe EDF et étudiait plusieurs scénarios pour le renouvellement des concessions, y compris la voie consistant à les renouveler sans mise en concurrence, pour les confier à une structure publique dédiée contrôlée par l’État. Or il semble que le projet Hercule ait été abandonné au printemps.
Aujourd’hui, madame la secrétaire d’État, six problèmes majeurs pourraient être provoqués par la mise en concurrence des concessions.
Il s’agit tout d’abord de l’assurance des conditions de sécurité, face à des acteurs qui arriveraient de manière opportune sur le marché.
Je pense ensuite à l’impossibilité de répondre à tous les besoins des populations, dans un contexte de raréfaction de l’eau due au changement climatique.
Par ailleurs, les acteurs locaux, dans l’agriculture et le tourisme, pourraient rencontrer des difficultés pour continuer à profiter des retenues d’eau.
Le risque concerne également la sécurité des ouvrages hydroélectriques, une possible hausse des prix de l’électricité, ainsi que des difficultés à faire fonctionner correctement le système de distribution d’électricité.
Pour toutes ces raisons, il est urgent que le Gouvernement s’engage dans une démarche transparente visant à résoudre cette problématique. Un changement de régime des installations hydroélectriques serait une solution idoine, à condition que cela se fasse dans un dialogue ouvert et respectueux de tous.
Soyez ambitieuse, madame la secrétaire d’État, et offrons aux concessions hydroélectriques une réponse à la hauteur des enjeux. Il y va de notre transition et de notre souveraineté énergétiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Michau.
M. Jean-Jacques Michau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en préambule, je tiens à remercier Guillaume Gontard et le groupe GEST de nous permettre, à la faveur de l’examen de cette proposition de loi, de débattre de la question de l’hydroélectricité en France.
Élu d’un département comptant une vingtaine de barrages, je suis sensible à l’initiative de nos collègues : les barrages sont essentiels à notre industrie et à nos emplois. Oui, l’avenir des barrages et de leurs centrales de production est un enjeu fondamental pour les territoires.
Source d’énergie de premier plan parmi les plus décarbonées, l’hydroélectricité constitue un levier essentiel de développement économique pour nos territoires ruraux, en particulier en zone de montagne.
Peu émissive, stockable et modulable, l’hydroélectricité n’a jamais été aussi nécessaire face à l’urgence climatique, qui nous oblige à relancer notre économie en accélérant sa décarbonation.
En outre, l’eau n’est pas un produit quelconque : c’est un bien commun. Ce point mérite que l’on s’y attarde.
Les barrages ne sont pas destinés à la seule production d’énergie, nous le savons bien : ils sont des acteurs de la gestion de l’eau sur nos territoires. Le tourisme, la pêche, l’irrigation, l’eau potable, la régulation des débits dépendent directement de leur activité.
Oui, cette proposition de loi est la bienvenue, parce qu’elle nous permet de rouvrir le débat à l’heure où les projets de réforme d’EDF sont au point mort.
Rappelons-le, en effet, la France est engagée dans un véritable bras de fer avec l’Union européenne, qui nous demande la mise en concurrence de nos concessions hydrauliques. Tel est le cadre dans lequel nous débattons aujourd’hui.
Pour autant, ce texte, qui vise à créer une quasi-régie pour les 400 gros barrages actuellement exploités sous concession et à créer un service public des énergies renouvelables, nous paraît peu adapté aux enjeux que nous venons de rappeler.
Tout d’abord, cela pourrait ouvrir une brèche : EDF est le plus gros producteur, représentant plus de 80 % de la production française d’hydroélectricité, contre 14 % pour la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et 3 % pour la Société hydroélectrique du Midi (SHEM). Cela signifierait, à terme, pour EDF, la perte de sa branche hydroélectrique et, pour la SHEM et la CNR, la disparition pure et simple. Nous y sommes fondamentalement opposés.
Par ailleurs, quelle place les collectivités territoriales occuperaient-elles dans ce schéma ? Quel sera le sort réservé aux salariés des concessions supprimées ? Comment résoudre le problème des conséquences financières du rachat des concessions non échues ? Nous n’en savons rien.
Mes chers collègues, nous le constatons aujourd’hui, la question cruciale de l’avenir des barrages de l’Hexagone dépend directement du projet de restructuration d’EDF.
Il y a là, pour les membres du groupe socialiste, l’occasion de réaffirmer notre attachement à un grand service public de l’énergie.
Avec EDF, nous disposons d’un champion national, mais aussi international, grâce à un parc de production d’électricité qui compte parmi les plus décarbonés au monde.
EDF doit rester un grand groupe intégré pour conserver un rôle central en matière d’indépendance énergétique de notre pays, de maîtrise de notre politique énergétique et de transition écologique.
Les crises actuelles nous rappellent combien un service public fort est nécessaire pour affronter les défis sanitaire, économique et climatique. Or l’ouverture à la concurrence n’a pour l’instant ni favorisé le développement par les fournisseurs alternatifs de nouvelles capacités de production ni profité aux consommateurs. Bien au contraire !
Parce que l’énergie est un bien commun, nous nous battrons afin qu’elle reste un service public dont l’unique objectif est, comme il se doit, l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la transition énergétique ne saurait être menée à bien et l’objectif de neutralité carbone en 2050 ne pourra être atteint qu’en développant un mix énergétique équilibré et optimisé économiquement, combinant électricité et gaz renouvelable, notamment le gaz verdi.
L’hydroélectricité est naturellement une énergie importante dans notre mix énergétique.
Elle constitue la deuxième source d’électricité en France, derrière le nucléaire, et la première source d’énergie renouvelable. En 2020, sa production était en hausse de 8,4 % par rapport à l’année précédente, permettant de couvrir 13,5 % de l’électricité consommée sur l’année.
En outre, elle a le mérite, par rapport aux énergies renouvelables intermittentes que sont l’éolien et le solaire, d’être pilotable et flexible. Elle répond au mieux aux pointes de consommation lorsqu’elle est associée à une retenue d’eau créée par un barrage et elle assure une production de base lorsque les centrales sont installées au fil de l’eau. Elle est aussi l’une des sources d’énergie les plus décarbonées.
Son intérêt du point de vue énergétique et climatique est donc certain, surtout à l’heure du changement climatique, où la ressource en eau est rare. On a vu une sécheresse en Chine faire baisser le niveau d’eau des barrages et entraîner un report de la production d’électricité vers le gaz, la tension sur le marché du gaz engendrant elle-même une hausse des prix qui a un impact, sur le territoire national, pour nos ménages et nos entreprises.
Cette proposition de loi comprend deux articles.
L’article 1er prévoit que les installations hydrauliques aujourd’hui placées sous le régime de la concession et dont la puissance excède 4 500 kilowatts seront placées sous un régime de quasi-régie afin d’éviter la mise en concurrence.
L’article 2 inscrit l’objectif d’organiser un service public des énergies renouvelables dans le code de l’énergie.
Le devenir des concessions hydroélectriques est un sujet de préoccupation. Il y va de l’avenir de notre transition et de notre souveraineté énergétiques !
En 2015, puis en 2019, la Commission européenne a mis la France en demeure de faire en sorte que les marchés publics dans le secteur de l’énergie hydroélectrique soient attribués et renouvelés dans le respect du droit européen.
Ces mises en demeure visaient le renouvellement ou la prolongation de concessions hydroélectriques sans recours à des procédures d’appel d’offres. Ainsi le « stock » des contrats échus devrait-il atteindre, en 2023, le chiffre de 150 concessions – sur un total de 400, dont 80 % sont gérées par EDF.
Le Gouvernement réfléchissait à une réorganisation du groupe EDF et étudiait plusieurs scénarios pour le renouvellement des concessions, y compris la voie consistant à les renouveler sans mise en concurrence pour les confier à une structure publique dédiée contrôlée par l’État.
Il semble que le projet Hercule ait été abandonné au printemps dernier. Les enjeux sont structurants pour l’avenir de la souveraineté et de la transition énergétiques du pays.
Cette proposition de loi pose plusieurs difficultés, qui ont déjà été exprimées par M. le rapporteur. Je suivrai donc la position qu’il a émise au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, tout en formulant le vœu qu’en concertation avec les différents acteurs concernés soit trouvée une réponse à la hauteur de l’enjeu : l’hydroélectricité doit être au cœur de la transition écologique et de la relance économique de la France ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’électricité que nous produisons et consommons dans notre pays provient majoritairement de l’énergie nucléaire. Ayant fait le choix responsable de décarboner le secteur de l’énergie, nous ne devons pas négliger pour autant l’impératif de disposer à l’avenir d’un mix énergétique stable assurant en priorité notre souveraineté, ainsi qu’une certaine indépendance.
À cet égard, je pense qu’il faut augmenter la place du nucléaire dans notre bouquet énergétique. Une telle augmentation est d’autant plus nécessaire qu’elle interviendrait dans un contexte où nous fermons nos centrales à charbon, étant précisé que le charbon est en plein essor en Asie, en Afrique, en Australie, et que beaucoup de nos voisins européens continuent et continueront de l’exploiter.
Nous devons donc, quant à nous, disposer d’une énergie nucléaire en quantité suffisante, complétée par des énergies renouvelables. Il y va de la nécessaire réindustrialisation de notre pays et de la restructuration de l’appareil productif autour de l’électromobilité. L’enjeu est aussi l’emploi, les cotisations étant nécessaires pour maintenir nos retraites, nos acquis sociaux, la sécurité sociale, socles de notre démocratie.
Parmi ces énergies renouvelables, il en est une qui est vieille comme le monde : c’est l’eau. La construction de barrages et de centrales et l’installation de stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) ont fait et font notre force hydroélectrique. Cette filière représente 25 000 emplois dans nos territoires et 12 % en moyenne de notre production électrique ; elle a aussi, avec les barrages, un rôle touristique.
Malheureusement, plusieurs projets de STEP sont retardés, car l’Europe ne donne pas à EDF le droit de proroger les concessions, notamment une en Corrèze, ce qui est absolument scandaleux. Si, à l’avenir, les appels d’offres étaient mondialisés, les barrages de la Dordogne ou de la Truyère pourraient se retrouver gérés depuis Pékin ou Shanghai. C’est inacceptable !
La gestion de ces infrastructures doit rester entre les mains des opérateurs nationaux, qui participent à la défense de nos intérêts stratégiques et de l’emploi. Les modalités de cette gestion ont aussi un impact sur la vie des territoires, notamment par le biais du lien financier avec les collectivités locales. Nous devons donc placer ce patrimoine hydroélectrique sous un régime protecteur.
Par cette proposition de loi, nos collègues écologistes, que je remercie, pointent un sujet essentiel pour l’avenir de nos barrages et centrales hydroélectriques, donc pour nos territoires : l’arrivée à terme de nombreuses concessions et le danger ainsi engendré pour la gestion future de ces infrastructures stratégiques.
L’hydroélectricité, comme le nucléaire, représente un enjeu de souveraineté pour notre pays. Elle n’est pas un bien comme un autre : il est important que sa production respecte des impératifs de sécurité et de sûreté spécifiques.
Placer les installations hydrauliques de plus de 4,5 mégawatts sous le régime de la quasi-régie présente les avantages d’une solution simple, mais aussi des inconvénients. Comme l’a justement fait remarquer le rapporteur, la mesure prévue à l’article 1er est juridiquement fragile ; elle est d’ailleurs défavorablement accueillie par les acteurs concernés.
Il est clair que le débat sur le régime applicable à l’exploitation des barrages hydroélectriques doit s’inscrire dans une réflexion globale menée à l’échelon européen, afin de prendre en considération les spécificités du secteur de la production électrique et de le protéger des influences étrangères.
J’en viens à l’article 2. La volonté d’un développement global des énergies renouvelables nous paraît consubstantielle aux engagements internationaux, européens et nationaux que nous avons pris. Reste, madame la secrétaire d’État, à relever le défi de cette protection nationale de l’hydroélectricité dans le cadre de la présidence de l’Union européenne que nous exercerons prochainement.
Pour toutes ces raisons, la majorité du groupe Les Indépendants s’abstiendra et le reste du groupe votera contre.
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables
Article 1er
Le livre V du code de l’énergie est ainsi modifié :
1° L’article L. 511-5 est ainsi rédigé :
« Art. L. 511-5. – Sont placées sous le régime de quasi-régie défini à l’article L. 3211-1 du code de la commande publique les installations hydrauliques dont la puissance excède 4,5 mégawatts. » ;
2° L’article L. 521-18 est abrogé.
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par MM. Gontard, Salmon, Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Labbé et Parigi et Mmes Poncet Monge, Taillé-Polian et M. Vogel, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Cette obligation entre en application au terme du contrat de concession de chaque installation.
II. – Après l’alinéa 3
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
« Les autres installations sont placées sous le régime de l’autorisation selon les modalités définies à l’article L. 531-1.
« La puissance d’une installation hydraulique, ou puissance maximale brute, au sens du présent livre est définie comme le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l’intensité de la pesanteur. » ;
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Cet amendement vise à apporter à cet article plusieurs précisions juridiques dont la discussion en commission a révélé la nécessité.
D’une part, le régime de quasi-régie n’entrera en application qu’à l’échéance du contrat de concession. Aucune indemnité de changement de régime ne devra donc être versée, puisque la concession sera arrivée à son terme. Un premier écueil est ainsi levé.
D’autre part, seuls sont visés les barrages dont la puissance excède 4,5 mégawatts, les barrages dont la puissance est inférieure à ce seuil ne le sont pas. Là encore, une solution est trouvée à un problème qui a été fréquemment soulevé, celui des sociétés d’économie mixte hydroélectriques (SEMH) : celles-ci ne sont pas concernées par le texte.
J’ose croire qu’avec la levée de ces deux écueils cette proposition de loi a toute chance de faire consensus…
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrick Chauvet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Cet amendement vise à corriger deux effets de bord identifiés par la commission en appliquant le mécanisme de quasi-régie aux seules installations hydrauliques concédées dont la concession est échue.
Si ces modifications sont utiles, elles ne suffisent pas à rendre le mécanisme de quasi-régie opérant.
Tout d’abord, le périmètre de la quasi-régie est trop large. D’une part, il engloberait non seulement les concessions du groupe EDF, mais aussi celles de ses concurrents. D’autre part, il n’exclurait pas les concessions transfrontalières.
Ensuite et plus encore, une quasi-régie nationale serait préférée aux sociétés d’économie mixte hydroélectriques locales.
Enfin, aucune condition financière n’est prévue.
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. L’adoption de cette disposition viendrait utilement rétablir le régime d’autorisation pour les installations hydroélectriques de moins de 4,5 mégawatts. Dans la rédaction initiale de l’article 1er, ce régime d’autorisation était supprimé sans solution de substitution.
Il est également précisé que les installations hydroélectriques concernées ne seraient versées dans le régime de la quasi-régie qu’à compter de l’échéance de la concession, ce qui éviterait l’indemnisation des concessionnaires actuels.
Mes réserves tiennent à la situation complexe que l’on créerait à faire entrer ainsi les différentes concessions dans divers calendriers, une partie d’entre elles, celles qui sont déjà échues, étant placées sous le régime de la quasi-régie alors que les autres resteraient, sauf décision contraire, dans l’actuelle entité qui les gère. La scission de ces activités durerait potentiellement très longtemps, puisque certaines concessions n’arriveront à échéance qu’en 2050.
Dans la quasi-régie que nous voulons créer – je le réaffirme sans ambiguïté – pour gérer les concessions d’EDF, l’idée est bien d’affecter ces dernières en même temps, afin que l’entité de gestion demeure cohérente.
Malheureusement, les précisions apportées ne suffisent pas à rendre l’article 1er opérant, car la structure appelée à jouer le rôle de quasi-régie n’est pas créée. Ne sont précisées en effet ni les modalités de sa gouvernance ni les dispositions qui permettraient de s’assurer du respect des trois exigences fondant une quasi-régie : contrôle de l’État analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services ; absence de participation directe de capitaux privés au capital ; réalisation de plus de 80 % de l’activité dévolue aux missions qui lui sont confiées par l’État, en l’espèce l’exploitation des concessions hydroélectriques.
L’application de l’article ainsi amendé pourrait donc avoir, même involontairement, des effets négatifs.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.