Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « faire une loi et ne pas la faire exécuter, c’est autoriser la chose qu’on veut défendre » disait Richelieu. Sans une justice forte et efficace, c’est l’ensemble de la société qui vacille. Nous avons été nombreux à rappeler que la moitié des Français n’ont plus confiance en notre justice. Ces chiffres sont des alarmes auxquelles il est urgent de répondre.
Le premier problème de la justice, c’est celui des moyens. À cet égard, je veux saluer l’action du garde des sceaux, qui a obtenu pour 2021 une augmentation de budget significative. Nous souhaitons que l’effort soit poursuivi pour les années à venir. Nous y serons attentifs lors de l’examen du prochain projet de loi de finances.
Cependant, pour que la justice cesse d’être le coupable idéal, il est également nécessaire de mieux faire connaître son fonctionnement. Nous sommes donc tout à fait favorables à la diffusion des procès pour des motifs d’intérêt général. Nos deux rapporteurs, dont je salue le travail, ont apporté des précisions utiles quant aux modalités de ces diffusions. Nous espérons que cette mesure permettra au plus grand nombre de comprendre ce que les jurés savent bien : juger en connaissance de cause n’est jamais facile.
La justice a besoin de transparence quand elle est rendue ; elle a besoin de secret quand elle se prépare. Nous soutenons donc le renforcement des sanctions en cas de violation du secret de l’enquête ou de l’instruction. Il est essentiel de préserver ces secrets jusqu’à ce que les investigations soient terminées. Nous voyons trop souvent des condamnations morales tomber dans la presse alors que le verdict n’est pas encore rendu par les juges. Cela n’est pas acceptable.
Par essence, la phase d’enquête ne peut être que temporaire. La limitation de la durée des enquêtes préliminaires est une très bonne mesure. Il faudra néanmoins s’assurer que les moyens humains des services d’enquête permettront de respecter ces délais sans que la qualité du travail en pâtisse.
Le même souci d’efficacité doit guider la phase de jugement. Concernant certains crimes, notamment les crimes sexuels, notre commission des lois a souhaité prolonger l’expérimentation des cours criminelles plutôt que la pérenniser. Cette décision de prudence ne remet pas en cause les résultats satisfaisants que l’expérimentation a produits. Il est essentiel que ces crimes reçoivent une réponse pénale forte.
La justice de notre pays doit remplir un double objectif d’équité et de fermeté, pour que les citoyens retrouvent confiance en elle.
À cet égard, notre groupe soutient particulièrement la suppression des réductions de peine automatiques. Le manque de places de prison ne peut motiver ce dispositif qui envoie un message délétère, car seul le bon comportement du détenu doit justifier une réduction de peine. Il faut récompenser celui qui renoue avec les valeurs de notre société et qui prépare ainsi sa réinsertion. Cette mesure nécessite cependant que le nombre de places de prison soit augmenté en conséquence.
Dans la même optique de réinsertion, nous voulons saluer l’encadrement du travail des détenus par un contrat d’emploi pénitentiaire. « Le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin », disait Voltaire. Ce qui se trouve au fondement de notre société ne doit pas s’arrêter aux portes de la détention. C’est par le travail que l’individu s’améliore : il est donc encore plus nécessaire que les détenus y aient accès.
Ce projet de loi et ce projet de loi organique traitent encore beaucoup d’autres points que je ne pourrai évoquer par manque de temps.
Je constate cependant que ces textes n’abordent que peu la justice civile et commerciale, qui constitue pourtant l’une des principales voies d’accès des Français à la justice.
Néanmoins, je relève qu’il y est prévu de permettre l’apposition de la formule exécutoire sur l’acte d’avocat issu d’un mode alternatif de règlement des différends. J’y suis favorable, dans la mesure où cette disposition incite à recourir à ces modes qui désengorgent nos tribunaux, tout en sécurisant l’accord trouvé par les parties.
Les dispositions contenues dans ces textes sont porteuses de progrès pour notre justice. Pour que les Français retrouvent confiance en elle, il est essentiel de renforcer sa publicité, de clarifier et d’affermir les sanctions. Notre groupe soutiendra donc leur adoption, tout en insistant sur la nécessité de lui donner les moyens de remplir ses missions.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici face à un texte qui nous laisse un vrai goût d’inachevé, de « presque », de « juste à côté ».
L’intention est louable. Le constat d’une justice trop incomprise et éloignée des Français est juste. Mais la réponse à la lenteur et aux difficultés de la justice ne doit pas uniquement consister à rogner sur les droits de la défense, sur l’initiative des magistrats enquêteurs, sur la capacité du juge à juger.
En entamant la lecture de ce projet de loi, je le regardais comme ce qu’il est : une réflexion qui devrait couronner une fin de mandat en matière de justice. Mais, une fois ce texte ficelé, à la fois par la commission des lois et par le Gouvernement, la morale que j’en retiens serait plutôt celle-ci : la justice est trop lente, court-circuitons la justice !
Certes, le constat d’une justice trop lente et perdant de son efficacité est partagé par tous, mais quels remèdes y apportez-vous ? Dans la course à l’amélioration des chiffres et à l’affichage, vous choisissez d’éloigner encore plus les justiciables du juge.
Sous couvert de la recherche du compromis et de l’efficacité, vous prétendez ainsi que ce serait plus simple, en matière civile, de se contenter d’accords passés devant avocats : de la sorte, vous refusez en fait l’accès à un juge pour ces affaires.
Que dire des transferts de tâches entre professionnels du droit ! À vouloir afficher un changement radical, vous ne permettez d’améliorer profondément ni les conditions d’accès à la justice ni les conditions de travail des magistrats.
De fait, monsieur le garde des sceaux, vous opérez un véritable changement de philosophie du droit, d’ailleurs favorablement accueilli par la majorité des élus siégeant dans nos travées. Vous délaissez la vision de la justice pénale selon laquelle, en plus de juger les faits, elle doit personnaliser la peine, selon le principe essentiel aux termes duquel on doit être jugé par ses pairs.
Ainsi, votre désir de généraliser les cours criminelles, encore une fois sous couvert de simplification, nous semble démontrer une déconnexion vis-à-vis des attentes qu’on a envers la justice dans une démocratie. Cette dérive, similaire aux problématiques de correctionnalisation de certaines infractions sexuelles, constitue pour nous un nouveau recul. Faire plus simple, certes, pourquoi pas ? Mais faire plus juste, c’est mieux ! Parfois, je me demande même si certains ne rêveraient pas de remplacer les humains par des machines ou des algorithmes à juger !
Je regrette également de ne rien voir sur la justice des mineurs, dont vous savez qu’elle est en souffrance : des délais trop longs, des prises en charge inadaptées – et pourtant, rien ! Ah, si ! À la dernière minute, au son de la cloche annonçant l’arrivée, un amendement a été déposé afin de corriger une imprécision du code de la justice pénale des mineurs : voilà tout !
Toujours en trompe-l’œil, toujours dans une pure volonté d’affichage, toutes les mesures portant sur l’exécution des peines.
Tout d’abord, monsieur le garde des sceaux, vous avez annoncé votre volonté de remplacer le rappel à la loi : il s’agirait d’une sanction inefficace qui, en vos propres termes, ne fait peur qu’aux « honnêtes gens ». Le remplacer par des sanctions plus importantes afin d’afficher une plus grande sévérité sert essentiellement à apporter de l’eau au moulin de ceux qui affirment que la justice ne condamne pas assez.
De manière générale, aucune des mesures de ce texte qui touchent à l’exécution des peines ne découle d’une réflexion profonde ; ainsi, on n’y trouvera rien sur le développement des travaux d’intérêt général. La prison n’est pas, n’en déplaise à certains, la seule sanction efficace dans notre arsenal : encore faut-il juger l’efficacité d’une sanction !
Cette ambition de sanctionner toujours plus fort, forcément par de la prison, ne s’accompagne pourtant d’aucun apport sur les conditions de vie des détenus.
Je ne saurais trop rappeler les condamnations répétées de notre pays pour des conditions de détention proches de l’indignité, comme l’a récemment souligné la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté au sujet des lieux de garde à vue.
Je reste aussi surpris de l’élitisme de certaines propositions extrêmement éloignées de la réalité du terrain. Par exemple, si la valorisation, pour l’octroi de réductions de peine, de la participation à des activités culturelles, ou encore de l’acquisition de connaissances universitaires, est louable, il s’agit d’activités qui ne sont pas accessibles à tous, dans tous les lieux de détention.
Un des aspects les plus positifs de ce texte est qu’on s’y préoccupe de la question du travail en détention, zone très grise de notre système carcéral. Je regrette profondément que notre commission des lois ait supprimé l’habilitation donnée au Gouvernement à légiférer par ordonnance dans ce domaine, sans s’emparer réellement du sujet.
Quelle vision de la réinsertion s’exprime-t-elle quand des élus freinent la reconnaissance de droits sociaux en arguant d’une charge trop importante pour les employeurs ?
Monsieur le garde des sceaux, je comprends bien votre positionnement, depuis votre nomination, sur le budget de la justice et son augmentation. Mais ce que vous nous proposez là nous paraît non seulement manquer de vision globale, mais surtout marquer une dérive vers une justice de plus en plus punitive et vindicative, dont le seul but serait d’emprisonner les gens au plus vite et le plus longtemps possible.
Certes, cela répond à une demande de fermeté accrue, mais nous ne sommes pas dupes : il s’agit d’un leurre dont rien ne démontre l’efficacité. C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le colloque organisé hier soir par notre commission des lois l’a confirmé, notamment au moyen des résultats d’une enquête d’opinion présentés à cette occasion : nos concitoyens accordent à notre institution judiciaire une confiance et un crédit limités.
Ce constat doit être considéré, déjà, pour ce qu’il exprime du rapport complexe, voire conflictuel, d’une partie non négligeable de la population à des institutions indispensables au fonctionnement de notre société.
Mais il doit l’être aussi parce que, comme nous l’avons constaté hier, il heurte les acteurs de cette institution, dont la réalité de la pratique et des décisions, réalité elle aussi chiffrée par des données malheureusement moins exploitées dans le débat public et médiatique, diverge du sentiment et de l’impression dégradés qu’on ressent envers la justice.
Ce décalage doit lui aussi être traité, nous en conviendrons tous. Il doit l’être non pas pour livrer la justice au tribunal de l’opinion, ou encore pour légiférer dans le seul but d’infléchir la sentence de celui-ci, comme Philippe Bas l’a d’ailleurs bien exprimé hier, mais pour saisir les ressorts de la défiance et agir sur ceux-ci lorsqu’ils procèdent bien de mécanismes qui ne fonctionnent pas, ou plus assez bien.
Comme il a été rappelé, plusieurs causes rationnelles peuvent être invoquées à l’appui du constat précité : la lenteur de certaines procédures, la méconnaissance du fonctionnement de la justice – opaque pour 69 % des Français –, ou encore l’enjeu du sens de la peine.
Au-delà de cet état des lieux, sur lequel nous pouvons nous accorder, se pose bien sûr la question des solutions à apporter, des voies à emprunter pour y répondre avec pertinence et efficacité.
On peut certes, comme le font certains de nos collègues aujourd’hui, appréhender le projet de loi soumis à notre discussion en creux, par ses manques.
D’ailleurs, s’attacher à souligner ce que ce texte n’est pas peut aussi, à rebours de certains positionnements, nous amener à souligner les autres vecteurs de confiance mobilisés par le Gouvernement, qu’il s’agisse de la justice de proximité, de la hausse importante des moyens – condition sine qua non de toute réforme ambitieuse – ou encore des prochains États généraux de la justice, qui s’inscriront sans doute dans l’esprit constructif de l’Agora d’hier soir.
Mes chers collègues, si l’on se concentre à l’inverse sur le fond du présent projet de loi, force est de constater qu’une convergence se dessine sur l’esprit de ce texte et sur la majorité de ses dispositions.
C’est le cas s’agissant de la nécessité, pour mieux faire connaître le fonctionnement de l’institution judiciaire, d’ouvrir les possibilités d’enregistrement et de diffusion des audiences, sous réserve bien sûr de garanties, dont certaines ont été utilement renforcées par nos rapporteurs.
Un consensus se dessine également quant à la nécessité, pour renforcer les droits des justiciables, d’ouvrir les enquêtes préliminaires au principe du contradictoire et de les encadrer dans le temps, en ménageant des exceptions pour tenir compte de la complexité de certaines enquêtes en matière de délinquance économique et financière.
Le bon curseur du champ d’application de l’allongement dérogatoire de la durée de l’enquête pourra continuer à nourrir nos échanges, mais il me semble qu’un souci d’équilibre nous réunit.
L’un des facteurs de la confiance réside également dans le respect des droits de la défense, qui répond non à une lubie corporatiste, mais bien à une volonté de protection des justiciables et de leur présomption d’innocence.
À ce titre, le renforcement de la protection du secret de l’enquête et de l’instruction a été utilement conforté par nos rapporteurs.
Les dispositions relatives à la révision et à l’harmonisation de la déontologie et de la discipline des professions du droit, dispositions améliorées de manière substantielle en commission, sont elles aussi de nature à intégrer l’enjeu de la protection des droits de ceux qui y ont recours et, là aussi, à offrir l’égalité des armes.
La confiance dans l’institution judiciaire est indissociable, enfin, du sens de la peine, de la réinsertion des personnes condamnées et de la prévention de la récidive, mais également de la compréhension de la réponse pénale par l’ensemble des justiciables.
Dans le sens de la peine, c’est finalement la préservation de la sécurité de notre société qui est en jeu, dépassant toute polarisation ou toute cristallisation des oppositions politiques.
Je veux à ce titre souligner plusieurs dispositions du présent projet de loi : la systématisation de la libération sous contrainte en fin de peine pour les infractions de basse intensité, afin d’éviter les sorties dites « sèches » ; la suppression de l’automaticité des crédits de réduction de peine, car l’effort a également sa place dans le sens de la peine ; enfin, le contrat d’emploi pénitentiaire, qui vise à favoriser l’insertion professionnelle des personnes condamnées.
Sur la plupart de ces dispositions, là encore, une convergence se dessine sur nos travées.
Le remplacement du rappel à la loi par un avertissement pénal probatoire s’inscrit dans cette finalité de confortement du sens, par un renforcement du caractère solennel et de la compréhension de la mesure.
Il faut bien rappeler que la solution proposée se distingue réellement du rappel à la loi ; elle rejoint d’ailleurs la rédaction initialement envisagée par nos rapporteurs, en ce qu’elle impose l’intervention du procureur de la République ou de son délégué, ainsi que la réparation du préjudice causé à la personne morale ou physique, et qu’elle comporte une période probatoire.
Mes chers collègues, certains points nourriront nos débats dans les prochaines heures.
Je pense notamment à la présence de l’avocat lors des perquisitions, ou encore à la mise en balance de l’opportunité d’un allongement d’un an de l’expérimentation des cours criminelles avec celle de leur généralisation immédiate.
Les différentes dispositions qui nous réunissent ce soir rappellent en tout cas à quel point la confiance des justiciables, mais aussi des acteurs de la justice, en la capacité de cette dernière à remplir son office est indissociable de notre pacte social, lequel se scelle par la volonté de s’en remettre, au sens le plus étymologique de la confiance, à nos institutions.
Vous l’aurez compris, le groupe RDPI votera en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comment restaurer la confiance dans la justice quand près de la moitié de la population n’y croit plus ? Voilà la question qui nous est posée au travers de ce projet de loi.
Ce constat, posé par nombre de nos concitoyens, est tout aussi criant qu’il est contradictoire : en cela il est typiquement français !
Il est contradictoire, car les Français sont partagés entre, d’une part, les tenants du tout répressif, du tout carcéral – ou, du moins, du très répressif – et, d’autre part, ceux qui pensent que cette solution ne fonctionne plus et qu’il nous faut davantage nous orienter vers des peines alternatives, qu’il faut vider les prisons plutôt qu’en construire de nouvelles.
Je grossis volontairement le trait, mais je partage largement cette seconde approche, notamment dans un domaine que je connais, celui de la protection judiciaire de la jeunesse, où, pour de nombreux jeunes, l’incarcération en centre éducatif fermé est le premier pas vers la récidive et le début d’un parcours judiciaire tortueux.
Au-delà de ces débats, les Français sont tous d’accord sur un point : entre la commission d’une infraction, le prononcé d’une peine et son exécution s’écoule souvent beaucoup trop de temps. La France a par ailleurs été condamnée de nombreuses fois par la Cour européenne des droits de l’homme pour ce manque de célérité.
Vous me permettrez d’émettre quelques regrets avant d’en venir au texte.
Tout d’abord, ce texte ne comporte pas ou peu de dispositions concernant la justice du quotidien qu’est la justice civile. Pourtant, les chiffres sont là : en 2020, plus de 2,25 millions de décisions ont été rendues au civil, contre seulement 1,13 million d’affaires pénales engagées, preuve une nouvelle fois que, si la justice civile est omniprésente dans la vie de la société, elle demeure invisible dans le débat public.
À cela s’ajoute l’impression que ce texte est un peu décalé, alors que les États généraux de la justice, annoncés depuis de nombreux mois, sont sur le point de débuter.
Malgré ces manques évidents et un calendrier contraint, la commission des lois a apporté quelques modifications substantielles au texte initial qui peuvent, pour partie, convenir au groupe du RDSE.
C’est le cas de l’article 1er portant sur l’enregistrement et la diffusion des audiences : la commission des lois a apporté davantage de garanties en précisant la nature du motif d’intérêt public, en évitant toute possibilité de rémunération pour les personnes enregistrées ou en précisant que la décision du juge d’arrêter ou de suspendre un enregistrement ne peut faire l’objet d’un recours. Néanmoins, sur cet article, nous proposerons des amendements ayant pour objet la mise en œuvre d’une expérimentation à ce sujet et visant à renforcer les garanties en faveur des personnes enregistrées.
Nous sommes également favorables à la réduction des délais de l’enquête préliminaire prévue à l’article 2.
J’en viens aux cours criminelles départementales. Monsieur le garde des sceaux, si nous comprenons votre objectif d’accélération de la procédure, nous partageons la volonté de la commission des lois de prolonger l’expérimentation avant sa généralisation, afin d’avoir davantage de recul sur ce dispositif.
Sur le sujet de la concurrence entre les cours criminelles et les cours d’assises, si vous vous êtes voulu rassurant, monsieur le garde des sceaux, je me permets de vous rappeler notre attachement et celui de nombreux Français aux assises, qui restent le dernier lien direct entre eux et leur justice.
Nous sommes également favorables au contrat d’emploi pénitentiaire prévu aux articles 11 à 13. Le texte qui nous est proposé permettra une clarification des conditions de travail des détenus.
Lors de l’examen de ce texte, nous serons vigilants au sort réservé à nos différents amendements, notamment sur la médiation ou sur les mesures concernant les huissiers de justice.
Restent deux interrogations.
La première interrogation concerne le remplacement du rappel à la loi par l’avertissement pénal probatoire. Si nous sommes plutôt favorables au principe de cette mesure, nous regrettons que celle-ci n’ait pas fait l’objet d’une étude d’impact qui nous aurait très certainement éclairés.
La seconde interrogation a trait à la réduction du secret professionnel des avocats. L’amendement adopté en commission introduit un recul en permettant qu’il soit procédé à la saisine de la totalité du dossier ou à la mise en place d’écoutes en raison du simple fait que l’enquête porte sur un contentieux fiscal ou un délit financier : cela porte atteinte à l’exercice professionnel de l’avocat.
Pour conclure, il convient de souligner, pour le saluer, le contexte dans lequel ce projet de loi intervient, celui d’une hausse substantielle des crédits mis en œuvre par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
Monsieur le garde des sceaux, le chemin de la confiance sera long.
Mme Maryse Carrère. Nous essaierons de faire route ensemble.
S’il ne vient pas renverser la table, ce projet de loi est, à notre sens, une première étape pour rétablir la confiance dans l’institution judiciaire.
Pour toutes ces raisons, le groupe du RDSE déterminera son vote en fonction du sort qui sera réservé à ses amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est aujourd’hui soumis nous laisse, comme d’autres, pour le moins sceptiques sur la forme comme sur le fond. Nous nous interrogeons également sur le contexte dans lequel intervient un tel débat. Il semblerait en effet que, à la veille d’échéances électorales importantes, les projets, débats, états généraux en tout genre sur le thème de la justice, surgissent de toutes parts, orientés tous azimuts.
Pourtant, pour nous comme pour un certain nombre de professionnels de la justice, c’est finalement un projet de loi aux mesures éparses et sans véritable cohérence globale qui est proposé, alors même qu’il affiche la volonté de rétablir la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire.
Certes, filmer les audiences pourrait présenter une vertu pédagogique en donnant aux justiciables accès aux rouages de la justice du quotidien – nous n’y sommes pas opposés, à condition d’encadrer sérieusement ce dispositif –, mais bien d’autres problématiques amputent aujourd’hui la confiance de nos concitoyens dans cette institution. Il est par exemple important de faire le constat amer des suspicions de nos concitoyens quant à l’impartialité des juges et à leur indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Bien plus, nous ne pouvons ignorer l’impact notable de l’indigence des moyens de la justice sur la qualité des audiences et de la motivation, sur les délais d’audiencement et de jugement – autant d’éléments qui ont une incidence non négligeable sur la mauvaise opinion que les citoyens peuvent se faire de leur justice, et ce malgré l’engagement de l’ensemble des professionnels pour faire mieux au quotidien.
Toutes ces questions ne sauraient donc être résolues par la simple diffusion d’images d’audience à la télévision ou sur internet : elles nécessitent des réformes institutionnelles permettant de renforcer dans les faits le statut des magistrats – la réforme sur l’indépendance du parquet est-elle définitivement enterrée ? – ou encore d’encadrer les transmissions d’informations des juridictions à la Chancellerie. Permettez-moi une digression : nous avons vu qu’il ne suffisait pas d’organiser des débats télévisés avec de grands professeurs de médecine pour rassurer nos concitoyens sur les politiques sanitaires à conduire.
Enfin, ce projet de loi qui affiche l’ambition de renouer le lien de confiance entre justiciables et institution judiciaire manque cruellement de crédibilité en éludant la question de la justice civile, au cœur du quotidien de nos concitoyens. En ce sens, ce texte contient une seule disposition, minime, mais néanmoins positive, la suppression de la juridiction nationale des injonctions de payer, bien que cela n’aille pas du tout dans le sens d’une confiance renforcée dans la politique menée par le Gouvernement en matière de justice, le garde des sceaux actuel supprimant une juridiction créée par la garde des sceaux qui l’a précédé au cours de ce quinquennat.
Venons-en à ce que le texte contient de positif. Nous saluons les mesures concernant le travail en détention. Le contrat d’emploi pénitentiaire marque indubitablement un progrès ; il consacre des relations entre les donneurs d’ordre et le travailleur détenu. Hélas, pour ce code pénitentiaire, le Gouvernement demande l’habilitation à légiférer par voie d’ordonnances.
Concernant l’exécution des peines, alors qu’un pas est fait dans le sens de la régulation carcérale en rendant automatique la libération sous contrainte à trois mois de la fin de peine, ce qui est donné, d’un côté, est repris de l’autre, avec la fin des crédits de peine attribués d’emblée lors du placement sous écrou des détenus. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles.
En l’état, ce projet de loi ne peut recueillir notre assentiment. Si un certain nombre de mesures semblent plutôt positives, par exemple celles qui visent à encadrer le travail en détention ou encore celles qui sont relatives à l’évolution des règles déontologiques et disciplinaires des professionnels du droit, d’autres sont pour nous rédhibitoires, à l’instar de la fin des crédits de réduction des peine, de la suppression du rappel à la loi, finalement remplacé par ce qui pourrait s’apparenter à un Canada Dry de la justice, ou encore de la généralisation des cours criminelles départementales. Les crimes sexuels ne peuvent être jugés au rabais et à la place du peuple à travers les jurés populaires ; la cour d’assises doit rester centrale dans le fonctionnement de la justice.
Dans l’ensemble, trop de mesures vont dans le sens d’une gestion comptable de la justice. Elles révèlent un manque de cohérence flagrant et semblent relever, comme je l’ai dit au début de mon propos, d’une logique dictée par les aléas politiques et médiatiques du moment. C’est finalement bien regrettable, car, oui, monsieur le garde des sceaux, il y a urgence à restaurer cette confiance, à redonner à nos concitoyens cette capacité non pas à croire en l’institution judiciaire, mais à avoir l’assurance que l’institution judiciaire est tournée vers eux et fonctionne pour eux.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas le texte proposé. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)