PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Pacte vert européen
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le Pacte vert européen.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme Christine Lavarde, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que notre assemblée entamera dans quelques jours le long examen en séance publique du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit Climat et résilience, il a semblé important au groupe Les Républicains que le Sénat puisse débattre en amont du cadre dans lequel l’action climatique conduite par notre pays devra s’inscrire.
Hier, lorsque j’ai présenté mon rapport pour avis devant la commission des finances, je n’ai pas manqué de relever que les quelques articles sur lesquels je m’étais penchée appelaient tous à une concertation avec nos partenaires de l’Union européenne.
Le cadre dont nous allons débattre, c’est le projet de Pacte vert, présenté par la Commission européenne en décembre 2019. Ce pacte vise à atteindre la neutralité climatique en 2050, puis des émissions nettes négatives par la suite, à restaurer la biodiversité et à mettre un terme à la dégradation de l’environnement. Son fil rouge : parvenir dans les trente ans qui viennent à une transformation complète du modèle de croissance de notre continent.
Cette feuille de route implique des changements d’une réelle ampleur, que nous n’avons pas forcément tous perçus. Tous les pans de notre activité sont concernés, qu’il s’agisse de l’énergie, de l’industrie, du commerce, des transports, de la construction, de la recherche, de la finance, du recyclage ou encore de l’agriculture. Ce sont plusieurs dizaines de règlements et de directives qui seront proposés ou révisés dans les prochains mois.
À ce titre, un premier paquet législatif, intitulé « Ajustement à l’objectif 55 », sera présenté le mois prochain pour adapter la réglementation à la nouvelle cible climatique agréée fin avril par le Parlement européen et le Conseil, et qui porte sur une réduction nette de 55 % des émissions européennes d’ici à 2030. L’adoption de ce cadre obligera très certainement à réviser les ambitions de la France, inscrites dans le projet de loi Climat et résilience.
Mes chers collègues, il nous faut tous mesurer la hauteur de la marche qu’il nous est demandé de franchir. Entre 1990 et 2018, l’Europe a réduit ses émissions de 23 %. En un peu plus de huit ans, nos résultats devront donc être supérieurs de près de 40 % à ceux que nous avons obtenus au cours des trente dernières années. Même en tenant compte du progrès technique réalisé depuis les années 1990, l’effort à fournir est colossal !
La Commission européenne a présenté en janvier 2020 un plan d’investissement pour la transition écologique doté de 1 000 milliards d’euros sur dix ans. On peut le comparer au plan Juncker, lequel était à hauteur de 500 milliards d’euros sur cinq ans.
Dans le même temps, la Commission précisait que, pour atteindre l’objectif de réduction de 40 % des émissions à l’horizon 2030, c’était non pas 1 000, mais 2 000 milliards d’euros d’investissements qui étaient nécessaires. Ce ne sont donc pas les 37 % du plan de relance européen affectés à la transition écologique, soit 275 milliards d’euros seulement, qui permettront de combler la différence, et encore moins de financer la réalisation d’un objectif désormais porté à 55 %.
Pour tenir ces engagements climatiques, les finances nationales des États membres devront également être mises à contribution. L’Insee a récemment évalué à 100 milliards d’euros les dépenses annuelles nécessaires pour que la France atteigne la neutralité climatique en 2050, contre une dépense estimée à 45 milliards d’euros en 2018.
Il faudra donc mobiliser des capitaux privés. En disant cela, je souligne en creux que la notion de développement durable repose sur trois piliers : la soutenabilité écologique, l’efficacité économique et l’équité sociale. Il serait illusoire de prétendre se concentrer sur le premier pilier en oubliant les deux autres : ce serait courir le risque d’un effondrement global. La Commission y a été attentive puisque, dans l’enveloppe de 1 000 milliards d’euros d’investissements prévus, 100 milliards servent à financer un mécanisme pour la transition juste, en vue notamment de soutenir les territoires les plus en retard.
Les entreprises, véritables chevilles ouvrières de la transition écologique, devront donc être au centre de notre attention. Car c’est leur capacité à investir pour innover, développer de nouveaux modes de production, mais aussi assumer de nouvelles contraintes qui dictera notre capacité à atteindre nos objectifs climatiques.
Une politique industrielle volontariste est à ce titre indispensable. Les projets importants d’intérêt européen commun (Piiec), qui permettent un soutien dérogatoire aux règles en matière d’aides d’État pour les filières industrielles innovantes, doivent en être un instrument fort. Et la volonté de relocalisation industrielle doit être une boussole.
Mais surtout, l’intense activité normative qui s’ouvre au niveau européen devra faire preuve d’un absolu pragmatisme. J’illustrerai mon propos par quelques exemples.
Tout d’abord, en matière d’énergie, il faut reconnaître le rôle majeur que doit jouer l’énergie nucléaire.
Dans un contexte où la demande en électricité est appelée à croître, le recours à l’énergie nucléaire est le seul moyen d’assurer une production, à la fois, totalement décarbonée, adaptée aux besoins et abordable pour les entreprises mais aussi pour les particuliers. Sa non-inclusion, à ce stade, dans la taxonomie sur la finance verte est une aberration.
J’ai envie de croire à l’engagement du Gouvernement en la matière, après avoir entendu les propos tenus, il y a quelques instants, par le ministre Bruno Le Maire devant notre commission des finances.
Pragmatisme, ensuite, en matière commerciale. Nous avons un besoin impérieux de conditions de concurrence équitables, notamment au travers d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF).
Enfin, en matière agricole et alimentaire, les stratégies « Biodiversité » et « De la ferme à la table », conjuguées à la nouvelle architecture verte de la politique agricole commune (PAC), laissent entrevoir une baisse de la production en Europe. Ce n’est pas l’étude d’impact européenne disponible sur le sujet qui le dit, mais les évaluations du ministère américain de l’agriculture, lequel estime que cette réduction pourrait aller jusqu’à 12 %.
Au regard de la qualité de l’étude d’impact qui a été communiquée dans le cadre du projet de loi Climat et résilience, je ne jetterai pas la pierre à la Commission… Mais nous devons nous interroger collectivement sur l’évaluation des conséquences des objectifs que nous nous fixons en matière climatique.
La transition dans laquelle s’engage aujourd’hui l’Union européenne exigera des efforts gigantesques. Mais elle ne pourra que s’enliser si elle se limite à interdire ou à taxer.
Elle pourra au contraire réussir si elle parvient à mobiliser le génie européen pour concevoir et exploiter les technologies bas-carbone de demain.
Elle réussira si nous sommes en mesure d’en faire aussi un levier de création d’emplois et de valeur ajoutée.
Pour relever cet immense défi, gardons donc à l’esprit que, si l’ambition climatique et environnementale n’est plus une option, celle-ci ne pourra se concrétiser qu’en combinant deux qualités aussi fondamentales que complémentaires des Européens : la créativité et le pragmatisme. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de cette invitation et de l’occasion qui m’est donnée d’échanger avec vous sur le Pacte vert européen, dont l’importance est primordiale pour la transition écologique.
Je souhaite rappeler que le Pacte vert doit beaucoup à la volonté forte de la France d’accélérer la transition écologique en Europe. Comme le Président de la République l’indiquait dès 2017 dans son discours de la Sorbonne, nous avons fait de cette volonté une boussole politique. À cette occasion, il avait notamment souligné que « l’Europe devait être à l’avant-garde d’une transition écologique efficace et équitable », et qu’il fallait pour cela « accompagner les territoires qui pourraient souffrir de ces changements ».
Le Pacte vert, présenté en décembre 2019 par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, reprend cette vision, systémique, d’une transition juste pour l’Europe, avec l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050 tout en rendant durables les politiques publiques européennes.
Il suit un principe essentiel : concevoir une action publique qui ne nuise pas à l’environnement et au climat, mais qui soit acceptable pour tous. Ce principe s’applique aussi bien à la politique énergétique qu’à la politique industrielle ou à nos politiques commerciales.
Le Pacte vert reprend également de nombreuses propositions françaises auxquelles le Gouvernement est très attaché, comme la réforme du marché carbone européen, la mise en place, en parallèle, d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, ou encore la création d’un fonds de transition juste pour accompagner les territoires affectés par la transition écologique. J’y reviendrai plus en détail.
J’estime que nous, Français, avons une responsabilité particulière dans la mise en œuvre de ce pacte, que nous avons voulu, en partie inspiré et continuellement soutenu. Nous devons, dès lors, veiller à ce que son ambition initiale demeure intacte dans sa déclinaison opérationnelle.
Nous avons été particulièrement vigilants au moment de la crise sanitaire en 2020. En effet, le risque était grand, compte tenu de l’urgence de la situation, de voir ce pacte relégué parmi les priorités politiques de second rang et, parallèlement, de disposer de plans de relance reposant principalement sur des politiques et mesures visant à rétablir la situation d’avant – ce fut le cas lors de la réponse à la crise de 2009 –, en ignorant le virage nécessaire et même impératif de la transition écologique. Cela étant dit, la prise de conscience n’a jamais été aussi forte sur ces sujets.
La volonté a été clairement exprimée dans le Pacte vert d’inscrire ces enjeux au cœur du budget européen 2021-2027 et du plan de relance.
Ainsi, 30 % du nouveau budget européen et du plan de relance sont consacrés à la lutte contre le changement climatique. C’est bien parce que la France a porté sans relâche cette ambition que celle-ci est aujourd’hui déclinée du niveau communautaire au niveau national. Nous ouvrons ainsi la voie à une mise en œuvre ambitieuse de ce pacte, en toute cohérence.
Depuis 2019, la Commission européenne a formalisé de nombreuses stratégies pour organiser ce pacte et ses déclinaisons.
L’Union européenne s’est dotée de nouveaux objectifs climatiques clairement rehaussés – atteindre la neutralité carbone en 2050 et réduire au moins de 55 % nos émissions d’ici à 2030 –, et un accord est intervenu récemment sur la loi européenne sur le climat.
Ces plans désormais établis, nous démarrons à présent le chantier de construction de cette Europe durable et neutre en carbone. Lors de cette phase déterminante, notre ambition doit se concrétiser afin que l’on n’en reste pas au stade de l’incantation et des bonnes intentions.
Nous aurons ainsi un rendez-vous majeur, le 14 juillet prochain, avec la publication d’un ensemble de treize propositions législatives destinées à assurer la déclinaison opérationnelle de ces nouveaux objectifs climatiques, et une cinquantaine d’autres propositions.
La France, lorsqu’elle présidera le Conseil de l’Union, devra donc relever ce grand défi : faire avancer les nombreuses propositions du Pacte vert. Les avancées obtenues permettront de conforter et d’amplifier les réformes que nous portons au niveau national, dans le cadre du projet de loi Climat et résilience et de la mise en œuvre de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi AGEC.
Cette présidence sera aussi l’occasion de faire avancer de nombreuses propositions à dimension européenne de la Convention citoyenne pour le climat, que nous n’oublions pas. Si l’échelon communautaire nous a semblé préférable pour mettre en œuvre certains dispositifs, notamment le verdissement de la fiscalité énergétique, il s’agit désormais de les porter et de les décliner.
Nous aurions beaucoup à dire sur la finance verte et la politique commerciale, mais je m’en tiendrai ici à la stricte compétence du ministère de la transition écologique et à quatre domaines d’action essentiels.
L’un de ces domaines est l’accélération de la décarbonation de l’économie et de la société pour atteindre l’objectif climatique « 2050 ».
La présidence française du Conseil devra faire progresser les objectifs climatiques européens, au travers des propositions phares qui sont portées par le Président de la République depuis le discours de la Sorbonne : une meilleure tarification du carbone au niveau européen, avec le système communautaire d’échange de quotas d’émissions (SCEQE), dits ETS en anglais ; la création du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, un outil novateur, très ambitieux et même fondamental puisqu’il doit permettre de récompenser les efforts des industries et des travailleurs européens, et d’orienter les efforts dans les pays tiers, et ce dans le strict respect des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Toujours au chapitre de notre politique de décarbonation, nous devrons agir dans tous les secteurs en suivant un objectif global, décloisonné, comme le prévoit le projet de loi Climat et résilience.
Il nous faudra aussi mener des politiques sectorielles. Celle des transports constitue un enjeu clé, et l’Union jouera un rôle majeur à cet égard au travers de réglementations contraignantes mais aussi de financements et d’incitations. Nous devrons en particulier travailler avec nos partenaires sur l’accélération du déploiement des véhicules à faibles émissions, sur le report modal vers le rail, notamment pour le fret, ou encore sur le développement des carburants alternatifs dans tous les modes de transport.
Sur le volet énergétique, il nous faudra accélérer le déploiement des énergies renouvelables en renforçant les objectifs européens et en allant plus loin pour améliorer l’efficacité énergétique, notamment en termes de performance énergétique des bâtiments.
Les secteurs de la construction, de l’agriculture et de la forêt seront évidemment également au cœur de nos travaux.
Le Gouvernement est très attentif à ce que la politique systémique de décarbonation soit soutenable et juste, comme l’a préconisé la Convention citoyenne pour le climat. Ce principe doit être au cœur du Pacte vert européen, et c’est dans cet esprit que nous aborderons la présidence du Conseil de l’Union.
Le Pacte vert permettra d’accélérer la transformation du modèle économique européen pour le rendre plus circulaire et plus durable. La présidence française sera l’occasion réelle et concrète de favoriser cette accélération, de progresser dans les domaines de la réduction des emballages plastiques et de la durabilité des produits en agissant sur leur cycle de vie. Cette politique fera écho aux mesures françaises prévues dans la loi AGEC.
L’impact de nos politiques nationales sera démultiplié si l’ensemble de l’Union européenne s’en empare. Entraîner nos partenaires à suivre nos engagements sera un défi que nous devrons relever.
Nous attachons beaucoup d’importance à la place des consommateurs, auxquels nous donnons les moyens de faire des choix éclairés. J’ai d’ailleurs évoqué cet enjeu avec plusieurs collègues ministres de l’environnement de l’Union, au sein du groupe Reach-Up.
Le Pacte vert visera également à renforcer les mesures de protection contre l’impact des produits chimiques.
M. le président. Veuillez conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Les travaux sur l’origine de l’épidémie de covid nous conduisent à promouvoir une approche « Une seule santé », dite aussi « One Health », qui englobe une politique très ambitieuse en termes de santé environnementale.
Je tiens à citer aussi la protection de la biodiversité, que nous n’oublions pas.
Les signaux sont donc forts, et la cohérence est absolue entre nos politiques nationales, l’action européenne et l’engagement international.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Une agriculture verte, à quel prix ? Telle est la question en suspens.
Alors que les trois jours de négociations relatives à la PAC se sont achevés, la semaine dernière, sans que l’on soit parvenu à un consensus, on voit bien que l’Europe peine à s’entendre. Mais il ne faut pas s’arrêter à ces difficultés.
Le verdissement de l’agriculture est nécessaire et non négociable. Et l’Europe, avec son projet « De la ferme à la table », assume ses objectifs d’agriculture sûre, nutritive et de qualité élevée.
Les enjeux environnementaux, sociaux et sociétaux sont tellement évidents que les pays membres ont compris la nécessité d’une feuille de route verte pour l’agriculture, mais aussi plus largement. Ainsi, le Pacte vert marque un choix politique fort et définitif pour coller aux enjeux du changement climatique.
Pour nos agriculteurs, le volet économique est celui qui bloque actuellement. Comment s’appliqueront les écorégimes ? À quel taux ? Sous quelles conditions ?
Si les débats sont longs et les négociations rudes, il faut rester optimiste : l’agriculture durable est à portée de main européenne. Et c’est un point fort, car l’attente sociétale est bien là.
Comme je le répète souvent dans cet hémicycle, lorsque des mesures franco-françaises sont proposées, l’échelle européenne est de loin la plus adaptée. Le marché mondial libéral étant extrêmement concurrentiel, adoptons ensemble une même posture pour ne pas, en plus, accroître la concurrence entre États membres. Mais cela entraînera de nouvelles règles, de nouveaux contrôles.
Madame la secrétaire d’État, nous le savons, tous les dossiers sont fastidieux à remplir à cause d’une énorme complexité et de délais d’instruction parfois trop longs. Existe-t-il une uniformité européenne des procédures de contrôle et des logiciels qui en découlent ? En un mot, la simplification est-elle intégrée dans les négociations en cours ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. En effet, monsieur le sénateur Cabanel, il est nécessaire que l’ambition environnementale soit appliquée dans l’ensemble de l’Union européenne.
Cette nécessité se décline en plusieurs points de vigilance. Il s’agit, tout d’abord, de la lutte contre la distorsion de concurrence que subissent nos agriculteurs. Julien Denormandie s’est engagé sur ce dossier et il a obtenu, en octobre dernier, la mise en œuvre des écorégimes au sein de l’Union. Cet outil – un dispositif en cours de négociation, doté d’un pourcentage minimal de fonds – nous permettra de sécuriser la situation de nos agriculteurs.
La simplification est également nécessaire si l’on veut que la PAC soit véritablement un outil d’accompagnement, et elle est ardemment défendue. Nous avons ainsi obtenu l’inscription dans les règles de la PAC d’un droit à l’erreur pour tenir compte des accidents de la vie.
Sur le plan national, le souci de simplification préside aux arbitrages stratégiques qui ont été rendus. Un écorégime unique, calculé de manière forfaitaire, a été mis en place. L’objectif est qu’il soit incitatif.
Nous restons vigilants sur ces enjeux car, comme vous le savez, les négociations se poursuivent.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Avec le Pacte vert européen, la France prend des engagements forts en faveur de la décarbonation massive de notre économie. Je ne discute pas, ici, le niveau de ces engagements. Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne cesse de nous alerter sur le retard pris…
Ce qui est certain, c’est que l’atteinte des objectifs nécessitera une réorientation massive des financements. La Banque centrale européenne (BCE) et les banques ont donc un rôle crucial à jouer. Si elles ne réorientent pas leurs financements, il n’y aura pas de réussite possible.
Or, alors que les banques sont peu présentes au rendez-vous de la transition, de la relocalisation et de la reconquête de souveraineté, une étude récente, publiée par Oxfam et Les Amis de la Terre, montre que les banques françaises restent massivement engagées dans le soutien aux énergies fossiles.
Ce rapport indique que, depuis janvier 2020, BNP Paribas, la Société Générale, le Crédit Agricole, la Banque populaire et la Caisse d’épargne ont accordé 100 milliards de dollars de financement aux entreprises actives dans les énergies fossiles. La plus engagée à cet égard est BNP Paribas.
Tout montre donc que nos principaux acteurs financiers sont tellement exposés aux entreprises « fossiles » qu’ils n’ont aucun intérêt à réorienter leurs financements, si l’on s’en tient à leurs critères actuels de rentabilité.
Ma question est donc simple, madame la secrétaire d’État : comment comptez-vous agir sur les banques françaises afin qu’elles réorientent leurs critères de financement ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Laurent, la taxonomie nous donnera des orientations très fortes, et un cadre. Ce choix et cette vision sont partagés par les acteurs concernés, au premier rang desquels figurent les banques.
J’entends les questionnements, et aussi la volonté de verdir ces activités. Je rappelle, pour ce qui est de la France, que le Gouvernement a déjà opéré cette transition. En effet, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et l’Agence française de développement (AFD) ont consenti des efforts importants pour que ces crédits et ces budgets soient transparents. L’exigence en termes de reporting a ainsi été renforcée.
Au vu de l’attente citoyenne, et pour satisfaire leurs clients, les banques affichent aujourd’hui cette volonté de transparence. Il nous appartient de les accompagner dans le déploiement d’outils destinés à rendre véritablement lisibles les budgets relatifs à leurs activités.
Cette préoccupation est partagée. La Banque européenne d’investissement (BEI), qui a été transformée en Banque du climat, travaille à l’élaboration d’un label qui permettra de rassurer les consommateurs et l’ensemble des acteurs.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour la réplique.
M. Pierre Laurent. Madame la secrétaire d’État, vous me parlez d’intentions, mais les faits, c’est tout de suite qu’ils se jouent ! La BCE dispose d’un puissant levier avec ses programmes de rachat d’actifs dotés de 1 700 milliards d’euros : à quoi servent ces 1 700 milliards ?
Selon l’ONG Reclaim Finance, la BCE est prise d’une véritable frénésie gazière : elle subventionnerait actuellement 62 nouveaux projets gaziers. Le gouverneur de la Banque de France l’a récemment reconnu à demi-mot, il faudra trois à cinq ans pour intégrer la variable climatique. Or c’est maintenant que l’argent public et celui de la BCE pleuvent dans l’Eurosystème ! C’est maintenant que se produit un phénomène irréversible ! Et pourtant aucune mesure sérieuse n’est prise pour réorienter cet argent.
Si vous ne prenez pas d’autres mesures, si vous laissez les banques et la BCE continuer de financer de la sorte les énergies fossiles, le Pacte vert sera aussi vert qu’une mine de charbon…
M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.
Mme Denise Saint-Pé. Madame la secrétaire d’État, nous débattons aujourd’hui, à la demande de mes collègues du groupe Les Républicains, du Pacte vert pour l’Europe, cet ensemble de propositions avancées par la Commission européenne à la fin de 2019 afin de rendre le continent européen climatiquement neutre pour 2050.
L’objectif est sans nul doute ambitieux, mais il a le mérite de dessiner un cap. Mieux encore, la Commission dessine une trajectoire pour l’atteindre en proposant aux États membres plusieurs outils susceptibles de les aider dans leur transition énergétique. Ainsi, elle a proposé de créer une taxonomie verte pour les activités économiques, en définissant le seuil d’émission de CO2 en deçà duquel les activités économiques seraient considérées comme durables sur le plan environnemental.
Malheureusement, l’énergie nucléaire est exclue de la taxonomie à ce stade. Je ne peux que regretter cette décision, car elle condamne une énergie pourtant décarbonée, non intermittente, pilotable et qui permet de créer de nombreux emplois à la fois qualifiés et non délocalisables. Toutefois, le Parlement européen a voté, en juin 2020, un règlement qui laisserait la porte ouverte à la réintégration de l’énergie nucléaire, et la Commission elle-même envisage de corriger cette situation par le biais d’un acte délégué avant la fin de l’année 2021.
C’est dans ce cadre que le Président de la République et plusieurs dirigeants européens ont adressé, en mars 2021, une lettre à la Commission européenne pour lui rappeler l’indispensable contribution du nucléaire à la lutte contre le changement climatique. Cette intervention était nécessaire, et je tiens à la saluer.
Néanmoins, nous sommes maintenant en juin. Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous m’indiquer si les discussions ont progressé sur ce sujet ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice, vous évoquez la question de la taxonomie, qui est une clé de voûte du plan d’action de la Commission, et celle de la finance durable, qui vise à réorienter les investissements vers des activités plus durables sur le plan environnemental.
La taxonomie doit permettre aux investisseurs et à toute partie prenante d’identifier facilement la part verte des activités d’un acteur financier. Elle contribuera d’abord à limiter substantiellement les pratiques d’écoblanchiment : nous aurons ainsi davantage de visibilité et de transparence. Elle est également un outil qui doit permettre aux activités concernées de mieux amorcer, voire de poursuivre dans le meilleur des cas, leur transition vers la neutralité carbone en 2050.
La France a participé activement à la construction de cette taxonomie, et elle reste fortement impliquée dans les négociations européennes qui devront aboutir – vous l’avez indiqué –, d’ici à la fin de 2022, à l’élaboration d’un outil ambitieux et pragmatique.
Un premier acte délégué sur ces objectifs climatiques, approuvé informellement fin avril, devrait être transmis au Conseil et au Parlement européen d’ici à la fin juin : ces institutions auront ensuite quatre mois pour se prononcer sur une éventuelle objection.
Concernant l’énergie nucléaire, puisque vous m’interpellez plus directement sur ce sujet, elle fera l’objet d’un acte délégué complémentaire. Plusieurs États membres, en particulier d’Europe de l’Est, comptent sur cette énergie nucléaire pour décarboner leur mix électrique et atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.
La Commission européenne a mandaté des groupes d’experts. De fait, nous devons réellement porter un regard objectivé, pour ne pas dire dépassionné, sur ces questions afin d’évaluer les impacts environnementaux potentiels du nucléaire.
Un centre commun de recherches regroupant des experts de la Commission a rendu un premier rapport plutôt favorable à l’inclusion du nucléaire, mais deux autres groupes d’experts étudient actuellement la problématique. La Commission décidera sur la base de ces travaux de l’inclusion ou non du nucléaire dans la taxonomie, dans le cadre d’un acte délégué complémentaire à publier au plus tard en 2021.
La France sera vigilante à l’aboutissement rapide de ce processus, et à ce que la décision prise in fine soit vraiment fondée – je le redis – sur des critères objectifs et incontestables.