M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, si j’étais taquin, je dirais que tout cela devient croquignolesque, alors que le sujet appelle gravité et sérieux.
Comme dans un remake parlementaire d’Un Jour sans fin, j’ai le sentiment que nous sommes enfermés dans une boucle temporelle.
De nouveau, nous voilà débattant d’une révision constitutionnelle portant sur l’article 1er de notre Constitution, sans que la navette parlementaire ait permis d’avancer.
De nouveau, cette révision donne à lieu à des débats de pharisiens dans lesquels chacun, Gouvernement, majorité à l’Assemblée nationale et majorité au Sénat, feint de chercher un compromis dans un jeu de poker menteur.
Ces postures parlementaires et gouvernementales font peser un doute sérieux sur l’organisation d’un référendum ou la tenue d’un Congrès avant la fin du quinquennat. Dès l’origine, il y avait d’ailleurs peu de chances d’aboutir, au regard des délais, ce qui révèle l’insincérité de la volonté initiale de l’exécutif dans cette entreprise. Bref, « tout ça pour ça ».
Aussi, mes chers collègues, quel est le sens de notre discussion ? La loi fondamentale et la préservation de la planète méritent-elles autant d’instrumentalisation politique, au point de perdre de vue l’essentiel de ce qui devrait nous occuper ?
Nul, ici ou ailleurs, n’a besoin du décryptage du jeu de dupes qui se joue. L’objectif est bel et bien qu’il n’y ait pas d’accord et que la réforme de la Constitution, une nouvelle fois, échoue. Il n’est, malheureusement, point question ici d’environnement.
Dans la perspective de la prochaine élection présidentielle, ce texte relève purement du prétexte. Emmanuel Macron cherche à déporter une double responsabilité sur le Sénat et, singulièrement, sur la majorité sénatoriale.
Il s’agit, premièrement, de la responsabilité de son manque d’ambition face au défi climatique. Le projet de loi Climat et résilience l’a récemment illustré. À la lecture de son programme présidentiel, le volontarisme d’Emmanuel Macron en la matière ne sautait pas aux yeux. Sur ce point-là, on ne pourra pas lui reprocher de ne pas avoir tenu ses promesses ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Deuxièmement, il s’agit de la responsabilité de ne pas honorer l’engagement pris devant la Convention citoyenne pour le climat, permettant ainsi au Président de la République de s’en dédouaner.
La majorité sénatoriale, quant à elle, tente d’échapper à ce piège politique grossier tendu par le Président de la République. Elle est face à un dilemme : faut-il offrir un référendum au chef de l’État à la veille de la présidentielle de 2022 ou faut-il le bloquer, quitte à cultiver le cliché, certes erroné, d’une chambre ringarde en décalage avec son temps ?
La majorité sénatoriale a choisi : elle préfère endosser le blâme de ne pas réviser la Constitution, tout en dénonçant l’Assemblée nationale. Ainsi, s’appuyant sur l’avis du Conseil d’État et la responsabilité du constituant, elle invoque une rédaction juridique incertaine, qui ferait peser des risques sur notre ordre constitutionnel. Elle lui préfère une rédaction dont elle reconnaît la faible portée normative, sans méconnaître sa portée symbolique, mais en la réduisant à un placebo.
Malheureusement, ces discussions sémantiques, aussi intéressantes qu’interminables, se tiennent au détriment de la finalité.
En définitive, la majorité sénatoriale fait ce que l’exécutif attendait d’elle et vient ripoliner en vert l’image d’Emmanuel Macron. Dans une des matinales radios d’aujourd’hui, le porte-parole du Gouvernement, connu pour sa hauteur de vue, son sens de la mesure et sa sincérité, parlait du Sénat qui empêcherait de lancer le référendum et dont la majorité ne serait généralement pas favorable aux mesures en faveur de l’environnement, par climatosceptisme… Fermez le ban !
Las, pendant que chaque joueur d’échecs tente de mesurer le coût politique de telle ou telle option, quel est le résultat de ce manège ? Quel est le coût pour la démocratie et pour l’avenir de la planète ? Telles sont les vraies questions que nous devrions nous poser, c’est-à-dire celle du fond, et non de la forme.
Du point de vue démocratique, tout d’abord, je crains que nos débats parlementaires suscitent plus de désintérêt qu’autre chose de la part des Français que nous avons pour responsabilité de représenter. Les calculs politiques des uns ne font qu’alimenter la crise démocratique aux yeux des autres ; à cet égard, n’oublions pas le coup de semonce du dernier scrutin électoral.
Du point de vue démocratique encore, on peut contester la mise en place de la Convention citoyenne pour le climat et considérer que ce ne sont pas 150 citoyens, pourtant impliqués, qui devraient indiquer la marche à suivre au Parlement.
Cette posture, qui confine souvent à la caricature, pose une question légitime, qui, en réalité, n’est pas la bonne. La question est davantage celle d’un Président de la République qui ne souhaite pas vraiment tenir ses promesses, en rejetant la faute sur le Parlement, alors même que ce dernier, en responsabilité, assume son travail de législateur.
Du point de vue de la planète, ensuite, la transition écologique se retrouve l’otage de considérations politiques qui n’ont rien à voir avec elle. Parlementaires et juristes, nous avons disserté à l’envi sur les verbes « agir » et « garantir », au détriment de l’enjeu final. Le rapporteur spécial des Nations unies indique lui-même que de telles avancées constitutionnelles dans d’autres pays n’ont pas eu de conséquences dramatiques…
L’environnement est ainsi complètement passé à l’arrière-plan, au profit de l’exégèse. Pourtant, avons-nous une responsabilité en matière de réchauffement climatique ? Qui, dans cet hémicycle, peut oser répondre par la négative à cette question ? Qui peut oser s’affranchir d’une quelconque responsabilité envers les générations futures ?
En effet, du club de Rome au groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, les rapports se suivent et se ressemblent, s’accumulent, s’entassent et se répètent sans jamais se contredire : la situation n’est plus tenable, et la crise sanitaire en est l’une des illustrations.
Le prérapport du GIEC indique qu’une augmentation du réchauffement climatique au-delà de 1,5 degré pourrait déjà entraîner « des conséquences graves, pendant des siècles, et parfois irréversibles ». L’organisation météorologique mondiale estime à 40 % la probabilité de dépasser ce seuil d’ici à 2025.
Pour ceux qui préfèrent le droit – ils sont nombreux ici –, la lecture de la récente décision du Conseil d’État est éclairante : celui-ci a sommé l’État d’agir pour le climat en donnant au Gouvernement jusqu’au mois d’avril 2022 pour prendre « toutes les mesures utiles », afin d’atteindre ses objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre, sous peine d’astreinte financière – une future décision qui interviendra donc en pleine campagne présidentielle.
Pour les contemplatifs – il y en a quelques-uns –, l’actualité parle d’elle-même : vagues de sécheresse, inondations à répétition, phénomènes de submersion, cycles de canicule, dôme de chaleur au Canada, tempête de grêle en Franc, etc.
Aussi, cette révision constitutionnelle méritait mieux que des calculs politiques, au regard du défi que nous devons relever collectivement. Notre Charte de l’environnement n’est pas suffisante. La Constitution doit donc s’adapter aux nécessités de notre temps.
Deux questions éminemment politiques auraient dû animer notre débat et nos décisions.
D’une part, quelle est notre volonté politique face à cet enjeu environnemental essentiel pour l’avenir de l’humanité ? Nous pensons toujours qu’elle doit être la plus forte possible, ce qui impose une réécriture la plus ambitieuse possible de l’article 1er de notre Constitution.
Dans cette perspective, nous étions attachés à l’intégration de la notion complémentaire de « préservation des biens communs mondiaux », qui nous semblait centrale et qui a fait l’objet d’une proposition de loi socialiste forte, portée par notre collègue Nicole Bonnefoy. Le droit de propriété doit pouvoir être contraint pour préserver ces biens communs. C’était d’ailleurs l’esprit de l’un des projets de texte constitutionnel pour la IVe République, projet qui n’a pas été retenu.
D’autre part, voulons-nous ou non laisser les Français s’exprimer sur ce sujet, ou bien les priver de cette parole ? Nous pensons que ce droit leur appartient.
Ainsi, si le vote conforme est désormais plus que compromis, nous ne souhaitons pas ajouter de l’obstruction à l’obstruction. Nous avons préféré ne pas déposer d’amendement et voter contre ceux de la majorité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Guy Benarroche applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la prise de conscience de l’urgence face au péril que constitue le dérèglement climatique doit être mondiale.
Ses effets sont visibles dans tous les recoins de notre planète. Le Canada enregistrait, la semaine dernière, une température de 49,6 degrés Celsius, rendant l’air irrespirable, provoquant de nombreux décès et écrasant tout le vivant sous ce phénomène de « dôme de chaleur ».
Des effets météorologiques violents sont répertoriés à intervalles très réguliers ; la France les a subis en nombre cette année : ils ont des impacts sur tous nos concitoyens, dans leur vie, mais aussi dans leur travail. Je pense notamment à nos agriculteurs, qui vivent encore les conséquences du gel du début du printemps dernier.
Sur mon territoire, nous vivons, depuis une vingtaine d’années, une sécheresse toujours plus précoce et grave, ainsi que des saisons de moins en moins prévisibles. Plus personne ne nie aujourd’hui ces changements, que nous cherchons à enrayer.
Le projet de loi constitutionnelle, que nous retrouvons dans cet hémicycle en deuxième lecture, a encadré l’étude d’un autre projet, celui du projet de loi Climat et résilience. Les centaines d’articles qu’il contient concernent des domaines très variés, ayant pour objectif principal la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre dans un avenir très proche.
Le Sénat a travaillé à insérer ce texte dans une logique réaliste et pragmatique. Nous ne pouvons pas orienter notre pays avec la seule logique environnementale. Notre transition, pour être efficace, doit être ancrée dans le réel.
L’article unique dont nous faisons une nouvelle étude est arrivé de l’Assemblée nationale avec des termes encore différents de ceux que nous avions modifiés lors de notre première lecture. L’examen que nous en avons fait la semaine dernière en commission des lois soulève presque les mêmes problèmes qu’à l’origine. Je tiens, à cet égard, à saluer le travail de la commission, ainsi que nos échanges.
Le verbe « garantir » a refait son apparition, ce que nous avons encore une fois dénoncé. Nous lui préférons le verbe « agir », pourtant préservé en première lecture à l’Assemblée nationale. La vision du groupe Les Indépendants reste la même qu’en première lecture : nous ne pouvons faire entrer l’incertitude dans notre Constitution.
S’il y a une urgence, c’est surtout celle de faire les choses bien. Ce n’est pas la rédaction issue de l’Assemblée nationale qui nous semble issue de l’Assemblée nationale qui nous semble répondre à cela, ni aux besoins ni aux doutes quant à l’avenir.
Au lieu d’opposer nos libertés, nous devons les concilier. La protection de l’environnement impliquera inévitablement les volets sociaux et économiques de notre système. Une écologie humaniste et libérale fera de nos investissements et de nos innovations autant de moteurs primordiaux de la lutte contre le changement climatique.
Demain, nous circulerons dans des transports propres, ce qui représente l’un de nos plus grands défis. Nous aurons décarboné des pans entiers de nos industries les plus polluantes, comme celles de l’acier ou du ciment, très émettrices de CO2. Notre économie sera beaucoup plus circulaire. Nos bâtiments, tout au long de leur vie, nous permettront des économies d’énergie. Le numérique, qui prend une place grandissante dans nos habitudes, sera également moins énergivore. Notre mode de vie aura évolué et sera beaucoup plus respectueux.
Néanmoins, cela ne se fera que si l’on s’en donne la possibilité et si notre relance et notre croissance sont vertes. Cela ne se produira que si la protection de l’environnement est pensée dans son ensemble, avec tous les acteurs et citoyens, pas seulement français, mais du monde entier.
Pour cela, notre Constitution doit rester une alliée. Nous ne sommes pas contre le fait d’inscrire la préservation de notre environnement dans son article 1er. Nous souhaitons simplement le faire efficacement en en mesurant toutes les conséquences. Il faut écarter le flou autour de la définition future du verbe « garantir ».
Il faut également se préserver d’un potentiel glissement vers un gouvernement des juges. Je le répète, les arbitrages éminemment politiques ne peuvent être confiés aux juges. Ces arbitrages doivent rester le lieu de discussion des élus.
Les sénateurs, qui sont les représentants des collectivités locales et qui, pour beaucoup, ont été ou sont encore des élus locaux, savent les contraintes qui pèsent sur les maires ou sur les conseillers généraux lorsque l’on veut construire des routes, par exemple. Ces contraintes, nous les acceptons, nous faisons avec et sommes même heureux de les accepter.
La France doit donc « agir pour lutter contre le changement climatique et en faveur de la préservation de l’environnement et de la diversité biologique ». Elle doit le faire dans les conditions que la Charte de l’environnement nous propose.
Cette Charte, qui fait de la protection de l’environnement un objectif de valeur constitutionnelle, est un trésor de notre bloc de constitutionnalité sur lequel nous avons la chance de pouvoir nous appuyer. Ne l’oublions pas.
Tel est le sens de la rédaction que propose notre rapporteur, via un amendement dont nous allons discuter. Sous réserve de l’adoption de cet amendement, dont je ne doute pas, le groupe Les Indépendants votera à l’unanimité en faveur de ce texte, dans sa rédaction modifiée.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il y a des jours où l’on va, le cœur léger, participer à des moments dont on sait qu’ils compteront et d’autres où, le cœur lourd, on se rend à l’enterrement de belles idées.
C’est quelque peu l’impression que j’ai, ici, aujourd’hui : assister à l’enterrement prévisible, préparé et prémédité d’une idée, d’une proposition et d’une promesse, grâce à l’action conjuguée du Président de la République et de son gouvernement et de la majorité de droite du Sénat.
« La vie sur terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes. L’humanité ne le peut pas. » Ces mots ne sont ni de moi ni, je vous rassure, d’une horde de décroissants. Ils sont ceux de membres du GIEC, il y a moins de deux semaines.
Nous n’avons plus le temps de tergiverser. Je refuse de me résigner à une inaction de notre pays ou, comme l’a encore rappelé le Conseil d’État jeudi dernier, à une action bien trop peu ambitieuse.
Je le rappelle devant cette assemblée parfois trop frileuse vis-à-vis des mécanismes de démocratie participative, la Convention citoyenne pour le climat a émis, dans ses travaux, le souhait d’inscrire le principe de protection de l’environnement et de lutte contre le changement climatique au sein de l’article 1er de notre Constitution.
Soyons clairs, le texte initial du Gouvernement et celui qui nous revient de l’Assemblée nationale ont des limites. Notre groupe le sait, le dit et le montre au travers des amendements que nous avons déposés.
Nous aurions préféré une rédaction différente, plus complète, demandée depuis des années par tout le mouvement écologiste. Mais voilà, le verbe « garantit » semble vraiment irriter majorité de notre assemblée. J’ai déjà fait part de mon incrédulité devant le fait que ce simple mot provoque effroi et peur. Toutefois, la sémantique a ses limites.
Nous, membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, comprenons bien que le terme « garantit » vous effraie, chers collègues, en ce qu’il implique, en quelque sorte, une obligation d’actions pour les décideurs publics. Vous n’hésitez pas à affirmer que nous sommes en danger et qu’il faut sauver la vie sur terre. Mais vous renâclez à l’idée que ce combat soit essentiel et que nous puissions utiliser tous les moyens pour le mener.
Pourtant, partout sur le terrain, nos élus et nos concitoyens ont compris et mettent en œuvre, eux, prioritairement, des mesures et des actions dans ce sens.
Nous souhaitons donc vivement une inscription, à la symbolique forte, de l’ambition environnementale et de la lutte contre le dérèglement climatique à l’article 1er de notre Constitution. Une telle inscription obligerait la France, ainsi que ses législateurs.
L’impact réel et les effets sur l’action publique qu’aurait une telle inscription au niveau supranational n’est pas négligeable. Nous regrettons tous, sur ces travées, l’absence de procédures de présentation de texte de ratification devant notre Haute Assemblée, par exemple pour le CETA, le Comprehensive Economic and Trade Agreement, ou accord économique et commercial global.
Aussi, inscrire cette garantie au cœur de l’article 1er pourrait devenir un outil majeur pour définir les contours de traités commerciaux internationaux acceptables pour la préservation de l’environnement et de la biodiversité.
Je vous l’ai déjà dit, mes chers collègues, je crains que votre posture ne soit politique, et en rien technique.
Ce jeu de dupes a certes été lancé par le président Macron et son gouvernement, mais vous acceptez bien volontiers d’y jouer, vous appuyant l’un sur l’autre et faisant fi de la réalité de l’urgence. Vous souhaitez tous, à un an de l’élection présidentielle, vous rejeter la faute de la non-tenue d’un référendum.
Il est évident que les seuls qui avancent de manière transparente sur le sujet, depuis longtemps, sont les écologistes, que nous représentons ici. (Mme Éliane Assassi ironise.)
L’urgence climatique nous guide. Nous souhaitons que, à l’avenir, les exécutifs au pouvoir ne puissent ignorer la protection de l’environnement dans leur action. L’alternance politique de notre pays ne saurait se faire au détriment de l’écologie, donc des citoyens.
Osons présenter ce projet à l’ensemble des citoyens ; n’ayons pas peur d’eux. Notre ambition de voter ce texte dans les mêmes termes que ceux de l’Assemblée nationale est ancrée dans notre devoir envers les citoyens, afin de leur permettre de débattre, de se prononcer et d’être consultés.
Ce projet de loi constitutionnel n’est sûrement pas à la hauteur des enjeux, tout comme le projet de loi Climat et résilience ne l’a pas été. Néanmoins, il peut et il doit constituer une étape essentielle vers une prise en compte meilleure et plus systématique des enjeux environnementaux.
Bien sûr, les renoncements successifs de ce gouvernement sur les objectifs de réduction des gaz à effet de serre, sur l’utilisation du glyphosate, sur le retour de l’utilisation des néonicotinoïdes et sur tant d’autres dossiers ne seraient pas absous par ce semblant de virage écologique. Nous ne sommes pas dupes de l’ambition du Gouvernement d’utiliser le soutien à ce texte comme un faire-valoir d’une politique environnementale lacunaire.
Cependant, nous devons avancer. La Convention citoyenne pour le climat, les marcheurs pour le climat, les collectifs et associations écologistes, les scientifiques et experts et les citoyens qui agissent quotidiennement nous le demandent.
Même si ce texte ne va pas au bout de la démarche que les écologistes portent depuis des années, il est temps d’agir plus vite et plus fort. Nous sommes prêts à voter ce texte dans sa version issue de l’Assemblée nationale. Nous voterons, bien entendu, contre les amendements du rapporteur de la commission des lois du Sénat. (M. Bernard Jomier applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce deuxième rendez-vous sur le projet de loi constitutionnel visant à inscrire la préservation de l’environnement à l’article 1er de notre Constitution nous amène à un double constat.
D’une part, contrairement à ce qui avait été auguré ici ou là lors de l’examen en première lecture, la navette a bien suivi son cours.
D’autre part, la politique des petits pas, que traduisent les modifications portées par les rapporteurs des deux assemblées, ne suffit pas à poser les bases d’un compromis.
La deuxième lecture, telle qu’elle se profile, confirme en l’état les vives réticences de la majorité sénatoriale sur la révision proposée par la Convention citoyenne pour le climat et reprise par l’exécutif dans la perspective d’une adoption par référendum. Nous le regrettons.
Alors que nous pouvons tous partager la conviction que la France doit s’armer de nouveaux instruments juridiques pour répondre à l’urgence climatique, la divergence de méthode persiste. Elle s’est focalisée, dans nos débats, sur la portée des termes retenus dans le projet de révision, mais elle traduit je crois, au-delà de la seule sémantique, une différence d’ambition intrinsèque.
Déjà, lors de l’examen du texte en première lecture, nous nous étonnions qu’une partie de l’hémicycle défendît l’adoption d’une réécriture du rapporteur qui revendiquait l’absence d’effet juridique. La réécriture de substitution qui nous sera présentée ultérieurement par le rapporteur et le président du groupe Les Républicains semble confirmer cette volonté de priver d’effet juridique la révision constitutionnelle. Le renvoi tautologique à la Charte de l’environnement en témoigne.
Notre étonnement ne peut qu’être affermi à l’examen du rapport de deuxième lecture, qui se borne à déconstruire les conséquences du texte adopté par l’Assemblée nationale, sans évoquer les effets recherchés par la rédaction alternative proposée.
Certes, l’absence de consensus entre les constitutionnalistes sur la portée des différents verbes retenus ne concourt pas à clarifier le débat. Elle nous enjoint en tout cas au parti pris. La révision portée par le Gouvernement serait tantôt inutile, tantôt dangereuse. Dans la mesure où il nous semble difficile de considérer qu’un texte puisse être à la fois dépourvu d’effet et porteur d’une menace, nous choisissons la voie médiane.
La portée de ce texte était déjà précisée dans les travaux préparatoires de l’Assemblée nationale : il ne s’agit pas d’introduire une prééminence de l’environnement sur les autres principes ni de bloquer toute action des pouvoirs publics. Je le rappelle, la majorité présidentielle n’a pas souhaité modifier le préambule de 1946 dans une rédaction qui aurait induit une prééminence, contraire à notre tradition juridique, de l’environnement sur les autres principes constitutionnels.
Le verbe « garantir » qui figure déjà au sein du bloc de constitutionnalité et que l’on accuse d’introduire une difficulté d’articulation avec l’article 6 de la Charte de l’environnement de 2004 signerait une rupture avec les objectifs du développement durable.
Là encore, il est utile de rappeler que, au sein de cette Charte, l’article 2 met à la charge de toute personne l’obligation de prendre part non seulement à la préservation, mais aussi à l’amélioration de l’environnement, exigence forte, qui s’impose sans mentionner le progrès économique et social. Or les objectifs de développement durable, que nous soutenons, n’ont pas été mis à mal par cette disposition.
Mes chers collègues, nous pensons que le texte qui nous arrive de l’Assemblée nationale ne remet pas en cause le principe d’une conciliation entre les différents droits et libertés fondamentaux. Ce point a été rappelé lors des auditions : les verbes dont il est question ne portent pas en eux une force qui les ferait échapper au contexte dans lequel le juge les interprète.
Le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis nous semble, en revanche, ambitieux. Tout d’abord, il répond de manière symbolique à la prise en compte croissante par nos concitoyens des problématiques liées à l’environnement.
Or ces considérations ne peuvent pas être réduites aux tracasseries d’un « comité de salut public 3.0 », pour reprendre la désignation teintée de mépris que l’on a pu entendre dans l’enceinte de cet hémicycle à propos de la Convention citoyenne pour le climat.
M. Philippe Bas. Je m’en souviens !
M. Thani Mohamed Soilihi. Plus important encore, le texte offre au Conseil constitutionnel un levier juridique supplémentaire, dans son appréciation de la constitutionnalité des textes qui lui seront soumis. Il vise, en effet, à renforcer la place de la préservation de l’environnement dans la conciliation du juge. En outre, l’obligation de moyens renforcés mise à la charge des pouvoirs publics accompagne le mouvement jurisprudentiel sur la responsabilité, que l’on a pu observer encore récemment.
Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, réformer la Constitution n’est jamais un acte anodin. Vous maintenez votre désaccord avec la réforme ambitieuse engagée par la majorité présidentielle, dans la continuité des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, et vous nous présentez une proposition de réécriture qui se cristallise encore une fois sur les verbes employés.
Vous souhaitez de nouveau inscrire la révision proposée dans le contexte de la Charte de 2004. Or il ressort des travaux préparatoires du Sénat que cette rédaction ne produira pas d’effet juridique.
Si nous poussons le raisonnement à son terme, devons-nous donc comprendre que soutenir le « oui » au référendum consisterait à convaincre les citoyens de se rendre aux urnes pour approuver une révision constitutionnelle dont les auteurs revendiquent qu’elle n’aura pas de portée ? Ce parti pris cynique nous paraît très en deçà de l’urgence environnementale à laquelle nous devons faire face.
Le groupe RDPI ne pourra se résoudre à voter le projet de révision constitutionnelle, ainsi réécrit et minoré par la majorité de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’arrêt du Conseil d’État daté du 1er juillet dernier, Commune de Grande-Synthe (Nord), tombe à pic. L’instabilité juridique a déjà commencé. Elle est la conséquence de l’insuffisance des efforts de l’État en matière environnementale, certes depuis de nombreuses années.
Dans le monde, comme dans notre pays, le contentieux climatique n’en est qu’à ses balbutiements. Le verdissement récent de la jurisprudence administrative et constitutionnelle poursuivra son cours, avec ou sans le projet de loi constitutionnelle.
Dans son arrêt, le Conseil d’État rappelle que le principe de la protection de l’environnement occupe déjà la plus haute place dans la hiérarchie des normes. Son inscription à l’article 1er ne lui conférerait donc aucune prééminence d’ordre juridique sur les autres normes constitutionnelles, ce que le Sénat fait mine de craindre.
Pourtant, les auditions menées nous ont assez bien éclairés : il n’y aura pas de dérèglement du contentieux, malgré la volonté du Gouvernement de porter un effet accélérateur de l’engagement de la responsabilité pour faute des pouvoirs publics.
Le professeur Dominique Rousseau a rappelé qu’il ne fallait pas accorder une valeur juridique plus contraignante aux termes « garantir » ou « préserver », étant donné qu’aucun droit n’est absolu et que le droit constitutionnel ne fait pas la distinction entre une obligation de moyens et une obligation de résultat.
Si la réforme devait aboutir, les inquiétudes devraient rapidement se dissiper, du fait du double filtrage en matière de question prioritaire de constitutionnalité, ou QPC, à savoir la saisine indirecte du Conseil constitutionnel par les parties et le contrôle préalable opéré par le Conseil d’État et la Cour de cassation.
Rappelons également que le Conseil constitutionnel, avant de se prononcer, anticipe les incidences économiques, sociales et politiques de ses décisions, et en tient compte.
La commission des lois du Sénat choisit donc de maîtriser les conséquences de la réforme pour que celle-ci n’ait très exactement aucun effet, même symbolique. En effet, plus que juridique, cette réforme est d’abord symbolique. Or la Constitution recèle bien des symboles qu’il ne nous viendrait pas à l’esprit de contester aujourd’hui.
Au-delà des symboles, si le Gouvernement voulait nous prouver qu’il entend placer la préservation de l’environnement parmi les priorités de l’action de la France, il pouvait nous le démontrer par des actes, à commencer par un renforcement de l’ambition de la loi Climat. Pour l’instant, tel n’est pas le cas.
Certes, le Gouvernement est sans doute allé un peu vite en besogne. L’élaboration de la Charte de l’environnement avait impliqué, quant à elle, la constitution d’un comité d’experts présidé par M. Yves Coppens, et fait l’objet d’assises territoriales. La politique environnementale, au regard du manque d’adhésion d’une grande partie de nos concitoyens, inquiets à juste titre de ses conséquences sociales, méritait que l’on s’y attelle plus longuement.
Nous sommes donc pris dans un étau de jeux politiciens qui se concrétisera par une navette infinie. Le citoyen n’est pas dupe, et l’issue de ces débats ne satisfera personne.
Ceux qui voudraient aller plus loin dans la préservation de l’environnement estimeront que cette mesure est purement cosmétique. Ceux qui sont d’avis contraire la jugeront dangereuse. Je constate d’ailleurs que, entre la première et la deuxième lecture, le projet de loi constitutionnelle a perdu un certain nombre de voix à l’Assemblée nationale.
Pendant que nous nous attardons sur un débat sémantique complètement superfétatoire, le climat, lui, s’emballe. Tergiverser et temporiser nos actions, c’est l’assurance que les restrictions à nos libertés seront, à l’avenir, plus sévères et abruptes. Quant à l’anticipation, elle nous garantit que la transition écologique sera progressive et juste.
Or le Haut Conseil pour le climat persiste dans son analyse : en raison du retard accumulé par la France, le rythme actuel de réduction annuelle des émissions de CO2 devra pratiquement doubler sur la période du troisième budget carbone, c’est-à-dire entre 2024 et 2028. Nous n’y sommes pas !
Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, dans son prérapport pour 2022, affirme sans hésiter que l’homme ne survivrait pas à un changement climatique majeur, contrairement à la planète, sans changement radical de ses comportements.
Quelle que soit la fin de cette aventure parlementaire, il est plus que certain que la France n’agit pas comme elle le devrait pour la préservation de l’environnement et contre le dérèglement climatique.
On peut toujours graver dans le marbre qu’elle agit, ce qui d’ailleurs serait conforme à la réalité, puisqu’elle le fait malgré tout, mais cette réforme n’apporterait strictement rien si la version proposée par le Sénat devait être retenue.
En l’absence de consensus des deux chambres, et lassé par ces manœuvres comme nous le sommes nous-mêmes, le citoyen se déplacera-t-il si le référendum devait avoir lieu ? Rien n’est moins sûr.
Comme en première lecture, je m’opposerai, avec une partie de mon groupe, au texte du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Martin Lévrier et Guy Benarroche applaudissent également.)