Mme la présidente. La parole est à M. Teva Rohfritsch.
M. Teva Rohfritsch. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, M. Guené a rappelé, dans son rapport, les propos qu’a tenus M. Benoît Cœuré devant notre commission, le 4 mai dernier, et que je souhaite vous citer à mon tour. M. Cœuré, chargé du suivi et de l’évaluation des mesures de soutien, nous a indiqué que, contre vents et marées, le pouvoir d’achat s’était maintenu à un niveau stable en 2020.
Bien entendu, il faut manier les agrégats avec précaution et discernement ; néanmoins, les mesures de soutien mises en place par le Gouvernement ont joué leur rôle, car le choc de la crise sur les revenus a été absorbé à 65 % par les administrations publiques, à 31 % par les entreprises et à 4 % seulement par les ménages. Sur la même période, l’emploi n’a reculé que de 1,6 %, en raison d’un dispositif d’activité partielle d’une ampleur inédite.
Cette résilience est inattendue, mais elle ne doit pas pour autant nous faire oublier que la crise a touché plus durement les ménages les plus modestes. C’est cette question qui anime nos collègues qui sont à l’origine de cette proposition de loi, mais c’est également, reconnaissons-le, un sujet qui nous rassemble très largement sur les différentes travées.
Cette question a tout pour nous rassembler. Néanmoins, n’agissons pas avec trop de célérité et tenons compte de ce qui a d’ores et déjà été fait.
Nos échanges en commission l’ont montré : la situation des ménages les plus modestes a suscité l’attention et l’intérêt de tous les groupes, mais les écueils de cette proposition de loi ont été également été relevés par les différents groupes qui se sont exprimés.
Je ne reviendrai pas en détail sur les objections de fond évoquées par M. le rapporteur. Je me contenterai de rappeler que l’article 1er prévoit une aide forfaitaire pour tous les bénéficiaires des aides au logement, indépendamment du niveau de loyer, des ressources, du patrimoine ou de la composition du foyer ; une mesure particulièrement large, insuffisamment ciblée et qui souffre d’importants effets de seuil.
Non seulement l’article 2 ne permettra pas de financer la mesure, en raison de la non-concordance des dates, mais il va à contre-courant du vote du Parlement, qui s’était prononcé sur la trajectoire de suppression de la taxe d’habitation en loi de finances initiale, et à rebours de l’engagement du Gouvernement de ne pas alourdir la charge fiscale en période de reprise.
Cela dit, parce que la question que pose cette proposition de loi mérite toute notre attention, je tiens à rappeler que le Gouvernement – Mme la secrétaire d’État l’a souligné – n’a pas attendu ce texte pour apporter une réponse de grande ampleur au plus fort de la crise. Nous avons ainsi adopté, dans cet hémicycle, en décembre dernier, un renforcement de plus de 1,6 milliard d’euros de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Ces crédits ont permis de financer les aides exceptionnelles de solidarité annoncées par le Président de la République ainsi que par le Premier ministre, au mois d’octobre 2020.
Ces mesures comprenaient non seulement un versement de 150 euros pour les foyers bénéficiaires du RSA, de l’allocation de solidarité spécifique et de l’allocation équivalent retraite, mais également une aide de 100 euros par enfant à charge pour les foyers percevant des APL, ainsi que, enfin, une aide de 150 euros pour les jeunes de moins de 25 ans, apprentis, étudiants salariés ou non-étudiants, qui perçoivent une aide personnelle au logement.
Nous avons donc ici, mes chers collègues, trois exemples de mesures efficientes, équilibrées et qui viennent spécifiquement en aide à ceux qui en ont le plus besoin. Notre secrétaire d’État nous confirme que ces dispositifs se poursuivront, en étant adaptés autant que nécessaire.
J’en conviens, on n’en fera jamais trop pour accompagner les Français en difficulté. Aussi, vous pourrez toujours compter sur le groupe RDPI pour travailler à des propositions concrètes et mesurées.
Toutefois, dans un souci de cohérence avec la politique gouvernementale et pour toutes les raisons que nous avons évoquées devant vous cet après-midi, conformément à ce que nous avons indiqué en commission, notre groupe s’opposera à ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons tend à répondre à la crise sanitaire par l’octroi d’aides au logement destinées à lutter contre la pauvreté et contre son aggravation. Elle prévoit en outre de modifier le calendrier de l’exonération de la taxe d’habitation pour financer cette mesure.
Le dispositif envisagé consiste à verser aux bénéficiaires des aides personnalisées au logement un complément d’un montant de 100 euros par mois, jusqu’à trois mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire. Il repousse de 2022 à 2023 l’entrée en vigueur de la mesure portant de 30 % à 65 % l’exonération de la taxe d’habitation pour les 20 % de ménages les plus aisés et de 2023 à 2024 la suppression de cette taxe pour ces ménages.
L’article 1er instaure le complément de 100 euros, soit une augmentation de 65 % à 100 % du montant des APL pour les étudiants y ayant droit et de près de 50 % du montant moyen des APL, soit 225 euros, pour 6,6 millions de foyers concernés. Cette aide massive s’appliquerait dès la promulgation du texte, en urgence.
L’article 2, quant à lui, modifie l’article 16 de la loi de finances pour 2020, portant dégrèvement de la taxe d’habitation sur la résidence principale des 20 % de ménages les plus aisés : il en reporte la deuxième étape de 2022 à 2023 et la suppression définitive de la taxe de 2023 à 2024. Si – je tiens à le rappeler – la suppression de la taxe d’habitation est une erreur à la fois financière et démocratique, il ne me semble pas judicieux de revenir sur le calendrier établi.
Les auteurs de ce texte ont également voulu apporter une réponse politique à la baisse de 5 euros des APL, décidée par le Gouvernement en début de mandat, et à la réforme actuelle de ces aides, insatisfaisante, j’en conviens, en particulier pour ce qui concerne l’accession à la propriété.
Si le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen approuve la volonté affichée de lutter contre l’aggravation des inégalités dans la crise, la solution choisie ne semble pas vraiment adaptée aux besoins réels de la population.
Une étude de l’Insee datant de 2016 – les choses ont bien évolué depuis lors, sans doute – révélait de fortes inégalités entre les Français, avec 10 % des plus aisés touchant 6,7 fois plus que les 10 % les plus pauvres, après impôts et prestations sociales. Les inégalités patrimoniales étaient encore plus fortes, et 9,3 millions de personnes avaient un revenu inférieur au seuil de pauvreté.
En 2020, un million de personnes supplémentaires se retrouvent en situation de pauvreté, soit plus de 10 millions de nos concitoyens.
La commission des finances n’a pas adopté le texte. Comme une majorité des membres de cette commission, j’émets de fortes réserves sur l’efficacité de l’article 1er, car la mesure qu’il instaure s’appliquerait uniformément à tous les bénéficiaires des APL, sans condition de ressources ni prise en compte des spécificités.
Or les personnes vivant sous le seuil de pauvreté sont confrontées à des arbitrages insolubles au quotidien : payer les factures ou manger, payer les factures ou se loger, se vêtir, chauffer son logement ou encore se soigner, payer l’assurance, le transport, les impôts ou les crédits en cours. Le reste à vivre diminue comme peau de chagrin, en raison de la part prépondérante des dépenses de logement, le loyer représentant en moyenne 36 % des dépenses des ménages précaires.
Dans ce texte, rien ne vient garantir que les 7 milliards d’euros que coûterait cette disposition seraient véritablement utiles pour lutter contre les inégalités, et il y aurait, à coup sûr, un effet de seuil considérable entre les bénéficiaires de cette mesure et les autres.
C’est pourquoi le groupe du RDSE votera, dans sa majorité, contre cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est précisé, à la page 11 d’un rapport de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la Drees, sur les bénéficiaires des APL, que, « notamment en raison des minima sociaux, les bénéficiaires d’aides au logement pauvres sont aussi pauvres que l’ensemble des personnes pauvres ».
Si la tournure de phrase peut paraître quelque peu déconcertante, elle a au moins le mérite d’insister sur le niveau de précarité des allocataires des APL. C’est cette population qu’ont choisie nos collègues du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires pour le versement d’une allocation de 100 euros pendant au maximum quatre mois.
C’est une réponse nécessaire et louable, mais que nous jugeons insuffisante.
Elle est insuffisante, parce que, pour certains ménages, elle pourrait être moins favorable que les aides du Gouvernement, qui englobaient les allocataires de plusieurs prestations sociales – allocation de solidarité spécifique, ou ASS, le RSA –, ainsi que les allocataires d’une aide au logement avec enfant. Outre cette restriction aux seuls allocataires des APL, qui pourrait créer une confusion entre personnes et ménages, l’aide serait d’un montant plus faible que l’aide gouvernementale.
Cette aide, qualifiée, dans le récent rapport du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, le CNLE, de « goutte d’eau dans des océans de dénuement » – nous nous étions joints à ce constat – n’était pas une réponse adaptée pour les plus précaires.
Ainsi, lorsque, selon la version du Gouvernement, une famille au RSA de trois enfants percevait 450 euros pour le seul versement de novembre, elle touche 50 euros de plus que ce à quoi elle pourrait prétendre avec l’aide totale de nos collègues écologistes.
Cette réponse est insuffisante, ensuite, car l’un des objectifs de la proposition serait de remédier à la précarité manifeste et d’ampleur dans laquelle a basculé la jeunesse. Or, des 2,9 millions d’allocataires des APL, seulement 15 % ont moins de 29 ans et seulement 5 % sont étudiants, ce qui représente 133 000 allocataires. Ce dispositif manque donc en partie sa cible.
Nous notons ainsi qu’il n’y a rien pour les femmes et les hommes en proie à la grande précarité, qui, tout au long de la crise sanitaire, n’ont bénéficié que des quelques miettes que le Gouvernement a bien voulu leur concéder.
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste avait proposé de revaloriser les bourses et les minima sociaux, d’ouvrir le RSA aux moins de 25 ans, de compenser à 100 % le dispositif d’activité partielle pour les travailleurs modestes. Il y aurait là de véritables réponses solidaires face à la crise sanitaire.
Quant au logement, le groupe CRCE a fait adopter, dans cet hémicycle, voilà quelque temps, une proposition de loi tendant à revenir sur le délai de carence et la réindexation des APL. Ces mesures auraient permis une revalorisation pérenne des aides, au plus près des réalités économiques de ceux qui en ont besoin.
Nous voterons en faveur de cette aide de 100 euros par mois, limitée aux trois ou quatre prochains mois, mais nous nous opposerons à son financement, prévu à l’article 2. En effet, le simple décalage d’un an de l’exonération de taxe d’habitation pour les 20 % des ménages les plus aisés ne constitue ni une réponse face à la crise ni une mesure de justice sociale.
Nous avions mené ardemment le combat contre cette réforme injuste, qui pèse sur les finances locales et profite aux plus aisés.
Prenons l’exemple de Maubeuge : dans cette ville, un tiers des foyers ne payaient pas la taxe d’habitation ; désormais, ces ménages la financent indirectement, via l’acquittement la TVA, qui s’applique à tous. Pourquoi transférer ainsi la charge sur les foyers précaires ?
Ainsi, à Maubeuge, sur un an, les 30 % les plus pauvres n’économisent que 160 euros et les 20 % les plus riches économisent plus d’un SMIC net ! Voilà à qui profite la réforme de la taxe d’habitation et voilà l’un de ses effets : l’aggravation des inégalités sociales.
Compte tenu de tous ces éléments d’analyse, nous ne voterons pas l’article 2.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Michel Arnaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la pandémie de la covid-19 a provoqué une multitude de mutations économiques, sociales et financières, dont un accroissement des inégalités. Face à ce constat, la présente proposition de loi vise – cela a été indiqué – à apporter une réponse solidaire et juste face à la crise.
Si l’objectif affiché repose sur un constat partagé, les différentes dispositions du texte ne semblent pourtant en adéquation ni avec la volonté politique originelle ni avec le contexte socioéconomique actuel.
L’article 1er de la proposition de loi prévoit le versement d’un complément de 100 euros par mois aux bénéficiaires des aides personnelles au logement jusqu’à trois mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire. Cette disposition présente plusieurs limites.
Tout d’abord, le caractère universel de cette augmentation ne permettrait pas de cibler les populations les plus fragiles financièrement ; la mesure ne prévoit aucune prise en compte de la diversité des situations. Des critères objectifs tels que le taux d’effort permettraient, par exemple, de mieux épouser les réalités individuelles. Il existera alors un réel effet de seuil : une légère différence de revenus suffira pour qu’un ménage bénéficie, ou non, de l’intégralité de l’aide de 100 euros.
Ensuite, cette augmentation généralisée des aides personnelles au logement tendrait à renforcer les inégalités inhérentes au calcul de ces dernières. Dans son rapport annuel d’activité pour l’année 2019, la Cour des comptes insiste sur le caractère inégalitaire des APL, en raison d’un mode de calcul toujours plus complexe. En ce sens, la disposition prévue à l’article 1er contribuerait à renforcer une dynamique déjà inégalitaire, au lieu de la corriger.
Par ailleurs, le fait d’accroître le montant des APL se traduirait également par un coût non négligeable pour les finances publiques. La mesure représenterait une dépense de l’ordre de 660 millions d’euros par mois, soit de près de 2 milliards d’euros pour trois mois.
Pour rappel, le montant total des aides personnelles au logement s’est élevé à 17 milliards d’euros en 2020. Étant donné les effets limités de cette disposition, cela ne justifie pas un tel effort financier de la part de l’État et, indirectement, de la part des contribuables français.
En outre, l’article 1er de la présente proposition de loi prévoit une aide générale et automatique ne reposant sur aucune équité sociale. Cette mesure se révèle déconnectée de la diversité des situations et coûteuse pour les finances de l’État.
Quant à l’article 2 du texte, il a pour objet de modifier le calendrier d’entrée en vigueur de la réforme de la taxe d’habitation. Cela a été précisé, alors que la suppression de cette taxe sera effective pour les 20 % des ménages les plus aisés à l’horizon de 2023, le texte que nous examinons aujourd’hui reporterait d’une année cette suppression.
Plusieurs points de vigilance doivent être soulignés.
Premièrement, la mesure susciterait une recette supplémentaire, pour l’État, de l’ordre de 2,6 milliards d’euros en 2022, afin de financer le coût des aides prévues à l’article 1er. Le raisonnement que je vous ai exposé en défaveur de cet article rend naturellement le maintien de l’article 2 totalement incohérent.
Deuxièmement, cet article s’attaque à une réforme déjà engagée. Il me paraît peu pertinent de raviver les débats autour de cette réforme structurelle, en y appliquant une modification substantielle de calendrier, modification qui aurait un effet direct sur la prévisibilité de loi fiscale et sur la pression fiscale d’une partie des contribuables.
Troisièmement, l’argument politique consistant à mettre à contribution les 20 % des revenus les plus aisés – les « plus privilégiés », pour citer l’exposé des motifs de la proposition de loi –, en maintenant la taxe d’habitation pour ces derniers, ne semble pas se traduire dans le texte présenté.
Par exemple, un couple sans enfant figure parmi les 20 % de ménages aisés dès lors que le revenu mensuel de chacun des conjoints excède 1 749 euros après impôts ; l’existence de revenus dits « aisés » ne suffit pas à caractériser la richesse d’un ménage. Il s’agit donc non d’un moyen de favoriser la justice sociale, mais du report d’un allègement fiscal pour une partie des classes moyennes.
Enfin, dans la mesure où la reprise économique reste nécessaire, après la période de la covid, le fait de maintenir cette taxe représenterait un frein pour la consommation. Cela réduirait le pouvoir d’achat d’une partie des ménages, qui s’attend à bénéficier de la suppression de cette taxe ; cela pourrait donc nuire à la demande et, par extension, à l’efficacité du plan de relance économique, dont nous débattons depuis des mois.
En définitive, les dispositions prévues dans le texte supposent le déploiement d’importants moyens financiers pour des effets très limités. Ainsi, pour reprendre les mots du rapporteur général, lors de l’examen en commission, « cette proposition de loi apporte une réponse inadaptée, inappropriée, à une question parfaitement légitime. »
Vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera contre l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal.
M. Claude Raynal. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires de nous permettre de nous pencher à nouveau sur les conséquences sociales de la pandémie et de porter une proposition de loi utile pour les personnes qui sont le plus en souffrance.
Cette proposition n’en est pas moins raisonnable, du point de vue tant du coût pour nos finances publiques, contrairement à ce que j’ai entendu, que de sa durée d’application, qui est liée à l’état d’urgence sanitaire.
Il ne vous surprendra sans doute pas que, en abordant ce texte, le président de votre commission des finances se pose d’abord la question des ressources disponibles, mais également de celles dont le Gouvernement s’est volontairement et très étonnamment privé.
En effet, si l’on peut tout à fait admettre que, en période de croissance, une partie des recettes nouvelles permette la diminution des taux d’imposition tant des ménages que des entreprises, comment comprendre que de telles mesures soient prises alors que, en 2020, la chute du PIB a été de 8,2 %, un choc économique sans précédent depuis la dernière guerre ?
Disons-le, l’article 2 de la proposition de loi, qui décale d’un an la baisse de taxe d’habitation pour les 20 % de nos concitoyens les plus aisés, est pleinement justifié.
Pour tout dire, je le trouve même modéré ; pour ma part, je considère qu’aucune baisse d’impôt n’a de sens tant que l’on n’aura pas retrouvé le niveau de PIB que l’on aurait dû avoir sans la crise, d’autant plus que, pendant trois ans, 6,5 milliards d’euros seront distribués annuellement aux ménages qui ont déjà thésaurisé en 2020 et que l’on appelle à dépenser d’urgence…
Ces ménages capteront 44 % du coût de la réforme de la taxe d’habitation. La suppression de cette taxe, présentée, lors de la campagne présidentielle, comme une mesure de justice sociale, est devenue, après la suppression partielle de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, et de la taxe sur les dividendes, et après la création de la flat tax, un énième cadeau offert aux plus aisés, alors que le pays traverse une crise sans précédent.
Comme si cela ne suffisait pas, le Gouvernement se prive annuellement de 10 milliards d’euros d’impôts de production, au nom de la relance, alors que cette demande du monde économique est aussi vieille qu’injustifiée dans la période actuelle.
M. Claude Raynal. Au total, ce sont 16,5 milliards d’euros annuels dont le Gouvernement se prive. Et encore, par charité, je ne parlerai pas, dans cet hémicycle, d’un candidat à l’élection présidentielle qui souhaite baisser les impôts de production de 33 milliards d’euros !
Madame la secrétaire d’État, à l’heure où les inégalités se creusent, était-il judicieux de mettre en œuvre ces mesures ? Celles-ci ne pouvaient-elles pas attendre ? Parallèlement, du rapport Arthuis sur l’avenir des finances publiques au nouveau programme de stabilité, on ne jure plus que par la réduction de la dépense publique, au nom de la stabilisation de la dette. Cela ne manque pas de sel…
M. Michel Canévet. Tout de même !
M. Claude Raynal. Lors de la crise financière de 2008, le Gouvernement avait renoncé à sa promesse de diminuer les prélèvements obligatoires, afin de préserver les recettes de l’État. De votre côté, madame la secrétaire d’État, vous refusez d’intégrer les conséquences de la pandémie dans votre logiciel.
Qui plus est, la diminution des impôts de production comme la suppression de la taxe d’habitation au-delà des deux derniers déciles n’étaient pas dans le programme présidentiel d’En Marche. Aussi, ne prétendez pas respecter, en la matière, vos engagements, car il n’y avait pas, dans votre programme, une ligne sur ces deux sujets.
Oui, madame la secrétaire d’État, nous pouvons avoir une réflexion sur notre dépense publique et sur notre fiscalité ; oui, en période de croissance économique, tout peut se discuter. Mais, en période de crise, il y a malheureusement bien d’autres priorités.
Le déficit à financer pour 2020 s’élève à 206 milliards d’euros. Madame la secrétaire d’État, vous désirez atteindre 3 % de déficit public en 2027 ; pour y parvenir, il faudrait réaliser 65 milliards d’euros d’économies. À l’heure actuelle, peu de mesures concrètes sont annoncées, alors que cet effort est considérable. J’ai toutefois ma petite idée – je vous en parlerai – quant aux directions que vous prendrez…
En temps de crise, l’État-providence doit jouer pleinement son rôle,…
M. Claude Raynal. … notamment en protégeant les Français les plus modestes des aléas économiques. C’est notre ambition, et cela peut passer par la revalorisation des APL le temps d’une crise sanitaire, comme le propose le groupe GEST, afin de cibler les familles les plus en difficulté.
Depuis le début de la crise, les groupes de gauche de la Haute Assemblée ont été force de proposition pour faire face aux difficultés sociales des plus fragiles d’entre nous.
Ainsi, le groupe CRCE a déposé plusieurs propositions allant en ce sens ; par l’intermédiaire de notre collègue Rémi Cardon, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a, pour sa part, déposé une proposition de loi tendant à créer une dotation d’autonomie à destination des 18-25 ans.
Au reste, des élus de la majorité gouvernementale évoquent même un « revenu d’urgence » pour les jeunes ; encore un effort, et l’on y sera !
Aujourd’hui, sur l’initiative du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, nous examinons une proposition de loi qui prévoit d’augmenter de 100 euros les aides personnelles au logement en cas de crise sanitaire. Cette proposition de loi tente, elle aussi, d’apporter une réponse utile à la crise socioéconomique.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera, sans surprise, mais avec conviction, pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « ce ne sont […] pas les faits en eux-mêmes qui frappent l’imagination populaire, mais bien la façon dont ils sont répartis et présentés. Il faut que par leur condensation, si je puis m’exprimer ainsi, ils produisent une image saisissante qui remplisse et obsède l’esprit. Qui connaît l’art d’impressionner l’imagination des foules connaît aussi l’art de les gouverner ».
Depuis que Gustave Le Bon a publié sa Psychologie des foules, on sait qu’il suffit de répéter un mensonge un très grand nombre de fois pour qu’il paraisse la réalité. En France, les chiffres d’Oxfam et compagnie tentent de faire naître en nos esprits cartésiens l’image d’une France trop inégalitaire.
Or il suffit d’analyser les principaux indicateurs de répartition des richesses pour comprendre que, même s’il y a de nombreux problèmes d’inégalités dans notre pays, la France est très loin de tomber dans cette caricature. Le plus connu d’entre eux est le coefficient de Gini, qui varie de 0 à 1 et situe un pays entre deux positions extrêmes : 0, dans le cas où tous les citoyens possèdent exactement la même chose ; 1, dans le cas où un citoyen possède toutes les richesses et les autres aucune.
En 2019, avant le début de la crise, la France avait un coefficient de Gini de 0,29. C’est bien en dessous de la moyenne de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, et bien plus près de 0 que de 1, vous en conviendrez. Bien sûr, on trouve toujours des spécialistes des inégalités pour expliquer que cet indicateur synthétique masque, en fait, de grandes disparités, notamment entre les plus riches et les plus pauvres.
Néanmoins, là encore, le cas de la France ne correspond pas à la critique. Ainsi, si on évalue le rapport interdécile, qui compare ce que touchent en moyenne les 10 % les plus favorisés et les 10 % les moins favorisés, la France fait encore mieux.
Avant la crise, les 10 % les plus favorisés touchaient environ 7 fois plus que les 10 % les moins favorisés. L’exposé des motifs de la proposition de loi rappelle ce chiffre. Il omet simplement de le comparer à d’autres pays, ce que l’honnêteté intellectuelle eût conduit à faire. Au Royaume-Uni, c’est non pas 7 fois plus, mais 10 fois plus. Aux États-Unis, c’est 19 fois plus.
Mme Sophie Taillé-Polian. C’est cela que vous voulez ?
Mme Vanina Paoli-Gagin. La France est tout sauf un pays qui laisse les inégalités se creuser, comme on laisserait les gens mourir de faim. C’est faux !
Avec une dépense publique qui a atteint, pendant la crise, la barre symbolique de 60 % du PIB, la France est même le pays où les transferts de richesse sont les plus importants.
Mme Sophie Taillé-Polian. Bref, tout va bien !
Mme Vanina Paoli-Gagin. Nous entrevoyons désormais, espérons-le, la fin de la crise sanitaire, mais toutes les mesures d’urgence sont encore activées.
Les millions de chômeurs qui arrivaient en fin de droits pendant la crise ont vu leurs allocations prolongées ; l’État a financé tous les salaires des travailleurs qui risquaient d’être licenciés ; le Gouvernement a augmenté le salaire des soignants – c’est bien normal – et baissé les impôts des entreprises. Apparemment, c’est encore trop peu.
La véritable urgence, aujourd’hui, c’est d’inventer de nouveaux modèles économiques pour rembourser la dette astronomique que nous avons contractée au cours de la crise. Il faudra, pour cela, investir massivement dans la transition écologique et développer de nouvelles verticales d’innovation et de nouvelles industries susceptibles de créer de l’emploi.
Vous l’aurez compris, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas en faveur de cette proposition de loi.