M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 3 octobre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision préfectorale qui rejetait la candidature de la championne du monde de karaté, Alizée Agier, au métier de gardien de la paix, pour inaptitude physique, sur la base d’une réglementation obsolète.
Cette exclusion a priori est le lot d’un grand nombre de personnes atteintes de maladies chroniques. Qu’ils soient diabétiques, asthmatiques ou atteints d’une affection médicale évolutive, plus de 10 millions de Français ne pourront jamais réaliser leur rêve de devenir hôtesse de l’air, conducteur de train, contrôleur aérien, pompier ou militaire.
En réalité, les estimations de l’assurance maladie portent le nombre de personnes concernées à 20 millions, soit 35 % de la population.
Si les conditions minimales d’aptitude physique semblent tout à fait légitimes pour permettre l’accès à certaines professions, la disqualification immédiate d’un grand nombre de candidats avant toute évaluation semble désormais disproportionnée et discriminatoire. En effet, les traitements de ces maladies ont considérablement évolué ces dernières années, grâce aux progrès de la médecine, mais force est de constater que l’évolution réglementaire ne suit pas le même rythme.
Aussi, la pétition lancée par la Fédération française des diabétiques et le valeureux travail de sensibilisation mené par des personnes diabétiques, à l’instar du jeune Haka, que j’ai reçu voilà quelque temps – je le salue, ainsi que sa famille –, ont œuvré à sensibiliser le Parlement à cette difficulté. La proposition de loi que nous examinons à présent, présentée par Agnès Firmin Le Bodo et adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 30 janvier 2020, est le fruit de cette volonté collective. Nous devons en remercier nos collègues députés.
Le dispositif initial prévoyait de remplacer l’interdiction de principe d’exercer certains métiers faite aux diabétiques par un examen au cas par cas de l’état de santé des candidats.
L’Assemblée nationale a étendu, à juste titre, cette disposition à l’ensemble des maladies chroniques, en accord avec les recommandations du Défenseur des droits.
De nombreux pays ont déjà mis en place des mesures similaires. En Espagne, le gouvernement a autorisé l’accès à l’armée et à la police aux personnes diabétiques ou atteintes du VIH, de la maladie cœliaque ou de psoriasis. Les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et l’Irlande permettent désormais aux diabétiques d’avoir accès aux métiers de l’aviation civile, sur la base d’un examen au cas par cas.
La commission des affaires sociales du Sénat a renforcé la portée normative du dispositif, tout en prévoyant une actualisation régulière des restrictions d’accès, afin de tenir compte des avancées thérapeutiques.
Cette proposition de loi est très attendue. Son adoption permettra d’ouvrir le marché du travail à l’ensemble de nos concitoyens, sur la base de critères d’aptitude pertinents, tenant compte des évolutions médicales. L’objectif est d’élargir autant que faire se peut l’employabilité des personnes atteintes de maladies chroniques, dans le respect des impératifs de sécurité imposés par certaines professions.
Aussi, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de ce texte. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe écologiste votera cette proposition de loi, comme tout texte permettant de lutter contre des discriminations. Nous remercions le groupe RDPI d’avoir demandé son inscription à l’ordre du jour et nous félicitons Xavier Iacovelli pour la qualité de son rapport.
Ce texte marque une avancée en mettant fin à des interdictions a priori d’exercer certains métiers, mais il reste, selon les associations, des textes réglementaires à actualiser au regard des données médicales actuelles et des protocoles d’allégement thérapeutique, qui limitent encore de façon disproportionnée, donc discriminatoire, l’accès à certains métiers de la fonction publique pour certaines pathologies chroniques.
Ainsi, le référentiel d’aptitude physique et médicale dit Sigycop, dont la cotation conditionne l’accès ou le maintien à l’emploi pour les métiers d’intervention de la police nationale, de la gendarmerie et des forces armées, tarderait, du moins pour les forces armées, à donner suite à la recommandation d’une mission d’information de l’Assemblée nationale consistant à procéder à une révision relative aux personnes porteuses du VIH.
Seuls une réactualisation régulière et un suivi du comité d’évaluation seraient à même de préserver ces référentiels de leur obsolescence. Cela vaudra, demain, pour le diabète, pour lequel les traitements font l’objet d’innovations très rapides. Ainsi, on ne pourra plus préjuger de l’inaptitude physique d’une personne en raison de sa seule maladie, personne n’étant jamais réductible à une maladie, le contrôle de l’aptitude à exercer certaines missions s’évaluera individuellement, au cas par cas, en faisant preuve d’objectivité.
Ce texte est un signal fort qui contribuera aussi à faire reculer les préjugés.
Il est d’autant plus nécessaire que beaucoup de maladies chroniques, dont le diabète, sont qualifiées de « maladies du siècle », en tant qu’elles soulignent le lien entre santé et environnement. D’ailleurs, puisque ce texte s’est beaucoup centré sur le diabète, nous souhaiterions saisir l’occasion pour nous faire l’écho des récentes interpellations du Gouvernement par des élus de tous bords et des associations de malades atteints de cette pathologie concernant l’accès à l’insuline. Par une proposition de résolution, une question écrite et une tribune, ils ont demandé solennellement à la France de soutenir les initiatives de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour plus de transparence sur les coûts de production de l’insuline et pour rendre ce médicament, indispensable à la survie des malades, accessible à tous, à prix abordable.
Trois géants de l’industrie pharmaceutique, dont Sanofi, se partagent le marché de l’insuline, alors que ses découvreurs, je le rappelle, avaient cédé les brevets pour un dollar symbolique voilà cent ans. Ils la vendent à des prix élevés, sans rapport avec son coût de production, s’assurant une rente de situation confortable sur un marché en extension, sans pour autant consacrer cette rente à la recherche, arrêtée en ce qui concerne Sanofi.
En France, ces pratiques représentent un coût indu pour la sécurité sociale. Plus grave, ailleurs dans le monde, elles restreignent l’accès à l’insuline, donc tuent. La gestion de la crise du covid-19 nous l’a montré : nous ne pouvons laisser à la seule logique de rentabilité des acteurs privés la réponse aux besoins de santé publique.
Monsieur le secrétaire d’État, à la suite à cette récente mobilisation, la France se serait associée à la résolution de l’OMS sur l’accès à l’insuline. Nous nous en félicitons. Nous serons attentifs à la mise en œuvre de cette résolution, assurant à ces biens communs, dans l’attente de la création d’un pôle public du médicament, la transparence de leur prix et leur large accès partout dans le monde.
Le groupe Écologiste – Solidarités et Territoires votera bien évidemment cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée vise à élargir le marché du travail pour les personnes atteintes de maladies chroniques.
L’inclusion sur le marché du travail est un réel enjeu pour les 20 millions de personnes atteintes d’une maladie chronique en France, dont 4 millions souffrent de diabète. Un quart de la population active pourrait même être concernée en 2025.
Encore aujourd’hui, des discriminations frappent, par exemple, les personnes diabétiques dans leur choix de carrière et de formation, comme mes collègues l’ont rappelé.
En raison de certaines réglementations obsolètes datant des années 1950, certains malades chroniques n’ont pas accès à certaines professions : militaire, pilote de ligne, sapeur-pompier, douanier ou hôtesse de l’air.
Si, à l’époque, le traitement au quotidien de ces maladies pouvait justifier de telles mesures de précaution, ces interdictions systématiques ne correspondent plus aujourd’hui à la réalité médicale, grâce aux progrès thérapeutiques et aux innovations médicales. Celles-ci sont désormais adaptées aux besoins et aux habitudes de vie des personnes souffrant de maladies chroniques.
Ces malades mènent deux combats : contre la maladie et contre les discriminations. Il était donc tout naturel que le législateur modernise la réglementation, devenue complètement inadaptée aux réalités actuelles et source d’injustices, en revenant sur cette exclusion a priori de l’accès à certaines professions, au profit d’un système d’évaluation au cas par cas de l’aptitude des candidats.
Je souscris donc à la nouvelle rédaction de la commission, qui prévoit que la restriction d’accès à un emploi sur la base de conditions de santé particulières doit être strictement proportionnée aux risques pour la personne et les tiers dans les fonctions concernées. En effet, certaines restrictions sont légitimes et fondées sur des impératifs de santé et de sécurité.
De plus, il n’existe aucune liste exhaustive des métiers qui n’acceptent pas les personnes atteintes de maladies chroniques. L’article 1er met fin à cette situation en créant un comité d’évaluation chargé de recenser et d’évaluer la pertinence de ces textes.
Je soutiens, d’ailleurs, l’amendement de la commission tendant à limiter à trois ans la durée d’existence de ce comité, afin d’assurer un travail efficace sans en faire un organisme pérenne.
En tant que législateurs, nous pouvons améliorer l’insertion professionnelle de millions de Français souffrant d’une pathologie chronique et mettre ainsi un terme à ces discriminations.
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe du RDSE voteront cette indispensable proposition de loi, améliorée par le travail en commission, qui a permis de rendre le texte plus rigoureux et plus équilibré. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP et RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi visant à améliorer l’accès à certaines professions des personnes atteintes de maladies chroniques s’inscrit dans la continuité de la pétition lancée par la Fédération française des diabétiques, qui a recueilli plus de 30 300 signatures en 2016, du dépôt d’une proposition de loi, en 2018, par des membres de six groupes parlementaires, ainsi que de l’adoption d’une résolution à l’Assemblée nationale.
Plusieurs parlementaires ont fait état des difficultés supplémentaires rencontrées par ces personnes en période de pandémie. Ainsi, le 30 avril 2020, ma collègue Michelle Gréaume a attiré l’attention de M. le ministre des solidarités et de la santé sur la prise en charge des personnes atteintes de diabète durant l’épidémie de covid-19 et sur les risques liés à un non-recours aux soins pendant cette période.
Aujourd’hui, près de 3,3 millions de personnes sont traitées pour un diabète en France, soit 5 % de la population, avec des inégalités sociales et territoriales extrêmement marquées.
Mais la situation des personnes diabétiques est comparable à celle des personnes souffrant d’autres pathologies chroniques ou évolutives. Ainsi, comment accepter, par exemple, qu’un militaire atteint du VIH soit exclu de la marine nationale parce qu’il a été déclaré inapte par le service de santé des armées sans que sa capacité réelle à exercer des missions ait été prise en compte ?
Fort justement, ce texte concerne non seulement les personnes atteintes du diabète, mais également celles qui sont atteintes d’une maladie chronique ou d’une maladie de longue durée évolutive, caractérisée, selon le Haut Conseil de la santé publique, par une « limitation fonctionnelle des activités sociales », une « dépendance vis-à-vis d’un médicament » ou la « nécessité de soins médicaux ou paramédicaux ».
Si les outils thérapeutiques et technologiques permettent aux malades de mieux surveiller et gérer leur maladie, les textes réglementant l’accès à certaines professions n’ont malheureusement pas évolué. La longue liste des professions interdites aux malades ne correspond plus à la réalité de ces maladies. Comment peut-on, en 2021, interdire l’accès à un métier sans évaluation au cas par cas de la situation des malades et des conséquences sur leur vie quotidienne ?
En 2017, la ministre des affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine, formulait le souhait « que ces textes évoluent et […] que soient complètement revues les conditions d’aptitude à un certain nombre de métiers des personnes diabétiques et, le cas échéant, de celles souffrant d’autres pathologies ». En mars 2019, la ministre des solidarités et de la santé Agnès Buzyn affirmait la volonté du Gouvernement de « garantir un accompagnement vers l’emploi, afin que les patients ne se voient pas opposer une incompatibilité de principe du diabète avec certaines professions ». Malgré toutes ces belles promesses, les textes interdisant l’accès à certaines professions sont toujours en vigueur en 2021.
Il y a urgence à passer des paroles aux actes afin de permettre une meilleure insertion dans l’emploi de toutes les personnes atteintes de maladies chroniques.
Alors que ces maladies concernent déjà aujourd’hui 15 % de la population active, elles pourraient en concerner 25 % d’ici à 2025. Comme l’a souligné l’ancien Défenseur des droits, Jacques Toubon, il s’agit avant toute chose d’un combat contre les discriminations, pour plus de justice.
Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste voteront donc cette proposition de loi, enrichie par le travail du rapporteur, Xavier Iacovelli. Nous souhaitons que cette avancée indispensable puisse être accompagnée d’un engagement du Gouvernement en faveur de l’accès à l’ensemble des emplois et des métiers aux personnes atteintes d’une pathologie chronique ou porteuses d’un handicap. Il me semble que tel était le sens de votre intervention, monsieur le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub.
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au mois de février dernier, j’ai rencontré, comme l’ont fait un certain nombre d’entre vous ces derniers mois, le jeune Hakaroa Vallée, qui était de passage au Sénat.
Ce brillant jeune homme souffrant de diabète a engagé un combat courageux pour faire bouger certaines lignes, se lancer des défis sportifs, prouver qu’il n’y a pas de fatalité et communiquer sur sa pathologie de manière positive. Je le salue à mon tour. Il s’est lancé dans ce qu’il appelle un combat pour la justice, et il est déterminé à aller jusqu’au bout.
Il est incroyable, parce que, lorsqu’il est de passage à Paris, c’est lui qui délivre les rendez-vous, compte tenu de son agenda très chargé. C’est lui qui vous dit qu’il lui reste une demi-heure avant de voir M. Retailleau, puis M. Kanner ! (Sourires.)
Hakaroa Vallée m’a exposé cette réalité concrète, que j’ignorais, à vrai dire, parce que je n’y avais pas été confrontée : il existe en France, de nos jours, des listes de pathologies sur lesquelles des recruteurs peuvent s’appuyer pour refuser l’accès de certaines personnes à des professions considérées comme sensibles, principalement dans la fonction publique. Or ces listes, déjà discutables sur le principe, ne sont pas réactualisées en fonction des progrès thérapeutiques ni de l’évolution des conditions de travail, si bien que, à force de précautions, l’État, qui est le principal recruteur à pratiquer cette forme de sélection, crée des situations d’injustice, voire des incohérences notoires.
Face à ce jeune homme à l’argumentaire parfaitement maîtrisé, je me suis sentie très gênée, mes chers collègues. Il faut l’électrochoc provoqué par son culot insensé pour ouvrir un œil sur une réalité d’un autre âge, tellement décalée qu’elle en est presque ridicule.
N’y a-t-il donc jamais eu, quelque part, dans un ministère, un voyant qui s’est allumé sur ce sujet ? Est-ce à un lycéen de venir cogner à notre porte ? Il n’y a pas là de quoi être fiers…
Pour un jeune en devenir, comment accepter qu’un projet de vie soit passé au crible d’une liste qui semble gravée dans le marbre ? Je comprends la colère d’Haka, qui nous demande de faire reculer une injustice. À l’heure où l’on exhorte les jeunes à briser le « plafond de verre », où l’on engage des moyens importants au service de leur parcours professionnel et de leur réussite, on ne peut pas conserver de telles œillères.
De fait, les traitements évoluent. Les pompes à insuline, par exemple, font désormais partie du quotidien. Parallèlement, de nouvelles pathologies apparaissent : burn-out et covid long ne figurent sans doute pas dans la liste d’antan !
Chaque patient doit pouvoir trouver la clé de l’insertion dans la vie professionnelle, qui est un champ immense de compétences variées et de sollicitations plus ou moins physiques. En effet, un être humain porteur d’une maladie chronique n’est pas une maladie chronique : il est un être humain. Ici comme ailleurs, la moulinette du tri et du classement, comme tous les systèmes qui rangent les individus dans des cases, est injuste et inadaptée, sauf si elle parvient à faire preuve de souplesse et d’agilité.
Bref, comme nous l’avons tous affirmé, le référentiel doit être revu et adapté. C’est un gamin qui est venu nous le rappeler !
Faut-il une loi pour cela ? Disons que oui… Aussi, le groupe Union Centriste dira « oui » au texte sagement aménagé par le rapporteur de la commission. Nous dirons « oui », parce qu’il n’est pas possible de dire « non », mais ce « oui » est déclaratif plus que législatif.
La loi dira d’adapter le référentiel, de rendre des rapports, de faire de la communication. Elle ne fera pas l’indispensable travail de mise à jour. La loi dira de faire, mais la loi ne fera pas.
C’est au Gouvernement de s’emparer de ces fameuses listes, de les adapter aux outils thérapeutiques et contextes nouveaux, et, éventuellement, aux pathologies nouvelles.
Cependant, il faut revoir le référentiel sans en faire, comme c’est désormais la mode, un « gigaparapluie » qui permette de se cacher : sans s’interdire de protéger, il convient d’éviter le principe de l’ultraprécaution, qui est pourtant « très tendance ». Comme le dit Haka : « Ce n’est pas parce qu’il y a eu le docteur Petiot qu’il faut interdire tous les médecins dans la fonction publique. » Et, comme le dit le Petit Prince – nous avons les mêmes sources, mon cher collègue – : « C’est une folie de haïr toutes les roses parce qu’une épine vous a piqué. »
Bien au-delà du diabète, qui ne doit pas cristalliser les débats, tous les malades chroniques, toutes les « différences de santé », y compris les pathologies rares et orphelines, doivent pouvoir être compatibles avec une insertion professionnelle logique et adaptée. Personne ne doit jamais être confronté à ce qui est ressenti comme un rejet a priori, sans examen de sa situation particulière. Comme le proposera M. le rapporteur, on ne peut tolérer aucun rejet au motif d’un « état de santé ».
C’est d’autant plus vrai que, par définition, ceux qui se savent malades, au contraire des malades qui s’ignorent, se surveillent tous les jours, ce qui permet d’écarter bien des risques.
En poussant à l’extrême la logique de précaution, il faudrait une étude complète, approfondie, caryotypique, psychologique et médicale de tous les fonctionnaires. On découvrirait alors probablement des zones de risques pour certains ! Finalement, nous nous retrouvons tous « coincés » par les incohérences qui surgissent entre les capacités réelles des individus et une théorie dépassée.
Pour terminer, je vous invite à faire attention aux immenses espoirs qui vont naître aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État. Il faudra que les choses bougent très vite désormais et, quand elles auront bougé, qu’elles bougent encore, régulièrement. Sinon, dans dix ou quinze ans, un autre gamin génial viendra nous chatouiller et nous demander pourquoi un champion du monde de karaté ne peut pas être gardien de la paix ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier.
M. Bernard Jomier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui pour examiner cette proposition de loi, qui traite de la capacité de notre société à prendre en considération les difficultés des personnes atteintes de maladies chroniques à accéder au marché de l’emploi. Je remercie Xavier Iacovelli de son rapport sur ce texte nécessaire, qui reprend une thématique, au fond, beaucoup trop ancienne.
Le Gouvernement, lors de l’examen du projet de loi de transformation de la fonction publique, a pris l’engagement de faire évoluer le Sigycop. La mission n’a pas encore été lancée et le référentiel d’aptitude utilisé dans la fonction publique n’a toujours pas été modifié, mais je ne doute pas que ce sera prochainement le cas.
Les maladies chroniques concernent un très grand nombre de nos concitoyens, puisque 20 millions de personnes sont touchées, dont plus de 3 millions sont traitées pour un diabète, ce qui représente 5 % de la population française.
Faute d’adaptation législative et sociale, de nombreuses personnes sont quotidiennement discriminées et écartées de professions tout à fait praticables par elles grâce aux avancées thérapeutiques et médicales. En effet, si la loi traîne, la science et la médecine mettent à disposition des patients des outils qui leur permettent de contenir et de mieux réguler leurs maladies. C’est, bien sûr, le cas du diabète, mais aussi de l’épilepsie, de maladies rhumatologiques et de nombreuses autres pathologies.
Nous devons, dès lors, nous interroger sur la pertinence, de nos jours, d’une réglementation empêchant systématiquement des personnes de devenir militaire, policier, pilote de ligne, sapeur-pompier ou ingénieur de l’armement, alors qu’une évaluation individualisée de leur état de santé devrait primer.
Afin de mettre un terme à une situation particulièrement discriminatoire, nous voterons cette proposition de loi.
S’agissant des mesures concrètes figurant dans le texte proposé, je souscris à l’avis général de M. le rapporteur.
Il nous semble toutefois important de souligner que ce domaine de compétence n’est pas uniquement régi par le pouvoir législatif, loin de là : de nombreuses dispositions sont déterminées par la voie réglementaire. Les modifier permettrait l’accès des personnes à un certain nombre de métiers. C’est dans ce sens que nous avons déposé un amendement visant à ce que le comité d’évaluation des textes encadrant l’accès au marché du travail des personnes atteintes de maladies chroniques formule des propositions en distinguant ce qui relève du domaine de la loi et en faisant des propositions réglementaires cohérentes.
Par ailleurs, de nombreuses règles d’accès à certaines professions dépendent non pas du droit national, mais du droit européen. C’est le cas, par exemple, des métiers de l’aviation civile, des gens de mer ou de la sécurité ferroviaire.
Plus largement, ce texte, qui porte sur les maladies chroniques, interroge, au fond, la capacité de notre société à faire une place à la différence dans le monde du travail. De nombreuses maladies chroniques sont d’ailleurs recensées dans le secteur du handicap.
Vous le savez, mes chers collègues, le taux de chômage des personnes en situation de handicap se maintient au double de celui de la population générale. L’obligation d’emploi des personnes en situation de handicap, fixée à 6 %, date de 1987 : force est de constater que ses effets sont réels, mais insuffisants. Pour les personnes dont le handicap survient au cours de la vie – c’est le cas de 80 % des malades –, on observe fréquemment des mécanismes d’exclusion et de désinsertion professionnelle progressive. Pourtant, de très nombreuses personnes en situation de handicap peuvent et souhaitent travailler.
Notre société doit être en mesure de permettre à celles et ceux qui ont des maladies chroniques, qui sont en situation de handicap ou qui présentent des difficultés de santé de réaliser une carrière professionnelle, au même titre qu’à tout un chacun. Elle se doit de reconnaître leur rôle d’acteurs économiques et d’intégrer leurs compétences dans nos collectifs de travail, dans nos entreprises, dans nos administrations, dans nos associations.
Il faut poursuivre la simplification de l’accès à l’information et aux aides entamée par les gouvernements successifs. Les personnes en situation de handicap ne savent souvent pas à qui s’adresser ni comment avoir accès aux offres d’emploi.
Reconnaître et valoriser les compétences de chacun implique également de favoriser la montée en qualification, via des dispositifs de formation initiale et continue adaptés. À ce titre, on ne peut que se féliciter de l’augmentation, depuis quelque temps, du nombre d’apprentis en situation de handicap.
Dans son rapport annuel d’activité pour 2020, la Défenseure des droits, Claire Hédon, rappelle que l’état de santé reste le principal motif de discrimination dans l’emploi.
Nous devons aux personnes présentant une maladie chronique et à toutes celles qui sont en situation de handicap une véritable politique publique volontariste. C’est en ce sens que nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de la députée Agnès Firmin Le Bodo visant à améliorer l’accès à certaines professions des personnes atteintes de maladies chroniques a été adoptée à l’unanimité le 30 janvier 2020 à l’Assemblée nationale.
Le texte initial portait sur l’ouverture du marché du travail aux seules personnes diabétiques, notamment parce que cette pathologie a connu, ces dernières années, d’importants progrès en termes de traitement et de suivi et parce que les injustices qu’elles subissent sont les plus éloquentes. Il a rapidement été étendu à l’ensemble des maladies chroniques.
S’il n’est qu’une étape, nous nous réjouissons que ce texte pose le cadre d’une réflexion globale. Rappelons, en effet, que, si 3,3 millions de personnes sont aujourd’hui traitées pour un diabète dans notre pays, 20 millions de personnes sont touchées par une ou plusieurs maladies chroniques.
Le travail de M. le rapporteur visant à sécuriser le dispositif et à prendre en compte toutes les formes de discrimination liées à l’état de santé, au-delà même de la mention des maladies chroniques, a été, me semble-t-il, extrêmement utile.
Face à ce constat, le Gouvernement n’est évidemment pas resté les bras croisés. Vous avez d’ailleurs rappelé, monsieur le secrétaire d’État, les avancées qui ont été enregistrées ces dernières années sur cette question et l’état des travaux en cours.
Pourtant, force est de constater le retard de la France dans ce domaine ainsi que les réticences qui freinent, par endroits, l’évolution de nos politiques publiques. Cette proposition de loi tend ainsi à forcer la décision et à accélérer des évolutions dont les prémices ont été annoncées. En tant que parlementaire, je m’en réjouis.
Dans le détail, ce texte prévoit l’instauration, à l’article 1er, d’un comité d’évaluation des textes encadrant l’accès au marché du travail des personnes atteintes de maladies chroniques. Nous espérons que ce comité permettra d’identifier rapidement les dispositions obsolètes et les incohérences de notre corpus réglementaire et législatif, ainsi que de proposer des solutions concrètes.
L’article 2 pose, quant à lui, le principe de non-discrimination au motif d’une maladie chronique. Plusieurs fois récrit, il précise – cela a son importance – la nécessité d’une appréciation au « cas par cas » qui tienne compte de l’état des traitements existants.
Lors de l’examen en commission au Sénat, le rapporteur a défendu plusieurs amendements visant notamment à fixer à trois ans la durée de la mission du comité d’évaluation des textes prévu à l’article 1er et à assurer, à l’article 2, un meilleur encadrement des restrictions éventuelles à l’accès à l’emploi. Nous saluons ces avancées et le travail de notre collègue Xavier Iacovelli, lesquels permettent d’aboutir à un texte efficace, solide juridiquement et – nous le pensons – consensuel.
La commission des affaires sociales a également souhaité supprimer l’article 4, qui prévoyait la mise en œuvre d’une campagne de communication publique sur le diabète et les autres maladies chroniques et l’accès à l’emploi des malades.
Sans remettre en cause le vote de la commission, qui a estimé, fidèle à ses positions, qu’une telle campagne relevait du domaine réglementaire, il nous semble tout de même important de rappeler que la réalité des personnes atteintes de diabète et des autres maladies chroniques reste trop méconnue de l’opinion publique.
Afin de limiter la discrimination et de favoriser l’accès à l’emploi de ces personnes, il nous paraît difficile de faire l’économie d’une telle publicité, notamment dans les départements ultramarins, où le taux de prévalence du diabète est très nettement supérieur à la moyenne nationale – le diabète y est un drame. L’amendement de rétablissement que nous avons déposé permettra d’en débattre et d’entendre le Gouvernement sur cette question.
Le groupe RDPI votera avec enthousiasme cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)