M. le président. La parole est à Mme Sylviane Noël, pour présenter l’amendement n° 16 rectifié septies.
Mme Sylviane Noël. L’article 1er définit un régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire applicable à compter du 1er juillet et jusqu’au 15 septembre prochain, en reprenant les bases établies par la loi du 9 juillet 2020.
Avec ce projet de loi, on ne nous propose pas de sortir de l’état d’urgence sanitaire. En réalité, les libertés publiques se trouvent réduites par rapport à la première version du texte : à bien des égards, nous nous dirigeons vers un état d’urgence permanent.
Il convient de rappeler que, si ce projet de loi semble acter la sortie de l’état d’urgence sanitaire au 1er juin 2021, la loi du 15 février 2021 permet au Gouvernement de le réactiver par simple décret jusqu’au 31 décembre prochain.
Surtout, l’article 1er signe la création du passeport sanitaire. Certes, ce dernier a été habilement présenté comme un moyen d’exercer notre liberté de circulation, mais il représente une ingérence inédite dans nos libertés fondamentales.
En effet, il conduit indirectement à imposer à l’immense majorité des citoyens, soit un vaccin, dont le Gouvernement affirme pourtant qu’il ne sera jamais obligatoire, soit d’innombrables tests de dépistage à présenter à de multiples occasions de notre vie en collectivité, alors que les tests PCR ne sont pas et n’ont jamais été utilisés comme un outil de diagnostic. Leur validité à ce titre a même été remise en cause par l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS.
À ce jour, la mise en place de ce passeport sanitaire ne repose donc sur aucun motif valable. En revanche, ce dispositif permet ouvertement une discrimination. Il crée des citoyens de seconde zone.
Mes chers collègues, ce qui se dessine avec ce projet de loi, c’est une société d’apartheid, où des citoyens bien portants seront mis au ban de la société. Cette perspective est inacceptable. Comme Loïc Hervé, je crains que nous ne mettions le doigt dans un engrenage très dangereux pour nos libertés fondamentales. Je vous invite à rejeter cet article ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 67.
Mme Éliane Assassi. En proposant la suppression de l’article 1er, nous ne faisons que confirmer notre opposition au nouveau régime juridique de sortie de l’état d’urgence sanitaire, pour les raisons que j’ai eu l’occasion d’expliciter en présentant notre question préalable.
Ce régime juridique constitue une véritable zone grise entre le droit commun et l’état d’urgence : grâce à lui, le Gouvernement conservera de larges pouvoirs de police administrative.
Certes, le Gouvernement ne pourra pas interdire aux individus de sortir de leur domicile, comme c’est le cas en vertu de l’état d’urgence sanitaire, mais il pourra toujours interdire la circulation des personnes et prolonger le couvre-feu jusqu’au 30 juin prochain, en vertu d’un amendement du Gouvernement adopté en commission.
C’est ce régime, juridiquement plus que bancal, qui a conduit la commission des lois à repousser la fin de l’urgence sanitaire au 30 juin 2021. Toutefois, nous ne sommes pas favorables à cette mesure. De même, nous sommes contre la prolongation du couvre-feu : d’ailleurs, aucune preuve sérieuse de l’utilité de ce dernier n’a été apportée.
Quel signal adressons-nous à nos concitoyennes et à nos concitoyens si, dans un texte censé organiser la sortie de crise, nous prorogeons l’état d’urgence sanitaire ? Ce message n’est certainement pas plus confus que celui du Gouvernement, mais il n’est pas moins trompeur.
En outre, au sein de cet article, le Gouvernement a fait adopter par voie d’amendement, en commission à l’Assemblée nationale, une mesure que je qualifierai d’originale : la mise en œuvre d’un pass sanitaire à l’échelle du territoire national.
Grâce à ce véhicule législatif, le Gouvernement a pu se dispenser de l’avis du Conseil d’État et d’une étude d’impact détaillée sur l’outil proposé. C’est assez commode, étant donné le nombre de questions qui restent en suspens quant à la mise en œuvre de ce pass : quels seront les contrôles effectués ? Par qui ? Quel en sera le support ? Quelles seront les modalités de conservation des données ? Enfin, ne se dirige-t-on pas vers une obligation tacite de vaccination ?
Tel était le sens de notre question préalable : nous nous opposons aux réponses autoritaires que le Gouvernement apporte à de si graves questions et à la gestion de cette crise par l’enchevêtrement des lois d’exception.
Ces textes ne cessent de se multiplier. La conception verticale du pouvoir qu’ils traduisent est nuisible pour notre démocratie.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Mes chers collègues, prenons garde : refuser l’article 1er par hostilité au pass sanitaire, c’est aussi abandonner des dispositions sans lesquelles il n’y aura plus de réglementation possible pour protéger les Français contre les contaminations à compter de la promulgation de la loi.
Mme Éliane Assassi. Il ne fallait pas les inscrire toutes dans l’article 1er !
M. Philippe Bas, rapporteur. Le pass sanitaire représente neuf des vingt-sept alinéas de l’article 1er, et les journalistes diraient : ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ! (Sourires.)
M. Loïc Hervé. Et ne noyons pas le pass sanitaire dans les mesures de sortie de crise !
M. Philippe Bas, rapporteur. D’ailleurs, parlons du bébé en question. La commission des lois a considéré qu’il était malformé. Aussi a-t-elle apporté, au terme de ses délibérations, un certain nombre de garanties au régime du pass sanitaire.
On raisonne parfois comme s’il s’agissait d’entraver des événements ou des manifestations jusqu’à présent parfaitement libres, en procédant à un filtrage. Mais la réalité est tout autre : dans les faits, les événements en question sont interdits et peuvent continuer de l’être.
Le pass sanitaire ne viendrait pas donc pas restreindre les libertés en vigueur ici et maintenant. Au contraire, cet instrument permettra d’assouplir des interdits aujourd’hui radicaux.
Cela étant, avant de proposer certaines solutions à la commission, je me suis profondément interrogé sur ce texte et je suis sensible à l’argument du précédent.
Pour la première fois, on subordonnerait à une information de santé l’accès à un événement, à une manifestation, à un lieu quelconque : c’est vrai. Mais c’est précisément la raison pour laquelle nous avons veillé à restreindre très strictement dans le temps la possibilité de mettre en œuvre le pass sanitaire.
Il est très important de le souligner : si notre texte est adopté, ce dispositif disparaîtra à la date du 15 septembre 2021. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons prévu des sanctions pénales lourdes à l’encontre de toute personne qui exigerait le pass sanitaire en dehors des conditions prévues par notre texte. Cette précision a, elle aussi, toute son importance.
Pour être applicable, le pass sanitaire suppose un décret en Conseil d’État, qui fixerait toutes les garanties nécessaires. De surcroît, il ne serait applicable qu’aux lieux l’imposant par leur configuration, par leur nature même, à savoir les lieux où l’autorité sanitaire serait obligée, à défaut, d’interdire les manifestations prévues.
J’insiste sur ce point. Au fond, s’il s’agit de lever par paliers successifs toutes les entraves aux libertés, le pass sanitaire peut constituer un sas utile. Naturellement, il faudra veiller à ce que les contrôles soient réservés aux personnes habilitées et s’assurer que l’autorité administrative remplit pleinement son rôle.
La commission est, partant, défavorable à ces amendements identiques, même si elle fait siennes les préoccupations qui animent leurs auteurs : les garanties qu’elle apporte en donnent la preuve. En faisant ce choix, elle préserve le reste de l’article 1er, qui est tout de même bien utile.
Nous, Sénat de la République, avons une responsabilité envers les Français. Nous sommes une assemblée libre et indépendante – je dirai même non alignée. (Sourires.) Nous sommes, à l’heure actuelle, la seule assemblée où le débat peut déboucher sur une transformation réelle de ce texte de loi : c’est précisément ce que nous vous proposons.
Assumons notre responsabilité : sans trop baisser la garde dans la lutte contre le covid-19, nous devons nous donner les moyens d’une sortie progressive de l’état d’urgence sanitaire ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Afin de ne pas allonger excessivement les débats, je n’apporterai que quelques compléments aux propos de M. le rapporteur.
Madame Noël, le déploiement de ce dispositif repose bien sur un soubassement sanitaire : d’ailleurs, je rappelle que l’ensemble des pays européens a fait le même choix que nous.
Monsieur Hervé, nous créons effectivement un précédent,…
M. Loïc Hervé. Il faut l’assumer !
M. Cédric O, secrétaire d’État. … mais, d’une certaine manière, c’est ce que nous ne cessons de faire depuis quelques mois, voire depuis un an, tout en essayant de garantir le meilleur équilibre possible entre sécurité et régulation. Ce n’est pas toujours facile, mais nous nous y efforçons.
Madame la sénatrice, monsieur le sénateur, c’est précisément pourquoi, contrairement à un certain nombre de nos voisins européens, nous n’entendons pas appliquer ce dispositif aux activités du quotidien, qu’il s’agisse de faire ses courses, d’aller au restaurant ou encore de visiter la chartreuse du Reposoir, dans votre beau département ! (Sourires.) En procédant ainsi, on irait probablement trop loin.
Cela étant, la question de la liberté est plus complexe qu’il n’y paraît. Reprenez les débats : au nom même de la liberté, un certain nombre d’États européens ont choisi de déployer un pass sanitaire, afin d’éviter un confinement ou un couvre-feu. (M. Loïc Hervé proteste.) À l’évidence, l’enjeu est perçu de manière assez différente selon les pays.
Le but est bel et bien de trouver un juste milieu. Je le confirme : on demandera aux intéressés de produire leur carte d’identité, pour des raisons logiques. On la demande déjà aux mineurs lorsqu’ils veulent acheter de l’alcool, ou encore, le cas échéant, aux usagers des transports en commun. Il en est de même chez un buraliste, pour pratiquer les jeux de hasard.
Mme Éliane Assassi. Il n’y a pas mille personnes dans un bureau de tabac !
M. Cédric O, secrétaire d’État. Tout est affaire de proportion.
Naturellement, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces trois amendements identiques.
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour explication de vote.
M. Laurent Duplomb. Mes chers collègues, on nous demande sans cesse d’imposer de nouvelles restrictions à la population : de quel droit ? Loïc Hervé l’a dit : accepter ce pass sanitaire, c’est ouvrir la voie à d’autres mesures. Nous sommes tel le Tyrolien sur son échelle : à chaque fois, il y a un effet de cliquet !
Il y a un an, le ministre de la santé lui-même nous certifiait que le masque n’était pas nécessaire. Aujourd’hui, mes chers collègues, vous en portez tous un ! Même les personnes vaccinées sont soumises à cette obligation, et l’obtention du pass sanitaire n’y changera rien.
Les paradoxes s’accumulent, et pourtant nous persistons : nous sommes dans une voiture qui avance tous feux éteints et nous continuons de rouler tout en sachant que nous allons droit dans le mur. C’est hallucinant !
Les tests sérologiques en donnent une preuve de plus. En effet, monsieur le ministre, il y avait deux manières d’atteindre l’immunité collective.
La première solution, c’était de vacciner très rapidement. Entre les médecins généralistes et les pharmaciens, nous disposons de 250 000 praticiens : si chacun administrait quatre vaccins par jour, on vaccinait 1 million de personnes par jour. Or, aujourd’hui, on dénombre à peine 10 millions de vaccinés, si les chiffres que j’ai retenus sont bons, puisque, pour être réellement protégé, il faut avoir reçu deux doses.
La seconde solution, c’était de recourir aux tests sérologiques : en présentant une sérologie positive, on aurait pu être exempté de telle ou telle mesure, puisque, quand on a déjà eu la maladie, on se trouve protégé. Or, depuis un an, on a systématiquement refusé de reconnaître ces tests. Mais aujourd’hui, comme par enchantement, ils peuvent donner droit au pass !
Enfin – je le répète –, une fois que nous aurons accepté la création du pass sanitaire, nous devrons l’imposer de manière systématique ; en définitive, en invoquant telle ou telle raison comme l’impossibilité de confiner, on fera le tri parmi les Français.
Par rapport aux habitants des villes, les ruraux sont déjà traités comme des citoyens de seconde zone : ce n’est pas la peine d’en rajouter. C’est pourquoi je soutiendrai ces amendements. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.
M. Alain Houpert. Monsieur le secrétaire d’État, je soutiendrai mes trois collègues. On ne peut pas, en même temps, prétendre que chacun est libre ou non de se faire vacciner et subordonner l’accès aux établissements recevant du public, les ERP, ou à certaines manifestations à un pass sanitaire qui, en réalité, est un pass vaccinal qui ne dit pas son nom.
M. Laurent Duplomb. Exact !
M. Alain Houpert. On peut jouer sur les mots, mais dès que l’on soumet la liberté de circuler à l’obtention d’un document, d’une piqûre ou d’un test, l’on instaure un laissez-passer, ce qui sous-entend une obligation : celle de se vacciner.
Monsieur le ministre, l’enfer est pavé de bonnes intentions. On ne peut faire le bonheur des gens contre leur gré, ni régenter la circulation de nos concitoyens pour compenser une gestion catastrophique des services de réanimation des hôpitaux.
Vous nous rendez une liberté, mais c’est une liberté conditionnelle. Les confinements, les attestations de sortie absurdes, les autotests aux résultats aléatoires sont le terreau d’un système de surveillance globale de la population. Si l’exaspération de nos concitoyens portait au pouvoir un parti extrémiste, celui-ci aurait aussitôt en main tous les outils d’un État autoritaire, et c’est vous qui les auriez forgés.
M. le rapporteur a évoqué l’article 1er dans son ensemble. Il est vrai que le pass sanitaire prend en otage cet article.
De son côté, notre ami Loïc Hervé a justement parlé d’un précédent : ce choix, dépourvu de tout fondement scientifique, sacralise la servitude volontaire ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. Décider d’imposer un pass sanitaire à l’ensemble de la filière française de loisirs sans tenir compte des spécificités du secteur serait extrêmement préjudiciable à la réouverture des parcs de loisirs. Non seulement ces établissements sont fortement contraints par les jauges prévues par le présent texte, mais ils seraient de surcroît soumis aux difficultés de mise en place du pass sanitaire, dont l’effet serait fortement dissuasif pour les visiteurs potentiels.
L’application d’une telle mesure n’est ni nécessaire ni adaptée aux parcs de loisirs. Elle mettrait en danger la reprise touristique de notre territoire. Les inégalités régionales d’accès pour disposer d’un pass sanitaire créeraient de graves discriminations entre les visiteurs ou encore entre les différents types d’établissements concernés par cette mesure.
De nombreux parcs se trouvent dans des zones périurbaines ou rurales, où l’offre de tests est relativement réduite. Cette localisation rendra difficile la production d’un test négatif pour les visiteurs jeunes, donc non vaccinés. Bien sûr, je pense au parc du Puy du Fou, en Vendée, qui accueille 2 à 3 millions de visiteurs chaque été.
En l’état, le pass sanitaire n’est pas davantage applicable aux autres structures de la filière. Elles ne disposent ni des compétences techniques pour apprécier la validité ou la conformité des informations communiquées ni des pouvoirs de police permettant un contrôle systématisé de l’identité des visiteurs, afin de vérifier la concordance des données médicales présentées.
Par ailleurs, ce dispositif crée en France une rupture d’égalité et une concurrence déloyale entre les différents acteurs du tourisme. En effet, d’autres lieux de tourisme et de loisirs en sont exemptés, quand bien même ils donnent lieu à de grands rassemblements de personnes.
Durant l’été 2020, les protocoles sanitaires instaurés en accord avec les préfectures avaient permis de garantir la sécurité de tous. À notre connaissance, la fréquentation des parcs de loisirs à cette époque, régie par ces mesures de prévention, n’a pas été à l’origine de clusters ou de contaminations massives. En conséquence, où est la nécessité d’appliquer le pass sanitaire aux parcs de loisirs, dont les activités se déroulent le plus souvent en extérieur ?
Ce choix risque d’entraîner un déclassement de la destination touristique France, face à des pays européens n’exigeant pas le pass sanitaire pour les activités de loisirs.
Finalement, le pass sanitaire appliqué aux parcs de loisirs, c’est l’illusion d’une bulle sanitaire : ni les salariés, ni les employés, ni les bénévoles, ni les fournisseurs ni les sous-traitants de ces établissements n’en auront besoin.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Annick Billon. Pour toutes ces raisons, je voterai ces trois amendements.
M. le président. Je remercie les orateurs de bien vouloir respecter leur temps de parole.
La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai écouté attentivement Loïc Hervé, Sylviane Noël et Éliane Assassi : vous n’avez répondu à aucune de leurs interrogations. Or l’ensemble des élus réunis dans cet hémicycle vous demandent des critères clairs et précis.
Il faut dire toute la vérité. Vous vous souvenez du Health Data Hub : c’est le dispositif que vous vouliez mettre en place à l’origine.
Au même titre que l’appartenance syndicale ou la religion, les données de santé font l’objet d’un encadrement réglementaire, compte tenu des risques que leur utilisation peut entraîner.
Je rappelle le système que vous avez envisagé, avant de reculer, grâce à l’intervention de parlementaires, mais aussi grâce à la pression de l’opinion publique française : cette vaste plateforme aurait collecté un ensemble de données permettant de reconstituer les parcours de santé de 67 millions de personnes sur près de douze années.
Tel était votre projet politique initial : il n’a rien à voir avec la situation, certes extrêmement grave, mais temporaire, que nous connaissons avec le covid !
Cette entreprise portait atteinte à nos libertés. J’ai bien cherché : sur cette plateforme, on aurait retrouvé absolument tout – prise en charge médicale par la sécurité sociale, visites médicales scolaires, visites de santé au travail, etc. L’enjeu était tout sauf minime. C’est pourquoi, si notre mémoire est bonne, le Conseil d’État s’est prononcé sur le sujet. La Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, a également émis des observations.
Je soutiens les interventions complémentaires de mes trois collègues et je regrette que votre réponse ait été si évasive !
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Mes chers collègues, vous le savez, face à la politique de gestion de crise sanitaire menée par le Gouvernement, je n’ai jamais ménagé mes critiques. Sur ces travées, personne ne peut m’accuser de connivence ou de complicité avec l’exécutif.
Je tiens à vous expliquer pourquoi je soutiendrai la position de la commission des lois, exprimée par M. le rapporteur.
Premièrement, pour venir à bout de la pandémie, la France doit adopter selon moi une stratégie hybride.
Notre pays doit opter pour une vaccination massive, avec le concours des médecins libéraux. De plus, il faut élargir encore les publics éligibles – je pense notamment aux jeunes, qui représentent une grande part du public des festivals –, puisque l’on sait désormais que le vaccin bloque la transmission. Mais il ne faut pas abandonner pour autant l’autre pan de la stratégie, qui consiste à casser les chaînes de contamination.
Nous avons pu lire diverses prises de position dans des revues sérieuses. Les uns défendent une stratégie « covid zéro ». Les autres privilégient la vaccination. À mon sens, il s’agit là d’un faux débat, car, je le répète, c’est la stratégie hybride qui est la bonne. Or le travail consistant à casser les chaînes de contamination suppose également le pass sanitaire.
Deuxièmement, je tiens à revenir à mon tour sur l’articulation entre sécurité et liberté. Certains disent que l’on va créer des citoyens de seconde zone.
M. Loïc Hervé. Oui, de facto !
M. Bruno Retailleau. Toutefois, si un enfant ne dispose pas des certifications requises, notamment s’il n’est pas vacciné contre la rougeole, le maire doit refuser de le scolariser : crée-t-il pour autant dans sa commune des citoyens de seconde zone ?
La liberté et la sécurité sont liées. La sécurité est même la condition de notre liberté : le débat était d’ailleurs le même quand il s’agissait de lutter contre le terrorisme.
Enfin, compte tenu de ce que nous dit le Gouvernement – il s’agit d’un dispositif exceptionnel et temporaire –, compte tenu de la sécurisation qu’ont opéré nos collègues députés en excluant du dispositif tous les actes de la vie quotidienne, compte tenu, enfin, des garanties apportées par notre commission des lois, en mon âme et conscience – je m’en excuse auprès des collègues de différentes travées, y compris de mon propre groupe, qui ont exprimé un avis différent –, je soutiendrai la position de notre commission des lois et voterai contre ces trois amendements de suppression. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
M. le président. Mes chers collègues, vous dépassez tous le temps qui vous est imparti…
Mme Éliane Assassi. Nous sommes là pour nous exprimer !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cela s’appelle le débat parlementaire !
M. le président. Certes, mais chacun doit respecter les règles en matière de temps de parole.
Mme Éliane Assassi. Bien sûr !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous sommes d’accord !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Je voudrais répondre à une partie de l’avis exprimé par notre rapporteur sur ces amendements de suppression.
Certes, l’article 1er ne se limite pas à la question du pass sanitaire : il contient vingt-sept alinéas, nous le savons pour avoir travaillé sur ce texte. Toutefois monsieur le rapporteur, et je m’adresse aussi au président Retailleau, nous pouvons tout de même nous interroger sur les raisons qui ont conduit le Gouvernement à introduire cette mesure dans l’article 1er en commission des lois à l’Assemblée nationale !
Le pass sanitaire aurait pu, après tout, faire l’objet d’un article à part entière ; ce n’est pas le cas. Sincèrement, la ficelle est un peu grosse. D’ailleurs, le Gouvernement s’attendait sans doute à un débat binaire sur ce sujet, ce qui n’est pas le cas, puisque le débat traverse toutes les travées de notre hémicycle.
En substance, en rejetant le pass sanitaire, nous refuserions de sortir de l’état de l’état d’urgence, et ce ne serait pas sérieux. Mais, monsieur le rapporteur, ce qui n’est pas sérieux, c’est la méthode utilisée et, pour le coup, ce n’est pas un précédent !
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Mes chers collègues, comme beaucoup ici, j’aurais aimé voter un texte aux conséquences mieux connues et plus conforme aux alertes de la CNIL.
Comme cela vient d’être dit, derrière cet article qui mélange le pass sanitaire et d’autres mesures, on essaie de nous faire voter un ensemble sur lequel nous avons des difficultés à nous situer : même si nous ne sommes pas favorables au pass sanitaire, le travail de la commission des lois et de son rapporteur a permis d’améliorer substantiellement un certain nombre d’éléments de cet article.
Néanmoins, confrontés à une alternative simple, voire simpliste, telle que « le pass sanitaire ou pas de concert », la plupart d’entre nous considèrent que, pour favoriser l’activité économique et culturelle, ainsi que le bien-être psychologique de la population, le pass sanitaire est préférable. Ainsi, il y aura des concerts !
À mon sens, pourtant, c’est une mauvaise façon de poser la question. De quoi parlons-nous concrètement ? Quelles sont les données personnelles que nous allons devoir partager ? Jusqu’où devrons nous aller pour obtenir un QR code valide ? Un simple bénévole d’association à l’entrée d’un événement soumis au pass sanitaire pourra-t-il contrôler ces données ? Pourra-t-il accorder ou non le droit d’entrer ? Quelle responsabilité prendra-t-il lors d’un refus ? Bref, quels sont les éléments permettant au pass sanitaire de fonctionner ?
L’état d’urgence a été prolongé à de nombreuses reprises. Qu’est-ce qui permet de penser que ce dispositif ne le sera pas ? Pourra-t-il être utilisé pour d’autres motifs, par exemple pour d’autres virus que le covid-19 ou dans d’autres circonstances ? Notre collègue Loïc Hervé a posé la question et a pointé tous les risques que fait courir la mise en œuvre de cette mesure.
Nous sommes donc partagés. En ce qui me concerne, à titre personnel et sans engager mon groupe, je voterai pour les amendements de suppression, donc contre le pass sanitaire, même si je suis conscient que certains éléments utiles figurent dans l’article 1er.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. Ce débat est un peu long, mais il est absolument essentiel, parce que nous touchons là à des questions éthiques et philosophiques profondes pour notre société, pour nos libertés et pour la façon dont nous gérons cette crise.
Pour ma part, je considère que nous ne pouvons entrer dans l’engrenage que déclenche cette mesure. L’argument a été avancé par le rapporteur : ce pass sanitaire est non pas une restriction, mais la possibilité d’ouvrir de nouveaux droits, d’accéder à des événements qui, s’il n’était pas mis en place, n’auraient pas lieu. Mais imaginons quelle pression nous ferons peser collectivement sur nos épaules si la crise perdure et si nous sommes contraints de prolonger telle ou telle restriction !
Dans ce cas, les professionnels de certaines filières et les bénévoles de certaines associations nous demanderont pourquoi, alors que nous avons déjà mis en place ce pass, nous ne leur permettons pas de reprendre leurs activités et de faire vivre le tissu économique. Que répondrons-nous ? Nous ne pourrons rien répondre ! Nous ne pourrons pas dire : « On pouvait avant, on ne peut plus maintenant ».
C’est une question de principe : oui ou non, mettons-nous en place une rupture du principe d’égalité sur la base de l’état de santé ? En mon âme et conscience, je ne peux valider cette option. Ce débat est important, il traverse l’engagement de chacun, et des gens s’interrogent sur toutes les travées. Il est important que nous échangions, pour prendre date, quelle que soit la décision qui sera prise ici et dans la suite de l’élaboration de ce texte.
Tant d’états d’urgence se sont succédé, et, à chaque fois, telle ou telle mesure, qui semblait tellement exceptionnelle, a fini par entrer dans la réalité quotidienne. Le débat est essentiel, mais pour moi, maintenant, ce sera non.