M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le ministre, la commission des lois constate, sur un plan statistique, que le quart des mesures d’application prévues par les textes qu’elle a examinés au fond en 2019-2020 n’était toujours pas pris au 31 mars dernier.
Cette situation est d’autant plus regrettable que notre commission a examiné 23 des 43 lois promulguées durant la période, soit 53 % du total, hors lois autorisant la ratification de conventions internationales. J’insiste sur le caractère pourtant obligatoire de la publication des mesures d’application car, en l’absence de toute sanction à l’égard d’un Gouvernement qui ne prendrait pas les décrets prévus, et ce dans un délai raisonnable, seule la publicité du contrôle parlementaire engendrera une amélioration de la situation.
Certes, ce taux d’application des lois ne préjuge pas de la qualité des mesures prises, et ne tient pas compte des mesures facultatives, dont nous savons qu’elles ont été cette année particulièrement nombreuses du fait de l’état d’urgence sanitaire. Dans un contexte objectivement difficile, la commission des lois ne souhaite donc pas surinterpréter cette donnée et reconnaît le caractère constructif des échanges avec le secrétariat général du Gouvernement.
Je souhaite toutefois attirer votre attention sur deux lois parmi les 23 relevant de la compétence de la commission des lois, qui demeuraient entièrement inapplicables au 31 mars 2021.
Il s’agit, d’une part, de la loi du 3 juillet 2020 visant à créer le statut de citoyen sauveteur, lutter contre l’arrêt cardiaque et sensibiliser aux gestes qui sauvent et, d’autre part, de la loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux : plus de huit mois après l’entrée en vigueur de ces deux lois, aucun des décrets obligatoires prévus par ces textes, pourtant issus de propositions de loi déposées par des députés, n’avait été pris à l’issue des délais impartis.
De même, notre commission regrette vivement que la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales n’ait toujours pas été rendue pleinement applicable au 31 mars 2021.
Je vous ferai grâce d’autres remarques pourtant importantes. Mes questions sont les suivantes, monsieur le ministre : réfléchissez-vous à des mesures pour assurer un pilotage plus efficace des phases consultatives préalables à la parution des mesures réglementaires ? Plus généralement, quels enseignements tirez-vous des dysfonctionnements qui ont conduit à ces retards ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le président Buffet, vous m’interrogez sur l’application de différentes lois issues d’initiatives parlementaires, qui représentent, je le rappelle, 18 des 43 textes votés durant la dernière session parlementaire.
Tout d’abord, je voudrais vous remercier pour le travail approfondi que vous avez conduit avec le secrétariat général du Gouvernement : celui-ci a permis d’avancer sur un certain nombre de dispositions, même si vous m’alertez sur deux ou trois points.
S’agissant de la loi visant à créer le statut de citoyen sauveteur, quatre mesures d’application restent encore à prendre, dont une devrait être publiée en juin 2021. Il s’agit du décret visant à former les arbitres et les juges, dans le domaine sportif, à la lutte contre les arrêts cardiaques et aux gestes qui sauvent. Les autres décrets sont en cours de rédaction.
La loi visant à encadrer le démarchage téléphonique appelle pour sa part trois mesures d’application et deux mesures éventuellement nécessaires.
Un premier décret portant application de deux mesures doit être pris, afin de définir les jours et horaires, ainsi que la fréquence à laquelle la prospection commerciale par voie téléphonique non sollicitée peut se dérouler ; il doit également déterminer les conditions dans lesquelles la prospection en vue de la fourniture de journaux, de périodiques ou de magazines est autorisée.
Ce décret qui a été soumis pour consultation fait débat : les positions des associations de consommateurs, d’une part, et des organisations professionnelles, d’autre part, sont très éloignées. Des arbitrages ministériels et interministériels devront être rendus sans qu’il soit possible à ce stade d’annoncer une date précise de publication.
Un second décret doit être pris pour définir les modalités selon lesquelles l’inscription sur une liste d’opposition au démarchage téléphonique est reconductible tacitement. Il fait l’objet d’échanges avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, qui devrait prochainement rendre un avis avant la saisine du Conseil d’État. Il est prévu que le décret paraisse en juillet 2021.
Concernant les deux mesures éventuelles, les décrets seront pris en tant que de besoin et dépendent des règles déontologiques qui seront adoptées par la profession.
Enfin, vous m’interrogez, tout comme l’a fait Mme la présidente Gruny, sur la loi visant à protéger les victimes de violences conjugales. Un décret d’application est encore nécessaire : il concerne la possibilité, pour le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, d’adresser une mise en demeure aux sites internet pornographiques ne garantissant pas suffisamment l’impossibilité d’accès pour un mineur, et de saisir le président du tribunal judiciaire de Paris.
La Commission européenne a été notifiée de ce projet de décret le 2 avril dernier, une fois qu’ont été identifiés les procédés techniques pour contrôler l’âge des utilisateurs.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 4 mars dernier, j’ai présenté un rapport sur le suivi des résolutions européennes, des avis motivés et des avis politiques qui traduit notre attachement, y compris dans le domaine des affaires européennes, au contrôle des suites données à nos travaux. Ce rapport démontre une nouvelle fois la réelle influence du Sénat à Bruxelles.
Je tiens à mentionner que, cette année encore, le Sénat français fait partie des dix assemblées parlementaires les plus actives, parmi les trente-neuf que compte l’Union européenne, pour ce qui concerne le dialogue politique avec la Commission européenne.
Sur la session 2019-2020, 17 résolutions européennes ont été adoptées par le Sénat. Dans environ 83 % des cas, les positions exprimées par le Sénat dans ces résolutions européennes ont été prises en compte.
Je voudrais à présent revenir sur une préoccupation partagée par nombre des précédents intervenants, notamment mes collègues présidents de commissions permanentes : je veux parler des ordonnances.
Nous constatons, d’année en année, un recours croissant aux ordonnances pour transposer les textes européens.
En juin 2019, le règlement du Sénat a confirmé le rôle de la commission des affaires européennes dans sa mission d’alerte sur les surtranspositions. Sur l’initiative du président Larcher, le Sénat a entrepris de modifier son règlement pour permettre le suivi des ordonnances.
À ce sujet, la commission des affaires européennes serait très intéressée que l’outil de suivi en ligne mis en place à cet effet soit enrichi d’une mention indiquant dans quelle mesure les ordonnances listées contribuent à la transposition et à la mise en œuvre de nos obligations européennes. Notre commission pourrait ainsi exercer sa mission d’alerte sur les surtranspositions, y compris dans les ordonnances prises par le Gouvernement, qui sont souvent trop discrètement ou tacitement ratifiées. Monsieur le ministre, pouvez-vous vous y engager ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le président, vous connaissez l’attachement du Gouvernement aux questions européennes et le respect qu’il porte aux travaux des commissions des affaires européennes des deux assemblées. Je souhaite souligner la qualité du travail qui est fait par le Sénat dans ce domaine.
Les propositions que vous présentez dans le cadre de vos travaux, en lien avec les autres parlements européens, et au travers de vos propositions de résolution, nourrissent la réflexion du Gouvernement, particulièrement à l’approche de la présidence française de l’Union européenne au premier semestre 2022.
La question de la transposition des directives recoupe, comme vous l’avez souligné, celle des ordonnances.
Pour parvenir à maintenir un taux de transposition le plus élevé possible, le Gouvernement a, comme ses prédécesseurs, recours à des projets de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne, dits Ddadue, qui comportent un certain nombre de demandes d’habilitation à légiférer par ordonnances.
Ces instruments permettent de traiter efficacement de questions souvent très techniques, en laissant aux parlementaires le soin d’apprécier la portée qu’ils donnent à l’habilitation.
Au 30 novembre 2020, le déficit de transposition de la France était de l’ordre de 0,3 %, trois directives seulement souffrant alors d’un retard de transposition sur les 1 024 en vigueur et relevant du marché intérieur. Ce déficit est bien en dessous de l’objectif fixé par l’Union européenne, qui est de l’ordre de 0,9 %. Nous pouvons conjointement nous féliciter de ce résultat, qui démontre l’attachement de la France aux institutions européennes et aux dispositions qu’elles prennent.
Comme vous le signalez, le travail de suivi des ordonnances engagé par le Sénat pourra aisément être complété par l’information selon laquelle une ordonnance transpose une directive européenne. Les rapports du Président de la République qui les accompagnent au moment de leur publication font mention à la fois du fondement légal de l’habilitation et de la référence de la directive transposée. Vous avez raison : ces éléments éclairent utilement le Parlement sur l’usage que le Gouvernement fait des ordonnances.
M. le président. Dans le débat interactif, la parole est désormais aux représentants des groupes, selon les mêmes règles que pour les représentants des commissions.
La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie la présidente Pascale Gruny de son travail sur le bilan de l’application des lois, sujet qui est au cœur de la présente semaine de contrôle. Je pense à l’examen à venir de la proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit. Je pense aussi à la discussion de la proposition de résolution visant à réviser notre règlement qui a eu lieu hier.
Un dispositif utile et consensuel a d’ailleurs été voté, afin que le Gouvernement informe la conférence des présidents des ordonnances qu’il prévoit de publier au cours du semestre. Pourrez-vous, monsieur le ministre, indiquer la portée que ce dispositif bienvenu aura dans l’organisation de vos travaux ?
Plus généralement, le bilan de l’application des lois souligne, comme par le passé, une banalisation du recours aux ordonnances. La crise sanitaire a impliqué tout au long de l’année 2020 de prendre et d’adapter des mesures, notamment par ordonnance. Au regard de l’urgence, 100 ordonnances ont ainsi été prises, presque le double de l’année précédente.
Pour présenter les habilitations comme une facilité dont userait le Gouvernement et dont la pertinence ne serait pas établie, le bilan se fonde sur un délai moyen de 209 jours entre le dépôt du projet de loi d’habilitation et la publication de l’ordonnance. Or ce délai est de 29 jours pour les ordonnances prises dans le cadre de la crise sanitaire.
Cette célérité ainsi que le doublement du nombre des ordonnances dans ce contexte bien particulier peuvent expliquer un allongement du délai de publication constaté pour les autres ordonnances.
La comparaison ne peut se faire que toutes choses égales par ailleurs, et compte tenu des spécificités de la situation. Le Sénat a d’ailleurs lui-même consenti plusieurs habilitations, y compris au sein du texte adopté la semaine dernière relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire.
Il faut enfin rappeler que, une fois franchi le délai de dépôt du texte de ratification, le Parlement peut tout à fait intervenir pour modifier ces ordonnances. Monsieur le ministre, quel bilan le Gouvernement tire-t-il de cette période de crise et des délais très courts que l’on a pu observer entre le dépôt des projets de loi habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances et la publication desdites ordonnances ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Madame la sénatrice Nadège Havet, je voudrais d’abord saluer, comme je l’ai fait tout à l’heure, la qualité du travail du Sénat en matière de contrôle de l’application des lois.
Vous m’interrogez sur les évolutions du règlement du Sénat : il n’appartient pas au Gouvernement de commenter les évolutions du règlement de votre assemblée, et encore moins avant même la décision du Conseil constitutionnel. Évidemment, le Gouvernement se pliera, comme il essaie de le faire à chaque fois, à ce nouvel exercice qui permettra aux sénateurs, comme l’a rappelé la présidente Gruny, de mieux contrôler l’application des lois tout au long de la session.
Vous avez abordé la question des ordonnances. Comme vous l’avez indiqué, au cours de la session, près de 100 ordonnances ont été prises. Elles ont permis de faire face à l’épidémie et de mettre en place des dispositifs de soutien en un temps record. C’est évidemment la crise sanitaire qui explique un tel recours accru aux ordonnances, comme j’ai tenté de vous l’expliquer tout à l’heure.
Vous vous félicitez de la célérité avec laquelle ces ordonnances ont pu être mises en œuvre. C’est précisément dans ce but que nous y avons eu recours. Vous me permettrez, à cet égard, de saluer la mobilisation de tous les agents publics durant cette période : ils ont permis de faire face avec rapidité et efficacité à la crise, tant au niveau central qu’au niveau déconcentré, grâce à un usage adapté des ordonnances.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux.
M. Jean-Yves Roux. Le bilan de l’application des lois s’inscrit dans une tradition parlementaire qui n’est sans doute pas assez prise en compte. Le Sénat s’y trouve pourtant au cœur de sa mission constitutionnelle de contrôle, mais aussi de sa responsabilité partagée de législateur.
Il faut dire que ce débat tombe à pic, à la veille de l’examen du projet de loi 4D, qui pourrait, à l’instar du projet de loi Engagement et proximité, s’avérer tentaculaire, et à ce titre plus difficilement applicable rapidement. Prenons-y garde !
Vous me permettrez trois remarques et suggestions.
Le temps donné entre le dépôt en ligne du texte modifié par la commission et l’examen en séance est parfois d’une brièveté rocambolesque, ce qui ne permet pas un travail de qualité. Nous devons améliorer cette procédure.
Deuxièmement, nous pouvons admettre, dans un contexte exceptionnel, le recours croissant aux ordonnances, mais ce n’est pas, selon nous, une solution pérenne.
Troisièmement, je m’interroge sur le rôle des questions écrites au Gouvernement ; il doit être possible de les faire évoluer sans modifier la Constitution, en identifiant plus rapidement les questions qui touchent, précisément, aux décrets d’application ou au caractère non opérationnel de certaines dispositions votées. Monsieur le ministre, la balle est dans votre camp ; pouvons-nous réfléchir à mieux mobiliser cet outil ?
J’en viens à une mission à laquelle, je l’espère, le Sénat va conférer une place croissante, celle d’évaluation – la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation s’en est d’ailleurs saisie récemment. Les rapports au Parlement et le recours aux expérimentations ont enrichi nos textes de loi ces dernières années. Mais qu’en faisons-nous ?
Comment sont traités les rapports remis au Parlement ? Quelles suites leur ont été données en 2020 ? Quelles difficultés sont-elles constatées dans leur élaboration ? Faut-il continuer à demander de tels rapports ?
Comment sont traitées les suites des expérimentations prévues dans les textes de loi que nous votons ? Le Sénat ne pourrait-il devenir, en la matière, un évaluateur identifié et, pour ce qui est des projets de loi stratégiques concernant les collectivités locales, proposer lui-même de telles expérimentations en amont de leur examen ? Des expérimentations ciblées et évaluées constituent des garants intéressants du caractère opérationnel de la loi tout en permettant d’aller plus vite dans la rédaction d’éventuels décrets d’application.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur Roux. Vous soulevez un grand nombre d’interrogations ; je vais essayer d’y apporter des réponses, qui seront par définition concises.
Vous avez évoqué la réorganisation matérielle de l’examen des textes au Sénat. Il est vrai que, pendant la session en cours, période qui nous occupe cet après-midi, la crise a rendu les conditions d’exercice de vos missions particulièrement tendues, plus encore qu’elles ne le sont déjà d’ordinaire. Nous essayons de faire aussi bien que possible, et l’on peut espérer que la sortie de la crise sanitaire nous permettra de retrouver des délais et une organisation plus conformes à l’image que nous nous faisons les uns et les autres de ce que doit être le travail parlementaire.
De la même façon – je le dis au passage –, les rapports transmis au Parlement participent de son information ; il appartient aux députés et aux sénateurs de s’en saisir.
Vous avez parlé du recours aux ordonnances, dont vous jugez qu’il doit rester exceptionnel et ne pas devenir la norme. J’ai essayé de répondre à la présidente Gruny en indiquant que cette surutilisation des ordonnances était très liée à la crise sanitaire et qu’il fallait évidemment revenir à un usage plus modéré de ce dispositif.
Vous m’incitez à trouver des solutions pour mieux mobiliser les questions écrites. Je rejoins votre souci de leur donner toute la place qu’elles méritent – le président Larcher le rappelle souvent – en tant qu’outils de contrôle du Gouvernement par les parlementaires. J’ai d’ailleurs très souvent rappelé cet impératif à mes collègues, y compris à la fin de l’année dernière et au cours des mois qui viennent de s’écouler.
Cependant, vous conviendrez qu’avec près de 60 000 questions écrites posées depuis le début du quinquennat par les députés et les sénateurs, il ne serait pas aisé de transformer cet outil de contrôle – c’est bel et bien un outil de contrôle, prévu comme tel, avec ses contraintes de réponse – en indicateur de suivi. Le bilan de l’application des lois me semble un outil plus adapté pour répondre à cet objectif.
Quant à la question des expérimentations, elle a déjà été soulevée. Cette procédure constitue en effet une méthode intéressante pour mettre en œuvre certaines réformes. Le Sénat est toujours libre de proposer des expérimentations ; dans la mesure où il est saisi en premier lieu des textes relatifs aux collectivités territoriales, ces propositions servent de base aux discussions dans la suite de la navette parlementaire.
La généralisation des expérimentations passe nécessairement par une nouvelle loi après la remise du rapport qui en dresse le bilan. Là encore, me semble-t-il, il revient aux parlementaires de se saisir du sujet qui est en cause ou d’adopter la disposition concernée dans le cadre d’un nouveau texte de loi.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Nous sommes conduits ces jours-ci à réfléchir à l’élaboration de la loi et aux modalités du travail législatif : hier la réforme du règlement du Sénat, bientôt la problématique des lois obsolètes, aujourd’hui ce débat sur le bilan de l’application des lois.
Je souhaiterais pour ma part revenir sur un point : de quelle loi parle-t-on ? Les ordonnances sont en effet de plus en plus nombreuses et les ratifications de plus en plus rares ; ainsi le pouvoir exécutif empiète-t-il toujours davantage sur le pouvoir législatif.
Certes, monsieur le ministre, la Constitution de 1958 a œuvré à l’extension du pouvoir réglementaire, notamment en le rendant autonome. Il reste qu’il appartient au pouvoir en place de veiller à l’équilibre des pouvoirs.
Il n’y a qu’à voir les projets de loi de gestion de la crise sanitaire : ce sont pas moins de 92 ordonnances qui ont été prises dans ce cadre, sur des sujets aussi variés qu’importants, et aucune ratification n’a été soumise au Parlement. Et ce n’est qu’un exemple : la tendance s’est peut-être un peu accentuée, mais elle ne fait, année après année, que se confirmer.
Dans une décision rendue le 28 mai 2020, le Conseil constitutionnel a spécifié en des termes inédits qu’une ordonnance qui n’aurait pas été ratifiée par le Parlement pourrait avoir rétroactivement force de loi une fois passé le délai d’habilitation. Autrement dit, passé leur date limite, les ordonnances doivent être considérées comme des dispositions législatives. Il ne faudrait pas que laisser traîner pour éviter le débat démocratique devienne une règle là où il s’agit de légiférer.
Ayant entendu les premières réponses que vous avez faites, monsieur le ministre, j’ajoute qu’il ne faudrait pas non plus donner le sentiment que la démocratie n’est qu’une question de ratios horaires et que le temps du travail et du débat législatifs représente une perte d’efficacité.
Je souhaite donc connaître la position du Gouvernement sur cette décision, en espérant que celle-ci n’ait pas déjà été intégrée à la jurisprudence en matière de procédure législative.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Madame la sénatrice Cukierman, je vous remercie de votre question. Loin de moi l’idée qu’il faudrait rationaliser le temps parlementaire. J’ai simplement indiqué que dans certains cas – j’ai fait référence à la gestion de la crise sanitaire – où les ordonnances sont le meilleur outil pour œuvrer dans la plus grande célérité.
Vous m’interrogez par ailleurs et plus globalement sur le recours aux ordonnances, qui constitue à vos yeux un recul des pouvoirs du Parlement. Je ne reviendrai pas sur les propos que j’ai tenus tout à l’heure. Je rappelle simplement que, depuis 2007, la moyenne annuelle s’établit à 42, hors ordonnances liées à la crise.
Pour parler franchement, le constat d’une forme de « banalisation », pour reprendre le mot utilisé par Jean-Marc Sauvé lors d’un colloque sur la législation déléguée en 2014, me semble difficile à contester.
Je manque de temps, sans doute, ainsi que du recul nécessaire, pour me livrer à une explication juridique des causes de ce phénomène, mais je partage de façon empirique l’analyse de l’ancien vice-président du Conseil d’État, que je me permets de citer : « L’“inflation législative” […] a […] trouvé dans la législation déléguée un exutoire durable, d’abord pour répondre à l’urgence de certaines réformes ou pour décharger le Parlement de l’adoption de textes techniques […], ensuite pour investir très largement le domaine devenu très extensif de la loi. »
Pour ce qui est de la ratification des ordonnances par le Parlement, le Gouvernement s’engage généralement, au moment de la demande d’habilitation et s’agissant de sujets d’intérêt pour les parlementaires, à inscrire à l’ordre du jour le projet de loi de ratification. Ce fut le cas pour le tout premier texte d’habilitation voté sous ce quinquennat, visant à renforcer le dialogue social, ou plus récemment au sujet de la justice pénale des mineurs.
Le Parlement demeure en outre libre d’inscrire sur son ordre du jour, notamment à la suite des débats de contrôle, la ratification d’ordonnances dont il souhaite discuter ou amender le contenu. L’article 48 de la Constitution lui confère la maîtrise de la moitié de son ordre du jour ; libre à lui d’en disposer selon ses priorités. Tel est le sens, me semble-t-il, de l’une des conclusions du groupe de travail sur la modernisation des méthodes de travail du Sénat.
À l’inverse, le Gouvernement n’est pas favorable à l’inscription systématique en séance publique, sur son ordre du jour prioritaire, de projets de loi de ratification, dès lors qu’il n’existe pas de volonté politique d’en modifier la teneur ou d’en valider le principe.
Je tiens à rappeler qu’en la matière, le Sénat a de lui-même écarté l’option d’un débat en séance publique pour près de la moitié des ratifications d’ordonnances sous ce quinquennat. L’article 71 de la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises, dite Pacte, par exemple, qui prévoyait la ratification de 23 ordonnances, a été examiné en procédure de législation en commission à la demande de la commission spéciale et n’a donné lieu à aucun débat particulier.
Vous m’interrogez également sur la décision récente relative à la répartition des compétences entre le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel et le Parlement en matière d’ordonnances non ratifiées.
Lorsque le délai d’habilitation accordé par le Parlement au Gouvernement pour prendre l’ordonnance est expiré, la contestation de l’ordonnance, au regard des droits et libertés garantis par la Constitution, doit prendre la forme d’une question prioritaire de constitutionnalité dont aura à juger le Conseil constitutionnel.
En revanche, le Conseil d’État continuera de contrôler systématiquement la conformité de l’ordonnance aux règles et principes de valeur constitutionnelle, aux engagements internationaux et aux limites fixées par le Parlement.
Le Parlement, quant à lui, conservera l’entièreté de ses pouvoirs, que ce soit pour ratifier l’ordonnance, qui ne pourra le cas échéant plus être contestée devant le Conseil d’État, ou pour la modifier.
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Bien qu’un peu austère, cet exercice relatif au bilan de l’application des lois constitue un temps fort du contrôle de l’action du Gouvernement par le Parlement.
Une fois la loi votée, en effet, le rôle du législateur n’est pas achevé. L’organisation de ce débat cet après-midi nous permet notamment de donner toute sa force au principe de séparation des pouvoirs et de veiller à la crédibilité de l’action publique.
En premier lieu, je souhaite mettre l’accent sur le recours trop fréquent à la procédure accélérée.
À titre d’exemple, sur les 23 lois promulguées lors de la précédente session et examinées au fond par la commission des lois, 17 ont été adoptées après engagement de cette procédure, soit un taux de 74 % ! Autrement dit, l’exception devient la règle, or ces conditions nuisent au nécessaire travail sur le fond. En effet, des délais restreints portent atteinte à la qualité du débat parlementaire et donc de la loi, ce que nous regrettons vivement.
En second lieu, monsieur le ministre, je souhaite vous interpeller sur la non-communication de rapports au Parlement prévus par la loi ou, selon les cas, sur le retard observé dans leur transmission.
Dans les 23 lois promulguées au cours de la session parlementaire 2019-2020 qui avaient été envoyées au fond à la commission des lois, sept remises de rapport étaient prévues ; à ce jour, quatre rapports seulement ont été remis, soit un taux de remise de l’ordre de 57 %. Ce chiffre n’est pas satisfaisant.
Concernant les retards dans la transmission, je souhaite citer, à titre d’exemple, le rapport prévu à l’article 18 de la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille.
Monsieur le ministre, ma question est la suivante – beaucoup de mes collègues se la posent : quelles mesures envisagez-vous de prendre enfin pour remédier à ces situations ? (M. Jean-Pierre Decool applaudit.)